- TD 6.1
- ARTICLES
- INTRODUCTION
- Revue de l'enseignement chrétien, I, Nº 1, 1 novembre 1851, p. 5-17.
- TD. 6, P. 1.
- 1 BEAU CHRETIEN
1 BEAU LITTERAIRE
1 BONTE MORALE
1 DOGME
1 EDUCATION
1 EGOISME
1 ELEVES
1 ENSEIGNEMENT
1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
1 ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
1 ESPRIT CHRETIEN
1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
1 LEGISLATION
1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
1 LUTTE CONTRE LE CORPS
1 LUTTE CONTRE LE PECHE
1 MAITRES CHRETIENS
1 MOEURS DE LA FAMILLE
1 MORALES NON CHRETIENNES
1 OUBLI DE SOI
1 PARENTS D'ELEVES
1 PUBLICATIONS
1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
1 REFORME DU COEUR
1 VERTU DE PENITENCE
2 BONALD, LOUIS DE
2 BUFFON, GEORGES-LOUIS
2 LEIBNIZ, GOTTFRIED-WILHELM
2 OVIDE
3 CARTHAGE
3 EUROPE
3 HIPPONE
3 ROME - 1 novembre 1851,
- Nîmes
Un des hommes qui ont pénétré le plus avant dans les problêmes du monde moral, Leibnitz, disait: « Le premier fondement de la félicité humaine est la bonne éducation de la jeunesse, qui contient aussi le redressement des études….C’est une honte de voir combien le temps est mal employé dès la jeunesse, et combien on en perd à apprendre des inutilités, ou à apprendre mal et par détour ce qu’il importe de savoir, et qu’il serait aisé d’obtenir promptement par de bonnes voies(1) ».
Rien de plus vrai que cette pensée. Toutefois, nous sommes encore plus effrayés des choses dangereuses que des choses inutiles imposées à l’intelligence et à l’imagination des enfants, dans le cours des études classiques. Développer cette vérité, faire comprendre, autant qu’il dépendra de nous, la nécessité de la mettre en pratique, discuter les moyens d’application, faire connaître les essais tentés, en constater le succès, tel sera le but de la Revue de l’Enseignement Chrétien.
La classe de lecteurs à laquelle nous nous adressons est peu nombreuse; notre ambition est extrêmement modeste. Ce recueil périodique n’aspire qu’à pénétrer dans les établissements chrétiens, ecclésiastiques ou laïques, consacrés à l’éducation.
Quelle que soit la valeur de la nouvelle loi sur l’enseignement, il est sûr qu’une concurrence, à laquelle les amis de la liberté prendront chaque jour une plus large part, s’est ouverte entre l’enseignement libre et ce qu’on est convenue d’appeler l’enseignement public.
De part et d’autre, les esprits sont vivement préoccupés, d’améliorer l’instruction. Il nous a paru que la cause de l’enseignement catholique avait un intérêt majeur a être représenté par un organe, propre à servir de moyen de communication entre les maîtres des divers établissements chrétiens, qui croiraient devoir travailler à l’oeuvre commune par un loyal échange d’utiles pensées.
Tous ceux qui, comme nous, se sont occupés d’éducation, savent quelles difficultés on rencontre à chaque pas, du moment qu’on veut se mettre en contact avec les élèves et avec leurs parents, pour traiter, d’une manière un peu sérieuse, cette affaire si grave de tout l’avenir d’un homme. Je ne parle pas des défauts de l’enfant; ils sont inhérents à la nature humaine; mais un caractère qui nous semble particulier au temps présent, c’est – chez un très grand nombre de familles, ce mépris de l’éducation, ce calcul de la dose d’instruction juste nécessaire pour parvenir, cet esprit mercantile qui spécule sur la quantité de connaissances qu’il faut entasser dans un jeune cerveau; – chez d’autres, cette conviction qui perce si souvent, que des maîtres doivent s’estimer trop heureux, lorsqu’on leur confie des élèves; et (comme cette persuasion passes très- facilement des pères aux enfants) cet affaiblissement du respect et de l’influence morale, nécessaires pourtant pour obtenir des résultats durables et féconds.
Ce n’est pas tout. Quand on se vous à l’enseignement chrétien, c’est sans doute pour former des hommes chrétiens. Or, le christianisme porte avec lui l’esprit de dévoûment, et, partout l’esprit d’égoisme domine. Le christianisme commande la lutte contre les passions, et tout aujourd’hui, dans les moeurs de la famille, semble fait pour les flatter. Cet esprit de pénitence, qui est la première condition imposée par J.C. aux peuples qu’il évangélisait, qui donc y comprend quelque chose? C’est un laisser-aller universel, et l’on est tenté de se demander où aboutira une génération ainsi préparée, par la mollesse et par les convoitises du luxe, à la défaite qui l’attend dans des combats plus énergiques.
A part quelques familles profondément chrétiennes, dont les vertus offrent un contraste glorieux pour elles, le tableau que nous venons de tracer n’est que trop exact. Préoccupation toute matérielle de la science, absence de respect, d’énergie et de toute notion chrétienne du devoir; égoisme, amour effréné du bien-être, voilà contre quoi il nous faudra lutter. Or, tout cela, c’est l’esprit païen.
Voilà le champ de bataille où le maître chrétien est aux prises avec les élèves qu’il veut former, car c’est un véritable combat, une guerre continue. Enfin, s’il remporte la victoire, et il ne la remportera pas toujours, à quoi faut- il s’attendre? A ce qu’à peine sorti des bancs, un élève pétri avec tant de fatigues entendra ses parents lui dire: « Mon fils, le temps de l’enfance est passé pour vous; laissez-là vos idées de collège. Il y a temps pour toutes choses; il vous reste à devenir un homme du monde ». C’est- à-dire: Vous etiez pieux, cessez de l’être; vous aviez des « principes religieux, n’en gardez que ce qui peut s’allier aux exigences de la société et aux projets que nous formons pour votre avenir ».. Il est pénible de l’avouer; mais, en termes plus ou moins précis, tel est le langage très souvent tenu.
Pourquoi chercher à se faire illusion? Ne vaut-il pas mieux approfondir le mal dans toute son étendue, afin de mieux apprécier toute l’énergie nécessaire au remède qui pourra le guérir? Or, ce remède n’est-il pas évidemment indiqué par la nature même du mal? Pour combattre l’esprit anti- chrétien qui semble se développer tous les jours davantage, il n’y a pas d’autre moyen que de faire pénétrer plus profondément dans l’âme des enfants le véritable esprit du christianisme; et, pour y parvenir, ce n’est pas trop de tous les moyens et de tous les moments.
Nous ne prétendons certes pas faire l’apologie de l’Université; mais nous avons trop de loyauté pour ne pas reconnaître qu’elle avait quelque raison de répondre, lorsqu’on lui reprochait son enseignement: « De quoi m’accusez-vous? De répandre l’impiété? Mais voyez les sources où je puise. La plupart des livres que je mets aux mains des enfants, ce sont ceux-là même que, depuis près de trois siècles, vous avez mis aux mains des jeunes générations qui vous furent confiées. Quand le sceptre de l’éducation vous a été enlevé, n’est-ce pas de vos dépouilles que je me suis servi? Est-ce ma faute, si je les ai trouvées imprégnées de la peste que vous m’accusez de répandre?
Nous avons très bien ce que l’on peut répondre, à quelques égards. Qui ignore, que le meilleur livre, expliqué par un maître sceptique, peut devenir une cause de corruption? Mais nous n’avons pas à nous occuper du parti que l’Université a pu tirer des classiques qui ont régné, dans presque tous les collèges, depuis la Renaissance. Et, s’il est vrai que le meilleur livre, mal commenté, peut se transformer en poison; s’il est encore vrai qu’un livre dangereux offre beaucoup moins de dangers, lorsqu’il est expliqué par un maître chrétien, n’en résulte-t-il pas évidemment la nécessité d’avoir à la fois de bons maîtres et de bons livres?
Notre intention n’est pas de parler ici du choix des maîtres dans les établissements chrétiens.
Ne nous occupons que des livres.
L’étude des classiques grecs et latins n’a-t-elle été pour rien dans les idées qui, depuis soixante ans, ont fait explosion en Europe? Et si les meilleurs esprits ont reconnu, proclamé cette influence, convient-il de continuer à faire des mêmes auteurs l’instrument principal du développement des jeunes intelligences? Une littérature païenne doit- elle, peut-elle faire le fond d’un enseignement chrétien?
Le problème étant posé en ces termes, la solution nous paraît tellement évidente, que nous croirions parfaitement inutile de la justifier, si nous ne savions avec quelle force les préjugés les plus funestes sont souvent enracinés dans les meilleurs esprits.
Arrivé au penchant de la vie, S. Augustin, l’ancien rhéteur de Carthage et de Rome, fut consulté par un de ses amis, Dioscore, sur le but des études. Il faut voir, dans sa réponse, avec quel sentiment de douloureuse tristesse l’évêque ‘d’Hippone déplore le temps que, dans leurs études, les hommes perdent à la recherche de ce qui n’est pas le vrai, et les motifs qui leur font trop souvent accumuler de fausses connaissances. « Je ne veux pas, ajoute-t-il, que vous enseigniez jamais rien qu’il vous faille désapprendre pour enseigner la Vérité(2) ».
Malheureusement, on n’est peut-être pas assez convaincu du respect dû à la vérité et du culte qu’un maître est tenu de lui rendre, du haut de sa chaire, en échange de l’honneur qu’il a d’être son ministre, son interprète, toutes les fois qu’il enseigne.
Ce devoir ne sera-t-il pas plus facilement accompli par le maître, s’il n’a plus à lutter, dès les premières années, contre les dangers des auteurs païens? Aussi l’explication exclusive des textes chrétiens, pour les classes élémentaires, nous paraît-elle offrir un triple avantage.
D’abord, elle fortifie, dans les enfants, la connaissance positive du dogme; et l’on ne se rend pas assez compte de la nécessité de revenir sans cesses sur l’exposition de la vérité catholique. Il faut plus que jamais chercher aujourd’hui l’occasion de faire pénétrer, sous toutes les formes, dans les jeunes âmes, les principes fondamentaux de notre foi. Aujourd’hui plus que jamais, les objections se multiplient; il importe de multiplier les réponses.
Il nous semble encore que la dignité du professeur s’accroît lorsqu’au lieu de se borner à l’explication de mensonges plus ou moins littéraires, il enseigne, avec les formules de la langue, la vérité dont elle est le vêtement.
« La morale, dit M. de Bonald, peut régler la conduite d’un individu; mais le dogme seul forme l’esprit général de la société ».
Si le dogme a réellement une influence sociale, c-est-à-dire une influence pratique continue, ne convient-il pas d’en occuper sans cesse l’esprit des élèves? Enfin, le temps perdu à expliquer la mythologie païenne ne serait-il pas plus utilement employé à développer le dogme chrétien? En posant ces questions, nous ne voulons nous adresser qu’à des maîtres catholiques, nous n’avons pas à nous occuper des autres.
En second lieu, nous nous sommes souvent demandé si les principes et les exemples de la morale païenne ne représentaient pas les plus grands dangers pour l’enfance. Qu’est-ce que cette morale? Un amas de vains mots, quand elle n’est pas la source de tout vice. Ne justifie-t-elle pas tout ce que la morale chrétienne réprouve? L’orgueil, l’intérêt, le plaisir, voilà le triple et constant mobile des actions chez les païens. Est-ce-là le point de départ que vous voulez donner au développement moral de vos enfants? Ne craignez-vous pas de les familiariser avec les infamies de Jupiter, de Mercure, et de Venus? Vous aurez beau condamner ces fausses divinités; elles ont, après tout, quelque chose qui plait; elles n’ont été placées sur les autels, que parcequ’elles avaient de secrètes intelligences avec certains instincts de la nature humaine. Et vous croyez que, sans aucun danger, l’enfance s’occupera, pendant de longue années, de la morale païenne et de tout ce qui l’embellit, et qu’il n’en restera rien!
Mais, en troisième lieu, les auteurs païens nous semblent surtout dangereux par l’influence qu’ils peuvent exercer sur l’imagination. On sait combien cette faculté est active, féconde chez les enfants. Quel aliment lui offrez-vous? Des tableaux empruntés aux Métamorphoses d’Ovide, les querelles des dieux et des héros, les joies de l’Olympe, que sais-je encore? Mais ces images resteront; mais des idées voilées par ces images ;il demeurera quelque chose aussi; ou bien les résultats seront nuls, et le temps aura été perdu.
Et c’est ici que nous croyons devoir insister sur la nécessité de mettre de bonne heure entre les mains des enfants les auteurs chrétiens, dont les ouvrages pourront laisser dans leur imagination ces empreintes pures, qui seront pour eux comme un charme pendant toute la vie. Du reste, les figures que les jeunes imaginations acceptent le plus volontiers, ce sont les figures religieuses. Pourquoi les premières compositions poétiques, que l’on mettra sous les yeux de l’enfance, ne seraient-elles pas des oeuvres chrétiennes?
On à répété bien souvent que le peuple veut être traité comme un enfant; nous renversons la proposition, et nous disons: L’enfant veut être traité comme le peuple. Et c’est pour cela que nous ne craignons pas d’appliquer à l’éducation ce que M. de Bonald dit, avec tant de finesse et de profondeur à la fois, des spectacles populaires, quand il regrette qu’aux anciennes représentations, toujours marquées du cachet de la foi, on ait substitué l’apothéose de toutes les passions, sous le voile d’une morale au moins équivoque et à coup sûr très païenne.
« Nos pères, dit-il, étaient mieux avisés, lorsqu’ils ne montraient au peuple que des mystères et des représentations dans lesquelles les choses les plus sainte étaient, à la vérité, étrangement travesties; mais qui, ridicules aux yeux des hommes instruits, n’étaient point un sujet de scandale pour le peuple, qui sortait de ces pieuses farces tout édifié. N’en déplaises aux beau esprits, ces grossières images étaient moins dangereuses que de fausse idées; et peut-être eût-il mieux valu montrer au peuple la Passion de Jésus-Christ que les passions des hommes….Il ne faudrait au peuple, s’il était possible, d’autres spectacle que celui de la perfection et même dans tous les genres. Les hommes, je le sais, ne peuvent pas toujours élever d’eux-mêmes jusqu’à l’idée de la perfection; mais, lorsque le modèle leur en est représenté, ils ne manquent pas de le reconnaître comme une copie dont ils ont vu l’original quelque part(3) ». On nous nous trompons fort, ou la pensée qui a inspiré ces lignes est la condamnation la plus formelle de ce qui nous repoussons dans l’étude des auteurs païens.
Quand les grands faits des annales chrétiennes auront saisi l’imagination de l’enfant, il y aura moins de danger à l’initier aux fables de la littérature païenne, que nous ne prétendons pas exclure des classes supérieures, mais dont nous ne voulons que pour faire ombre au tableau.
Et ici encore, tout en initiant les élèves aux beautés de la littérature profane, nous pensons qu’il faut surtout former leur goût par l’étude des grands auteurs chrétiens. Mais, dira-t-on, les païens sont des modèles plus parfaits; leur style est plus pur.
A cela Buffon s’est chargé de répondre: « Il n’y a que la vérité qui soit durable, et même éternelle. Or, un beau style n’est tel en effet que par le nombre infini des vérités qu’il présente ». Nous nous demandons, d’après ce principe, où le plus beau style doit se trouver.
Si la proposition de Buffon, est vraie, nous avons à en tirer une conséquence précieuses. C’est que le beau, en littérature et dans les arts, ne saurait être que le reflet du beau moral, et que l’on ne comprendra jamais rien à la perfection en littérature, si l’on n’a l’idée de la perfection en morale. « On ne peut s’empêcher, dit un auteur déjà cité, de remarquer un secret rapport entre le goût de la perfection dans les arts et le goût de la perfection en morale ». Et ailleurs: « Il faut remarquer que le beau qui naît de la grandeur et de tout ce qui s’y rapporte, était connu des anciens et même à peu près, le seul connu. Les sens, qui ont régné dans l’univers, comme ils règnent encore dans l’homme, avant la raison, ne communiquent à l’âme qu’une impression trop vive des beautés sensibles;et c’est ce qui nous porte à les désirer avec une ardeur trop souvent funeste à la société; mais ce que les hommes ignoraient et ce que le Christianisme est venu leur apprendre, c’est que l’extrême opposé de la grandeur et tout ce qui peut s’y rapporter de faiblesse, d’infirmité, de pauvreté, d’abandon, de persécution, de sacrifice, offre aussi des beautés morales et même d’un genre plus touchant, plus doux et par là même peut-être plus pénétrant et plus fort….Je ne peux m’empêcher d’être frappé de la conformité que j’aperçois entre la morale des plus nobles arts de la pensée et la morale de la religion chrétienne…..Mais, si le malheur souffert volontairement pour la vertu, le malheur joint à la grandeur produit, par le contraste de ces deux extrêmes opposés, le plus haut degré du beau moral, de ce beau dont la représentation, même sans réalité, élève nos coeurs et satisfait notre raison, ;le plus extrême malheur qu’il soit donné à l’homme de souffrir, joint à une innocence, à une bienfaisance et à une grandeur infinies, serait donc le beau moral dans un degré infini, et qui passerait de bien loin tout ce que notre esprit peut concevoir de beauté morale. Et s’il existait une doctrine qui personnifiât ce beau moral, je veux dire qui le montrât présent et réel dans une personne, cette doctrine offrirait aux hommes le type même du beau moral absolu, ou du bon, comme un modèle dont ils devraient approcher, mais qu’il ne pourraient égaler, qu’ils pourraient peut-être imiter d’une manière imparfaite, mais qu’ils ne pourraient embellir »(4).
Est-il possible de prouver d’une manière plus forte que le beau moral ne se trouve que dans le Christianisme, et que, pour le contempler dans sa source, il faut remonter jusqu’à l’homme-Dieu? Mais si le beau moral n’est que là, où trouverez-vous le beau littéraire, qui n’est que le reflet du beau moral? Et si les chrétiens n’ont pas encore une littérature, élargissons la question, se les chrétiens n’ont pas encore donné à leurs arts toute la perfection que leur doctrine renferme dans la notion du beau moral, nous serons presque tentés de dire: Tant mieux! Car ce sera pour eux comme un nouvel horizon, vers lequel il leur sera permis de s’élancer, sans se traîner sans cesse à la remorque de certains modèles posés comme des bornes à la puissance productrice de l’esprit humain. De deux choses l’une, ou l’idée du beau moral, qui ressort de la vérité catholique, a produit des chefs-d’oeuvre dans la littérature, dans les arts, et alors on n’a plus qu’à les imiter, en laissant de côté les modèles païens, nécessairement inférieurs; or le beau moral, ;tel que le Christianisme le représente, n’a pas encore suffisamment influé sur la littérature, et c’est aux chrétiens de nos jours à en poursuivre, de tous leurs efforts, la réalisation; mais pour y parvenir, il ne faut certes pas aller s’inspirer des oeuvres païennes.
Dans cette voie aussi nous avons sans doute des devanciers; mais puisqu’il s’agit du beau moral élevé jusqu’à l’infini, nous n’avons pas à craindre de n’avoir plus qu’à glaner après eux. Nous avons bien plutôt à reprendre la chaîne, quelque temps rompue, de nos traditions, à faire disparaître ce que la faiblesse humaine a pu laisser d’imperfections dans ses continuels efforts vers la réalisation d’un type qui ne sera jamais complètement reproduit, à imiter de plus en plus ce type, exposé à tous les regards dans la doctrine chrétienne.
Nous ne manquons pas d’ailleurs de guides. Si, comme l’ont dit les païens eux-même, le beau est la splendeur du vrai, où le beau peut-il se trouver plus que dans les ouvrages qui renferment la plus parfaite, la plus haute, la plus divine vérité? Nous n’ignorons pas que les auteurs chargés d’exposer cette sublime doctrine n’ont pas toujours été à la hauteur de leur tâche; main n’avons-nous pas les ouvrages dictés sous l’inspiration de Dieu même? S. Augustin, dont l’autorité comptera toujours en littérature, n’a pas craint de dire: Non solum nihil eis sapientius, verum etiam nihil eloquentius mihi videri potest. Quoi! l’on a à sa disposition une oeuvre divine, comme modèle de sagesse et d’éloquence, et l’on irait puiser à d’autres sources!
Est-ce à dire que nous repoussions toute autre étude que celle des saintes lettres? Nullement, mais voici les conditions auxquelles nous consentons, avec St. Augustin, à reconnaître l’utilité des études profanes. Utilia sunt ista, nec discuntur illicite, nec superstitione implicant; nec luxu enervant, si tantum occupent, ut majoribus rebus, ad quas adipiscendas servire debent, non sint impedimento(5).
Mais quant aux inventions humaines qui sont en opposition avec l’esprit chrétien; quant à ces connaissances qui peuvent faire paraître l’homme savant sans le rendre sage (Doctus videri, esse autem sapiens nullo modo), S. Augustin ajoute: Quamobrem videtur mihi studiosis et ingeniosis adolescentibus et timentibus Deum beatamque vitam quaerentibus salubriter praecipi, ut nullas doctrinas, quae praeter Ecclesiam Christi exercentur, tanquam ad beatam vitam capessendam, secure sequi audeant, sed eas sobrie diligenterque dijudicent….Alienent etiam studium a superfluis et luxurioris hominum institutis(6). On voit dans quel esprit les Docteurs chrétiens voulaient que fussent dirigées les études de la jeunesse.
Mais le paganisme, dira-t-on, n’est pas seulement dans les auteurs classiques; il est surtout dans le coeur de l’homme. Nous sommes de cet avis, c’est surtout dans le coeur de l’enfant qu’il faut combattre le paganisme. Est-ce donc pour en triompher plus aisément, que l’on veut lui en faire étudier les peintures les plus séduisantes? Franchement, nous ne comprenons pas cette logique. Qu’est-ce, en effet, que le paganisme, sinon la divinisation du règne des sens? On ne trouve guère autre chose dans les auteurs païens; et, quand vous y voyez l’étalage de certaines vertus extérieures, quel en est le principe secret, si ce n’est l’orgueil? Cherchez tant que vous voudrez, les sens et l’orgueil, voilà les deux éléments de toute idée païenne; ajoutez-y l’intérêt.
Si, tout en se réservant de régénérer l’éducation par le Christianisme, on ne voulait, pour l’instruction, que suivre les errements de l’Université et maintenir les études païennes, à quoi bon demander la liberté? Il eût suffi de former des internats, et d’envoyer les élèves aux cours des collèges et des lycées. Mais non; l’on comprend qu’il y a quelque chose de plus au fond de cette grave question, et qu’il faut, tôt ou tard, qu’elle soit tranchée d’une manière définitive.
C’est pour l’étudier que nous faisons appel à tous les hommes qui envisagent l’instruction secondaire au même point de vue que nous, à tous ceux qui voient, dans la pratique de l’enseignement chrétien, une des plus grandes missions qu’il soit donné à l’homme d’accomplir. Nous les conjurons de répondre à cet appel. D’autres plus dignes que nous viendront sans doute bientôt tenir d’une main plus ferme le drapeau que nous osons lever aujourd’hui. Nous reprendrons alors, avec empressement, la place qui nous convient; trop heureux de leur avoir au moins facilité le moyen de se rapprocher, de correspondre entre-eux et de mettre en commun, avec les résultats de leur expérience, les idées à l’aide des-quelles ils pourront féconder leurs travaux et en assurer le succès.
L'ABBE EMM. D'ALZON.2. *Nolo prius aliquis doceas, quod dediscendum est tibi, ut vera doceas* - St. August., t. II, Epist. 118.
3. *Mélanges* t. II. p. 43l-533.
4. M. de Bonald, *Mélanges*, t. II, p. 31-35
5. S. August. *De Doct. Christ*., lib. II, cap. 26.
6. S. August. *De Doct. Christ*., lib. II, cap. 39.