TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.

Informations générales
  • TD 1-5.268
  • TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.
  • SUPPRESSION DE L'UNIVERSITE, FONDATION D'UNIVERSITES CATHOLIQUES.
    DISCOURS PRONONCE A LA DISTRIBUTION DES PRIX DE LA MAISON DE L'ASSOMPTION, LE 29 JUILLET 1871, PAR LE R. P. D'ALZON, SUPERIEUR DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION (1).
  • TD 1 - 5, p. 268.
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME
    1 AUTORITE PAPALE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 ENERGIE
    1 ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 EVEQUE ORDINAIRE DU DIOCESE
    1 GENEROSITE
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 INDIENS D'AMERIQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIBRE PENSEE
    1 MAITRES
    1 MATERIALISME
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 MORALE
    1 MORALE INDEPENDANTE
    1 PARENTS D'ELEVES
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 RESSOURCES MATERIELLES
    1 THEOLOGIE
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 UNIVERSITES D'ETAT
    2 ATTENOUX, VEUVE
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 FRAYSSINOUS, DENIS-ANTOINE
    2 LAFARE, PIERRE
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 RACINE, JEAN
    2 SIMON, JULES
    3 NIMES
  • le 29 juillet 1871
  • Nîmes
La lettre

Monseigneur,

Messieurs,

S’il est un juge compétent de la force des études en France, au sein de l’Université, c’est à coup sûr le ministre de l’instruction publique. Or, dans une circulaire récente, M. Jules Simon disait: « Notre enseignement secondaire ne donne pas tous les résultats qu’on aurait le droit d’en attendre. Les élèves n’y puisent pas le goût des lettres; ils ne connaissent qu’imparfaitement leur langue; ils oublient très-vite le peu de latin qu’on leur a enseigné, et ne savent pas un mot de grec. »

Si ce n’est pas là une confession d’impuissance, je ne sais absolument pas ce que c’est. A la vérité, M. le Ministre prétend que l’enseignement libre n’est pas mieux partagé, et il convenait qu’il se donnât cette consolation; mais outre qu’il n’en sait rien et que, de plus, il se trompe, les établissements libres, s’il disait vrai, pourraient attribuer l’infériorité, qui leur est commune avec l’Université, au baccalauréat qui est leur mal commun. Il ne nous plaît pas aujourd’hui de défendre la cause de ces établissements; nous préférons nous en tenir à cet aveu d’une valeur incontestable sous une pareille plume: l’Université ne sait enseigner ni le grec, ni le latin, ni le français. Que sait-elle donc faire? Son insuffisance dans l’instruction, insuffisance qu’il n’est pas possible de nier, lorsque son ministre la confesse, n’est égalée que par sa redoutable et déplorable influence sur l’éducation; l’Alma Mater a reçu, au prix de coupables complaisances, le pouvoir de pervertir et de perdre les âmes(1).

A Dieu ne plaise que je veuille attaquer ici des personnes parfaitement estimables, victimes seulement de la plus déplorable illusion, comme en fut victime Mgr Frayssinous lui-même; je ne veux pas même examiner en ce moment d’où sont sortis les hommes par qui nos derniers malheurs ont été consommés; j’essaie de m’élever plus haut et je dis que la France, déjà bien ébranlée, est menacée des plus épouvantables ruines, si les doctrines universitaires ne sont pas énergiquement combattus et repoussées parmi nous.

Quand je parle de doctrines, j’éprouve bien quelque embarras. Il est radicalement impossible à l’Université d’avoir aucune doctrine; l’un des principes de 89, celui qui consacre la liberté de conscience et conduit directement à la libre- pensée, s’interposant entre les professeurs et leurs élèves, leur interdit aux uns et aux autres toute unité de croyance.

S’il est un axiome que l’Université doive faire respecter, toujours d’après les circulaires officielles, n’est-ce pas celui que je viens de signaler? Donc tout professeur, au point de vue du dogme et de la morale peut dire tout ce qu’il jugera à propos, pourvu qu’il ne dépasse pas les limites imposées par la légalité. Le dogme étant le régulateur de la pensée et la morale étant la législation de la conscience, on croira ce que l’on voudra, pourvu que cela semble vrai; on fera ce qui plaira, pourvu que cela semble bien, et l’on enseignera en conséquence. Le catholique, le protestant, le juif, le mahométan, le libre-penseur parleront chacun à sa façon. Mais alors quel sera le lien universitaire? L’enseignement du français, du latin, du grec, cet enseignement si heureux au témoignage de M. Simon, voilà tout ce qui subsiste encore de terrain commun sur lequel les universitaires pourraient s’entendre: sur toutes les autres points, triomphe absolu de l’individualisme.

Je laisse de côté les enseignements politiques donnés par messieurs de l’Université. On sait à quel point ils sont multiples, et je me garderai bien de blâmer un droit qui découle des immortels principes de 89.

On se demande avec effroi ce que deviendront des générations ainsi formées.

Mais ce n’est pas tout. Si, en dehors du français, du latin et du grec, si bien enseigné, le professeur a carte blanche, les élèves, de leur côté, au nom de la même liberté de la pensée et de la conscience, ont aussi (qu’on me permette cette expression familière) le droit d’en prendre et d’en laisser. Qu’en prendront-ils? à peu près tout, excepté le bien et le vrai; qu’en laisseront ils? à peu près tout, excepté le mal et le faux.

Direz-vous que les élèves sont mineurs et qu’on a le droit de leur imposer certaines doctrines au nom d’une autorité salutaire? Quelle contradiction! On leur apprendrait à être libres en les faisant esclaves. Non, non, l’impitoyable logique est là; et, comme je ne sais plus quel conventionnel qui disait: Périssent nos colonies plutôt qu’un principe, il faut avoir le courage de dire: Périssent les générations française plutôt que la liberté de penser chez les élèves et chez leurs professeurs. Le professeur étant libre d’enseigner ce qu’il veut, l’élève libre d’accepter ce qu’il veut de la leçon du maître, les voilà tout juste l’un et l’autre dans la situation où M. de Maistre met un protestant en face de son ministre en chaire, et se disant au fond de l’âme, en l’écoutant: « Je crois qu’il croit que je le crois. » Encore une fois, ce ne sont pas les hommes que j’attaque, c’est l’institution et la grande erreur qui lui sert de base.

Mais direz-vous encore, nous n’empêcherons aucune croyance de se faire jour, nous les respectons toutes et nous désirons que chacun ait la sienne.

Messieurs, si, dans un établissement, un directeur venait et disait aux élèves: Mes amis, la danse est une belle chose, une magnifique chose; je tiens à ce que vous sachiez danser; je bénirai le ciel si vous devenez d’excellents danseurs; je vous donnerai même un maître, dont les autres maîtres plaisanteront tant qu’ils voudront, mais que légalement vous devrez respectez; toutefois, vous en userez, si cela vous convient; car, pour peu que cela vous déplaise, vous ne profiterez point de ses leçons; à côté de vous, d’autres élèves auront le droit de dire que ce maître n’a pas le sens commun et que c’est un être essentiellement absurde, en enseignant la danse des Iroquois, et nullement celle du dix- neuvième siècle; qu’on le tolérerait, s’il vous faisait au moins sentir ce qu’il y a de gracieux dans les évolutions des bayadères, tandis que lui, vieux reculé, il ne revient obstinément au menuet de la cour. Oui, mes amis, poursuivrait le même directeur, je souhaite éperdûment que vous connaissiez les principes de la danse; mais au-dessus de ces principes, il y a l’éternel principe de la liberté de danser ou de ne danser pas, et le droit du citoyen de faire ce que bon lui semble. -Pensez- vous qu’avec de pareilles invitations, le directeur d’établissement serait censé pousser vigoureusement à l’art de Terpsichore?

Messieurs, soyons sincères, au lieu de la danse, qui plaît aux passions, mettons la religion, qui les condamne; n’est-ce pas ce qui se passe tous les jours, non par la faute des membres du corp universitaire, mais par la force des idées sur lesquelles repose fatalement l’enseignement de l’Université.

Et vous voulez qu’avec ces encouragements dérisoires les jeunes gens conservent leur croyance religieuse!

Cette liberté, Messieurs, n’est-elle pas le premier pas vers l’incrédulité? Les dogmes, et surtout les pratiques de la religion gênent, fatiguent, condamnent les penchants naturellement corrompus du coeur; tout enseignement, qui consiste à laisser à l’écart l’élément religieux livre les passions à une indépendance dont elles s’accommodent très fort, brise le joug salutaire du devoir et du sacrifice, et, quand on a intérêt à mal faire, on est tout disposé à penser mal. Or, je vous prie de me dire quel article des règlements universitaires défend aux professeurs d’être indépendants en morale et libres-penseurs en matière de religion? J’affirme que, plus leur conscience et leur pensée sont affranchies du dogme, plus ils sont pénétrés du véritable esprit universitaire, qui nie tout en n’affirmant rien; et c’est pour cela que, comme catholique et comme prêtre, je suis épouvanté de voir des parents, s’ils sont catholiques, assez insensés, je dirai le mot, assez criminels pour ne pas envisager à quels périls ils exposent l’âme de leurs enfants. Et j’entrevois les châtiments prêts à être infligés à la génération des pères par la génération des fils ainsi élevés.

Inutile de discuter ici les oeuvres si connues du ministre de l’instruction publique; ses circulaires sont là pour dévoiler la pensée fondamentale de l’instruction, malgré ses efforts et surtout à cause de ses efforts pour la laisser dans une ombre salutaire.

Je dirai même que, dans certaines mutations récentes, ce n’était pas le ministre omnipotent qui avait la logique pour lui, mais bien les professeurs changés. Et comme, en France, la logique est impitoyable, si les mêmes principes sont toujours maintenus, nous verrons bientôt le triomphe des professeurs et la défaite du ministre.

Je le reconnais hautement, des hommes très honorables, des prélats comme l’illustre évêque d’Hermopolis, ont pu se faire longtemps illusion; et je serais au désespoir que l’on vit dans mes paroles la moindre attaque contre qui que ce soit. Mais les événements sont, eux aussi, de grands docteurs; ils déchirent bien des nuages et apportent de terribles lumières; c’est en face de ces nuages déchirés, de ces lumières tous les jours plus éclatantes, que je pousse le cri d’alarme et que je dis: Au point où en sont les choses, l’Université est une institution où, de l’aveu des chefs, on enseigne fort mal le grec, le latin et le français, et où les professeurs ont, au nom de la liberté de pensée et de conscience, le droit d’enseigner, dans les limites de l’ordre légal, tout ce qui leur plaira, à la condition que les élèves, au nom de la même liberté auront le droit de croire ou de ne pas croire ce qu’on leur aura enseigné, et même de s’en moquer, pourvu qu’ils sachent observer quelques formes extérieures de respect.

Arrivés à cette incontestable conclusion, on se trouve en présence de cette question fatale: Avec un établissement pareil, combien de temps peut vivre encore la société qui le protège? Mais ceci me mènerait trop loin et je me contente de dire: N’est-ce pas pour les catholiques, enfin désillusionnés, une stricte obligation de conscience de travailler à la destruction de l’Université

En attendant que l’arbre, à la racine duquel la hache, je l’espère, a été mise, soit renversé par le poids même de ses branches et de ses fruits d’iniquité, n’est-ce pas toujours pour les catholiques un rigoureux devoir de préparer, à côté de l’Université officielle, des universités libres, où leur foi non-seulement sera respectée, mais formera la vie même de tous les enseignements, qui lui emprunteront leur sève, en même temps qu’ils en seront le couronnement?

Pour agir ainsi, les catholiques peuvent invoquer deux droits. Le droit même usurpé par l’Etat, le droit d’enseigner, que tout le monde possède en vertu des principes de 89. Là où règne la liberté de la presse, là aussi doit régner la liberté d’enseignement. Le monopole de l’enseignement supérieur en est la plus flagrante contradiction. Ou rétablissez la censure et faites payer par tous les citoyens le Journal officiel, ou faites enfin cesser le scandale de l’enseignement par l’Etat.

Mais pour nous, catholiques, cet argument n’a de valeur que contre les adversaires en face de qui nous nous trouvons.

Nous avons quelque chose de plus, le sentiment de notre droit absolu non- seulement de ne pas être enseignés à la façon universitaire, mais de l’être à la façon de l’Eglise de Dieu, avec l’autorité que cette Eglise a reçue de son fondateur; nous prévariquerions, nous serions coupables d’apostasie, si nous n’avions pas foi aux droits imprescriptibles de cet enseignement dans ce qu’il a de fondamental, et nous serions des insensés, si nous ne comprenions pas les bienfaits qu’un enseignement infaillible sur les questions essentielles verse sur les autres enseignements, par l’union qui subsiste entre les diverses sciences.

Mais comment s’y prendre pour arriver à un résultat pratique? La première condition est de vouloir et de vouloir très fortement. L’énergie de la volonté est en général ce qui fait défaut à ce qu’on est convenu d’appeler les honnêtes gens; êtres essentiellement passifs, ne faisant pas le mal, ayant peu, très-peu d’initiative pour le bien; habiles à calculer les intérêts du moment, incapables de sonder l’avenir; rarement accessibles à un élan de générosité, mais en général pourvus d’un don merveilleux de critique et de blâme.

Les littératures grecque et latine, à l’époque de leur décadence, comptaient beaucoup de scholiastes et de grammairiens; érudits impuissants, occupés à formuler des règles infécondes. Ingénieux à critiquer les chefs-d’oeuvre de l’art ancien, incapables eux-mêmes de créer quoi que ce soit, leurs doctes efforts tendaient à enlever tout élan à l’esprit et à l’empêcher de produire des oeuvres originales.

Depuis Racine, qui déjà s’en plaignait, cette catégorie d’esprits s’est considérablement accrue. Dans un ordre d’idées différent, le siècle actuel nous offre une classe très-nombreuse d’hommes dans une situation morale qui n’est pas sans analogie avec la précédente. Regrettant le passé, incapables d’en reprendre ce que les traditions en ont conservé de vivant, ils trouvent je ne sais quelle volupté, quelquefois triste, quelquefois agacée. à formuler sur des ruines des regrets qui ne les ressusciteront pas, et ils préfèrent de stériles lamentations sur l’édifice abattu à des efforts pénibles, peut-être inutiles, mais toujours généreux, pour le relever.

Laissons ces hommes-là ce côté; ils ne sont faits que pour verser des pleurs éternels sur des tombeaux dévastés. Pour nous, sachons vouloir; et, nous souvenant que toutes les époques ont eu leurs erreurs, leurs fautes, leurs malheurs et leurs vices, reconnaissons que l’homme est surtout grand par sa volonté, lorsqu’elle prend pour but une entreprise noble et féconde, et qu’après tout, il est des obstacles sous le poids desquels on peut succomber, souvent avec gloire, toujours avec dignité.

Je parle de la possibilité de succomber, mais pourriez-vous dire ce qui succombe dans l’Eglise de Dieu? Je vois bien la sainte humanité du Sauveur expirer sur la croix, les Martyrs perdre la vie au milieu de tous les supplices, le cimeterre musulman ravager l’Afrique et l’Asie, le protestantisme préparer la politique qui poussa les usurpateurs vers Rome; -l’Eglise a-t-elle succombé, et tout n’y respire-t-il pas une nouvelle vie? Sa destinée n’est-elle pas de subir l’oppression dans ce monde? Les prophéties ne seraient-elles pas menteuses, s’il en était autrement? Il en est de même des grandes oeuvres de l’Eglise, et comme parmi ces grandes oeuvres, il faut compter les universités, ce qu’ont fait les catholiques belges, américains et anglais, ce que feront bientôt les évêques allemands, si M. de Bismarck le leur permet, pourquoi les catholiques français ne le tenteraient-ils pas, dussent leurs premiers efforts n’être pas couronnés de succès?

Je le répète, la première condition pour réussir est de vouloir, à la façon des vrais chrétiens.

La seconde est de commencer. Or, quand on veut commencer une oeuvre, on se trouve en face d’une foule d’oppositions dont tous les arguments se résument dans cette objection effroyable: Mais prenez garde, vous allez commencer! Je me suis permis déjà de répondre à cette catégorie d’honnêtes épouvantés: Eh! oui, si personne ne commence, personne ne commencera. Mais si l’heure est venue, si jamais moment ne fut plus favorable, pourquoi rester oisifs? Le travail n’est-t-il pas, par l’ordre même de Dieu, la plus grande puissance de l’homme? Alors même qu’il ne réussit pas, ne reste-t-il pas toujours quelque chose de nos sueurs?

Encore une fois, voyez combien l’heure est propice. Quand tout est contesté, n’est-ce pas le moment d’affirmer? Chacun prétend aujourd’hui marcher dans sa voie; les catholiques seuls seront-ils privés du droit de suivre la leur? Et dans cette grande expansion de la libre-pensée triomphante, est-il logique de refuser sa place à la pensée chrétienne?

Pour nous, catholiques, nous avons le sentiment profond de notre droit; on s’était efforcé de le laisser prescrire, mais les droits de la vérité ne se prescrivent pas; et parce que la vérité est pour nous, ses droits aussi nous appartiennent.

Il faut commencer, et commencer, comme toutes les oeuvres de Dieu, avec de modestes proportions.

L’accroissement, Dieu le donne, selon les temps et les circonstances que sa Providence prépare.

Mais où seront les ressources? Je les vois dans la charité des catholiques, qui sera non moins attirée par la misère des intelligences que par le dénûment des corps. Sans doute, lorsque Notre-Seigneur déclarait que son Père l’avait envoyé évangéliser les pauvres, il parlait des grandes indigences matérielles, qui seront surtout une des plus hideuses plaies de la civilisation; mais il parlait aussi de cette indigence des âmes, que l’on n’étudie pas assez et qui est un des maux les plus effroyables des temps modernes. Qui nous donnera de comprendre combien les intelligences sont aujourd’hui pauvres de la vérité, leur seul aliment, après tout?

La charité s’exercera donc sur l’indigence intellectuelle, en créant des universités, comme elle s’exerce sur les infirmités physiques en créant des hôpitaux. Peut-être aura-t-on quelque peine à faire comprendre à quelques-uns ce genre d’aumône; mais, j’en suis sûr, plusieurs en auront l’intelligence, et les ressources matérielles seront trouvées.

Il y a quelques années, un archevêque de Paris, selon préparant à porter à Rome le compte-rendu de son diocèse, chargea un de ses vicaires-généraux de faire la statistique des bonnes oeuvres de la capitale. Arrivé à l’un des quartiers les plus riches, le grand-vicaire selon trouva en face d’un ancien auteur dramatique, qui lui dit: « Ici, l’argent ne manque pas pour secourir les indigents; ce qui nous manque, ce sont les hommes pour le distribuer. »

Je m’attends à la même objection pour les universités que je propose: Où donc trouverez-vous des hommes? Messieurs, je ne crains pas de le dire, nous les avons. On pourra toujours recruter des professeurs parmi ces hommes, aussi studieux que modestes, dont la vie s’écoule loin du bruit, et recueille silencieusement des trésors de science, richesses méconnues, parce que ceux qui les ont amassées n’ont peut-être pas assez eu, jusqu’ici, le souci de les communiquer; mais ils travaillent, ils selon préparent, sans éclat, sans bruit, et quand le moment sera venu, on verra ce qu’ils sont et ce qu’ils peuvent.

Voulez-vous me permettre de vous dire la faute qui fut commise, il y a vingt ans, lorsqu’une voix, très-autorisée sans doute, vint dire, au nom des catholiques, qui ne lui en avaient pas donné le mandat: « Nous ne sommes pas prêts ». Ce pouvait être absolument vrai, mais il fallait ajouter: Sous très peu, nous le serons.

Nous avons bien été prêts pour l’enseignement secondaire. Mettez que nous ne le soyons pas pour l’enseignement supérieur, ce que je n’accorde point; nous le serons, soyez-en sûrs, au moment voulu.

Enfin, le grand moyen, c’est l’union. Quoi! tout ce qui est honnête s’indigne et s’épouvante à la fois, au spectacle de ces associations funestes qui menacent la société; on commence à comprendre pourquoi, depuis plus d’un siècle les Souverains Pontifes ont donné de si sévères avertissements contre les sociétés secrètes, et l’on ne voudra pas admettre la nécessité de s’unir pour tout ce qui est bien! Que de vastes associations, non pas secrètes, ,mais publiques, sous des formes diverses, mais avec un but commun, surgissent de tous les points. Qu’elles prennent modèle, s’il le faut, sur la prudence des enfants du siècle, et vous verrez si nous ne pourrons pas lutter avec avantage. Qu’un des objets principaux de ces associations soit la formation d’universités catholiques, lesquelles, à leur tour, deviendront des foyers lumineux et des centres d’action; encore une fois, il ne s’agit que de vouloir et de commencer.

Examinons rapidement la manière dont pourraient se former ces universités.

Une université catholique doit avoir une base catholique; on commencera par une faculté de théologie, et dès-lors l’intervention de Nos Seigneurs les évêques, celle du Souverain-Pontife lui-même, deviennent indispensables. Mais un refus de concours n’est-ce pas à redouter, puisque c’est, au contraire, de là que viendra nécessairement l’initiative; je n’insiste pas là-dessus.

L’université est une république chrétienne dont les sciences diverses forment les provinces, mais qui reconnaît la théologie pour souveraine. Le rationalisme a pu fomenter des révolutions dans cet empire; mais le droit est immuable, et l’université ne saurait être restaurée que par la soumission de toutes les sciences à la science de Dieu connu par la révélation. La philosophie, les sciences morales et politiques, les sciences mathématiques et les sciences naturelles, les belles-lettres et les beaux arts, toutes les régions sur lesquelles s’étend la pensée humaine, sous toutes ses formes, reconnaissent un centre d’où leur vient la lumière et auquel elles doivent apporter leur tribut.

Si la religion fournit à l’histoire des donnés principales, son unité et sa vie, à son tour l’histoire offre à la théologie, dans les archives du passé, la vérification des titres et des témoignages sur lesquelles elle repose.

La théologie, seule, peut vivifier l’étude du langage humain; mais, de son côté, la linguistique, dans la comparaison des divers idiomes, explore péniblement de riches filons et sonde d’admirables profondeurs, au profit de la théologie, dont elle ne peut que confirmer les dogmes sur l’unité d’espèce et sur l’origine des sociétés.

La théologie présente, en un système rationnellement coordonné, les vérités religieuses et révélées dont l’Eglise a le dépôt. Mais l’Eglise est une société visible; elle a ses lois, auxquelles correspondent les lois des sociétés civiles. Le droit civil et le droit canon se trouvent donc unis par des rapports importants, et ces rapports doivent être réglés de manière à assurer le libre exercice de la souveraineté spirituelle de l’Eglise. On voit par là comment la science du droit relève de la théologie, et comment la théologie peut tirer de cette science d’utiles secours.

Toutes les sciences aboutissant à Dieu et à l’homme, la science des corps, en un certain sens, a pour terme le corps humain. Nous touchons à la médecine, de toutes les facultés, peut-être, celle qui a le plus besoin de la théologie. Si nous disions que la médecine, comme science, est plus malade que ses clients, et que la théologie seule a des recettes supérieures pour la guérir, nous resterions dans les limites d’une vérité palpable. Il s’est rencontré des docteurs et des professeurs de médecine qui, n’ayant pas senti l’âme palpiter sous leur scalpel, en ont audacieusement nié l’existence, par cela seul qu’ils n’en pouvaient assigner la place. Le matérialisme a envahi les écoles de médecine de l’Université; l’Etat, dans nos grandes facultés, enseigne à nos enfants que tout en nous est chair et que rien ne survit à la corruption de la chair. L’Etat, après avoir laissé quelque liberté aux catholiques dans l’enseignement secondaire, semble s’être réservé le droit de détruire ce que l’Eglise a fait dans les collèges qui sont encore sous son influence, en établissant des chaires d’athéisme, où nos jeunes élèves sont forcés d’aller entendre des enseignements qui les livrent, désarmés, à la tyrannie des passions, dans des villes où tout les convie à les satisfaire. N’est-il pas temps que la théologie soit admise à l’inspection de cette vassale révoltée?

La théologie sera donc posée comme base de notre université; et, dès lors, à son appel, toutes les sciences viendront se grouper autour d’elle et lui demander une vie nouvelle et de nouvelles illuminations, comme elle recevra de chacune d’elles un concours utile et de précieuses données.

Peut-être, Messieurs, quelques-uns d’entre vous ont-ils trouvé, dans la première partie de ce discours, un accent de polémique, que ne comporte pas ordinairement une distribution de prix.

Veuillez me le pardonner, mais laissez-moi vous dire que les temps ne sont pas ordinaires non plus; les dangers s’accumulent; ce que nous avons subi de tristesses et de malheurs nous imposent l’impérieux devoir d’en chercher la cause et surtout d’en signaler les remèdes. Il faillait bien mettre le doigt sur la plaie, avant d’indiquer, comme j’ai essayer de le faire, un des plus efficaces moyens de la guérir. Quand une douloureuse opération est indispensable, faut-il a’arrêter aux cris du malade, l’important n’est-il pas de lui conserver la vie et de le rendre à la santé?

Monseigneur,

Avant de ceindre votre front de la couronne épiscopale, vous aviez honoré la barrette du professeur, en consentant à la porter dans une de ces facultés de transition, où tant de prêtres, illustres et profondément dévoués à ;’Eglise, croyaient pouvoir la défendre avec quelque avantage. Vous avez fait alors, j’en suis sûr d’utiles expériences, et sur les vices de l’institution, et sur les bienfaits dont elle pourrait être la distributrice, si elle reprenait sa position normale. C’est pourquoi ma conviction profonde est que personne, mieux que vous, ne saurait, dans notre Midi, encourager -me permettez-vous de dire- fonder une oeuvre pareille.

L’Eglise et ses ennemis sont connu les accents de votre parole; ils connaissent, ils connaîtront longtemps encore les traits de votre plume.

Si Dieu a amoindri dans votre poitrine les vibrations de votre voix, ne nous en plaignons pas, c’est, pour votre diocèse, un moyen providentiel, je le sais, de vous conserver toujours. Mais la plume vous reste; elle vous reste aussi, cette parole plus intime, qui anime d’une ardeur plus vive ceux qui la recueillent, parce qu’elle part de plus près. Oui, Monseigneur, fondez, dans une ville si admirablement placée, une Université catholique; c’est le voeu que je dépose à vos pieds. Il me semble que ce serait une ambition digne de Nîmes et de son Evêque de tenter un effort pareil; et, parmi les hommes de foi qui m’entourent, qui pourrait douter du succès? Quel père chrétien n’y verrait le moyen de donner à ses fils, sous une même action, l’enseignement supérieur avec la même sécurité que l’enseignement des premières années?

Notes et post-scriptum
1. Il y a cinquante ans déjà, Lamennais signalait l'Université à Mgr Frayssinous, alors grand-maître, comme étant "le vestibule de l'enfer." S'est-elle améliorée depuis?Nîmes, De l'Imprimerie Lafare et Ve Attenoux, place de la Couronne,