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Informations générales
  • ARTICLES
  • [EMEUTE DE MAI] (1)
  • La Liberté pour tous, Nº 31, 20 mai 1848, p. 1.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon, III. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 692 à 695.
  • CP 27; A 138.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DES AISES
    1 ATHEISME
    1 CONSPIRATION
    1 DESPOTISME
    1 DEVOIR
    1 GOUVERNEMENT
    1 LIBERTE
    1 MONARCHIE
    1 PARLEMENT
    1 PATRIE
    1 PEUR
    1 PRESSE
    1 PROFITS D'ARGENT
    1 REVOLUTION
    1 ROYALISTES
    1 SOCIETE
    1 SOCIETES SECRETES
    1 TERREUR
    1 TERRORISTES
    2 BARBES, ARMAND
    2 BLANQUI, AUGUSTE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 ORLEANS, HELENE DE MECKLEMBOURG DUCHESSE D'
    2 PARIS, PHILIPPE COMTE DE
    2 RASPAIL, FRANCOIS
    3 AUTRICHE
    3 EUROPE
    3 PARIS
    3 PRUSSE
    3 RUSSIE
  • 20 mai 1848.
  • Nîmes
La lettre

Les journaux sont pleins aujourd’hui des détails de l’émeute, qui est venue échouer contre l’Assemblée nationale. Il faudra quelque temps sans doute avant qu’on puisse porter un jugement motivé sur ces tentatives criminelles; mais déjà il est possible de chercher quels avertissements résultent pour nous des faits qui nous sont connus. En temps de révolution, quand les événements vont vite, il faut réfléchir au pas de course.

L’émeute est vaincue, c’est bien. Remercions Dieu de ce que nous ne sommes pas tombés au pouvoir des Barbès, des Blanqui, des Raspail! Pour cette fois, nous aurons le droit de respirer, et la terreur n’établira pas son piédestal sanglant sur les places publiques. Jusqu’à nouvel ordre, le danger ne viendra pas de ce côté. Mais ne peut-il venir que de là pour nous, s’il faut l’avouer, nous redoutons moins les émeutiers que la réaction qui peut s’accomplir par la peur même de l’émeute.

La paix profonde dont nous avons joui pendant trente ans a amolli les caractères; on s’est enfermé dans l’amour du bien-être matériel, et, tout ce qui en trouble la placide jouissance préoccupe, agite, terrifie. A côté de la Terreur de 93, certaines personnes, dont l’honnête mollesse tient avant tout à dormir, se sont fait une terreur à leur usage, quelque chose comme la tête de Méduse qu’elles clouent sur ce qu’elles nomment le bouclier de la sécurité publique; à l’aide de quoi elles espèrent pétrifier les plus généreux courages, et tout homme qui pense qu’au-dessus du repos il y a la liberté et le devoir de la défendre par tous les moyens dignes d’elle.

Déjà sous les régimes précédents, les ministres connaissaient la puissance de la peur, et l’on pourrait dire que le cabinet de tout président du Conseil était le sanctuaire de cette divinité, à laquelle les Romains eux-mêmes sacrifièrent, comme chacun sait.

Pour nous, nous le disons avec tristesse, les anciens ministres sont partis, la peur est restée, et les nouveaux gouvernants cultiveront son autel, useront de son influence et par elle, si on n’y met obstacle, pousseront à la plus oppressive réaction.

De quoi, en effet, se compose la majorité de l’Assemblée nationale? N est-ce pas de la gauche dynastique? Et la garde nationale de Paris, de quoi se compose-t-elle? N’est-ce pas de ces bons bourgeois qui pleurent tous les jours Louis-Philippe, non certes à cause de ses vertus ni de son prestige personnel, mais pour l’argent qu’il leur faisait gagner, pour les fonds qu’il faisait monter, pour leur maison qu’il faisait louer, pour leur commerce qu’il faisait prospérer, pour le bien-être matériel qu’il faisait régner. Ne pouvant avoir Louis-Philippe, ils rêvent, eux et la gauche dynastique, son petit-fils, le comte de Paris. Or, le comte de Paris, enfant de neuf ans, c’est la régence de Madame la duchesse d’Orléans. La régence, c’est le despotisme le plus perfide et le plus épouvantable que l’on puisse concevoir. Est-ce là ce que nous voulons?

D’autre part, les émeutiers comprimés ne se tiendront pas pour battus; seulement, ces mêmes hommes qui ont conspiré sous la Restauration, conspiré sous les conservateurs, conspireront sous la République. Ne pouvant plus préparer l’anarchie au grand jour, ils la prépareront de nouveau dans les caves. Les ténèbres semblent leur premier besoin. Dès qu’ils paraissent à la lumière, leur puissance s’évapore vite. Semblables à ces volcans souterrains, qui cherchent à se former un cratère et dont la lave, après avoir ébranlé les flancs de la montagne, se glace en dur basalte, dès que l’oeuvre de la dévastation est accomplie, ils sont incapables de fonder quoi que ce soit. Mais qui peut nier qu’ils ne finissent par jeter bas la société et la perdre à jamais?

Eh! bien, ces hommes sont toujours là avec leurs passions incendiaires. Tirez contre eux le canon, ils se cacheront dans leurs antres et feront retentir leurs anonymes rugissements. Désignez-les par leurs noms en plein soleil, ils prendront un masque et vous appelleront hypocrite. Organisez partout la garde nationale, ils organiseront, eux, de nouvelles sociétés secrètes; quelque jour, ils essayeront de tuer la France par derrière d’un coup de poignard. Et-ce là ce que nous voulons?

Certes, entre ces deux extrémités, les périls sont grands. Qui l’ignore? N’est-il donc aucun espoir de salut? Dieu seul le sait; mais tous les hommes de coeur doivent savoir que, tant qu’une goutte de sang circule dans leurs veines, le sentiment du devoir doit les trouver toujours prêts. Ce sentiment grandit, à mesure que les circonstances grandissent, et aujourd’hui qu’il s’agit du salut même de la patrie, quels sacrifices n’a-t-elle pas le droit de commander? Le premier de tous est de rejeter toute préoccupation personnelle. Qu’est-ce qu’un homme, quand il s’agit de la vie ou de la mort d’un peuple entier? Le second, c’est l’abandon de toute opinion secondaire. Toute nuance doit s’effacer devant la terrible lumière que font briller à nos yeux les dernières agitations de Paris. Il ne s’agit pas de savoir si tel ou tel parti prévaudra. Il s’agit de savoir si, quand bientôt l’Europe va nous attaquer par l’Autriche, la Prusse et la Russie, elle nous trouvera unis comme un faisceau, ou préludant aux maux qu’elle nous prépare en tournant contre nous-mêmes les armes qui doivent nous servir à la repousser. Il s’agit de savoir si nous voulons encore de la liberté que menacent d’étouffer, dans leurs bourgeoises étreintes, les partisans de la régence; si nous voulons de l’ordre que veulent détruire à jamais, avec toute notion de morale et de droit, les séides brutaux du communisme et de la terreur.

Pour nous, dans quelque voie que la France s’engage, nous la suivrons avec l’amour d’enfants qui, dans ce monde, ne chérissent rien au-dessus de leur mère, mais aussi avec le courage intelligent que n’aveuglent point de molles affections. Nous souffrirons de ses souffrances, notre coeur saignera de ses blessures; mais nous l’aimerons assez pour lui dire la cause de ses maux. Car, il faut qu’on le sache, si elle semble pencher vers sa ruine, si ses ennemis ont conçu le sacrilège espoir de l’anéantir, c’est qu’elle a trop oublié que l’ordre et la liberté sont les plus magnifiques dons faits par le ciel à la terre, et que l’ordre et la liberté périssent, quand la terre prétend divorcer avec Dieu.

Notes et post-scriptum
1. Article publié dans le numéro 31, samedi 20 mai 1848. Nous avons le brouillon, presque complet, de cet article, écrit de la main du P. d'Alzon. Cet article fut motivé par le coup de main tenté, le 15 mai, par les démocrates parisiens contre l'Assemblée nationale. Le titre est dans le brouillon, mais non dans le journal.