TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.

Informations générales
  • TD 1-5.311
  • TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|DISCOURS DE DISTRIBUTION DES PRIX.
  • LES ESPERANCES DE LA FRANCE.
  • Les espérance de la France (Dans: Les espérances de la France. Discours prononcé à la distribution des prix de la Maison de l'Assomption par le T. R. P. Emmanuel d'Alzon (19 juillet 1874). Nîmes, Imprimerie P. Lafare, 1874, p. 3-16).
  • DU 26; TD 1-5, P. 311.
Informations détaillées
  • 1 ACTION POLITIQUE
    1 COLLATION DES GRADES
    1 COMITES CATHOLIQUES
    1 COMMUNARDS
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 EGLISE NATIONALE
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 FEMMES
    1 HAINE CONTRE JESUS-CHRIST
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 OEUVRES OUVRIERES
    1 PELERINAGES
    1 QUESTION SOCIALE
    1 RESSOURCES FINANCIERES
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SAINT-SIEGE
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 VERTU DE PENITENCE
    1 VIE DE PRIERE
    2 BONAVENTURE, SAINT
    2 CABRIERES, ANATOLE DE
    2 CHARLEMAGNE
    2 CHARLES MARTEL
    2 CLOVIS
    2 CYRUS
    2 DAVID, BIBLE
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 INNOCENT III
    2 LAFARE, PIERRE
    2 LOUIS, SAINT
    2 NAPOLEON III
    2 PIE IX
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    3 AFRIQUE
    3 ALLEMAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 ASIE
    3 BALE
    3 BELGIQUE
    3 DARDANELLES
    3 ESPAGNE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
    3 GENEVE
    3 GIBRALTAR
    3 HOLLANDE
    3 IRLANDE
    3 LILLE
    3 LOURDES
    3 LYON
    3 MAYENCE
    3 MONTPELLIER
    3 NANTES
    3 NEVERS
    3 PARAY-LE-MONIAL
    3 PARIS
    3 POITIERS
    3 ROME
    3 SALETTE, LA
    3 SIBERIE
    3 VENISE
  • le 29 juillet 1874.
  • Nîmes,
La lettre

Messieurs,

Un des hommes d’Etat les plus éminents des temps modernes exprimait, il y a quelques jours, le désir de voir l’Angleterre, sa patrie, se préparer, par son union politique, à supporter la crise universelle, plus menaçante que plusieurs ne le pensent.

Ce désir, Messieurs, qui ne l’a pas au fond de l’âme pour la France? Oui, malgré nos profondes divisions, qui n’a pas au coeur pour notre patrie bien-aimée les mêmes souhaits ? Qui ne forme pas le voeu de la voir enfin forte et unie en présence de la tempête sociale prête à éclater?

Permettez-moi de ne pas trop insister sur des sentiments qui, pour être parfaitement légitimes, nobles, français, pourraient nous attirer sur un terrain que des réunions comme celles-ci ne comportent pas, et de dire. en m’élevant plus haut, combien, en face des maux sans nombre dont nous sommes menacés, il est nécessaire de nous unir pour défendre, non-seulement la France, mais l’Eglise.

C’est qu’en effet, la question, au fond, est plus religieuse que politique, et c’est ce qui en fait l’universalité. Voyez: le combat est engagé partout, du détroit de Gibraltar aux Dardanelles, des steppes de la Sibérie, où nous comptons tant de martyrs, jusqu’au Vatican, où notre Père est tout ensemble exilé et captif; par tout la guerre, l’exil, la prison, les spoliations les plus criantes. Cette guerre est livrée, bien entendu, au nom de la légalité; car il est facile aux hommes de faire des lois humaines, quand on veut se débarrasser de quelque loi divine désagréable, et supprimer, au nom d’un droit humain, un droit de Dieu compromettant.

Enfin, nous en sommes là: Jésus-Christ, abandonné des peuples, attaqué par toutes les violences de la Révolution, les vainqueurs de la France aspirant à devenir les vainqueurs de l’Eglise, et croyant qu’il leur sera aussi facile de venir à bout d’un royaume dont Dieu est le souverain, qu’il leur a été aisé d’en finir, pour un instant du moins, avec un peuple dont les défaites étaient préparées depuis longtemps par de grands crimes et de grandes apostasies!

Tout est-il pourtant perdu pour la foi catholique, et l’Europe est-elle menacée de quelque chose de semblable à ce que l’on a vu pour l’Afrique et pour l’Asie? A Dieu ne plaise, et je crois que nous avons les plus puissants motifs d’espérer. Permettez-moi de vous en exposer quelques-uns.

Le premier, c’est que, après Rome, tous les yeux sont tournés vers la France.

Je prenais part, le mois dernier, au pèlerinage qui, conduit par un ancien élève de l’Asssomption, partait de Montpellier et s’acheminait vers Paray-le-Monial, pour y adorer les manifestations inépuisables de l’amour de Dieu envers les hommes. Or, au milieu de l’enthousiasme universel, des redoublements de la piété catholique causés par la contemplation de lieux si vénérables, au milieu de la joie d’une Eglise voisine, notre soeur désormais, éprouvait de recevoir d’un jeune et saint Evêque, sorti de vos rangs, mes Amis, comme une nouvelle résurrection, moi, son père d’autrefois, priant pour lui, pour ses enfants, pour l’Eglise de Nîmes, pour son pontife trop longtemps malade, pour l’Eglise catholique et son Chef, dans ce petit sanctuaire de la Visitation, je me pris à lever les yeux, et je vis attaché à la lampe placée sur ma tête un écusson portant ce mot: Angleterre. La curiosité me saisit, et dans un instant où la foule était moins compacte, je parcourus la chapelle si modeste et si riche à la fois; j’y remarquai, au milieu d’autres lampes suspendues par la piété des familles chrétiennes, des lampes suspendues aussi par des familles de nations. La Belgique, la Hollande, la pauvre et sublime Irlande, l’Espagne catholique avaient la leur; et à l’aspect de ces témoignages de bonne parenté chrétienne, je me dis: Quelle est donc la nation qui voit les peuples se tourner ainsi vers elle? On vient de presque tous les points du monde à la Salette, à Paray, à Lourdes; on vient réchauffer sa foi, son amour, dans des sanctuaires français; et c’est pourquoi je me pris à espérer beaucoup pour la France. Non, sa mission n’est pas encore finie; ce qu’elle fit par l’épée de Clovis, de Charles-Martel, de Charlemagne, de S. Louis, pourquoi ne le ferait-elle pas encore par telle épée que Dieu sait? Pourquoi, laissant à la Providence le soin d’appeler David ou Cyrus pour établir ou restaurer la gloire de Jérusalem, ne se tiendrait-elle pas prête pour l’immense travail qui va, ce semble, lui échoir? Ah! Messieurs, que faut-il pour mériter la confiance que les peuples chrétiens nous témoignent ainsi, malgré nous, même de par delà l’Océan? Il faut comprendre notre mission, il faut la remplir, et, devenant les chevaliers de Dieu, nous dévouer par dessus tout à sa cause.

Le second motif d’espérance, je le trouve dans les efforts déjà accomplis. Ai je besoin de parler des deux mille cinq cents conférences de Saint-Vincent-de-Paul, ou de la Propagation de la Foi? Ces oeuvres ne remontent-elles pas à près de quarante ans, ne sont-elles pas déjà d’anciennes institutions et ne sont-elles pas des oeuvres françaises? Pourtant quel est le coin du monde où elles n’exercent pas leur action? C’est à Lyon que se trouve la caisse générale des Missions catholiques. C’est de Paris qu’est partie l’immense organisation de la charité chrétienne, telle que Dieu l’a permise de nos jours, en face de l’organisation des sociétés secrètes. Mais est-ce que l’oeuvre de Saint-François-de-Sales, de date plus récente, ne répand pas des bibliothèques populaires sur tous les points de la France, n’aide pas à bâtir des églises, à donner des missions, à ouvrir des écoles? Et déjà l’idée première, due à trois élèves de notre maison de Saint-Maur, ne se répand-elle pas dans tous les sens, grâce aux encouragements de Pie IX? Est-ce que, sous la direction de jeunes officiers pleins d’avenir, de foi, de distinction et de talent, en dehors des cercles de Nîmes qui ont leur cachet propre, on ne voit pas des cercles catholiques d’ouvriers s’établir d’un bout de la France à l’autre? Les ressources y abondent, et c’est un des terrains bénis ou se fait la réconciliation sincère entre le riche depuis longtemps chrétien et l’ouvrier qui ne l’est peut-être pas encore, mais se sent heureux de le devenir. Est-ce que l’Union catholique des associations ouvrières ne va pas saisir le peuple sur toutes les voies, et, dans ce but, provoquer une organisation nécessaire? Il y a trois ans, un congrès réunissait à Nevers soixante-dix hommes voués aux oeuvres de charité; il y a deux ans, à Poitiers, nous étions quatre cents. A Nantes, l’an dernier, on était plus de mille. Combien, avant un mois, sera-t-il donné de voir, à Lyon, de chrétiens mûs par le désir de faire le bien sous toutes les formes qu’inspire une charité inventive dans l’unité des principes catholiques et dans la liberté des expansions nouvelles? Et au fond de tout cela, ne voyez-vous pas l’Eglise ressaisissant avec amour le peuple, les classes ouvrières, que des associations néfastes lui avaient enlevées? Mais quand, sous l’influence de la tendresse catholique, l’ouvrier aura cessé de haïr, qu’à son tour il se sera repris à aimer ce qui est à côté de lui et même ce qui est au dessus de lui, l’ordre moral, ne le pensez-vous pas, l’ordre moral ne sera-t-il pas bien près de renaître et la Révolution bien près d’expirer?

Mais ma plus haute espérance, je la place dans un troisième fait non moins grave: c’est l’amoindrissement, tous les jours progressif, du catholicisme libéral. Qui n’a pas été quelque peu catholique libéral? Messieurs, je ferai ma confession publique: il y a quarante ans, je l’étais. Le catholicisme libéral avait, ce semble, des aspirations généreuses, d’autant plus décevantes qu’elles se montraient plus magnifiques; mais malgré tous les discours contre l’usurpation de certains mots, malgré les efforts de quelques-uns des Quarante pour raccommoder tant bien que mal cinq ou six substantifs écloppés, il est resté établi que libéralisme et catholicisme impliquaient contradiction. Aussi a-t-on vu bientôt les libéraux avant tout, s’éloigner de l’Eglise, les catholiques avant tout, sacrifier leur libéralisme devant les affirmations répétées de Pie IX, que l’erreur des catholiques libéraux est pire que l’erreur révolutionnaire. Or, nous avons sous les yeux ce spectacle trop peu admiré; c’est le retour lent encore, si vous le voulez, mais enfin le retour incontesté des plus belles intelligences, séduites un moment, et repoussant enfin d’elles-mêmes de fausses clartés pour revenir loyalement, avec humilité, et par cela même avec honneur, à la pure, entière et divine lumière des principes catholiques. Or, Messieurs, quand le juste-milieu catholique aura fait son temps, les autres juste-milieu seront bien près d’avoir fait le leur. Alors l’Eglise, groupant tous ses enfants sous un même étendard, sous un même chef obéi, sera certaine de vaincre les ennemis déclarés, parce qu’elle n’aura plus dans son sein de soldats douteux. Ce travail, il se fait depuis quatre ans: il se fait à Genève, à Bâle, par l’exil; il se fait, il va se faire encore par la captivité en Allemagne; il se fait par l’expulsion à Rome. Mais il se fait aussi à Venise, à Mayence, par ces admirables congrès où retentissent les plus courageuses protestations. Il se fait non-seulement par les hommes, mais encore par les femmes chrétiennes. Mesdames, vous avez été devancées par vos soeurs catholiques d’un nouvel empire; et, mères, épouses, filles de préfets, de procureurs généraux, de présidents, de hauts fonctionnaires, vous les voyez traduites en justice et condamnées à de fortes amendes pour crime de haute trahison, parce qu’elles ont osé signer des protestations en faveur de leurs évêques et des prêtres captifs pour le Christ.

Là-bas aussi on était catholique libéral, et l’histoire dira un jour quelles intrigues cette affreuse variété du libéralisme avait tissées pour saisir les plus nobles coeurs, les plus pures intelligences. Or, voici ce qui est arrivé: La France avait été bien coupable pendant le concile du Vatican, ou du moins on avait, en son nom, fait bien des menaces, consommé bien des perfidies. Le concile fait son oeuvre majeure; tout à coup la foudre éclate, la France est frappée; mais il semble qu’avec nos milliards, nos ennemis ont emporté, pour les accomplir chez eux, les projets d’église nationale(1) dont nous étions menacés. Nos malheurs n’ont pas laissé à certains puissants le temps de nous plonger dans le schisme; et ces projets de scission tentés, non plus par un souverain français, mais par un pouvoir hérétique, ont perdu, par cela même, presque tout leur danger. Quelques vieux catholiques ont surgi, ridicules par leurs prétentions, odieux par leurs excès; et au sein d’un peuple dont les hérésies s’en vont en poussière, l’Eglise catholique est apparue victorieuse, par ses propres fers, des vainqueurs de la France.

Que si, reportant les yeux parmi nous, nous examinons ce qui se passe, nous sommes bien forcés de le dire, sans doute il n’y a pas persécution, parce que la persécution doit venir d’en haut, mais il y guerre.

Oui, la guerre est engagée. A celui qui ne sait quelle en sera l’issue, nous osons répondre: Ce que voudra la France. Hélas! rien n’est plus manifeste; mais le voudra-t-elle avec l’énergie des premiers siècles de son histoire? le voudra-t-elle avec le sentiment de tout ce qu’elle doit expier, des abîmes qu’il lui faut combler, des ruines qu’elle est réduite à réparer? L’étranger qui visitait naguère Paris, avait, s’il n’était pas Prussien, l’âme triste à la vue de tant de monuments tombés sous le poids de nos haines intestines. Hélas! les ravages accomplis dans l’ordre moral sont bien autrement affreux! Sont-ils irréparables? Certes, si on le veut, on peut tout restaurer. Mais il faut alors remonter à la source du mal pour la tarir, et c’est possible: il faut confesser nos péchés et les expier publiquement. Voilà, certes, à quoi sont bons les pèlerinages. Ceux qui les font se déclarent pécheurs, implorant publiquement merci; ils crient à Dieu pardon et miséricorde, et par les fatigues du voyage, et par les prières qu’ils offrent, et par la publicité de l’acte qu’ils accomplissent, ils créent un courant de la terre au ciel. Pour qui croit à l’ordre surnaturel, à ce que Dieu a toujours fait pour les nations pénitentes, à l’amour plus spécial de Marie pour la France, à la mission de cette France si privilégiée encore malgré ses fautes, est-il possible de ne pas concevoir les plus vives espérances, en face de tout ce qui s’accomplit au grand ébahissement des prudents de ce siècle? Certes, les pèlerinages, rétablis depuis si peu de temps, ne dureront pas toujours avec leur ferveur présente; qui le nie? En attendant, on en fera, tant qu’ils seront utiles; quand ils ne le seront plus autant, Dieu inspirera autre chose. Pour le moment, donnons-nous aux pèlerinages, et pour l’avenir comptons sur Dieu, dont les inventions sont sans nombre comme ses miséricordes.

Pie IX disait naguère: « Il ne suffit pas de prier, il faut agir ». Ne semble-t-il pas qu’on avait devancé la pensée de Pie IX, quand on avait fait surgir de toutes parts, ces Comités catholiques. nés d’une pensée mûrie à Paris, dans une réunion intime de quelques hommes courageux, aux jours néfastes de la Commune, entre les ennemis du dehors et ceux bien autrement redoutables du dedans. A la lueur de nos monuments incendiés et au bruit de la fusillade des ôtages, quelques chrétiens pleins d’énergie fondèrent, dans un étroit salon, le premier Comité catholique; sur plusieurs points de la France, d’autres imitèrent cet exemple fécond. Pie IX bénit et encouragea une réunion générale pour former un vaste groupe de tous ces groupes particuliers; j’ajouterai, avec quelque fierté, qu’un ancien élève de l’Assomption eut le mérite d’aplanir plus tard les difficultés légales suscitées par le développement de comités semblables; sur tous les points de la France, on est sûr d’obtenir désormais les autorisations nécessaires, que Nîmes possède déjà.

Ces comités, Messieurs, en avez-vous bien saisi toute l’importance? Nous ne sommes plus parqués dans une sacristie, nous avons la possibilité de nous montrer au soleil, de réclamer nos droits, de nous entendre pour en assurer le maintien, pour venger les choses saintes si souvent attaquées par la calomnie; nous pouvons défendre nos intérêts; et laissant à d’autres de traiter de la politique, nous n’y porterions la main que si la politique se mettait en contradiction avec l’Eglise. Alors ce serait la persécution, et nous savons ce que les catholiques ont fait aux jours des persécuteurs et des bourreaux. Grâce à Dieu, si ces moeurs sont actuellement celles d’outre-Rhin, ce ne sont pas encore les nôtres; espérons qu’elles ne sont pas prêtes à pénétrer chez nous.

Tous ces efforts accomplis ou en voie d’exécution, tous ceux que le zèle catholique peut enfanter encore, ont besoin d’un point de départ commun. Pour les catholiques, c’est la vérité catholique et le libre développement des principes par lesquels elle se rattache toutes les branches de la science humaine. Or, Messieurs, à l’époque solennelle où nous nous trouvons, il est facile de comprendre que plus la vérité catholique aura son libre épanouissement, plus ses rayons illumineront de leur clarté féconde les problèmes soulevés par la pensée de l’homme. Celle-ci, impuissante à les résoudre, croit trop souvent les avoir résolus, quand elle en a donné une explication conduisant à l’erreur ou au mal.

Aussi, Messieurs, suis-je convaincu que, dans ce moment, nous touchons à une époque décisive. L’université, qui ne peut prétendre à donner autre chose que la pensée humaine, plaidant pro aris et focis, retient du monopole, dans l’enseignement supérieur, tout ce qu’elle peut; mais ce qu’elle peut, elle en a l’instinct, est réduit à rien par ses principes mêmes, tandis que les catholiques, forts de leurs droits, réclament ce que, sans la plus flagrante inconséquence, on ne peut leur refuser. Seulement, tous ne comprennent pas l’importance des conquêtes à faire, des grandes préparations à apporter à la diffusion de la vérité chrétienne. Certes, il y a eu une époque où le clergé, diminué par les persécutions révolutionnaires, avait peine à suffire aux travaux du ministère paroissial; si bien que l’on alla, par un excès de zèle, jusqu’à supposer que le ministère paroissial était tout. Le ministère paroissial est indispensable, mais ne suffit pas; il faut à l’Eglise d’autres travaux, soit pour se défendre, soit pour conquérir. Le clergé paroissial lui-même, plus nombreux, peut se préparer plus longuement et plus sérieusement, et c’est ce que facilitera pour le clergé lui-même la formation de nouvelles Universités.

Pie IX a bien voulu m’assurer qu’il accorderait, à tout évêque français qui lui en ferait la demande, le droit de conférer le baccalauréat et la licence en théologie. Je ne doute pas qu’il n’accorde le doctorat, surtout après les dernières définitions du Vatican, aujourd’hui que nous avons vu s’en aller en fumée toutes les vaines inopportunités de certains esprits.

Dans cet état, que faudrait-il pour fonder une université catholique? Si nous avions les immenses ressources pécuniaires de nos frères du Nord; si, comme à Lille, nous pouvions procéder par centaines de mille francs, par millions, ce serait bientôt fait. Peut-être serait-ce moins durable. Que si, au contraire, quelques prêtres zélés, savants et désintéressés reine appellerait bientôt à son secours une faculté des lettres, plus tard une faculté des sciences; enfin, à la faculté des sciences correspondrait une faculté de médecine, comme à la chaire de droit canon correspondraient les chaires de droit civil. Pour obtenir un résultat, il faut qu’il y ait des catholiques qui donnent et des prêtres qui se donnent; il faut que l’on se persuade que le temps des prédications plus ou moins sentimentales, plus ou moins politiques, est passé. Il faut en revenir à la méditation de ces paroles d’un de nos plus grands papes, Innocent III. Monté, à trente-sept ans, sur le trône pontifical, son effroi fut grand, quand il contempla d’une part l’ignorance du clergé d’alors, et d’autre part les envahissements d’une secte mère des socialistes et des communistes modernes: la secte des Albigeois. Or, que disait-il dans un de ces admirables cris comme savent les pousser les successeurs de Pierre et qui réveillent le monde de sa léthargie? Innocent III disait: « La véritable ligue contre les maux présents, c’est une instruction solide »; et à peu de temps de là, malgré les universitaires d’alors, S. Thomas, S. Bonaventure, dès l’âge de vingt-trois ans, faisaient retentir, à Paris, les chaires théologiques de leurs immortelles leçons, et déroulaient, devant des milliers d’auditeurs, ces immenses horizons dont la pensée moderne n’a pas encore mesuré toute la profondeur. Oui, une instruction solide, donnée, selon le voeu d’Innocent III, aux fidèles, renouvellera le monde, parce qu’elle donnera les grands principes sans lesquels les peuples meurent bien vite de scepticisme et d’immoralité.

Or, Messieurs, si nous voulons être prêts pour l’heure où nous sera accordée la liberté des hautes études, si nous voulons montrer ànos rivaux des professeurs dont nous n’ayons pas à rougir, il importe de hâter notre préparation. Certes, la création d’universités catholiques ne sera pas l’affaire d’un moment. J’admets sans peine que, le premier jour, il y aura des étonnements, des tentatives malheureuses, parce qu’on se sera peut-être plus fié à l’excellence des intentions qu’à la valeur réelle d’hommes pleins de vertus, mais non pas d’une science suffisante, ou qui, très instruits, n’auront pas, du premier coup, le don de communiquer leurs trésors.

Mais, si l’on fait moins bien d’abord, on fera mieux ensuite. L’illustre pauvre d’Assise, S. François, lorsqu’il rendait jusqu’à ses plus indispensables vêtements à son père, pour pouvoir dire, avec plus de vérité: « Notre Père, qui êtes aux cieux », se doutait-il que Dieu lui ménageait un fils comme S. Bonaventure, et à sa suite cette génération de savants qui ont constitué l’Ecole franciscaine? Quelles furent leurs ressources? La Providence, sur laquelle ils comptèrent toujours. Comptons, nous aussi, sur la Providence; sachons étudier: ni les ressources ni les auditeurs ne nous feront défaut.

Nous sommes, Messieurs, à un de ces moments solennels entre tous dans la vie des peuples; la société européenne, emportée par des courants divers, comprendra-t-elle enfin que c’est une prétention vaine de vouloir bâtir sur le sable des opinions un édifice durable? Le sable permet à l’Arabe de planter sa tente le soir, à la condition qu’il la roulera aux premiers rayons du jour. La société moderne ne doit-elle plus être qu’une tribu au désert? Les principes chrétiens veulent lui donner quelque chose de plus stable, en la rattachant à cette pierre que les portes de l’enfer n’ébranleront pas. Ah! Messieurs, laissons les intrigants faire leur oeuvre de tripotage; édifions plus lentement peut-être, mais bâtissons pour les siècles. Sous l’action de l’éternelle Vérité, travaillons pour notre part à la préparation d’une race nouvelle. Retrempons-la par l’enseignement catholique, de telle sorte que le dernier mot de notre éducation soit, après tout, celui-ci: Rendre les jeunes gens plus chrétiens, afin de rendre, par le christianisme, la France impérissable.

Mais, pour atteindre ce but, l’éducation seule ne suffit pas: il faut qu’au sortir du collège, les jeunes générations trouvent le combat préparé et que ces recrues de l’armée du bien soient conduites à l’ennemi par des chefs expérimentés. Le temps des vertus modestes, mais égoïstes, est passé; il faut des vertus publiques. C’est votre tâche, Messieurs, d’être les chefs habiles, courageux, aimés, de ces cohortes en formation. Dieu a fait évidemment beaucoup pour nous. Il vous invite à faire beaucoup pour lui et au grand jour. Oui, les luttes sont terribles et les périls immenses; mais puisque l’Eglise fait à la France l’honneur de lui dire: « J’ai besoin de toi, viens à mon aide », les destinées de la France ne reçoivent elles pas, dans cette invitation, quelque chose des immortelles destinées de l’Eglise? Et l’on est bien fort, quand on sent qu’on peut être immortel.

Puissiez-vous, mes Enfants, comprendre les glorieux devoirs que nous voulons vous imposer; puissiez-vous les accomplir, et, sortant des amoindrissements modernes, en devenant de grands catholiques, devenir un jour de grands et vrais Francais!

Notes et post-scriptum
1. Voir le très curieux mémoire présenté à Napoléon III et trouvé dans ses papiers en 1870.