ARTICLES

Informations générales
  • ARTICLES
  • [LES ELECTIONS MUNICIPALES] (1).
  • La Liberté pour tous, Nº 79, 20 août 1848, p. 1.
  • Lettres du P. Emmanuel d'Alzon, III. Paris, Maison de la Bonne Presse, 1926, p. 696 à 700.
  • CP 29; A 138.
Informations détaillées
  • 1 ACTION POLITIQUE
    1 ADMINISTRATION PUBLIQUE
    1 ARMEE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 DEVOIR
    1 ELECTION
    1 FOI
    1 FRANCHISE
    1 GOUVERNEMENT
    1 PARTI CATHOLIQUE
    1 PEUPLE
    1 REPUBLIQUE
    1 SUFFRAGE UNIVERSEL
    3 NIMES
  • 20 août 1848.
  • Nîmes
La lettre

Les élections municipales sont terminées depuis deux jours. Il faut le dire, le résultat en est profondément regrettable. La majorité des catholiques triomphe. Nous croyons, nous, que c’est aux protestants à triompher en réalité.

Nous avons donné assez de gages d’attachement à la cause catholique pour avoir le droit de porter ce jugement sévère. Nous qu’on accuse de flatter les passions populaires, nous aurons le courage de dire au peuple: Vous avez mal fait.

Sans doute, les onze conseillers élus au second tour de scrutin sont, en eux-mêmes, un choix excellent. Plusieurs savent, en particulier, quelle estime nous leur portons, et nous les conjurons de ne voir, dans nos paroles, rien qui leur soit personnel, rien dès lors qui puisse leur être désagréable. La question est ailleurs; ils le comprendront sûrement.

Sans doute, le peuple a cédé à un besoin impérieux; il a voulu faire éclater de nouveau son attachement à sa foi. Sans doute, des provocations irritantes expliquent sa persistance dans le système des exclusions. Sans doute encore, si, depuis quelque temps, on l’avait plus sérieusement imprégné de républicanisme, il n’aurait pas mis ses chefs dans une position aussi fausse vis-à-vis du gouvernement de la République. Nous sommes disposés à accueillir toutes sortes d’excuses, à trouver toutes sortes de raisons pour expliquer sa conduite; mais la situation, telle qu’il l’a faite, n’en subsiste pas moins dans toute sa gravité. Il faut la constater sans réticences, afin qu’il la comprenne. Les conséquences de cette situation n’en sont pas moins évidentes, et il faut les lui mettre devant les yeux, afin qu’il sache à quoi il s’expose. Les devoirs des hommes honorables qu’il a élus, d’abord, n’en sont pas moins rigoureux, et il faut les lui faire comprendre, afin qu’il ne s’étonne pas si la conduite que les circonstances leur imposent n’est pas celle qu’il voudrait réclamer de leur part.

Et d’abord, les élections de jeudi dernier constatent la situation la plus grave. Il est prouvé que les catholiques n’ont plus de chefs. Leurs chefs ont usé de toute leur influence pour faire entrer au Conseil municipal onze représentants des minorités, et la grande majorité n’a nommé que des catholiques. Que devient un parti qui n’a plus de chefs?

Il est prouvé que désormais les assemblées préparatoires sont parfaitement inutiles à Nîmes; car les assemblées préparatoires pourront bien former une liste, mais le peuple en acceptera une autre de la main du premier venu qui voudra exploiter ses passions. Or, quelque nombreuse que soit une majorité, le jour où, comptant sur sa force, elle n’agit plus d’après un plan préparé d’avance, elle s’expose à être vaincue par une minorité intelligente et compacte.

Il est prouvé que les catholiques ne se considèrent que comme un parti, puisqu’ils ne savent pas apporter dans leurs actes cette modération et ce respect des droits de tous, qui conviennent à la raison et à la vérité. Or, nous avons une répugnance trop invincible pour tous les partis, quels qu’ils soient, pour ne pas gémir profondément de voir la cause de l’Eglise abaissée à un degré d’humiliation tel que ses propres défenseurs la réduisent à n’être qu’un parti.

Mais laissons de côté cette pensée douloureuse, dont bien peu d’hommes se préoccupent, après tout. Examinons les conséquences de ce déplorable scrutin.

Nîmes nommait son Conseil municipal par sections. Le gouvernement avait accordé le scrutin de liste, à la condition que la minorité serait représentée. Des citoyens honorables, placés par l’opinion et l’estime de tous à la tête des catholiques, et nos représentants eux-mêmes en avaient pris l engagement. Ils l’ont promis, et leur promesse n’a pas été sanctionnée. Si le gouvernement n’a plus de confiance en ces hommes, qui faudra-t-il en accuser?

On dira que personne ne les avait chargés de prendre des engagements au nom des catholiques. Quoi! Ne sait-on pas qu’il est une foule de circonstances où le peuple entier ne peut traiter les affaires; qu’il donne, après, des votes de confiance, s’il est satisfait? Or, il a donné, jeudi dernier, des votes de défiance contre ses anciens chefs. Si, se respectant eux-mêmes, ces chefs se retirent, qui faudra-t-il en accuser?

Le gouvernement, revenu de certaines préventions défavorables, reprenait confiance dans la majorité de notre ville; elle était traitée par lui comme elle ne l’avait pas été depuis longues années. Si, voyant dans certaines exclusions des dispositions tyranniques de la part de cette majorité, il penche désormais vers les plus faibles pour les protéger contre les plus forts qui faudra-t-il en accuser?

Malgré les réclamations les plus violentes, le gouvernement avait cru devoir rétablir le droit commun, aboli depuis 1830 dans notre cité. Si, dans la crainte d’une lutte dont les dernières élections prouvent la possibilité, il suspend l’armement de la garde nationale, qui faudra-t-il en accuser?

En un mot, si les dispositions favorables de l’administration font place à l’ancien système d’oppression, la majorité pourra-t-elle en accuser d’autres qu elle seule?

Il nous en coûte de déduire les conséquences d’un fait, dont ceux qui l’ont créé n’ont pas compris toute la portée assurément; mais c’est la gravité même de ces circonstances qui nous force à parler haut. Le mal subsiste, il faut le signaler, lorsqu’il est temps encore d’y porter remède. Le silence serait une lâcheté dont nous ne serons jamais coupable. Nous savons à quoi nous nous exposons en parlant, mais nous ne reculerons jamais devant un devoir. Or, dussions-nous lui déplaire, notre devoir est de signaler à la majorité la faute qu’elle a commise.

Il nous reste à examiner ce qu’ont à faire les vingt-cinq conseillers élus au premier tour de scrutin. Notre opinion n’est pas douteuse: ils doivent donner leur démission. En effet, le président du Comité électoral peut-il s’asseoir au Conseil municipal, lors qu’après des engagements pris envers le gouvernement, après plusieurs déclarations publiques, après un dévouement au-dessus de tout éloge, on ne compte pour rien la responsabilité qui pèsera sur lui?

Et, s’il se retire les autres élus peuvent-ils demeurer, sans donner la preuve qu’aucune solidarité n’existe entre les chefs de la majorité, qu’aucune entente ne les unit, qu’aucun engagement moral ne les lie entre eux?

D’autre part quelle position les vingt-cinq premiers élus subiront-ils, s’ils consentent à former le Conseil de la ville? Quoi! ils ont dit à la majorité: « Nous serons vos représentants, à la condition que la minorité aura sa part légitime »; la part de la minorité n’est pas faite, et ces hommes consentiraient, dans un moment aussi grave, à courber la tête et à rester sur leurs chaises curules? Ou nous sommes dans une erreur complète, ou, dans tout gouvernement basé sur une représentation élective, les dépositaires du pouvoir ne doivent le garder qu’autant qu’ils ont la confiance de ceux qui le leur ont remis. Eh! bien, le second tour du scrutin a détruit la confiance que le premier avait manifestée. Des conditions imposées n’ont pas été acceptées, que reste-t-il à faire qu’à se respecter soi-même?

On dira qu’en face des dangers de l’avenir, il ne faut pas s’exposer à voir tomber le pouvoir entre des mains moins dignes ou moins capables. Nous pensons que, pour être à la hauteur de ces dangers, il faut avant tout garder sa puissance morale, et qu’elle se perd, quand on laisse voir un plus grand amour du pouvoir que de la dignité politique.

On dira encore qu’une démission générale mécontenterait le peuple et qu’il ne faut pas l’irriter. Nous dirons, nous, que si rien n’est plus honorable que d’être le serviteur du peuple, rien ne l’est moins que de se faire son valet.

Notes et post-scriptum
1. Article publié dans le numéro 79, dimanche 20 août 1848. Si nous n'avons pas le manuscrit de ceù article , nous avons une note du P. d'Alzon indiquant quelques ajouts à mettre dans les épreuves, ce qui prouve bien que le travail était de lui. L'article n'a pas de titre dans le journal; il fut motivé par le fait suivant. Aux élections municipales de Nîmes, *La liberté pour tous* avait présenté une liste de 36 candidats, dont 25 catholiques et 11 protestants ou juifs. Au premier tour de scrutin, les seuls candidats catholiques furent élus, et d'autres candidats catholiques, figurant sur d'autres listes, furent préférés aux onze candidats protestants et juifs, qui furent ainsi mis en ballottage. Au second tour de scrutin, onze nouveaux candidats catholiques furent seule élus, de sorte que les protestants et les juifs n'eurent aucune représentation dans le Conseil municipal de Nîmes. Disons à la décharge des catholiques qu'ils prenaient ainsi leur revanche d'une conduite analogue des protestants à leur égard, lors des élections législatives pour l'Assemblée nationale , quelques mois auparavant. Le journal *la Liberté pour tous* n'en subissait pas moins un échec fort sensible et fort senti. Il est à remarquer que l'article du P. d'Alzon reproduit en bonne partie, les arguments que Salives, préfet du Gard, avait déjà adressés, dans une proclamation, aux électeurs de la majorité dans la ville de Nîmes; voir la *Liberté pour tous*, n° 78, vendredi 18 août 1848.