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Informations générales
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  • [LES ELECTIONS LEGISLATIVES]
  • La Liberté pour tous, Nº 18, 27 avril 1848, p. 1-2.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon, III. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 678 à 682.
  • A 138.
Informations détaillées
  • 1 ACTION POLITIQUE
    1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 DEMOCRATIE
    1 DOUCEUR
    1 ELECTION
    1 JUSTICE
    1 PARDON
    1 PARLEMENT
    1 PEUPLE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 SUFFRAGE UNIVERSEL
    1 TOLERANCE
    1 VERITE
    3 FRANCE
    3 GARD, DEPARTEMENT
    3 NIMES
  • 27 avril 1848,
  • Nîmes
La lettre

Les élections législatives(1). Les élections sont enfin terminées; le résultat en sera bientôt connu de toute la France, et, si les agitations qu’a soulevées ce grand acte de la souveraineté populaire ne se calment pas sur-le- champ, du moins les appréhensions de ceux qui redoutaient un défaut d’unité chez les amis de l’ordre seront dissipées désormais. Peut-être voudra-t-on bien nous rendre ce témoignage, que nous avons fait quelques sacrifices à ce besoin universellement senti de s’unir et de s’entendre, pour envoyer à l’Assemblée des hommes qui offrissent les garanties les plus assurées de leur amour pour les grandes lois de justice et de fraternité, sans lesquelles aucune société ne se fonde. Nous avons renoncé à faire prévaloir une opinion qui comptait des partisans nombreux; nous n’avons pas protesté contre certains choix qui pourtant nous semblaient déplorables. Mais aujourd’hui la situation change, et il est certainement permis à ceux qui n’approuvent pas la marche suivie de préparer d’avance de plus heureux résultats, sinon pour des circonstances aussi solennelles, du moins pour les législatures qui succéderont périodiquement à celle qui va s’ouvrir, quand la France aura définitivement posé les premières pierres du nouvel édifice.

Commençons par protester contre un principe qui a servi de règle aux opérations électorales dans un grand nombre de départements, et qui nous paraît essentiellement étroit. En beaucoup de réunions préparatoires, on ne s’est préoccupé que d’une question de localité; on a cherché les hommes qui avaient le plus d’influence dans tel arrondissement, ou même dans tel canton, et l’on s’est écrié: Voilà notre candidat, nous n’en voulons pas d’autre!

Nous le dirons hautement, une pareille manière de procéder est funeste. Premièrement, s’il est vrai qu’un homme exerce une influence réelle sur une portion du pays, ne serait-il pas souvent à souhaiter qu’il y restât, afin d’y maintenir la tranquillité et d’y prévenir des troubles, si par malheur il en devait naître? En second lieu, cet homme qui jouit d’une supériorité relative dans son canton, dans son arrondissement même, ne s’expose-t-il pas, en se produisant sur un plus vaste théâtre, à se trouver rangé du premier coup au nombre de ces médiocrités honorables, qui pullulent partout où il y a des ambitions à satisfaire, et dont le moindre inconvénient et leur impuissance à servir une cause qu’ils compromettent plus qu’ils ne la servent?

On ne comprend pas assez, ce nous semble, que l’Assemblée nationale de 1848 sera, plus qu’aucune de celles qui ont figuré dans notre histoire, un tribunal suprême, où les représentants, devenus les avocats de diverses opinions, plaideront devant le pays entier la cause qui leur aura été confiée; qu’il s’agit dès lors de choisir, pour défendre nos principes, non pas le défenseur qui possède le plus nos sympathies personnelles, mais le plus habile et le plus capable de faire triompher les intérêts remis entre ses mains; qu’il ne faut donc pas envisager le zèle plus ou moins grand qu’il mettra, d’après ses affections, à faire prévaloir certains droits, mais le talent qui lui permettra d’atteindre le but qu’il se propose. Car ici, dans les deux hypothèses, les moyens étant honnêtes, c’est surtout du résultat final qu’il faut se préoccuper.

Nous devons encore critiquer, à un autre point de vue, le système adopté dans le département; et ici nous avons besoin de courage pour dire toute notre pensée, car nous savons d’avance qu’elle sera désapprouvée d’un très grand nombre.

On a été trop exclusif. Nous savons d’avance ce qu’on va nous répondre. Les mesures d’exclusion ne sont pas venues du côté des catholiques; elles n’ont été, de leur part, que des représailles. On a suivi un exemple donné après de généreuses avances. Nous répondrons, nous, que quand un exemple est mauvais, on a toujours tort de le suivre, et que, lorsqu’on est le plus fort, on se trouve bien d’avoir été généreux, même envers ceux qui refusent d’être reconnaissants.

Nous le répétons, après les élections dont le résultat sera bientôt définitivement connu, comme nous l’avons dit auparavant, l’union est une nécessité pour notre ville, plus encore que pour aucune autre. Si elle veut prendre, dans l’avenir de la patrie commune, la belle part à laquelle elle est appelée, il faut qu’elle soit unie; il faut que tous ses citoyens, des deux côtés de la population, regardent comme un devoir sacré, comme une obligation de conscience, d’effacer de leurs esprits et de leurs coeurs tous les vieux restes de défiances et de ressentiments; qu’ils comprennent que la tolérance d’une opinion ou d’une croyance différente ou même hostile, à côté de la leur, est l’exercice nécessaire de la liberté, le sacrifice au prix duquel elle s’achète. Quels que soient les vainqueurs de la lutte électorale, quels que soient les noms qui vont sortir demain, ce soir peut-être, de l’urne où notre département tout entier a été déposer son vote, tous doivent être prêts à accepter, dans toutes ses conséquences, le principe politique de la majorité comme moyen d’élection et de gouvernement. Mais nous ne saurions trop recommander à ceux qui vont recueillir le bénéfice de ce principe, largement appliqué aux élections actuelles, la pratique de deux vertus essentielles à tout vrai républicain, la modération et la fraternité. Qu’ils ne l’oublient jamais, la résignation ne peut être un devoir pour une minorité qu’autant que l’attitude de la majorité triomphante et l’usage qu’elle fera de sa victoire rendront cette résignation paisible et honorable.

On s’est beaucoup plaint de l’habileté tenace de certaine minorité. Nous trouvons, nous, que cette persévérance ou cette habileté était parfaitement dans son droit. Quand on est le plus faible, il faut tâcher d’être le plus habile. Or, qui ne sait qu’aujourd’hui, dans le département du Gard, cette minorité ne compte plus même pour le tiers de la population(2)? Tous les cultes dissidents réunis forment à peine le douzième de la population totale de la France. En face de ces calculs incontestables de la statistique, on voudrait que cette minorité restât les bras croisés. C’est demander l’impossible. Mais, dit-on, ses ressentiments sont implacables, ses défiances éternelles. Pourquoi en être surpris, si vous êtes réellement catholiques? La charité véritable ne se trouve que là où est la vérité. Mais c’est précisément pour cela qu’à ces sentiments de haine et de défiance dont ils se plaignent, les catholiques ne devraient répondre que par cette charité dont leur Eglise a seule, quoi qu’on fasse, le glorieux privilège. Le catholicisme doit être au-dessus de tous les partis; ne l’avilissons pas en répondant à l’injure par l’injure, à la passion par la passion; ne le réduisons pas ainsi aux proportions mesquines d’une secte.

Après trois siècles de guerres, de divisions, de luttes, un rapprochement ne peut avoir lieu que par la persuasion et par les avances, auxquelles les plus forts et les plus nombreux sont toujours tenus. Nous regrettons vivement que cette conviction n’ait pas assez prévalu dans le choix que les catholiques ont fait de leurs candidats.

N’aurons-nous donc que des paroles de blâme? A Dieu ne plaise; et, après avoir formulé notre appréciation, quelque sévère qu’elle soit, nous constaterons l’action mystérieuse qui travaille les partis et les pousse, souvent à leur insu, vers un ordre nouveau dont la plupart ne savent pas encore se rendre compte. En dehors de ces hommes d’anarchie, qui espéraient confisquer la République au profit de leur ambition, et dont la mystification a été grande, quand ils se sont aperçus que chacun voulait sa part de la liberté et des droits reconquis, n’est-il pas admirable de voir le concours franc et loyal que, de tous côtés, on vient apporter à la société qui se prépare? Les chefs les plus intelligents des partis naguère opposés (nous ne parlons pas de ceux qui font des déclarations comme celle qui a paru l’autre jour dans la Gazette de France) n’offrent-ils pas une coopération sans arrière-pensée? Et la noblesse de leur caractère n’exclut-elle pas tout soupçon d’insincérité? Les masses, sur ce point, les suivent, en frémissant il est vrai, mais emportées comme malgré elles sur des mers inconnues, et, comme ce roi vandale, vers les rives où il plaira à Dieu de les pousser. Où vont-elles, en effet? Dieu seul le sait; mais tous les hommes de coeur savent pourtant que, si l’espérance est une vertu chrétienne, elle est aussi, aux grandes époques de crise pour les nations une vertu politique. Et ce sentiment, malgré quelques protestations timides, est trop universel pour ne pas reposer sur quelque chose de vrai.

Notes et post-scriptum
1. Article publié dans le numéro 18, le jeudi 27 avril 1848. Dans sa lettre du 25 avril à Germer-Durand, le P. d'Alzon écrit d'Avignon:"Je réfléchis à mon article; s'il est trop fort, supprimez-le. Si vous le maintenez, à l'endroit où je parle des chefs de partis, il faudrait mettre une note pour dire que je n'entends pas parler de M. de Genoude et de sa singulière déclaration." Or, le passage visé se trouve à la fin de notre article; il est donc bien du P. d'Alzon.2. "Une observation très curieuse et dont nous avons des preuves incontestables, c'est que la population protestante du Gard reste à peu près stationnaire, tandis que la population catholique va toujours croissant avec rapidité. Ce fait, qui tendait à diminuer l'influence des catholiques sous le régime du cens électoral, par l'effet de la division des petites fortunes, l'augmente, au contraire, sous la loi du vote universel." (*Note du P. d'Alzon*.)