ARTICLES

Informations générales
  • ARTICLES
  • AU REDACTEUR DE "LA LIBERTE POUR TOUS"
  • La Liberté pour tous, Nº 10, 11 avril 1848, p. 2.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon, III. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 675 à 678.
  • A 138.
Informations détaillées
  • 1 ACTION POLITIQUE
    1 REPUBLIQUE
    2 FENELON
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
    3 PARIS
  • 11 avril 1848
  • Nîmes
La lettre

Citoyen rédacteur,

Seriez-vous par hasard une poule mouillée? Vous émettez parfois des principes assez sortables, et vite vous les remettez en poche. Vous vous êtes présenté au public avec un bagage énorme d’idées nouvelles, à faire peur aux enfants; et quand, dans leur effroi, les enfants ont crié que vous et les vôtres étaient des per fides, des pédagogues, des légers, des basiles, des dynastiques, des néophytes,des gens du lendemain, etc., etc., vous leur avez tiré le chapeau, vous vous êtes senti le coeur plein d’une mauvaise tendresse à leur égard, vous leur avez assuré qu’ils étaient bien faits pour vous comprendre; que vous, vous les compreniez bien (ah! traître!); qu’au fond vous aviez les mêmes principes; qu’ils étaient le parti national (serait-ce dans le même sens que le National? Ces jours-ci, j’ai envie d’aller vous donner quelques coups de bâton. Je suis sûr que vous me sauterez au cou de reconnaissance.

Citoyen, croyez-moi, on n’arrive pas au but en biaisant ainsi. Le Guizot, tout Guizot qu’il était, avait parfois des idées comme un autre. Il avait pris pour devise ces mots: La ligne droite est la plus courte, et, s’il eût toujours fait comme il disait, il n’en serait pas à chercher femme de l’autre côté du détroit.

Donc, croyez-moi, marchez droit désormais, et ce que vous avez commencé, poursuivez-le.

Parmi les nouveau-nés de votre pensée, dont vous accouchez trois rois par semaine, permettez que j’en relève un, que vous laisseriez sans moi dans la rue, j’en suis sûr.

Vous avez émis la proposition d’un Club, et puis cette proposition, comme tant d’autres, s’en est allée au vent. Moi, je l’ai prise au vol et je vous la rapporte; vous avez proposé, moi je repropose -un Club.

Je vous vois d’ici mettre votre tête dans les mains, pousser un gémissement sourd, me regarder avec terreur et me demander si je veux rallumer la guerre civile. Hélas, cher citoyen, je suis un grand misérable sans doute, un sans- culotte, un jacobin; mais, quand j’ai une idée dans la tête, je ne l’ai pas aux talons.

Je crois donc qu’il faut au plus tôt former un Club, et je le prouve. premièrement, que vous le vouliez ou non, il se formera; souvenez-vous de ceci. Reste donc à savoir si vous ne feriez pas mieux de prendre l’initiative et de diriger ce que vous ne pourrez pas empêcher. Fénelon dit, quelque part, qu’un prince, en certaines circonstances, doit plutôt s’exposer à mal faire que de ne rien faire du tout. Comme nous sommes tous princes par le temps qui court, j’applique cette maxime à vous, à moi et à tous mes voisins.

Oui, citoyen, il y a quelque chose à faire, et, si vous me demandez quoi, je vous réponds: un Club. Vous le ferez donc, n’est-ce pas? Et si mon concours vous est utile, je vous l’offre avec ma loyauté bien connue. Mais, direz-vous, pourquoi un Club plutôt qu’autre chose, qu’une pétition par exemple ou une promenade civique, comme ont fait nos amis les Parisiens?

Cher citoyen, cela viendra plus tard; mais, pour le quart d’heure, j’ai pour principe qu’il faut commencer par le commencement. Or, un Club, en temps de république, est le commencement de tout.

Dans les Clubs, on propose les promenades civiques;

Dans les Clubs, on prépare les élections;

Dans les Clubs, on signe les pétitions;

Dans les Clubs, on consulte le peuple;

Dans les Clubs, on demande des explications publiques;

Dans les Clubs, on organise des résistances légales;

Dans les Clubs, on répand des idées dont le peuple a le sentiment, mais qu’il veut qu’on lui développe.

Or, le peuple de Nîmes devine, avec un admirable instinct, que son éducation politique doit être complétée sur bien des points; il se plaint de ce qu’à peine quelques hommes de dévouement et d’intelligence vont se mêler à lui. Moi qui l’écoute parler quelquefois, je l’ai entendu murmurer de ce qu’on le laissait trop à l’écart, de ce qu’on ne tenait pas assez compte de lui; et, si mon oreille a été bonne, le jour où l’on arrêtait les noms de certains candidats, à l’embarcadère de Montpellier, le peuple a dit: « Faites vos listes, nous ferons les nôtres. »

Ceci est grave, citoyen; car, si ce qu’il a dit, il le faisait, comment vous y prendriez-vous pour envoyer à l’Assemblée ces candidats, que vous soutenez si vivement, comme vous l’avez fort bien dit.

Mais quoi, me direz-vous encore, les Clubs ne sont-ils pas très dangereux? Ne sont-ce pas les Clubs qui ont produit toutes les horreurs de 93? -Oui, citoyen, les Clubs ont produit beaucoup d’horreurs; les sabres et les pistolets en ont aussi beaucoup produit entre les mains des assassins et des voleurs. Et les fusils, s’il vous plaît! Voilà pourquoi sans doute la Commission municipale, dans sa sollicitude maternelle, ne permet pas à nos nationaux d’emporter chez eux ceux qu’elle leur fournit et fait, dit-on, ôter les pierres de ceux qui ne sont pas à piston. Si l’on supprimait les fusils, les pistolets et les sabres? -Le feu aussi a beaucoup d’inconvénients. S’il n’y avait pas de feu, les maisons ne brûleraient jamais; il n’y aurait plus d’incendies; sans compter qu’on ne se brûlerait plus les doigts à la chandelle. Si nous supprimions le feu? -Et l’eau donc? Quels maux ne cause-t-elle pas? Rappelez-vous les inondations du Rhône; ajoutez que, s’il n’y avait point d’eau, nous n’aurions pas besoin de parapluies. Voyez, plus d’eau, plus d’inondations, plus de parapluies, plus de pluie. -Je vote pour la suppression de la mer, des fleuves et des rivières, des ruisseaux et des sources, et même des nuages. Tant pis pour les buveurs d’eau! Ils se réduiront au vin, et le prix en augmentera.

Ces raisonnements, cher citoyen, me semblent tout aussi justes que ceux que je vous entends faire quelquefois sur les inconvénients de certaines choses. Vous croyez-vous créé et mis au monde pour nous apprendre que toute chose a ses inconvénients?

Un Club aura les siens, tout comme le feu, l’eau, les sabres, les pistolets et les fusils. Vous aurez à les prévenir, à les atténuer, à les faire disparaître, si faire se peut; mais, quant au Club en lui-même, il se formera forcément. Seulement, si les honnêtes gens s’en mêlent, il pourra être fort utile; et, s’ils se tiennent en dehors, il portera avec lui des abus, dont on ne peut prévoir les conséquences, mais dont ils ne devront accuser que leur insouciance ou leur peur.

Salut et fraternité.

R. F.

Nîmes, le 9 avril 1848.

R. F.
Notes et post-scriptum
1. Lettre ouverte, parue dans le numéro 10, le mardi 11 avril 1848. Ce jour- là même, le P. d'Alzon écrivait à la Mère Marie-Eugénie de Jésus: "Dans le numéro d'aujourd'hui, il y a aussi de moi un mauvais article sur *Le maintien des droits de tous*, et une lettre, où je dis des injures au rédacteur à propos d'un article de *fuite* qui parut dans le dernier numéro." C'est évidemment une allusion à notre article, donné sous forme de lettre.