ARTICLES

Informations générales
  • ARTICLES
  • AUX CATHOLIQUES DE NIMES (1).
  • La Liberté pour tous, Nº 21, 2 mai 1848, p. 1.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon III. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 683 à 687.
  • A 138.
Informations détaillées
  • 1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CITOYEN
    1 CROIX DE JESUS-CHRIST
    1 DEMOCRATIE
    1 DOUCEUR
    1 EGALITE
    1 GOUVERNEMENT
    1 LEGISLATION
    1 LIBERTE
    1 PARDON
    1 PARLEMENT
    1 PATIENCE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REPUBLIQUE
    1 REVOLUTION
    1 VENGEANCE
    1 VIOLENCE
    2 O'CONNELL, DANIEL
    3 ANGLETERRE
    3 IRLANDE
    3 NIMES
    3 PARIS
  • Catholiques de Nîmes
  • 2 mai 1848.
  • Nîmes
La lettre

Catholiques, de douloureux événements viennent de s’accomplir. Le sang de vos frères a coulé, et l’on frémit à la pensée des suites qu’aurait pu avoir la rage de quelques forcenés, si la modération de ceux que vous prenez d’ordinaire pour conseillers et pour guides ne vous eût contraints de refouler les sentiments d’indignation que soulevait dans vos coeurs un insolent attentat.

Ne vous faites pas illusion sur ces attaques; quelque furieuses qu’elles paraissent, elles cachent un plan habilement combiné. Il importe de vous le découvrir, afin de vous empêcher de tomber dans le piège qui vous est tendu.

Des hommes qui ne peuvent se faire à l’idée qu’ils ne seront plus les maîtres dans notre cité, comme ils le furent pendant dix-huit ans, voudraient confisquer la République à leur profit exclusif. Il leur est insupportable de penser que, sous le régime de l’égalité, ils ne seront que vos égaux. Ils voudraient, pour ressaisir leur domination brisée avec la royauté de juillet, vous contraindre à murmurer contre les institutions nouvelles et se constituer leurs défenseurs contre vous. Votre admirable bon sens a compris que ces institutions vous protégeraient contre eux, et vous les avez loyalement acceptées. Vous saviez que, sous la République, la liberté qui vous fut longtemps refusée vous serait accordée enfin et que l’on ne pourrait plus vous ravir la jouissance des droits communs à tous les Français.

Mais si vous entriez franchement dans ces voies, on n’aurait plus contre vous aucun motif de dénonciation; le mensonge des accusateurs deviendrait par trop évident. Comment alors vous refuser l’exercice de vos droits? Et du moment que la loi d’exception viendrait à cesser pour vous, vos adversaires, réduits à leurs seules forces, pourraient-ils encore faire peser sur vos têtes leur despotique minorité?

Ce qu’ils souhaitaient donc avant tout, c’est que vous fournissiez par là des preuves à leurs inculpations; c’est de pouvoir vous faire considérer comme incapables de nommer les magistrats chargés des intérêts de votre cité et de faire partie de la garde nationale. On créerait bien vite alors pour vous un nouveau régime du bon plaisir; et, tandis que le reste de la France accomplirait glorieusement sa marche vers une liberté plus grande, une égalité plus complète, et resserrerait sans cesse les liens de la fraternité, vous, vous seriez représentés comme une population fanatique et arriérée, indigne des bienfaits de la révolution; et, pour vous apprendre à les mériter un jour, on vous courberait sous le joug aimable de ces innocents citoyens, qui tirent sur des femmes et sur des enfants désarmés et répondent à vos chants de joie par des balles.

Il ne faut pas un bien grand effort d’esprit pour découvrir que c’est là que veulent vous amener vos adversaires; et vous y viendrez forcément, si, poussés à bout par leurs provocations, vous usez à votre tour de représailles qu’ils désirent plus que vous ne le pensez.

Mais quoi! direz-vous, devons-nous nous laisser égorger sans nous défendre? Quand on prélude au meurtre de nos frères, devons-nous croiser les bras?

Catholiques, quand des hommes de coeur veulent atteindre un but difficile, ils doivent s’attendre à des sacrifices nombreux, ils doivent être prêts à les faire. Si vous ne voulez écouter que votre indignation, légitime sans doute, mais intempestive, vous préparerez des cartouches, vous vous procurerez des fusils, vous tuerez ceux qui tuent les vôtres. Mais alors ne comptez plus sur l’armement de la garde nationale; n’espérez plus qu’on vous permette d’élire votre Conseil municipal; vous serez traités comme des factieux, comme des ennemis de la République; ne vous attendez qu’à un redoublement de servitude et de vexations.

Du reste, en vous pressant de renoncer aux violences, on ne vous défend pas d’avoir recours à d’autres moyens bien autrement puissants. La France entière que vous aurez prise à témoin de votre longue patience, réunie sous peu de jours en Assemblée nationale, vous rendra à la fin justice, quand vos députés lui diront le mal qu’on vous a fait et que vous n’avez pas rendu. Déjà ceux qui vous aiment et qui savent qu’à Paris, comme dans le reste de la France, les élections viennent de porter le dernier coup aux espérances des terroristes, se sont adressés aux membres du gouvernement provisoire à qui la victoire semble devoir rester. Et leurs réclamations, croyez-le, ne seront point vaines, s’ils peuvent prouver que, insultés, vous vous êtes tus; que, frappés, vous avez été patients; et que, provoqués à une guerre civile, vous avez mieux aimé souffrir que de vous exposer au reproche de troubler et de contrister la patrie, au moment où elle a le plus besoin de calme et de paix pour terminer l’oeuvre de sa transformation.

Donc c’est à vous de choisir ou d’être longtemps encore opprimés ou d’être libres en comprimant vos colères, en sachant vous commander à vous-mêmes.

Si nous vous tenons ce langage, c’est que nous vous croyons capables de l’écouter. La modération dont vous avez fait preuve jusqu’à ce jour, pourquoi ne continueriez-vous pas à la montrer et à réfuter ainsi les calomnies que l’on va répandant contre vous? Ne savez-vous pas que, depuis longtemps, on vous représente comme des tigres altérés du sang de vos frères? Prouvez que s’il y a eu du sang répandu, c’est le vôtre seul qui a coulé. Ceux-là finissent toujours par triompher qui peuvent porter le défi à la face du ciel et de la terre, qu’on trouve des victimes de leur cause ailleurs que dans leurs propres rangs.

Le temps vient où la vérité ne veut plus être défendue que par des armes dignes d’elle. Jetez les yeux autour de vous, voyez l’exemple que vous donne la catholique Irlande. A quel état n’était-elle pas réduite, il y a un demi-siècle à peine? par quelles atroces cruautés l’Angleterre ne la torturait-elle pas? Plusieurs fois, cette généreuse nation avait essayé de briser ses chaînes; mais, toujours écrasée par sa rivale, elle retombait sous le poids d’une tyrannie dont notre âme se refuse à croire les détails. Enfin, Dieu eut pitié de ce pauvre peuple qui avait tant souffert. Il suscita O’Connell; et quand cet homme, dont l’amour pour ses frères décuplait le génie, commença l’oeuvre de la délivrance, comment s’y prit-il? Prépara-t-il des armes? Excita-t-il la guerre contre les tyrans? Convia-t-il l’Irlande à briser ses fers sur la tête de ses oppresseurs? Non, il prêcha l’ordre et la modération. Au nom des lois, il réclama le respect de tous. Longtemps sa voix fut méconnue; mais, à force de luttes patientes et de pacifiques efforts, il obtint l’affranchissement de sa patrie et la consécration de sa liberté.

Catholiques de Nîmes, voulez-vous reconquérir vos droits abolis? Laissez à vos adversaires des moyens indignes de vous, laissez-leur les attaques imprévues, les coups de fusil, la violence. Prenez la courageuse résolution de ne vous défendre que par la force même de votre droit. C’est là une arme dont vous ne connaissez pas toute la portée; c’est la seule que vous puissiez employer désormais avec avantage. Restez dans votre modération, et les préventions qu’on cherche à inspirer aux troupes envoyées pour maintenir la tranquillité tomberont devant l’évidence des faits. Traitez les soldats en frères, et vous leur ôterez jusqu’à l’idée de se tourner jamais contre vous. Laissez-les accomplir librement les ordres de leurs chefs; et leurs chefs, en position de juger par eux-mêmes, vous rendront la justice que vous méritez. Encore un coup, soyez modérés, et, dans les rangs de vos adversaires, les honnêtes hommes rougiront de la voie où veulent les engager quelques furieux. Tandis que ceux-ci se précipiteront dans d’odieux excès, les autres comprendront que vous êtes les seuls amis de l’ordre et viendront vous demander protection, en même temps qu’ils vous offriront leur concours. Ce mouvement ne s’accomplira ni aujourd’hui, ni demain; mais demain, aujourd’hui même vous pouvez commencer à le préparer. Et quelle plus noble mission que celle de faire régner la paix là où la guerre a duré si longtemps!

Enfin, souvenez-vous de votre nom. Qui dit catholique dit chrétien, et celui-là n’est pas chrétien qui ne peut oublier une injure. Depuis vingt ans, vous avez pardonné bien des fois; car vous ne seriez pas allés si nombreux, dans vos églises, vous agenouiller au pied de vos autels, si le pardon n’eût pas été au pied de vos âmes. Pourquoi ne l’y ramèneriez-vous pas? Quand le Christ, du haut de la croix, priait pour ses bourreaux, il donnait au monde, sauvé par sa mort, le secret de la puissance que renferme le sentiment du pardon. La notion de cette force surhumaine semble s’effacer chaque jour. C’est à vous, qui avec le plus à pardonner, d’en proclamer de nouveau les droits et de forcer Dieu à se faire l’allié de votre cause, en l’imitant dans l’usage le plus magnifique qu’il ait fait de sa puissance.

Notes et post-scriptum
1. Article publié dans le numéro 21, mardi 2 mai 1848. Nous n'avons de ce travail aucun manuscrit ni aucune indication dans la correspondance, mais nous possédons encore le manuscrit, tout entier de la main du P. d'Alzon, d'un long article qui ne fut pas imprimé et qui débute ainsi: "Quelques personnes ont bien voulu nous communiquer leurs remarques sur nos articles adressés aux catholiques et aux protestants." C'est là une allusion évidente à notre article et à celui qui suit, qui portent précisément ces titres et traitent uniquement de ce sujet.