ARTICLES

Informations générales
  • ARTICLES
  • CE QUE NOUS SOMMES (1).
  • La Liberté pour tous, Nº 5, 30 mars 1848, p. 1.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon, III, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 666 à 669.
  • CP 24; A 138.
Informations détaillées
  • 1 ACTION POLITIQUE
    1 AMBITION
    1 CHRISTIANISME
    1 DEMOCRATIE
    1 DIEU
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 FOI
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 LIBERTE
    1 MOUVEMENT DEMOCRATIQUE
    1 PEUPLE
    1 PRESSE
    1 REPUBLICAINS
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 VOLONTE DE DIEU
    2 GREGOIRE VII, SAINT
    2 PIE IX
  • 30 mars 1848.
  • Nîmes
La lettre

Quand un organe nouveau de l’opinion publique vient à paraître, la première question qu’on lui adresse est celle-ci:

Qu’êtes-vous donc?

Notre réponse est facile: « Nous sommes catholiques républicains. »

NOUS SOMMES CATHOLIQUES, et qu on le sache bien, dans le sens le plus absolu du mot. Nous sommes les humbles enfants de l’Eglise catholique, apostolique et romaine. Nous approuvons ce qu’elle approuve, nous condamnons ce qu’elle condamne, et, par la grâce de Dieu, nous sommes prêts à répandre avec bonheur jusqu’à la dernière goutte de notre sang pour la défense de ses commandements et de sa doctrine.

NOUS SOMMES CATHOLIQUES: mais, il faut le dire, dans un sens plus large que quelques-uns ne semblent le comprendre. Le catholicisme est pour nous un géant de dix-huit siècles, qui marche toujours, qui grandit toujours; qui semble s’arrêter parfois, mais qui, au moment où on le croit affaissé, se relève avec une majesté nouvelle, une nouvelle énergie, emportant dans ses bras vigoureux l’humanité vers les régions immenses de l’avenir.

NOUS SOMMES CATHOLIQUES et nous considérons ce titre comme une réalité et non comme un masque. Le triomphe de la cause de la religion est pour nous un but et non pas un moyen. Notre douleur la plus profonde serait qu’on pût nous confondre jamais avec ces hommes méprisables et vils, comme il s’en trouve dans toutes les opinions et dans toutes les croyances, profanateurs de ce qu’il y a de plus saint au monde, qui font de la conscience des peuples et de la naïveté de leur foi l’instrument de leur ambition et de leur sacrilège vanité.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS. -Il faut dire aussi pourquoi; il faut que l’on sache par quelles raisons et dans quelle mesure nous le sommes.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS, parce que nous constatons comme un fait l’impossibilité d’aucun retour au passé, et la force des choses et des idées qui établit et consolide la démocratie par toute l’Europe. Ce fait, nous le reconnaissons, comme on reconnaît qu’entre l’équinoxe de printemps et le solstice d’été les jours sont plus grands que les nuits. Permis à qui le voudra de désirer qu’il en fût autrement; mais le soleil, que nous sachions, n’a pas encore pris nos conseils pour régler ses révolutions.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS, parce que, depuis un siècle, le mouvement du monde va à la démocratie et qu’il n’y a pas de mouvement universel ici-bas, sans la volonté de Dieu, principe de tout mouvement. Or, nous ne savons encore qui a le droit de s’opposer à la volonté de Dieu.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS, parce qu’après avoir longtemps attendu, l’Eglise, qui ne se hâte jamais (car elle est éternelle), vient de prononcer par la voix de son chef. Croit-on que le mouvement européen eût été si assuré, si rapide, et, sauf quelques déplorables exceptions, si pur, sans l’intervention de cet homme que Dieu a pris par la main dans la solitude, qu’il a tout à coup revêtu d’un prestige inouï d’amour et de gloire, et qu’il a placé au gouvernail de sa barque, non plus seulement pour la sauver des écueils, mais pour la guider vers d’autres mers, vers d’autres horizons? Pour tout homme qui réfléchit, il est évident que Pie IX est appelé à faire des choses plus grandes encore que n’en accomplit Grégoire VII.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS, parce que, entendue dans son sens vrai, la démocratie est l’application la plus rigoureuse des principes du christianisme, qui ne reconnaît d’autre inégalité entre les enfants de Dieu que l’inégalité établie par Dieu même, et qui leur donne à tous la même liberté, le même pain, et leur ouvre la maison du même père.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS, parce que le christianisme, appelé à triompher de tout, doit se manifester sous toutes les formes, affronter toutes les épreuves. Il s’est déjà prouvé par la folie de la croix avec le Christ, par la faiblesse avec les martyrs, par l’autorité avec le moyen âge. Les temps présents sont destinés à le voir étendre ses conquêtes par les armes que lui forgera la liberté.

On nous demandera peut-être encore: Etes-vous républicains de la veille ou du lendemain? Nous répondrons: De la veille et du lendemain. Et voici comment.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS de la veille en ce sens que, depuis longtemps déjà, nous avions compris le mouvement démocratique. Nous étions frappés de ce travail interne et souterrain, qui partout minait peu à peu le respect de toute autorité. Cette contagion du mépris, qui avait glacé tant de coeurs, faisait trop de ravages pour que l’enthousiasme nécessaire aux jours de crise pût se ranimer. Et quand la démocratie jeune, forte et fière, s’est levée, le 24 février, sur les barricades, comme sur son trône à elle, quel est le sentiment avec lequel tous les autres partis l’ont accueillie? Tous, à l’exception des hommes de foi, tous l’ont accueillie avec la peur.

NOUS SOMMES REPUBLICAINS du lendemain, parce que, si nous attendions la république, nous ne l’attendions pas si tôt. Qui n’a-t-elle pas surpris? Ses partisans eux-mêmes n’avaient que des espérances encore éloignées. Mais quand nous avons vu l’oeuvre de destruction s’accomplir si naturellement, si paisiblement, si simplement, nous nous sommes souvenus qu’on voit parfois, dans les forêts, s’affaisser sur eux-mêmes des arbres que le vent n’a pas déracinés, que la hache n’a point abattus, et qui tombent uniquement parce qu’est venue pour eux l’heure où ils devaient tomber.

Enfin, nous sommes catholiques-républicains, parce que, si aujourd’hui en France, en Europe, deux choses sont faites pour s’unir, ces deux choses sont: la religion et la liberté, Dieu et le peuple.

Notes et post-scriptum
1. Article paru dans le numéro 5, jeudi 30 mars 1848, p. 1., sans signature. Dans sa lettre du 1er avril à la Mère Marie-Eugénie de Jésus, le P. d'Alzon le donne comme étant de lui, et nous en avons encore le manuscrit.