ARTICLES

De l’école chrétienne d’Alexandrie. -But de l’ouvrage. -Etudes de la Gnose. -Ce que c’est. -Par qui la philosophie a été donnée aux Grecs. -Les Grecs avaient emprunté leur science aux Barbares; lesquels l’avaient reçue des Hébreux. -Nécessité de la foi. -Elle ne doit pas être séparée des oeuvres. -L’invitation au martyre était un accessoire nécessaire d’un traité philosophique chrétien. -Protestation d’un Christianisme contre les préjugés payens concernant les Barbares, les esclaves, les femmes. -Les sciences profanes sont les servantes utiles de la théologie. -Conclusion.

Informations générales
  • TD 7.220
  • ARTICLES
  • ETUDES SUR LES PERES DE L'EGLISE
    LES STROMATES DE S. CLEMENT D'ALEXANDRIE
  • Annales de philosophie chrétienne, XIX, Nº 112, 31 octobre 1839, p. 245-262.
Informations détaillées
  • 1 ANCIEN TESTAMENT
    1 APOSTASIE
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ASCESE
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 DOGME
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'HISTOIRE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA PATROLOGIE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 ENSEIGNEMENT PROFANE
    1 ESCLAVAGE
    1 ESPERANCE
    1 FEMMES
    1 FOI
    1 GRECS
    1 HERESIE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 JUIFS
    1 LIBERTE
    1 LOI DIVINE
    1 LUTTE CONTRE LE MONDE
    1 LUXURE
    1 MARTYRS
    1 PAGANISME
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PERSECUTIONS
    1 PHILOSOPHIE CHRETIENNE
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 POLEMIQUE
    1 PREAMBULES DE LA FOI
    1 REVELATION
    1 RHETORIQUE
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 THEOLOGIE
    1 TRADITION
    1 VERITE
    1 VERTU DE PENITENCE
    1 VERTUS
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 CARPOCRATE
    2 CEILLIER, REMY
    2 CLEMENT D'ALEXANDRIE, SAINT
    2 DENYS L'AREOPAGITE
    2 DYDIME
    2 EMPEDOCLE
    2 EPICURE
    2 EPIPHANE
    2 FLEURY, ANDRE-HERCULE DE
    2 GENOUDE, ANTOINE-EUGENE DE
    2 HABACUC
    2 JACQUES, SAINT
    2 JEAN CHRYSOSTOME, SAINT
    2 MARC, SAINT
    2 MOISE
    2 ORIGENE
    2 PANTHENE, SAINT
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 PLATON
    2 POTTER, JOHN
    2 SIONNET, ABBE
    2 VALENTIN, GNOSTIQUE
    2 ZENON
    3 ALEXANDRIE, EGYPTE
    3 ASSYRIE
    3 CANTERBURY
    3 COELE-SYRIE
    3 EGYPTE
    3 GRECE
    3 IONIE
    3 ORIENT
    3 SICILE
    3 WURTZBOURG
  • 31 octobre 1839.
  • Paris
La lettre

L’Eglise de Jésus-Christ devait dès ses premiers jours s’adresser à toutes les intelligences, et parler à chacun le langage qu’il pouvait comprendre; c’est pour cela que S. Pierre, en envoyant son disciple Marc, fonder l’Eglise d’Alexandrie, voulut qu’il y établît une école de philosophie chrétienne. Il convenait que dans la ville du monde où semblait s’être retirée la sagesse payenne, la sagesse de Dieu fût enseignée, et prouvât qu’elle ne rejetait pas l’appui de l’éloquence humaine par impuissance mais par mépris, et que si elle avait recours aux ornements des rhéteurs, c’était pour se proportionner à la faiblesse de ceux qu’elle voulait instruire. Plusieurs personnages célèbres illustrèrent cette école. saint Panthène, saint Denys, Dydime, Origène et Clément, virent se propager autour d’eux, non-seulement les chrétiens et les cathécumènes qu’ils avaient mission d’instruire, mais encore les sophistes payens, les chefs de l’école néoplatonienne, et tous ces hommes qui, arrachant furtivement au christianisme quelques lambeaux de vérité, les jetaient sur les épaules de leurs divinités vermoulues, et se prenaient à crier que la vie ne s’était point retirée de leurs temples.

L’ouvrage que nous examinons aujourd’hui fut composé à cette époque, et l’on y trouve à chaque page, avec le sentiment d’un triomphe prochain pour la vérité qu’il expose une démonstration rigoureuse de cette même vérité. Cependant, comme l’auteur savait que tous les dogmes catholiques ne devaient pas être livrés aux payens, et que dans les temps de persécution où il vivait, son livre pouvait tomber entre leurs mains, il affecte souvent une certaine obscurité qui porterait à penser qu’il a écrit sans ordre. Quelques auteurs, parmi lesquels nous sommes étonnés de trouver Fleury et Dom Ceillier partagent ce sentiment, et ils se basent sur le passage suivant de l’auteur, qu’ils ont pris, ce nous semble, trop à la lettre.

Cet ouvrage n’est pas écrit dans le but d’étaler une vaine science; c’est un recueil de réflexions que j’amasse pour une vieillesse un remède contre l’oubli. C’est réellement la reproduction de l’esquisse des traits qui caractérisent les discours pleins de vie et de clarté, de quelques saints personnages que j’ai été jugé digne d’entendre; l’un, l’Ionien, florissait dans la Grèce, et l’autre dans la grande Grèce; le premier originaire de Coele-Syrie; le second d’Egypte. Deux autres furent célèbres en Orient; l’un originaire d’Assyrie, le second Juif de naissance. Celui-ci était le premier de tous sans contredit; lorsque je l’eus découvert, je me fixai en Egypte, m’emparant de tous les trésors cachés qu’il possédait. Véritable abeille de Sicile, il recueille le suc des fleurs qui recouvrent le champ des prophètes et des apôtres, et dépose dans l’âme de ses auditeurs une science toute pure et toute sainte. Ceux, qui ont reçu des saints apôtres Pierre et Jacques, Jean et Paul, la tradition véritable de la sainte doctrine comme un fils qui reçoit l’héritage des son père (et il en est peu qui ressemblent à leur père), sont parvenus jusqu’à nous par une grâce particulière de Dieu, pour déposer dans nos âmes la doctrine apostolique relégué par leurs ancêtres. Et je suis certain que nos lecteurs tressailleront de joie, non point à cause de cet ouvrage en lui-même, mais sur l’observation que c’est la doctrine transmise par les successeurs même des apôtres. Et voilà selon moi le caractère d’une âme qui désire garder toujours intacte la bienheureuse tradition(2).

c’est ainsi que dès les premiers pas l’auteur pose les bases de tout ce qu’il veut enseigner; il ne dit rien de lui-même; il ne parle que d’après ce qu’on lui a enseigné, et ses maîtres ont puisé eux-même leurs leçons sur les lèvres des apôtres. Ainsi, pour être plus rapprochés du berceau de la vérité, les anneaux de cette grande chaîne n’en sont pas moins fortement liés entre eux.

Mais ces leçons ainsi fidèlement transmises et pieusement recueillies, ne doivent pas toutes être livrées au public profane, et c’est ici que doit trouver placé la remarque de saint Denys l’Aréopagiste; c’est que dès les premiers temps il y eut deux enseignements distincts, celui que l’on adressait aux infidèles, aux cathécumènes et même aux chrétiens, et celui que l’on réservait pour les prêtre seuls; or, les Stromates nous semblent avoir une place parmi les ouvrages destinés à cet enseignement plus relevé; cette opinion s’appuie sur divers passages du livre même.

Je sais quelle est la faiblesse des réflexions qui composent ce recueil, si on les compare à cet esprit plein de grâce dont nous avons été jugé digne d’entendre les paroles, mais ce recueil sera une image qui rappellera le modèle à celui dont l’esprit en aura été vivement pénétré…Mais en réveillant ces souvenirs, ainsi que je le fais, j’omets plusieurs choses à dessein pour ne pas écrire ce que je me suis gardé de dire, non par envie, ce qui serait coupable, mais dans la crainte que mes lecteurs, prenant peut-être mes paroles dans un autre sens que le sens véritable, ne viennent à faillir, et qu’on ne puisse m’accuser, comme dit le proverbe, d’offrir une épée à un enfant; car ce qui est écrit, et demeure quand même on ne le publierait pas, et ce que vous avez une fois écrit, et qui ne change pas, vous reproduit toujours les mêmes choses quand vous les consultez; car ces choses manquent nécessairement du secours ou de celui qui les a écrites ou de celui qui a marché sur les traces. Il en est aussi que je ne désignerai qu’a mots couverts. J’insisterai davantage sur les unes; je me contenterai de faire mention des autres; je m’efforcerai de me faire entendre sans rien dire, de manifester en me servant d’un voile, de montrer en me taisant(3).

On voit dans ce passage: 1° la transmission orale de certains développements du dogme, confié à l’auteur; 2° une extrême précaution pour cacher aux profanes ces divers développements; 3° l’intention que ceux qui avaient la clef de cet enseignement secret pussent découvrir de nouvelles lumières dans ce que l’auteur veut bien leur laisser apercevoir. Evidemment cet ouvrage n’est pas composé pour le public; et il serait facile de le conclure des applications vraiment difficiles qui y sont faites de plusieurs textes de l’Ecriture. Son obscuritÉ même peut faire croire à des lecteurs peu attentifs à une absence absolue de plan, et cependant il n’en est pas ainsi. Pour peu qu’on l’examine, on y verra comme une préparation philosophique à la connaissance et à la pratique du Christianisme. Tout le but de l’auteur est de former le vrai gnostique, le philosophe chrétien.

Or, voici les trois caractères qui le distinguent; il contemple, il accomplit les préceptes, enfin il forme des hommes vertueux; c’est la réunion de ces trois qualités, qui constitue le parfait Gnostique; que l’une des trois lui manque la connaissance est boiteuse en lui(4).

Nous ferons remarquer en passant que le mot connaissance rend peut-être mal la pensée de l’auteur. Nous aurons occasion d’observer plus tard que le Gnostique est celui qui possède de la gnôse, (mot grec), et que la gnôse est la compréhension des mystères révélés par la foi, autant que nous sommes capables de les saisir ici-bas. Le but de l’auteur est de former le vrai gnostique; mais il se forme de deux manières; par la connaissance et par l’action. La connaissance lui vient d’abord de la foi, et va s’épurant peu à peu; l’action se sanctifie et se perfectionne par l’obéissance à la loi de Dieu. La foi commence par lui faire connaître Dieu; Dieu connu lui manifeste sa loi à laquelle il est tenu d’obéir, et c’est en pratiquant les préceptes de la loi qu’il se purifie par la pénitence des souillures de son âme, qu’il acquiert des vertus agréables à la sagesse infinie, et mérite par là d’être initié aux révélations de la gnose. C’est ainsi que la foi et la vertu le font successivement et par de degrés parvenir à toute la perfection dont il est capable.

Tout le plan de l’auteur repose, ce nous semble, sur cette pensée, et c’est pour cela qu’on le voit passer de la réfutation d’un système philosophique à des réflexions sur la vertu; c’est que, pour lui, bien penser et bien faire sont des deux parties d’un même chemin qui conduit au but qu’il se propose;: la perfection de l’homme. Il ne faut pas oublier que l’auteur écrivait au milieu des foyers de la philosophie payenne, et que pour attirer à lui les sectateurs de cette philosophie, il devait parler leur langage.

Nous ne nous laissons pas entraîner loin de la foi par la philosophie, comme si nous étions fascinés par les prestiges de quelque trompeur; mais pour ainsi dire couverts d’un rempart plus solide, nous trouvons dans cette étude les moyens de donner à notre foi une démonstration plus entière(5).

Car c’est toujours l’autorité de la foi qui est son point de départ.

Il ne faut ni permettre aux auditeurs d’éprouver la sainte parole au moyen de la comparaison, ni la livrer à l’examen de ceux qui sont nourris de toutes les sciences humaines et remplis de ces vains sophismes dont ils n’ont pas encore cherché à s’affranchir. Celui qui commence à vivre de la foi acquiert la solidité d’esprit nécessaire pour recevoir la divine parole. Car il possède un jugement d’accord avec la raison que la foi seul peut donner, c’est-à-dire, il possède la foi: et à cette heureuse source il puise la conviction(6).

Ces préliminaires posés, essayons d’entrer dans le corps de l’ouvrage. Le but de l’auteur est, nous le disions il n’y a qu’un moment, de conduire l’homme à la perfection, et de l’y conduire par la sagesses qui se manifeste par la pensée et par l’action. Elaguant d’abord ce que les sophistes ont appelé sagesse, et ce que l’on entend par sagesse dans la pratique des métiers et des arts sur lesquels s’exerce l’esprit humain, quoique ce qu’ils peuvent avoir de bon prouve Dieu, il déclare qu’il ne prétend s’occuper que de la sagesse que Dieu nous fait connaître par la science philosophique.

Science que l’écrivain sacré nous invite en termes pompeux et magnifiques à chercher avec soin, pour avancer dans la connaissance du vrai culte, et croître dans la piété envers Dieu. En regard de cette science philosophique, il a mis l’intelligence des devoirs qu’impose la piété….Car ceux que la philosophie éclaire trouvent un secours caché qui est mis en réserve comme un trésor; c’est elle qui les conduit au vrai culte et à la piété envers Dieu.

Avant la venue du Seigneur la philosophie était nécessaire aux Grecs pour les conduire à la justice; maintenant encore elle leur est utile pour les conduire à la véritable religion. Elle sert d’instruction préparatoire à ceux dont l’eslprit ne s’ouvre à la foi qu’après une démonstration préalable(7). Peut-être même la philosophie a-t-elle été donnée aux Grecs au même titre que l’Ecriture avant que le Seigneur les appelât; car elle aussi a été un maître qui, de même que la loi pour les Hébreux a conduit les Grecs comme des enfants à Jésus-Christ; la philosophie est donc une étude préparatoire. C’est elle qui ouvre la route à celui que Jésus-Christ pousse à la perfection…. Sans doute la vérité n’a qu’une voie, mais d’autres ruisseaux lui arrivent de divers côtés et se jettent dans son lit comme dans un fleuve éternel….Lorsque l’Ecriture nous dit; ne reste pas long- temps auprès de l’étrangère, elle nous conseille de faire usage de la science humaine, mais de ne pas nous y arrêter; car les dons intellectuels, qui ont été faits à chaque nation en temps convenable, sont pour elles toutes une instruction préalable qui les disposait à recevoir le Verbe du Seigneur. Cependant il y a des hommes qui, séduits par les charmes trompeurs des études préparatoires, qui ne sont que les servantes, ont dédaigné la maîtresse du logis, c’est-à-dire la philosophie, et ont vieilli, les uns dans la musique, les autres dans la géométrie, d’autres dans la grammaire, la plupart dans l’art oratoire. De même que les études encyclopédiques sont des degrés utiles pour arriver à la philosophie qui est leur souveraine, de même aussi la philosophie est un aide pour acquérir la vraie sagesse, car la philosophie est un exercice préparatoire; mais la sagesse est la science des choses divines et humaines et des causes; la sagesse est donc la maîtresse de la philosophie, comme celle-ci est la maîtresse des études préparatoires(8).

La philosophie est donc l’introduction à la vraie sagesse et même elle n’en est qu’un écoulement, qu’un rayon affaibli; il faut que les yeux de l’homme, affaiblis par le péché, passent par le demi-jour philosophique avant d’arriver à la pure lumière de la sagesse divine. La philosophie grecque peut être utile en ce sens, que tout ce qu’elle a de vrai elle l’a emprunté aux barbares qui l’ont reçu des Hébreux.

Les études préparatoires des Grecs nous viennent de Dieu avec la philosophie elle-même, non pas comme but principal, mais comme les eaux de la pluie qui tombent indistinctement sur la bonne terre, sur le fumier et sur le toit des maisons(9).

On ne peut sans doute les détourner à un mauvais usage, mais elles n’en sont pas moins nécessaires à l’étude de la religion.

Cependant, dès le temps de l’auteur les objections ne manquaient pas à ses assertions.

Il est des hommes qui, se croyant heureusement nés, pensent n’avoir besoin de se livrer ni à l’étude de la philosophie, ni à l’étude de la dialectique, ni même à la contemplation de la nature, et qui ne demandent que la foi pure et simple. C’est comme si n’ayant pris aucun soin de la vigne, ils voulaient aussitôt après l’avoir plantée en recevoir des fruits…Combine il importe pour celui qui veut se faire une grande idée de la puissance de Dieu, de s’occuper par l’étude de la philosophie des choses qui sont du domaine de la raison! Combien n’est-il pas utile de savoir discerner le sens véritable de certains endroits difficiles et équivoques, qui se trouvent dans l’ancien et le nouveau Testament(10)

L’étude des sciences préparatoires a cependant un caractère distinct de l’étude de la sagesse: pour les unes on peut se livrer à de libres investigations, pour la sagesse il n’en est pas de même.

Les saintes Ecritures une fois connues, l’obéissance devient la règle de notre conduite…..Mais de même qu’il n’y a plus de bienfaits là où il n’y a plus de bienfaiteurs, de même aussi plus d’obéissance ni de foi si l’on n’admet point ensemble, et le précepte, et celui qui doit l’expliquer(11).

Ainsi, à chaque pas revient le grand principe de l’autorité pour préserver la raison des écarts auxquels seule elle serait exposée.

Mais, dira-t-on, l’apôtre a proscrit la philosophie. -Prenez garde, il a proscrit le sensualisme d’Epicure, le matérialisme de Zénon, les arguties des sophistes, mais non la véritable sagesse. Toutefois, chaque système de philosophie ayant retenu dans le limon des erreurs quelques gouttes des eaux de la vérité, on peut, par un travail attentif, remonter à la source primitive d’où ces gouttes se sont échappées, et cette source n’est autre que la révélation mosaïque. L’auteur entre dans une grande discussion pour établir l’antériorité de Moïse sur les philosophies payennes, d’où il conclut que toute sagesse vient de Dieu, que ce que les Grecs en ont su, ils l’ont emprunté aux barbares, qui eux-mêmes l’avaient reçu des livres de Moïse ou des traditions patriarcales, et que les philosophes plus rapprochés de la naissance du Christ, Platon entr’autres, ont puisé directement aux sources hébraïques. On serait surpris de l’importance que la plupart des Pères et Clément surtout attachent à prouver que Platon n’est en quelque sorte qu’un copiste de Moïse, si l’on n’observait qu’Alexandrie était le second foyer de la philosophie platonicienne. En disant aux néoplatoniciens: ce que votre maître a de plus sublime sur la vérité, ses plus beaux préceptes moraux, il nous les doit; on les forçait au respect envers une doctrine qu’ils prétendaient écraser du poids de leur supériorité intellectuelle. L’on comprend alors pourquoi certains philosophes modernes ont eu intérêt à contester ce fait, mais l’on ne comprend guère par quel motif certains catholiques leur ont donné gain de cause contre les témoignages si respectables des premiers docteurs de l’Eglise.

Il est bon d’étudier la philosophie comme prolégomène à l’étude de la vérité. Cette étude dans un sens est nécessaire; la philosophie payenne peut être utile comme contre épreuve de la vraie philosophie; et ce qu’elle contient de raisonnable, elle le doit aux influences des traditions anciennes.

Tel est le résumé du premier livre où l’auteur, avec un art merveilleux, n’appelle la philosophie à son secours que pour faire ressortir une preuve nouvelle de la supériorité de la sagesse divine.

Non-seulement Moïse l’emporte par son antiquité sur les sages, soit grecs soit barbares, mais il leur est bien supérieur encore par la profondeur et la sublimité de ses leçons, par la perfection des vertus dont il révèle la pratique.

Attendu que les Grecs, d’après le témoignage de l’Ecriture, ont été les plagiaires de la philosophie barbare, il sagit de fournir maintenant en peu de mots cette démonstration. Nous établirons que, peu satisfaits de transporter dans leur écrits les faits extraordinaires des livres saints, ils nous ont dérobé nos dogmes principaux, en les altérant, puisque l’antériorité, comme il résulte, de nos preuves, appartient à l’Ecriture. Nous les surprendrons en flagrant délit sur ce qui concerne la foi et la sagesse, la connaissance et la science, l’espérance et la charité, la pénitence et la chasteté, enfin, sur la crainte de Dieu, cortège de vertus qu’enfante la vérité. Nous entrerons dans tous les développements que réclamera la discussion présente. Nous percerons les ténèbres de la philosophie barbare, ses symboles, ses mystères, toutes les formes adoptées par ceux qui propagèrent activement les traditions antiques, nous les pénétrerons: étude très-avantageuse, disons mieux, étude indispensable pour la connaissance de la vérité. Ce sera le moment de repousser les inculpations des Grecs contre nous, par quelques preuves empruntées aux livres sacrés, afin que le Juif, inclinant peu à peu l’oreille à nos paroles, puisse revenir de ce qu’il croit à ce qu’il ne croit pas encore. La raison veut ensuite que nous censurions, avec une critique toute de charité, la vie et les prétendues découvertes des philosophes les plus renommés. Que voulons-nous par là? nous venger de nos accusateurs? loin de nous cette pensée. Nous avons appris à bénir ceux qui nous maudissent, même quand ils nous chargent de vaines imprécations; les convertir, voilà notre but(12).

Ainsi s’avance peu à peu Clément d’Alexandrie; il a montré dans le premier livre que le maître le plus ancien c’était Moïse inspiré de Dieu, Moïse précurseur. Dans le second il va prouver qu’il est le maître le plus parfait; mais, auparavant, il faut établir la nécessité de croire aux enseignements de la révélation, la nécessité de la foi.

Habacuc ne vous semble-t-il pas avoir blâmé les incrédules par ces paroles: le juste vivra de la foi(13) et cet autre prophète: si vous ne croyez vous ne comprendrez pas;(14). En effet, le moyen qu’elle s’élève à la contemplation naturelle de ces dogmes l’âme au-dedans de laquelle l’incrédulité lutte à tout moment contre les mystères qu’il faut apprendre? Or la foi que les Grecs calomnient en la réputant vaine et barbare, est un préjugé volontaire, un pieux assentiment, la substance des choses que nous devons espérer, et l’évidence de celles que nous ne voyons pas(15), suivant le langage du divin apôtre. C’est par elle que les anciens ont été honorés du témoignage que Dieu leur a rendu: Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu(16). D’autres ont défini la foi, un assentiment qui nous unit aux choses cachées, comme la démonstration, un assentiment manifeste à l’existence d’une chose ignorée. Si donc ce choix comporte le désir, le désir est un acte de l’intelligence. Et puisque le choix de la volonté est toujours le principe de l’action, il suit de là que la foi est le principe même de cette action; base fondamentale du choix plein de sagesse qui la détermine, quand la foi nous a montré un motif raisonnable d’agir(17).

Mais la foi n’est pas un état naturel de l’âme; ce n’est pas une faculté, comme disaient quelques hérétiques, les Basilidiens et les Valentiniens entre autres. La foi est d’une part un don surnaturel, mais c’est en même temps un acte libre, et c’est à cause de cela que la foi est une vertu.

La foi n’est plus un acte de détermination volontaire, si elle est un privilège de notre nature; qui n’aura pas cru ne pourra être justement condamné, puisque la faute n’en sera point à lui; qui aura cru n’aura pas le mérite d’une foi qui ne sera pas la sienne. Foi ou incrédulité, elles échappent dans leur propriété ou leur différence à la récompense ainsi qu’au châtiment. La raison le dit assez, puisqu’elles dérivent l’une et l’autre d’une nécessité naturelle et antérieure dans le principe, et dans la main du Tout- puissant. Mais si, machines dépourvues d’âme, nous obéissons à des ressorts naturels, qu’avons-nous à faire du libre arbitre, de la contrainte et du désir qui marchent devant eux? Je me demande vainement à moi-même, quelle sorte d’animal je suis, moi qui ai reçu de la fatalité des appétits que met en jeu une force étrangère? Que devient alors, chez l’homme qui peut-être a été incrédule, le repentir, gage du pardon? Où est la raison du baptême? Pourquoi le bienheureux sceau qu’il imprime? A quoi bon le Fils et le Père? Dieu n’est plus aux yeux des Basilidiens qu’un aveugle dispensateur d’organisations physiques, sans souci de la foi volontaire, fondement du salut(18).

Mais nous qui, grâce au témoignage des saintes Ecritures, sommes convaincus que Dieu a communiqué à l’homme la libre et souveraine faculté de choisir ou de rejeter, appuyons- nous sur la foi avec la confiance d’un jugement inébranlable, avec l’ardeur d’un esprit zélé. N’avons nous pas choisi le Verbe qui est la vie? En croyant à sa voix nous avons cru en Dieu; en effet, qui croit au Verbe connait la vérité….La vérité repose sur quatre bases: le sentiment, l’intelligence, la science et l’opinion. Selon la nature, c’est l’intelligence qui est la première, selon nous, et par rapport à nous, c’est le sentiment. L’essence de la science réside dans la réunion du sentiment et de l’intelligence. L’évidence est commune à l’intelligence et au sentiment; mais le sentiment est comme l’introduction de la foi. La foi se frayant un passage à travers les sensations, laisse l’opinion derrière elle, se précipite vers la vérité, et s’assied dans sa lumière. Vous qui prétendez que la science unie à la raison est capable de démontrer; sachez-le bien, les cause premières sont au-dessus de toute démonstration;ni l’art, ni la pénétration ne peuvent les saisir. La pénétration! elle ne s’exerce que sur les choses éventuelles et variables; l’art! il est dans l’action et presque aussi dans la théorie; la contemplation est sou domaine. C’est donc par la foi seule, disent nos livres, que l’on peut pénétrer jusqu’aux principes de l’univers; car toute science peut s’enseigner, mais on ne peut enseigner que ce que l’on a appris d’avance(19).

Ici commence un second travail. Le Gnostique s’est mis par la foi en communication avec Dieu et avec les premiers principes; il sait quelle place il occupe dans l’univers; il peut sonder les misères infinies de sa nature corrompue; il a la clef du mystère de sa dégradation; il en a le remède. La foi lui révèle la loi de Dieu; loi d’expiation, de pénitence, de repentir pour le mal accompli; loi de patience, de charité, de continence pour l’avenir. La fin du second livre et tout le troisième en entier sont consacrés à développer l’union des vertus avec la foi qui les révèle, les rapports qu’elles établissent entre le Gnostique et Dieu, leur supériorité sur les vertus de la philosophie payenne dont l’auteur examine en passant plusieurs systèmes; mais ce qui fixe plus son attention, ce sont les désordres de certains hérétiques qui, regrettant les voluptés et les orgies proscrites par le Christianisme, s’efforçaient de les faire pénétrer dans la religion nouvelle; les uns proscrivaient la chasteté, les autres le mariage; tous se livraient aux excès les plus dégoûtant. Le fleuve des passions, refoulé par les digues posées à la concupiscence par la loi du Christ, faisait effort pour rompre les barrières et inonder le champ de l’Eglise naissante. Tout ce que l’imagination peut concevoir de plus révoltant en fait de débauches fut emprunté aux turpitudes mythologiques et amalgamé aux conceptions impures des hérétiques d’alors. Il faut lire les belles pages dans lesquelles Clément d’Alexandrie rétablit contre Carpocrate, Epiphane, Valentin, les règles méconnues par eux de la morale catholique. Citer ici nous serait impossible, quelque désir que nous ayons de faire connaître l’auteur par ses propres paroles.

La vie des Chrétiens d’alors n’était pas tellement tranquille que la philosophie fût pour eux une pure théorie. Leurs luttes même contre les sophistes avaient des résultats sérieux; et, quand ceux-ci étaient vaincus dans les discussions, ils croyaient vaincre par la persécution, ou chargeaient le bourreau d’imposer silence à ceux qui triomphaient par la parole; et combien de fois nos premiers écrivains n’échangèrent-ils pas la plume de l’apologiste contre la palme du martyr! La philosophie chrétienne avait donc une double épreuve à subir. Quand on avait donné les preuves logiques de sa foi, il fallait donner les preuves pratiques. Les premières étaient exposées, du haut des chaires, dans les écoles ou dans les ouvrages de discussion; les autres étaient présentées dans les prisons, sur les échafauds, sur l’arène des amphithéâtres; les expositions de la croyance chrétienne formaient les prémices d’un syllogisme dont la conséquence était le martyre. On ne doit donc pas s’étonner de trouver une invitation au martyre dans un traité philosophique.

Il nous paraît convenable d’aborder maintenant la discussion du martyre et de la perfection. Tout ce que comporte la matière présente rentrera dans le cadre de ces deux questions, où la philosophie apparaîtra comme un devoir pour l’homme et pour la femme, qu’ils soient libres ou esclaves(20).

Ainsi commence le quatrième livre. Un philosophe moderne affirmait il y à onze ou douze ans que la philosophie faisait des progrès immenses, que jadis sur cent hommes on comptait à peine cinq philosophes; au moment où il parlait on pouvait en compter dix, bientôt quinze, et ainsi de suite. Il y a dix-huit siècles que le Christianisme appelle tous les hommes, qu’ils soient libres ou esclaves, à la vraie philosophie, car Dieu ne fait point acception de personnes; et c’est une philosophie dont les preuves sont invincibles, car elles doivent triompher de tout, et même de la mort.

La vrai Gnostique, empressé d’obéir, cède volontiers la dépouille de son corps à qui la lui demande; voilà pourquoi, rétranchant de lui toute affection charnelle, sans provoquer le tentateur, mais châtiant et reprimant ses insolences, de quelque haute fortune, de quelque degré de félicité qu’il lui faille descendre, comme dit Empédocle, il abandonne sans regret ces biens, et retourne prendre place au milieu du reste descendre hommes. D’abord il se rend à lui-même le témoignage qu’il est sincèrement fidèle à Dieu; en second lieu il rend témoignage contre le tentateur, en lui prouvant que sa jalousie s’attaque inutilement à celui qui est fidèle par la charité; il rend enfin ce témoignage au Seigneur, qu’il y a au fond de sa doctrine une force de persuasion si énergique, que la crainte de la mort elle-même ne le poussera jamais à l’apostasie…..Admirez comment ce généreux athlète prêche éloquemment l’amour en s’unissant par la reconnaissance aux vertus célestes, ses soeurs, et surtout en couvrant de confusion les infidèles, par le sang précieux qu’il répand…Et remarquez-le bien, il ne vend pas sa vie dans l’espérance de la couronne qu’on lui prépare. C’est uniquement par amour pour Dieu qu’il sortira de cette vie, la joie dans le coeur, les actions de grâce sur les lèvres, et pour celui qui lui a fourni un motif de prendre son vol vers les cieux, et pour celui qui a tramé descendre machinations contre ses jours. Il les remercie l’un et l’autre de lui avoir offert ce qu’il n’aurait jamais cherché lui-même, l’honorable occasion de se manifester tel qu’il est, à son bourreau, par l’énergie de sa patience, à son Dieu, par l’ardeur de sa charité. Divine charité! par elle, le martyr même avant sa naissance étant déjà présent aux yeux du Seigneur, qui contemplait d’avance son dévouement et son immolation…. Quant à nous, nous donnons au martyre le nom de consommation, non par parce qu’il termine la vie de l’homme, comme l’entend le vulgaire, mais parce qu’il achève et consomme l’oeuvre de la charité. Les anciens Grecs aussi célèbrent par descendre chants de triomphe le trépas de ceux qui ont succombé sur le champ de bataille. Ce n’est pas qu’ils conseillent par ces hommages une mort violente, c’est que le brave qui meurt à la guerre s’est retiré de la vie sans craindre la mort, brisé dans son corps avant que l’âme pût se troubler et défaillir… Si le martyre consiste à rendre témoignage à Dieu, toute âme qui règle sa vie d’après la connaissance de Dieu, et obéit fidèlement aux préceptes, est martyre par sa vie et par ses discours; qu’importe la manière dont elle est délivrée de sa prison terrestre? Au lieu de sang elle répand sa foi pendant sa vie entière et à l’instant de sa mort(21).

Ainsi la vie du Chrétien doit être une mort de tous les jours, s’il veut que le moment de sa consommation soit le commencement de sa vie dans le sein de Dieu. Ainsi s’exerçaient les premiers enfants de l’Eglise, entre les tombes de leurs frères immolés et les supplices que leur préparaient les tyrans. J’aime à étudier la philosophie de ces hommes qui laissaient leurs auditeurs pour paraître devant les proconsuls, et passaient de la chaire où ils avaient enseigné le mépris descendre choses terrestres à l’échafaud d’où ils s’élançaient dans les cieux.

Et maintenant quelle n’est pas l’énormités du crime de l’apostat, qui, transfuge de Dieu, a passé sous les drapeaux de Satan. Il ment au Seigneur, ou plutôt il ment à sa propre espérance, l’infidèle qui ne croit pas à Dieu, et celui-là ne croit pas qui n’accomplit pas les commendements imposés. Mais quoi? n’est-ce pas se renier soi même que de renier le Seigneur? oui, soi-même; car on n’enlève pas au maître sa souveraineté sur son domaine pour avoir rompu tous les liens qui unissaient au maître. En reniant le Sauveur on renie la vie, parce que la lumière était la vie….C’est pourquoi, qui s’aime véritablement lui-même, aime le Seigneur et confesse le salut pour sauver son âme(22).

L’Eglise entière est pleine de fidèles, soit hommes courageux, soit chastes femmes, qui pendant tout le cours de leur vie ont médité sur la mort par laquelle nous revivons en Jésus- Christ. Quiconque règle sa conduite sur nos croyances et nos moeurs, qu’il soit barbare, grec, esclave, vieillard, enfant ou femme, peut connaître la véritable philosophie, même sans le secours de l’étude et descendre lettres; car la sagesse est le partage de tous les hommes qui l’ont embrassée. Un point avoué parmi nous, c’est que la nature, la même dans chaque individu, est capable descendre mêmes vertus(23).

Telles sont les premières protestations du Christianisme au berceau contre les préjugés impies qui avaient, aux yeux descendre philosophes même, établi plusieurs races d’hommes; le maître et l’esclave n’étaient pas de la même espèce; la doctrine de véritable égalité partit de la croix, où le Christ avait payé du même prix la liberté de tous les hommes; le niveau de cette égalité fut la hache du lecteur. Mais les Chrétiens ne la levaient pas; ils se courbaient au contraire sous ses coups, pour conquérir par la mort la gloire de leur grandeur recouvrée.

La fin du quatrième livre est principalement consacrée à montrer les vertus qui doivent accompagner le Gnostique qui veut se rendre digne du martyre, à développer les sentiments de charité divine qui doivent l’enflammer.

Appuyé sur la foi et préparé par toutes les vertus à confesser sa croyance, même au prix de son sang, le Gnostique pouvait dès ce moment recevoir un gage descendre récompenses qui lui sont promises par une manifestation plus pure de la vérité; l’espérance lui apparaît, et commence à soulever le voile descendre symboles, qui lui cache les biens futurs. C’est pour l’aider dans les nouvelles recherches qu

Notes et post-scriptum