ARTICLES

Informations générales
  • ARTICLES
  • AUX PROTESTANTS DE NIMES. (1)
  • La Liberté pour tous, Nº 24, 9 mai 1848. p. 1-2.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon, III. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 687 à 692.
  • A 138.
Informations détaillées
  • 1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 EGALITE
    1 FOI
    1 FRANCHISE
    1 FUNERAILLES
    1 HAINE
    1 HERESIE
    1 INDIFFERENCE
    1 LIBERTE
    1 MENSONGE
    1 PARDON
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RESPECT
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 REVOLUTION
    1 RUSE
    1 TOLERANCE
    1 VERITE
    2 IGONNY, ETIENNE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 PIE IX
    2 TEULON, EMILE
    2 TROUPEL, OCTAVE
    2 VENTURA, GIOACCHINO
    3 NIMES
  • Protestants de Nîmes
  • 9 mai 1848.
  • Nîmes
La lettre

Une humble fosse recevait vendredi soir la dépouille d’Etienne Igonny, mort victime de l’attaque du 27 avril. Une foule immense et triste formait le convoi de cet enfant du peuple, auquel assistaient MM. Emile Teulon et Oct. Troupel, et plusieurs protestants, officiers de la garde nationale. Nous les en remercions; leur pensée a été comprise. Du reste, s’ils ont remarqué partout une affliction profonde, ils n’ont aperçu nulle part de l’irritation. Le dernier soupir d’un chrétien qui pardonne sa mort répand toujours au loin une vertu qui apaise les coeurs les plus ulcérés.

Protestants de Nîmes, ces jours douloureux se renouvelleront-ils souvent encore? Et peut-il être permis d’espérer que, des deux côtés, se fera sentir l’obligation de mettre fin à des luttes cruelles, et d’en laisser l’affreuse responsabilité à des hommes que repoussent toutes les opinions? Pour nous, nous croyons arrivé le temps où tout ce qui est courageux et honnête devra, au prix des plus grands sacrifices, travailler à l’oeuvre de la réconciliation. Nous y avons pensé, quand nous avons pris pour devise ces mots. La liberté pour tous. L’idée que le titre même de notre publication renferme nous paraissait un terrain neutre, sur lequel nous pourrions nous rencontrer un jour, pour nous unir enfin? Nous serions-nous trompés?

Un moment, la France, ébranlée par de profondes et rapides secousses, crut voir tous les partis qui la déchirent se rapprocher dans un même besoin d’union. Ce moment fut court, il est vrai, pour plusieurs; mais le désir de la réconciliation est resté tout entier dans notre âme. Nous voulons jusqu’au dernier moment tenter de le réaliser, selon la mesure de nos forces, et c’est là une des raisons d’être de La liberté pour tous.

Pour atteindre ce but, nous avons dû nous faire une position à part; nous nous la sommes faite, au risque de choquer des susceptibilités respectables. Lorsque, dans un duel, les épées se croisent déjà et qu’un ami commun, pour arrêter la lutte, se précipite entre les combattants, il s’expose à être blessé par les deux adversaires à la fois. C’est ce qui nous est arrivé. Nous avons été mal compris, mais nous ne nous en plaignons pas.

Il fallait un certain temps avant que l’on pût apprécier la ligne inflexible, dans laquelle nous sommes résolus à marcher. Nous devions nous attendre aussi à provoquer les colères de ceux dont nos intentions gêneraient les projets. Ces colères se sont manifestées par des injures que nous ne vous reprocherons pas. Vous désavouez sûrement le style de certains défenseurs officieux qui n’ont point reçu vos pouvoirs, comme nous rougirions nous-mêmes, si jamais notre cause avait le malheur d’être défendue par de semblables avocats.

Nous ne vous reprocherons pas davantage d’être condamnés à compter dans vos rangs certains hommes implacables, qui ne savent pas bien ce qu’ils sont, mais qui savent ce qu’ils détestent, et dont la haine fait toute l’énergie; ni des habiles qui, spéculant sur tout, calculent ce que peut rapporter de pouvoir l’exploitation de certaines croyances. Ces hommes sont la plaie et la honte de tous les partis. Si nous pensions n’en trouver que de semblables dans vos rangs, nous serions bien insensés de venir vous tendre la main.

Notre conviction, au contraire, est que chez vous comme parmi les nôtres, un grand nombre aspirent au repos que l’ordre seul peut donner et se demandent si, après trois siècles de discordes, Dieu ne permettra pas que les enfants de la France se rappellent qu’ils sont tous frères, qu’ils sont tous fils d’une commune patrie.

C est à ceux-là que nous nous adressons. C’est à eux que nous offrons la paix. Cette paix, la voulez-vous? Voici sur quelles bases nous vous la proposons.

Que les sociétés modernes, en développant des principes plus larges, préparent des relations nouvelles entre les citoyens d’une même nation, c’est ce que personne ne songe plus à contester aujourd’hui. Un plus grand respect pour les opinions d’autrui, les droits de tous plus solennellement reconnus, tel est le résultat qui nous paraît surgir tout d’abord des luttes du passé. C’est là ce que nous appellerons le premier bienfait de l’avenir. Donc, avant toute chose, entière liberté pour tous. Nous resterons catholiques, vous resterez protestants; car, nous vous respectons assez pour vous croire ce que vous dites être; et la plus grande injure qu’on pût nous faire serait de supposer que nous ne sommes pas et que signifie ce titre de catholique dont nous sommes fiers. Mais, en restant les uns et les autres dans notre foi, tous de concert nous effacerons du passé ce qui rappellerait le souvenir de trop longues haines. A quoi serviraient des récriminations? Si vous en faites, ne pouvons-nous pas en faire autant et plus que vous? A quoi aboutiraient-elles? Est-il vrai que nous marchons dans de nouvelles voies et qu’en les suivant des hommes jusqu’à présent séparés pourront se rencontrer enfin? La pensée d’un rapprochement se manifesta partout, elle est la préoccupation de toutes les intelligences élevées. Consultez(2) les avis vraiment prophétiques qu’adressait de Rome à Louis-Philippe un des conseillers de Pie IX. Vous y verrez ce qu’on pense, au centre même du catholicisme, de la liberté de conscience.

Mais quoi! nous direz-vous, avez-vous donc toujours, sur ce point, tenu le même langage? Pas toujours, il est vrai; pas plus que vous. La liberté de conscience est moins un dogme immuable que la conséquence et le principe tout à la fois d’une transformation sociale. Elle en est une conséquence, parce que, après de longs bouleversements, après que mille opinions diverses se sont choquées, nul n’a le droit de dire: Je viens imposer ma croyance. La liberté de conscience est un principe, parce que, seule, elle peut éclairer ces discussions paisibles, après lesquelles les intelligences sincères, pressées du besoin de s’unir, pourront se retrouver dans une même charité, en attendant qu’elles se rencontrent dans une même foi.

Nous voulons la liberté pour vous, afin de l’avoir plus sûrement pour nous. La voulez-vous aux mêmes conditions? Mais cette liberté pourrait-elle subsister, la même pour tous, si tous les droits n’étaient pas égaux?

Sous le régime qui vient de finir, vous étiez au pouvoir, parce que vous vous disiez les amis de ceux qui nous commandaient alors. Serait-ce au même titre que vous prétendriez conserver encore exclusivement ce pouvoir? Les catholiques, qui acceptent franchement la République, n’y ont-ils pas les mêmes droits que vous, du moment que, comprenant les grandes leçons que la Providence leur donne, ils ne réclament, dans le maniement des affaires du pays, que leur portion légitime et qu’ils vous accordent loyalement celle qui vous revient?

Ce moyen est le seul, ce nous semble, de faire cesser bien des malentendus. Tous disparaîtront, nous en sommes convaincus, aussitôt que des deux côtés les hommes de coeur travailleront avec sincérité, dans un but commun, à consacrer le respect de tous les droits et de tous les intérêts.

Nous avons souvent entendu demander: pourquoi ces distinctions permanentes de cultes? Pourquoi ce perpétuel antagonisme établi entre les catholiques et Les protestants? N’est-il pas temps de mettra un terme à ces dissensions religieuses? La République doit-elle connaître autre chose que des républicains? Personne plus que nous n’est de cet avis; et, au nom de cette confiance que proclamait hier le gouvernement provisoire et que l’Assemblée nationale proclamera bientôt elle-même, nous demandons que toutes les préventions cessent et que tous soient traités avec une impartiale égalité. Car, sachez-le bien, si nous sommes résolus, comme nos avances passées le constatent, à ne point abuser de notre majorité, nous sommes décidés à maintenir les droits que la République nous rend et à combattre sans relâche quiconque prétendrait encore nous les ravir.

Une chose vous surprendra peut-être, ce sont ces avances mêmes. Elles ont deux raisons, et nous voulons vous les dire. La première, c’est que nous sommes les plus nombreux et que, sous la loi des majorités, les plus nombreux finissent par être les plus forts; et, selon nos idées, c’est aux plus forts à venir au- devant des plus faibles. La faiblesse a sa dignité, dont il faut toujours tenir compte. La seconde raison, c’est que nous sommes catholiques. Nous croyons être dans la vérité et nous vous croyons dans l’erreur. La vérité seule est éternelle, tandis que l’erreur, qui doit tôt ou tard finir, a deux époques dans sa durée: l’une de développement, c’est celle où elle est contagieuse, celle où l’on ne saurait trop la fuir et s’en tenir à l’écart; l’autre de décadence; c’est alors que, commençant à s’épuiser, elle n’offre plus de périls; c’est alors qu’on peut s’en approcher, pour indiquer à ceux qui ne trouveront bientôt plus d’abri sous ses ruines la route de la patrie, depuis longtemps perdue pour eux.

Nous en voudrez-vous, si nous vous disons que vous n’êtes plus dangereux? Mais à quoi bon se le dissimuler? Laissons de côté les hommes trop nombreux, sortis de votre Eglise ou de la nôtre, qui n’ont de catholique ou de protestant que le nom; adressons- nous seulement à ceux d’entre vous qui sont encore chrétiens. Combien en est-il, parmi ceux-là, qui comptent sur l’avenir de leur foi? Et cette foi, qu’est-elle? Au milieu de tant de fluctuations, de tant de déchirements, que pense-t-on qu’elle soit avant la fin du siècle?

Nous estimons qu’après vous être débattus, quelque temps encore, contre d’inextricables difficultés, vous vous scinderez en deux principales fractions. Les uns, poursuivant fatalement les conséquences de leurs principes, sortiront forcément du christianisme; les autres, effrayés de l’abîme vers lequel les pousse l’impitoyable logique, retourneront en arrière, et, dans l’impossibilité de trouver aucun point de repos dans le chemin parcouru, ils nous reviendront nécessairement, comme nous revient la portion éclairée de l’Angleterre. C’est à eux que nous voulons rendre le retour facile, en leur ouvrant d’avance les bras.

Protestants de Nîmes, telles sont nos intimes pensées et les réflexions que votre situation nous suggère. Y voyez-vous, de notre part, le moindre sentiment de rancune ou d’aigreur? Croyez-vous pouvoir un jour vous entendre avec des hommes qu’animent, à votre égard, de pareilles intentions? Et les idées qu’ils vous exposent vous paraissent-elles assez précises et assez larges, pour que vous n’ayez pas à vous en défier? Si notre langage a, pour vous, le caractère de la sincérité, pourquoi ne pas l’écouter? Les déplorables collisions qui ont eu lieu récemment vous semblent-elles retarder encore le rapprochement désiré? Ah! du fond de cette tombe à peine fermée, autour de laquelle plusieurs des vôtres venaient se mêler à notre deuil, nous n’avons entendu sortir aucun cri de vengeance. Les dernières paroles de la victime qu’on y déposa furent celles du pardon. Nous ne vous l’offrons même pas; nous ne vous proposons que la paix, la paix appuyée sur la liberté la plus franche, sur l’égalité la plus absolue. Laissez- nous croire qu’elles feront naître un jour dans les coeurs une véritable fraternité. Nous y sommes prêts; car, nous le sentons, alors même que quelques hommes, égarés par la passion et sortis de vos rangs, frapperaient encore nos frères, ils pourront nous plonger dans la plus profonde douleur, ils ne nous forceront jamais à vous haïr.

Notes et post-scriptum
1. Article publié dans le numéro 24, mardi 9 mai 1848. Sur l'authenticité de cet article, voir la note de l'article précédent.2. Voir le note si remarquable du P. Ventura à Louis-Philippe dans notre dernier numéro. On y retrouvera l'expression de la pensée de presque tous les grands théologiens de Rome. Toutefois, il faut bien le remarquer, ce n'est là qu'une opinion. (*Note du P. d'Alzon*.)