TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|TEXTES DIVERS AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.

Informations générales
  • TD 7.2
  • TEXTES AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.|TEXTES DIVERS AYANT TRAIT AU COLLEGE DE NIMES.
  • MEMOIRES D'UN ANCIEN DE L'ASSOMPTION
  • L'Assomption et ses Oeuvres. Paris, Typographie Augustinienne, 1896, p. 201-229.
Informations détaillées
  • 1 ADVENIAT REGNUM TUUM
    1 AGREGATION
    1 AMOUR DU PAPE
    1 ASSOCIATION DE L'ASSOMPTION
    1 CACHET DE L'ASSOMPTION
    1 CALOMNIE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONGREGATION DES AUGUSTINS DE L'ASSOMPTION
    1 CORPORATIONS
    1 DEVOIRS DE CHRETIENS
    1 ENGAGEMENT APOSTOLIQUE DES LAICS
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ESPRIT DE L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT DESINTERESSE A L'ASSOMPTION
    1 ESPRIT ETROIT
    1 ESPRIT FAUX
    1 FONDATION DES ASSOMPTIONNISTES
    1 FORMATION DES AMES DES ELEVES
    1 JEUNESSE
    1 LARGEUR DE VUE APOSTOLIQUE
    1 LITANIES DE LA SAINTE VIERGE
    1 MAITRES
    1 MOIS DE MARIE
    1 MORT
    1 ORPHELINS
    1 PERE DE FAMILLE
    1 PIETE
    1 PREDICATIONS DE CAREME
    1 PRUDENCE
    1 QUESTION SOCIALE
    1 RESPECT HUMAIN
    1 SACREMENT DE PENITENCE
    1 SERMONS
    1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
    1 TIERS-ORDRES
    2 BASTIEN, CLAUDE-HIPPOLYTE
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 BLANCHET, ELZEAR-FERDINAND
    2 BONALD, LOUIS DE
    2 BONAPARTE, EUGENE-LOUIS-NAPOLEON
    2 CICERON
    2 COUSIN, VICTOR
    2 CUSSE, RENE
    2 EVERLANGE, LEON
    2 EYSSETTE, PHILIPPE
    2 FOURNERY, LOUIS
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 GOUBIER, ACHILLE
    2 GOUBIER, VITAL-GUSTAVE
    2 LARESCHE, PIERRE-JOSEPH
    2 MONNIER, JULES
    2 PLINE LE JEUNE
    2 REYNAUD, ABBE
    2 SIBOUR, MARIE-DOMINIQUE
    2 TENNEMANN
    2 THERESE, SAINTE
    2 TISSOT, MADAME
    2 TISSOT, PAUL-ELPHEGE
    2 TRAJAN
    2 VERMOT, ALEXANDRE
    3 AIX-EN-PROVENCE
    3 ANDUZE
    3 AUSTRALIE
    3 BESANCON
    3 DOUBS, DEPARTEMENT
    3 LYON
    3 MONTPELLIER
    3 MOULINS
    3 NIMES, CATHEDRALE
    3 NIMES, RUE DOREE
    3 PARIS, COLLEGE STANISLAS
    3 PARIS, ECOLE NORMALE
    3 ROME
La lettre

Le journal L’Assomption, qui parut de 1875 à 1880, et qui se rédigeait au collège, publia ces Mémoires d’un ancien qui n’était autre que le P. d’Alzon.

Chapitre 1er -Si je prends la plume pour rappeler mes souvenirs, c’est que je vois tant de générations passer dans cette chère Assomption qu’il est à craindre de lui voir perdre son antique esprit. Il a oscillé quelquefois; mais, comme les sapins battus par la tempête, après avoir penché leur tête en des sens divers, se hâtent de fixer leur cime vers le ciel, je voudrais que notre vieil et si bon esprit d’autrefois, après ses épreuves, tempora mea, comme dit Cicéron, revint à sa primitive direction.

Qui suis-je? Qu’est-ce que cela vous fait, ami lecteur? Pourvu que je vous intéresse en témoin fidèle! Croyez-vous que si je vous ennuie, il me plaise de vous voir bâiller à la seule vue de mon nom?

Je suis des vieux: que cela vous suffise pour comprendre que je sais des choses que vous ne savez pas. J’aime les jeunes, et, comme disait un grand vicaire de Moulins, je ne vois pas pourquoi un sot depuis cinquante ans serait préféré à quelqu’un qui n’a de l’esprit que depuis vingt-cinq. Du reste à l’Assomption, les vieux aiment les jeunes; les jeunes respectent les vieux; grande consolation pour les vieux qui peuvent être ennuyés d’être vieux,et pour les jeunes qui seront vieux à leur tour; dans tous les cas, méthode essentiellement anti-révolutionnaire.

Quoi qu’il en soit, on prétend que le P. d’Alzon, venu au monde avec une légère dose d’originalité, avait cu l’idée, a son retour de Rome, ou il avait été ordonné prêtre, de fonder, à Nimes, deux oeuvres: un couvent de Carmélites et un collège. Point du tout. On lui confia les Dames de la Miséricorde, et les mauvaises langues assurent lui avoir entendu dire que, s’il s’était douté qu’on l’affublerait un jour d’une pareille besogne, bien habile cût été qui lui aurait fait prendre la soutane. Le P. d’Alzon devait avoir mal dormi le jour où il se permit pareille impertinence.

Quant au Collège, on l’angaria à fonder un Refuge, qu’il dirigea pendant dix ans: après quoi, avec son inconstance bien connue, il songea à faire autre chose.

Toutefois, il n’était pas tellement inconstant qu’il n’eût toujours en tête les Carmélites Profitant donc du sacre de Mgr. Sibour, qui eut lieu à Aix en 1840, il alla trouver les Carmélites de cette ville et leur parla de son projet. Ces saintes filles acceptèrent avec enthousiasme. Il ne s’agissait que d’un local à trouver. Quant à l’argent, une demoiselle de Nimes devait fournir 40 000 francs; une demoiselle étrangère, 50,000 francs; c’est assez beau. La Nimoise ne put entrer: sa belle-soeur mourut en huit jours à la pensée de la voir derrière les grilles, et voilà la pauvre Carmélite manquée obligée de servir de mère à des enfants devenus orphelins, parce qu’elle avait voulu être fille de sainte Thérèse! Cela semble curieux: pourtant, rien de plus vrai, et, en attendant, 40,000 francs faisaient défaut. Quant à l’étrangère, sa mère se hâta de l’enlever aux griffes du P. d’Alzon! Hélas! dix-huit ans après, le dit Père la revoyait; bien que mariée, elle lui déclarait qu’elle ne se sentait faite que pour être Carmélite. Très peu de jours après, elle était morte, et c’est ainsi que les mamans font le malheur de leurs enfants en les empêchant de suivre leur vocation. Voilà la vérité!….. Mais quel rapport y a-t-il entre la fondation de l’Assomption et le futur couvent du Carmel? -Vous êtes bien pressé! Pour vous enseigner la patience, je ne vous le dirai qu’au chapitre deuxième. Chapitre II. -Avant d’aller plus loin, j’ai besoin de protester contre une note qui précède le premier chapitre de ces mémoires.On dit que je suis très vénéré et très aimé. Quel magot a pu dire cela? Je ne suis ni vénéré, ni aimé: je suis un ancien. Et si l’on surajoute ainsi à ce que j’écris, je ne dirai plus rien. Cela bien établi, je continue(1).

Vers 1839, M. l’abbé Vermot, prêtre de Besançon, attiré à Nimes par M. l’abbé Laresche, vicaire général, originaire de Besançon, lequel eût bien voulu renvoyer son compatriote au plus tôt dans son Doubs, n’ayant pu obtenir la permission de fonder une maison de missionnaires, fonda sans permission un collège. Il plaça à la tête M. l’abbé Tissot, prêtre très pieux et très instruit de Lyon, dont la mère était morte de faim parce que, une nuit, elle avait oublié de mettre près d’elle de quoi manger: la pauvre femme fut trouvée morte d’inanition.

Le collège, dit-on, fut bientôt réduit un peu à l’état de la mère de Tissot. Il se traîna de maître en maître, et l’on pouvait prévoir que celas finirait par un enterrement de pauvres, quand le P. d’Alzon et M. l’abbé Goubier, curé de Sainte-Perpétue, curent l’idée de l’acheter pour les Carmélites que l’on devait faire venir d’Aix. A peine les propositions étaient-elles faites qu’il se trouva que jamais le collège n’avait été plus florissant. Les instituteurs locataires du bâtiment refusèrent obstinément de le livrer aux acquéreurs: pourtant, la maison avait été vendue à un très beau prix. Que faire? On chercha un autre local pour les Carmélites.

Mais ne voilà-t-il pas que la faim, qui fait sortir le loup du bois, fit sortir de l’Assomption le récalcitrant M. X….. Que faire de la maison, puisque les Carmélites en avaient un autre? C’était bien simple: relever le collège.

Il fallait des hommes et de l’argent, rien que cela. Le P. d’Alzon avait quelques écus et surtout deux précieux amis: M. Monnier, professeur au lycée de Nimes, et M. Germer- Durand, professeur au lycée de Montpellier, tous deux agrégés de l’Université. Des propositions leur furent faites, et, grâce à Dieu, acceptées. Nous parlerons de M. Monnier qui n’est plus, et de M. Durand, s’il nous le permet.

Aussitôt furent ouvertes des conférences intimes entre MM. Goubier, Monnier, d’Alzon et Durand. M. Goubier y apportait les souvenirs du Petit Séminaire, M. d’ Alzon ceux du collège Stanislas de Paris, MM. Durand et Monnier les méthodes universitaires. Ce fut de la combinaison de ces divers éléments que résulta le règlement de l’Assomption future. Qu’il y eût des utopies, c’est possible; mais ce qui est incontestable, il y avait de la vie, plutôt que pas assez. On était plein d’espérances, on fit un prospectus.

Chapitre III. -Un soir de Carême 1837, M. Germer-Durand, professeur au lycée, et chrétien comme il en faudrait beaucoup, présenta du P. d’Alzon un de ses amis touché par les sermons de M. l’abbé Reynaud, du clergé de Toulouse, et prédicateur à la cathédrale. C’était un jeune homme dont l’oeil révélait la franchise, l’ardeur, une vive sensibilité; sa voix, où vibrait une impressionnabilité nerveuse, était extrêmement sympathique; son grand front, encadré dans de beaux et longs cheveux, portait l’empreinte du travail, et sa taille frêle semblait pencher sous les efforts d’une volonté énergique et les élans d’une imagination embrasée par le coeur.

Ce pauvre P. d’Alzon fut immédiatement sous le charme, et ce que je répéterai d’après ses confidences, prouvera que le charme a duré pendant près de vingt ans.

Jules Monnier, professeur au lycée comme M. Durand, était une de ces natures exquises, égarées dans l’Université, hors de sa voie. Il avait été élève à l’institution Daho, suivant les classes de Henri IV. Il avait passé par l’Ecole normale, mais non pas tanquam per ignem, ou bien le feu n’avait pas été très purificateur. Résolu à s’établir dans le Midi, il avait pris des engagements dont quelques personnes étaient surprises. Le P. d’Alzon ne put jamais le blâmer: Jules Monnier était si impressionnable! Ce qui est sûr, c’est qu’il dépensait en affection une exubérance de coeur dont très peu de personnes sont capables, et que tous ne savaient pas apprécier.

Il voulait se confesser, mais c’était une confession d’ami qu’il voulait faire d’abord, et c’est pour cela qu’il déposa entre les mains de son nouveau Père deux énormes cahiers de son écriture fine et ferme à la fois, où étaient consignée les souvenirs du jeune homme de vingt-cinq ans, le bien, le mal, avec la même sincérité. Puis il se mit aux pieds du prêtre avec un sentiment de foi qu’on eût dit antique, et, à partir de ce jour, s’il eut des hésitations à tenir ses engagements, c’est qu’il se demandait s’il ne ferait pas mieux d’embrasser l’état ecclésiastique. Une réponse catégorique l’en détourna, et il se dédommagea par une participation presque quotidienne aux sacrements.

Mais il avait besoin d’action. Il n’entra pas, il se précipita dans les conférences de Saint-Vincent de Paul. Celles-ci, un moment endormies, furent réveillées, on peut même dire ressuscitées par lui et M. Philippe Eyssette, dont les vertus, cachées aujourd’hui dans un tribunal de première instance, eussent peut-être mérité qu’un de ses successeurs aux conférences de Saint- Vincent de Paul, depuis ministre de la Justice, les plaçat sur un théâtre ou elles cussent profité à un plus grand nombre de témoins.

Philippe Eyssette et J. Monnier étaient faits pour s’entendre: celui-ci, ardent, impétueux, heureux de ne pas connaître les obstacles, souffrant beaucoup quand il les connaissait, se désespérant de ce que l’humanité n’avait pas été jetée dans son moule, si rapproché de la perfection; celui-là, plein d’une intelligence supérieure, mais très maîtresse d’elle-même, souple, fin, délié, ne renversant pas les obstacles, les tournant plutôt, et les laissant assez loin derrière lui pour prouver que la ligne courbe est quelquefois la plus directe d’un point à un autre. Quand je parle de ligne courbe, Dieu me garde de dire que tout ne fût pas très droit chez lui; mais, s’il rencontrait une montagne, il trouvait plus court de prendre à droit ou à gauche, que de la faire sauter avec des pétards.

Qui dira les heures de douces joies que le P. d’Alzon a passées avec ces deux hommes? Avec eux fut fondé l’orphelinat des garçons, dont le premier asile fut établi au Cours-Neuf, oui, au Cours-Neuf, et où les enfants pouvaient prendre l’air dans une cour assez grande pour être abritée tout entière par une plante grimpante, un chevrefeuille, je crois. Où donc était M. Durand pour ne pas participer, avec sa maturité et sa sagesse, à ces travaux et leur éviter certaines inexpériences? Hélas! Il était à Montpellier.

Quand on entre dans la voie des saints avec une volonté forte, on ne s’y arrête plus. C’était chaque jour une invention nouvelle, et je me rappelle l’ébahissement du P. d’Alzon lorsque M. Monnier vint lui proposer, comme un des plus doux passe-temps, de faire le plus souvent possible une petite préparation à la mort. « Et votre femme, lui dit-il. -Bah! Bah! elle la fera avec moi. » Notez qu’on était en pleine lune de miel, dans un certain second étage de la rue Dorée.

Un an était à peine écoulé depuis son mariage, M. Monnier était père. Il en fut si bouleversé que, de joie, il faillit étrangler la nourrice; on le mit à la porte. Il court chez le P. d’Alzon. Celui-ci, le voyant tout effaré, lui demande quelle catastrophe l’a frappé. L’enfant est-il mort avant le baptême? La mère a-t-elle succombé? Avec des efforts inouïs, Monnier put dire; « Je suis père! » et il tomba évanoui. Le P. d’Alzon, qui en a vu bien d’autres, prit tout bonnement un flacon d’éther, en versa quelques gouttes sur du sucre, administra le tout à son cher convulsionnaire, le mena prier à la chapelle de la Sainte Vierge de la cathédrale, lui fit faire un tour de boulevards, et le ramena jusque chez lui, où l’on consentit à lui rouvrir, quand il eut bien promis que sa joie d’être père ne lui ferait plus étrangler personne.

Le temps passait. L’Université perdait tous les professeur. Pourtant, il alla à Paris concourir pour l’agrégation: il fut admis dès le premier concours, revint à Nimes et, peu après, se donna tout entier à l’Assomption.

Qui dira le bien qu’il fit par sa foi agissante, par l’entrain de ses classes, par la vie qu’il communiquait? Quelques natures prudentes, pour lne pas dire vulgaires -hélas! il y en a partout, -le trouvaient exagéré: l’affection de ses élèves, le bien qu’il faisait à leurs âmes et que d’autres trouvaient inutile de faire, ce qui était plus commode, son tact si sûr dans l’enseignement, son goût supérieur dans son appréciation des lettres chrétiennes, sa passion pour le côté divin dans l’art, en faisaient un maître incomparable. Ne punissant jamais, sa parole brève, sèche, saccadée, lui fournissait des traits dont il perçait les écoliers paresseux et qui lu; donnaient la pleine possession de son jeune auditoire. Les conférences de Saint-Vincent de Paul durent leur formation à presque tous les maîtres, mais à personne plus qu’à lui, et en conduisant les élèves chez les pauvres, il leur parlait de façon à les ramener meilleurs.

Lorsque, pliant sous las maladie, il fut obligé de renoncer à l’enseignement, il demanda les modestes fonctions de maître d’études. Là, que de bonnes choses n’accomplit-il pas encore, dois-je dire, pour la condamnation de ceux qui ne voient dans une étude qu’une chambre à bâiller? Avec des intermittences, le mal fit des progrès dont le terme fatal pouvait être prévu. Jules Monnier s’endormit dans le Seigneur le 16 mars 1856, jour de la naissance du prince impérial.

Avant même d’entrer à l’Assomption, ses ardeurs rêvaient d’une association ou une vie sévère pourrait être pratiquée même au milieu du monde. Un jour, MM. Eyssette et Monnier apportèrent au P. d’Alzon un projet de règlement où étaient consignées comme obligatoires certaines austérités nécessaires à leur feu. Le P. d’Alzon ajourna;. mais, sans qu’il puisse l’affirmer, ce fut là le germe du Tiers-Ordre de l’ Assomption. Dans quinze jours, j’aborderai cet important sujet.

En attendant, quel dommage que M. Durand ne soit pas déjà dans l’autre monde! J’ai là, à propos de lui, de notes merveilleuses pour retracer les traits de cette belle figure qui semblerait de granit, si l’on ne découvrait, à chaque instant et comme malgré elle, les détails d’une tendresse la plus délicate dans ses inventions. Mais je me tais, je ne veux pas renouveler le ridicule de Pline cassant le nez de Trajan vivant à coups de panégyrique. Je puis bien dire pourtant qu’à MM. Durand et Monnier, l’Assomption doit surtout le cachet d’originale distinction qu’elle gardera toujours, il faut l’espérer, grâce aux efforts et au dévouement de ceux qui ont succédé à ces deux types accomplis du professeur chrétien.

Chapitre IV. -J’ai promis de parler du Tiers-Ordre de l’Assomption. C’est à tort que j’emploie ce mot, l’Assomption n’était pas un ordre: ;je devrais dire la Tierce-Congrégation. Serait-ce admis? Ce qui est sûr, c’est que le nombre des hommes qui éprouvent le besoin de vivre d’une vie plus énergique que celle où descend la masse des chrétiens, est beaucoup plus considérable qu’on ne le suppose. Pour qui observe avec attention, sous cet affaissement universel, sous ces dévotions à l’eau de rose, sous cette piété en boîte de coton, sous ce besoin, non pas d’accorder, mais d’offrir des concessions, il y a comme une protestation de quelques consciences d’élite. Elles sentent que, si pour plusieurs il est nécessaire de courber la règle jusqu’au point où elle cesserait si on la courbait encore, il est très avantageux qu’on la voie pourtant se redresser dans toute sa droiture au-dessus de certaines âmes. Il y a, d’un côté, d’immenses séductions, des affaiblissements, mais on sent encore l’attrait âpre et fécond des moeurs sévères, des sainte délicatesses, des instincts supérieurs.

Tous les Tiers-Ordres ont eu pour but, et l’Eglise les a encouragés à cause de cela même, de faire pénétrer dans la vie des chrétiens ce qu’ils pouvaient prendre, tout en restant dans le monde, de la vie religieuse; et, quoique quelques-uns aient eu un caractère militant, presque tous ont pourtant fini par se préoccuper de la sainteté personnelle de leurs membres. Pensée excellente! mais si elle a été réalisée, il était, ce semble, inutile de la reproduire de nouveau. L’esprit de l’Eglise ne procède pas ainsi.

Les croisades avaient enfanté des milices guerrières liées par des voeux: ce n’est plus avec l’épée que la cause de Jésus- Christ veut être défendue contre les Sarrasins, peu redoutables désormais. D’autre part, il serait difficile de réunir sans voeux, sous un même toit, des hommes qui emploieraient à la défense de l’Eglise les armes de la pensée; mais ne serait-il pas possible de grouper des hommes qui, prenant au milieu du monde les sévérités acceptables de la vie religieuse, unis par une pensée commune, se dévoueraient aux divers travaux de l’apostolat, seraient les pionniers du clergé, ses auxiliaires dans toutes les occasions permises, et fourniraient une milice nouvelle à la cause du Christ? Toutefois, ils ne se proposeraient pas de but spécial; lorsque d’autres se chargeraient de leurs oeuvres, ils les leur céderaient sans difficulté, non pas qu’il fallût voir dans un pareil abandon un acte d’inconstance, mais, au contraire, une disposition à faire ce que les autres ne font pas et à éviter toute idée de concurrence. Ce cachet de désintéressement, qui est un des traits les plus caractéristiques de notre esprit, doit passer des religieux aux Tertiaires. Peut-être ôtera-t-il quelque chose à la renommée extérieure de la Congrégation; il n’en sera que plus agréable à Dieu.

Ces pensées s’agitaient dans le cerveau du P. d’Alzon. Il les communiqua dans une retraite qu’il prêcha aux principaux professeurs, au mois de septembre 1845. Les uns consentirent à entrer dans la famille religieuse qui allait se former, les autres acceptèrent le joug du Tiers-Ordre.

Evidemment, je ne suis pas ici l’ordre historique, mais il m’a paru important de développer une pensée sur laquelle j’aurai souvent à revenir. Et, puisque je suis sur ce chapitre, je me demande de temps en temps pourquoi, parmi les élèves prêts à nous quitter, nous n’en inviterions pas quelques-uns à se faire inscrire dans notre milice. Leur âge ne saurait être un obstacle. Que de saints religieux qui ont été admis dans les couvents de très bonne heure! L’Eglise n’impose la nécessité d’une dispense que pour les adolescents au-dessous de douze ans. Pourquoi vers seize, dix-huit ans, un jeune homme, sans avoir la vocation religieuse, n’aspirerait-il pas au Tiers-Ordre?

Je disais tout à l’heure que le mot Tiers-Ordre ne répondait pas absolument à la place, le titre de Corporation: j’y trouverais même un grand avantage.

Une des plaies sociales est dans l’incrédulité et l’immoralité qui, de la bourgeoisie, sont descendues aux classes populaires. Or, cette terrible question des ouvriers n’aura de solution pratique que dans le rétablissement des Corporations. Une Corporation de chrétiens zélés, instruits, intelligents, animés de l’esprit d’initiative, doit se mettre tôt ou tard à la tête de tout mouvement qui tendra à ressusciter les Corporations ouvrières. A ce point de vue, rien ne me paraîtrait plus utile que notre ancien Tiers-Ordre transformé en Corporation de L’Assomption. Cette association, en changeant de nom, ne changerait pas d’esprit, mais spécifierait davantage son but. En soumettant ces idées au P. d’Alzon, j’use de mon privilège d’ancien. Si’il les trouve absurdes, il n’a qu’à les jeter au panier.

Chapitre V. -Il s’est écoulé bien du monde par cette porte de l’Assomption, et il me serait difficile de me rappeler les noms de tous les maîtres que j’y ai vus. Il faut bien dire que cette fondation, entièrement sui generis, avait un charme très grand, mais qu’elle imposait certains sacrifices. Or, on en voulait les agréments, on n’en voulait pas les charges. Que de professeurs, ne pouvant y vivre, revenaient, après l’avoir quittée, avouer que rien ne vaut l’Assomption! Pourquoi donc l’avec-vous abandonnée? Ah! Pourquoi? Tous ne disaient pas la vraie raison; c’est que peut-être on les avait remerciés, parce qu’ils ne savaient pas tenir leurs classes ou pour d’autres motifs. Alors, il fallait trouver des prétextes. J’en sais qui se plaignaient qu’on ne les payait pas; quand on vérifiait, l’accusation se trouvait fausse, mais on avait trouvé une explication. Quelquefois, je me suis demandé s’il ne serait pas bon d’afficher au parloir le motif pour lequel on s’est, dans le passé, débarrassé de certaines gens. Peut-être seraient-ils peu satisfaits, mais cela leur éviterait la peine de recourir aux plus incroyables inventions.

Je demande la permission de raconter une histoire arrivée à un de mes amis intimes, directeur d’un établissement dans un département voisin. Il apprend que l’on dit beaucoup de mal de son collège; il remonte à la source et trouve que le calomniateur est un habitant de L… « Monsieur, va-t-il lui dire, comment savez-vous que ma maison va mal? -Monsieur, je le sais par telle personne de Nimes. » (Je connais force Nimois dont la langue semble trempée dans du verjus.) Le vénérable principal part pour Nimes, va trouver l’individu désigné et renouvelle sa question; l’autre lui nomme un vicaire de M…, à une ou deux lieues de Nimes. Troisième visite à M… « Monsieur l’abbé, vous avez dit à M… que ma maison allait mal, d’où le savez-vous? » Le vicaire, embarrassé, vous mériteriez d’être traduit en police correctionnelle et je vais examiner ce que j’ai à faire. En général, les dénonciateurs sont lâches et disposés à nier leurs turpitudes. Le pauvre vicaire se trouble, s’embrouille, fait des excuses. Le principal se retire et écrit à peu près en ces termes: « Monsieur l’abbé, je pourrais bien vous traiter sévèrement; mais, si vous n’êtes pas trop respectable, je veux respecter votre soutane; je me contente de vous administrer le plus rude châtiment qu’un laïque puisse infliger à un prêtre: je vous pardonne. » Peut-être si, à l’Assomption, on eût procédé ainsi, on eût évité bien des tripotages; il est à regretter que l’invincible mépris que, dans cette maison, on éprouve pour les calomniateurs, ait empêchée d’avoir plus souvent recours. aux procédés de ce cher principal. Mais, que voulez-vous? S’il est arrivé d’écrire à quelqu’un c’est qu’on avait pour lui un reste d’estime, et devant certaines réponses par trop casuistiques, on s’est souvent senti désarmé par la pieuse poltronnerie qui s’abritait derrière des dénégations qui n’en étaient pas.

Mais c’est trop longtemps s’occuper d’êtres qui n’en valent guère la peine. Laissons-les grouiller dans la fange avec les reptiles de M. de Bismarck, et passons.

Chapitre VI. -Pendant la première année, le P. Tissot resta, de fait, à la tête de la maison. De très nombreux conseils étaient tenus; on se réunissait dans le parloir actuel; une bonne et douce intimité s’établissait entre les maîtres. Là, on voyait M. Cusse, élève très distingué de l’Ecole normale primaire, travailleur acharné, fumeur implacable, mort en Australie; M. l’abbé Blanchet, ravissant jeune homme, effrayé du ministère des paroisses, et qui est allé mourir, je le suppose, chez les Iroquois; M. l’abbé Achille Goubier, mort curé de Saint-Gilles; son ami intime, M. l’abbé Bastien, qui lui succéda à Saint-Gilles, et mourut, lui aussi, un an après. M. l’abbé Léon d’Everlanges, curé d’Anduze; M. Fournery, qui, encore élève, se fit au lycée une très mauvaise affaire pour avoir découvert qu’une dissertation, donnée par le professeur de philosophie comme sienne, était tout bonnement (sauf deux ou trois expressions) la préface du manuel de Tennemann, mise en tête de la traduction, préface fait par M. Cousin

Le P. d’Alzon, M. Goubier curé de Sainte-Perpétue, assistaient à ces Conseils. J’ai toujours regretté que l’on ait égaré les procès-verbaux de ces réunions; ils renfermaient les plus précieux motifs de certaines décisions sur lesquelles on est revenu plus tard, pour retourner encore aux premières traditions.

Je ne nomme pas tous les maîtres présents à ces réunions heureuses et pleines de vie; leur nom ne sera pas oublié pour cela; mais il faut un peu de temps pour que la vieille mémoire d’un ancien reprenne à l’aise ses souvenirs. On essayait, on tâtonnait, on avait d’excellentes idées, on en avait d’impossibles; mais, sous toutes les propositions humoristiques, on sentait une sève exubérante qui n’avait besoin que d’une culture vigoureuse pour porter les fruits les plus savoureux. On étais en pleine floraison, et l’on attendait l’automne avec impatience.

Chapitre VII. -On dit que l’Assomption a son cachet spécial. Ce cachet, elle le doit surtout aux instructions du samedi. Renouvelant un souvenir du collège Stanislas, de Paris, le P. d’Alzon avait décidé que, chaque samedi, on chanterait à la chapelle les litanies de la Sainte Vierge. Mais, pour profiter de cette réunion de tous les élèves, il fit suivre les louanges de la Maîtresse de la maison de quelques avis. Ce n’était, en effet, que des avis; il parlait seulement en soutane. La familiarité même de la causerie permettait d’entrer dans certains détails, et l’on prétend que ces détails avaient pour les élèves, par leur originalité même, un cachet spécial. On se le rappelait, on en parlait, parce que ce n’était pas dit comme ailleurs. Des idées très arrêtées, et que quelques anciens maîtres n’approuvaient pas toujours, étaient promulguées catégoriquement. On pouvait y faire opposition; le P. d’Alzon ne l’a jamais beaucoup redouté, il cédait quelquefois; mais, quand il avait mis une idée dans sa tête, on savait qu’il ne l’avait pas aux talons.

Les élèves sont toujours les même;. il suffit qu’on dise une chose, pour que quelques esprits pointus aient envie de dire le contraire. Le P. d’Alzon attaquait surtout le respect humain; il n’en fallut pas davantage pour que plusieurs voulussent traiter la question du duel et du point d’honneur. Une longue saison d’été passa à discuter la matière. On laissa tomber les objections, et, au bout de très peu de temps, les courages surexcités ne parlèrent plus de se battre à propos de tout et de rien.

Pourtant, le cachet particulier de ces instructions, ou, pour mieux dire, la continuité de ces observations qui se groupaient autour de quelques idées-mères, les faisait descendre dans la tête et surtout dans le coeur des élèves. Le petit nombre de ceux-ci permettait d’exercer sur eux une action plus intime. Les avis du samedi étaient suivis de commentaires, donnés surtout par M. Monnier; ils arrivaient avec une grande puissance de fécondité dans les consciences, quelquefois comme une lumière, et plus souvent comme un remords; d’où il résultait que les idées s’élargissaient, que le caractère de la maison se dessinait, que l’esprit général s’affirmait. L’Assomption, ce n’était pas tout le monde, et l’on aimait à ne pas être tout le monde.

On apprenait les bonnes oeuvres et on s’essayait aux conférences de Saint-Vincent de Paul; on devenait ultramontain; on pratiquait la piété par conviction, et les moins dévots, étant peu tourmentés, faisaient peu d’opposition à la ferveur de leurs camarades. On en a vu qui, ennuyés de ce qu’on ne les tourmentait pas, prenaient le pli commun, parce qu’il n’y avait aucun profit de singularité à ne pas le prendre.

Les instructions du samedi se transformèrent peu à peu, surtout quand, de la petite chapelle, formée par la classe de philosophie et la salle des journaux actuelle, on passa à la grande chapelle. Alors, le P. d’Alzon prit le surplis, se proposa un sujet qu’il suivait ou ne suivait pas; alors, aussi, commencèrent le mois de Marie, les instructions du Carême; enfin, le P. d’Alzon s’efforça de devenir solennel. Ne devint-il pas ennuyeux? On se demande s’il n’eût pas mieux fait de rester ce qu’il était, un bon donneur d’avis pratiques sur les devoirs du chrétien et de l’élève de l’Assomption.

Chapitre VIII. -L’esprit large s’applique à voir les choses en elles-même; l’esprit étroit les voit par rapport à lui. Pourtant, j’ai connu des gens qui disaient toujours qu’il faut voir les choses dans leur fond, et qui voyaient tout de travers; mais c’étaient des esprits faux.

L’esprit large se dévoue à une cause, l’esprit étroit se dévoue à lui-même dans une cause quelconque; l’esprit large s’efforce de planer sur les sommets, pendant que l’esprit étroit creuse des trous de taupe, et est bien content de se mettre à l’abri dans un trou; car le but essentiel de l’esprit étroit est de ne pas se compromettre; il appelle cela prudence.

La prudence est une vertu qui aide au gouvernement des choses et des hommes pour le bien général. La prudence de l’esprit étroit n’a jamais envisagé que sa chose et sa personne.

L’esprit large est bien inutile sans un caractère fort et généreux; il voit ce qu’il faut faire et ne fait rien. L’esprit étroit avec un caractère énergique fait plus de mal que de bien, tout au plus beaucoup de bruit pour rien; et si le caractère est à l’unisson de l’esprit, vous pouvez vous attendre à toutes les stupidités, justifiées par les raisons les plus burlesques, quand elles ne sont pas les plus sottes.

L’esprit large porte avec lui une certaine défiance, parce que, voyant au loin, il comprend qu’il pourrait voir plus loin encore. L’esprit étroit se trouve si bien sous un couvercle de marmite que le fond de la marmite le préoccupe peu; c’est trop profond que ce fond, il donne du crâne contre le couvercle, et dit: Vous voyez bien qu’il n’y a rien au delà. Heureux mortel qui prend un couvercle pour l’étendue des cieux!

L’esprit de corps est une belle chose! En ;1826 ou 1827, M. de Bonald publia une brochure très remarquable sur l’esprit de corps et l’esprit de parti. Il tenait pour tous les fruits admirables que peut produire l’esprit de corps, A condition que l’esprit de corps sera large. S’il est étroit, attendez-vous à voir cette étroitesse multipliée en sens inverse par les membres qui composent le corps. Un esprit étroit isolé peut faire des bêtises, mais combien n’en fera pas un corps tout entier avec cet esprit?…..Incedo per ignes; passons comme chat sur braise, et disons: Heureux les esprits larges servis par un beau caractère! Prions pour que les esprits étroits ne soient pas à la fois des esprits mauvais, inconscients du mal qu’ils font.

Chapitre IX. -Voilà à peu près trente ans que l’Assomption a pris pour devise ces mots de l’Oraison dominicale: Adveniat regnum tuum! Depuis, le commentaire de ce cri catholique, mis par Jésus-Christ lui-même sur les lèvres de ses soldats, a fait son chemin. Dilater le règne de Dieu dans les âmes, dans les familles, dans les sociétés devenues incrédules, dans le monde entier ennemi de Jésus-Christ, quel but! Pour l’atteindre, quels obstacles à renverser! Ils dureront jusqu’au jugement dernier, ces obstacles: on les renversera, il en surgira d’autres; mais on peut dire que l’histoire de l’Eglise s’est composée d’une série d’époques, distinguées par les luttes à livrer, les ennemis à vaincre, les défaites apparentes, les triomphes providentiels quoique jamais définitifs, parce que, un ennemi abattu, il s’en présentait aussitôt un autre, afin que les fils de l’Eglise comprissent que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde, et qu’il faut, pour le faire arriver, combattre jusqu’au dernier soupir.

Nous n’avons plus à combattre contre le paganisme des premiers siècles, contre les négateurs, soi-disant catholiques, de la divinité de Jésus-Christ, comme les Ariens; contre les invasions du cimeterre musulman, contre toutes les turpitudes de l’Empire allemand, comme sous Henri IV ou Frédéric II, contre les guerres hérétiques de la Réforme; nous avons à lutter contre d’autres adversaires, poussés par le même souffle infernal, pleins d’une horrible espérance d’écraser les enfants de Dieu dans la boue et de faire cesser son règne sur la terre

En face de l’immense conjuration satanique, l’Assomption a son cri de guerre: Adveniat regnum tuum! comme les saints anges, dans la première des guerres, avaient le leur: Quis ut Deus!

Elle a aussi son plan de campagne. Disons quelques mots de sa manière de procéder; nous ferons un rapide historique de ce qu’elle a fait, et un résumé de ce qu’elle est en train de faire: 1° Le collège. -Je ne reviendrai pas sur ce que j’en ai dit, mais il est sûr que le collège a fait un bien réel; et les élèves, formés par lui, ont montré que la Révolution n’a pas tort de gratifier cet établissement de toute sa haine.

Les conférences de Saint-Vincent de Paul, dont les budgets, si riches en recettes malgré les modestes bourses des donateurs, ont soulagé les indigents de Nimes, en même temps que les visites de pauvres apprenaient à des enfants, bientôt jeunes hommes, à fonder ailleurs des oeuvres dont ils avaient fait de bonne heure l’apprentissage, ou, quand elles étaient déjà fondées, a y occuper une position importante.

Le Tiers-Ordre*. -Je n

Notes et post-scriptum