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Informations générales
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  • DU MAINTIEN DE TOUS LES DROITS PAR L'UNION ET LA LIBERTE (1).
  • La Liberté pour tous, Nº 10, 11 avril 1848, p. 1-2.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon, III. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 671 à 675.
  • CP 26; A 138.
Informations détaillées
  • 1 ASSOCIATION
    1 ATHEISME
    1 BOURGEOISIE
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 DESPOTISME
    1 EGALITE
    1 FAMILLE
    1 FOI
    1 HERITAGES
    1 LEGISLATION
    1 LIBERTE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LOI CIVILE
    1 MATERIALISME
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 OUBLI DE SOI
    1 PEUPLE
    1 PRESSE
    1 PROFITS D'ARGENT
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 SPECULATIONS FINANCIERES
    1 TRAVAIL
    1 UNITE CATHOLIQUE
    3 EUROPE
    3 FRANCE
  • 11 avril 1848.
  • Nîmes
La lettre

Tous les droits sont solidaires, tous doivent être également défendus. En laisser périr un seul, c’est s’exposer à les voir tous périr; et ceux qui, par un calcul égoïste, croient pouvoir abandonner celui des autres pour se cramponner plus fortement au leur, s’aperçoivent bientôt que leur lâche trahison retombe fatalement sur eux-mêmes.

Ce principe reçoit, en ce moment, une trop frappante application pour qu’il soit nécessaire, ce semble, d’avoir à le prouver longuement. Pendant les dix-huit dernières années, quel abus une fraction du pays n’a-t-elle pas fait de son pouvoir? Les classes moyennes n’avaient-elles pas prétendu tout ployer au niveau propre à tout ce qui est moyen, c’est-à-dire médiocre? La liberté, qu’en avaient-elles fait? Liberté d’association, réduite au droit de prendre des actions dans les entreprises industrielles, pour le plus grand bénéfice des spéculateurs; liberté de la presse, étranglée par les lois de septembre; liberté d’enseignement, garrottée par les entraves universitaires. La pensée faisait peur à ceux que préoccupaient avant tout les intérêts matériels. Le monopole était leur propriété; ils avaient créé une France dans la France même.

Aussi, quand l’heure de la chute a sonné, quelle stupeur n’a pas été celle de ces hommes, qui, ayant pour eux tant d’électeurs et tant d’élus, tant de fonctionnaires et tant de prétendants aux fonctions, tant d’ambitions reconnaissantes et tant d’ambitions à acheter, ont vu pourtant qu’en dehors de leur peuple factice, il y avait le vrai peuple avec sa patience déçue, son organisation fortement préparée, ses légitimes réclamations, son courage plus fort que les baïonnettes et le canon, et ce sentiment d’un droit longtemps asservi, mais qui devait finir par triompher des despotiques prétentions de nos omnipotents, et des bastilles dont ils s’entouraient, et de leur mitraille, dernière raison de ceux qui n’en ont pas!

Or, quand ces choses se sont accomplies, une ère nouvelle a commencé pour la France. Elle a repris le cours de ses glorieuses destinées; elle a senti comme un sang nouveau circuler dans ses veines; elle a compris qu’il lui fallait seconder les vues providentielles par un dévouement plus pur, par des sacrifices plus nombreux; car ce n’est que par le sacrifice et le dévouement que les nations, comme les individus, atteignent leur grandeur morale et méritent de marcher en tête de l’humanité.

Mais, pour se maintenir à ce poste avancé que l’Europe accorde aujourd’hui sans contestation à la France, il ne faut pas oublier ce qui fait sa force et d’où vient l’influence que nous exerçons. N’est-ce pas parce qu’on reconnaît en nous les missionnaires de la liberté, que nous sommes salués les aînés de la civilisation? Eh! bien, cette liberté que nous proclamons si haut et dont le ferment, jeté dans la masse des populations, les travaille, les ébranle, les soulève de toutes parts, il faut en pénétrer nos institutions, il faut surtout en pénétrer nos moeurs. Voilà le véritable problème à résoudre.

Malheureusement, de graves obstacles peuvent s’élever entre le peuple et le magnifique avenir qui lui est offert. Trop longtemps de funestes exemples lui furent donnés; il est à craindre qu’il ne les imite. Ainsi les hommes, qui supputaient toutes choses en sacs d’argent ou en influence politique avaient foulé aux pieds la pensée, et spéculé sur le mépris de tout ce qu’il y a de plus sacré dans les croyances religieuses. Quelle effrayante responsabilité n’ont pas assumée, à cet égard, certains journaux et ceux qui les encourageaient, et même leurs innombrables lecteurs! On s’habituait à compter comme n’ayant de valeur que la matière et ce qui se rattache aux combinaisons, aux jouissances, à la possession de la matière.

Et voici que le peuple vient et dit à ces hommes d’écus et de plaisir: « Vous avez voulu tout pour vous. Il vous semblait que pour que vous pussiez être sans inquiétude les heureux du siècle, vous ne deviez pas nous permettre de posséder même notre conscience. Et vous avez détruit, en nous, par tous les moyens, la foi qui la faisait vivre au fond de nos coeurs. Dans la crainte que nous ne sentissions trop fort que nous étions des hommes, vous n’avez pas voulu nous laisser même ce qui pouvait nous consoler de la privation de vos joies; vous avez voulu nous réduire au sort de ces infortunés qui ont perdu le bien de l’intelligence. A notre tour, maintenant! Rendez-nous compte des biens de la matière, dont vous êtes les possesseurs et auxquels vous semblez uniquement tenir. »

Ainsi parle le peuple. A-t-il tort? Oui, sans doute; car, si la loi des représailles est permise quelquefois, elle ne l’est jamais, de quelque justice que semblent la couvrir certaines provocations, lorsqu’il s’agit de saper la société dans ses fondements. De ce que les hommes du pouvoir passé avaient méconnu, violé certains droits, s’ensuit-il qu’il faille méconnaître, à notre tour, ceux qu’ils ont respectés, parce qu’ils leur profitaient? Où irait-on avec une pareille logique?

Que faut-il donc? Il faut que le peuple se venge du mépris de ses droits par le maintien des droits de tous, des exclusions de l’égoïsme par la générosité, seule vengeance digne de lui. Ainsi, le peuple, s’il veut être à la hauteur de la mission qu’il reçoit aujourd’hui, doit se rappeler que détruire le droit de propriété, c’est détruire le droit du travail, et que détruire le droit du travail, c’est détruire, dans son principe, la liberté même, puisque c’est nier le droit qu’a chaque homme de donner un prix quelconque à ses oeuvres.

Donc, respect à la propriété et à tout ce qui se rattache à la propriété! Respect à sa transmission! Respect à la famille, pour qui cette transmission est faite! Et la plus sublime proclamation de la liberté humaine, n’est-ce pas cet acte par lequel, se survivant en quelque sorte à elle-même, elle dispose pour l’avenir de ce qui lui appartient et le distribue même au delà du tombeau?

Mais, dans la société qui se prépare, il ne s’agira pas seulement du respect de la propriété; il s’agira aussi du développement successif de tous les droits auxquels l’homme peut prétendre; et ce développement ne nous paraît réalisable que par la liberté et le concours universel des membres de la société à la défense des droits de chacun.

Oui, tous les droits doivent recevoir leur légitime satisfaction; Droits de l’association, dont les applications s’étendent aux

travaux de l’industrie comme à ceux de l’intelligence;

Droits de la pensée, qui veut pouvoir se communiquer librement et sous toutes les formes;

Droits de la famille, qui veut, avec l’héritage des biens, pouvoir transmettre un héritage non moins précieux de principes et de sentiments;

Droits du citoyen, qui ne veut obéir qu’à des lois égales pour tous;

Droits de l’individu, qui veut se développer selon la mesure des facultés que lui a départies la Providence.

Tout cela veut être étudié sans doute plus en détail, et nous y reviendrons; mais, dès aujourd’hui, nous tenons à ce que l’on comprenne toute notre pensée. Rien de tout cet avenir qui s’avance n’aura de durée que quand la nécessité de s’unir, afin de protéger les droits de tous, sera devenue un sentiment unanime; que lorsque le respect dû aux justes exigences de chacun sera devenu un principe; en un mot, ce ne sera que par l’union et par la liberté. Et si l’on veut de ces deux idées n’en faire qu’une, nous dirons avec une vieille devise nîmoise: Ex unitate libertas.

Notes et post-scriptum
1. Article paru dans le numéro 10, mardi 11 avril 1848. Dans sa lettre, du même jour, à la Mère Marie-Eugénie de Jésus, le P. d'Alzon dit que l'article est de lui. Nous avons encore, d'ailleurs, le manuscrit, écrit tout entier de sa main.