ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.58
  • ARTICLES
  • QUELQUES REFLEXIONS A PROPOS DE L'ENCYCLIQUE
  • Revue de l'Enseignement chrétien, II, n° 12, mai 1853, p. 257-267.
  • TD 6, P. 58.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU PAPE
    1 ATHEISME
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CONCILE PROVINCIAL
    1 CONCORDATS
    1 DEFENSE DE L'EGLISE
    1 DOCTRINES ROMAINES
    1 DROIT COUTUMIER
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENCYCLIQUE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DU DOGME
    1 ENSEIGNEMENT DU DROIT CANON
    1 EPREUVES DE L'EGLISE
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 GALLICANISME
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 JURIDICTION EPISCOPALE
    1 LITURGIE ROMAINE
    1 PAPE DOCTEUR
    1 PAPE GUIDE
    1 PERSECUTIONS
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 POUVOIR TEMPOREL DU PAPE
    1 PROTESTANTISME
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 SAINT-SIEGE
    1 SUFFRAGE UNIVERSEL
    1 ULTRAMONTANISME
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VICAIRE APOSTOLIQUE
    2 BLANC, ABBE
    2 BONIFACE VIII
    2 BOUIX, MARIE-DOMINIQUE
    2 GREGOIRE VI
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 PHILIPPE LE BEL
    2 PIE IX
    2 PIE V, SAINT
    2 PIE VI
    2 PIE VII
    2 ROHRBACHER, RENE-FRANCOIS
    3 ANGLETERRE
    3 HOLLANDE
    3 WESTPHALIE
  • mai 1853
  • Nîmes
La lettre

Depuis un certain nombre d’années, l’esprit religieux agite les âmes; et il ne faut pas croire que ce soit là simplement un sentiment de vague religiosité. Le dix-huitième siècle avait conduit l’incrédulité jusqu’à ses limites extrêmes. Un mouvement en sens contraire s’est manifesté, qui de la poésie a passé aux questions les plus fondamentales de la foi. Il faudrait être bien aveugle pour ne pas reconnaître ce mouvement. On comprend néanmoins qu’il n’ait pas frappé d’abord tous les yeux. Mais, en allant au fond des choses, on n’est pas seulement forcé d’avouer les résultats déjà produites; on ne peut encore s’empêcher d’en prévoir beaucoup d’autres.

Pour bien apprécier ce qui nous réserve l’avenir, il faut étudier avec précaution les antécédents historiques à une assez grande distance dans le passé.

L’Eglise, après la chute de l’empire romain, avait aidé les sociétés barbares formées des débris du vieux monde à se constituer chrétiennement; et, pour accomplir ce travail, elle dut accepter nécessairement dans la politique une part que lui faisaient eux-mêmes les peuples et les rois. Quand elle eut fini son oeuvre, Philippe-le-Bel, la souffletant sur la joue de Boniface VIII, lui dit au nom de l’Europe: Nous n’avons plus besoin de toi. Et, dès lors, la puissance politique des Souverains Pontifes alla toujours en déclinant. La Réforme profita de cette disposition des esprits; les gouvernements catholiques eux-mêmes trouvèrent bons les principes qu’elle introduisait, et la raison d’Etat triompha d’une manière définitive au traité de Westphalie. Ce qu’à partir de cette époque les Souverains Pontifes eurent à souffrir d’humiliations de tous genres, de la part des gouvernements les plus chrétiens et des princes les plus pieux, est quelque chose d’inouï. La fin du dix-septième siècle et tout le dix-huitième ne sont qu’une longue série d’insultes légales contre le Saint-Siège; car c’était toujours au nom de la loi qu’on prétendait enchaîner l’Eglise, et nous connaissons peu de documents aussi curieux sur ces incroyables vexations qu’une collection de concordats, pragmatiques sanctions, lois et arrêts en matière ecclésiastique, faite au nom du parlement anglais qui, au commencement du siècle, ordonna aux ambassadeurs de Sa Majesté britannique en Europe de réunir toutes les pièces relatives aux rapports de l’Eglise avec l’Etat dans les différents pays(1). Il suffit de jeter les yeux sur quelques-unes de ces tristes pages pour voir combien ont été providentiels les résultats des diverses révolutions dont nous avons été témoins, depuis soixante-dix ans bientôt.

Il était impossible pour l’Eglise de subsister dans de pareilles conditions. Ce mélange d’hommes menteurs et de blessures continuelles devait infailliblement la bannir du sol européen, si Dieu n’avait mis un terme à de pareilles attaques et à de pareilles dérisions.

Pour reconquérir sa liberté, il fallait sans doute que l’Eglise fit de grands sacrifices; mais quels sacrifices peuvent coûter quand il s’agit de reconquérir le droit de vivre librement?

Et toutefois, l’on conçoit que les pertes matérielles auxquelles il a fallu se résigner aient, dans les premiers temps, plus frappé certains esprits que les avantages réels d’un douloureux affranchissement. Quoi qu’il en soit, nous ne pensons pas que les yeux les moins attentifs puissent ne point voir aujourd’hui le développement de l’influence religieuse depuis plus d’un demi- siècle. Il semblait nécessaire que l’Eglise, dont il avait fallu que le berceau fût arrosé par le sang de tant de pontifes romains, trouvât dans la mort d’un pape au sein de l’exil un principe de vigueur nouvelle. En effet, à peine les orages révolutionnaires sont-ils calmés en France, que le successeur de Pie VI, élu dans des circonstances si extraordinaires et au moment où l’on déclarait la chaire de S. Pierre à jamais renversée, accomplit l’acte de la puissance pontificale le plus étonnant peut-être depuis l’origine du Catholicisme. L’Eglise d’un grand peuple brisée dans sa hiérarchie, sa constitution particulière, ses coutumes; près de cent trente évêques dépouillés de leurs droits, au nom du premier des pasteurs; une nouvelle juridiction formée sur les débris de cinquante diocèses; des rapports nouveaux établis entre l’Eglise et l’Etat; les germes d’une liberté nouvelle jetés dans un sol si étrangement bouleversé; voilà ce qu’à inauguré Pie VII, voilà la première pierre de l’édifice que ses successeurs ont continué avec une inébranlable persévérance.

La révolution avait passé de la France aux autres Etats européens; l’Eglise devait, dans ces mêmes Etats et presque toujours de la main de ses ennemis, recevoir les mêmes avantages. Après de durs combats, elle devait voir chaque fois grandir sa liberté.

Tel est le spectacle qui, malgré quelques exceptions, frappe les esprits les plus prévenus: Au milieu de bouleversements qui troublent les sociétés chrétiennes, la puissance morale de l’Eglise s’élève et s’accroît par une action continue.

II. Mais l’Eglise n’est point une association vague et indéterminée, sans doctrine précise comme le protestantisme, sans but connu comme ce que certains philosophes appellent l’Humanité. L’Eglise a des lois qui régissent tous ses enfants et qu’elle sait cependant modifier selon les temps et les lieux; l’Eglise est une société vivante; elle communique la vie à chacun de ses membres parce qu’elle a un chef. Or, si la vie, dans ces derniers temps, semble couler plus abondante dans les veines de ce grand corps, c’est que celui qui en est le centre a dominé la situation générale, toujours plus fort et plus respecté à l’aide même des obstacles qui semblaient devoir l’affaiblir. Certes, Pie IX au Vatican n’exerce pas la même espèce de puissance que S. Grégoire VII; nous croyons qu’il en exerce une plus grande peut-être. Son action sur l’Eglise, acceptée avec un empressement si grand et un si grand amour par tous les hommes de foi, lui assure le droit de diriger vers les destinées les plus merveilleuses la barque qui lui est confiée.

Voilà ce qu’il faut bien aujourd’hui reconnaître; et, après tout, ne le reconnaît-on pas généralement, les uns pour s’en réjouir, les autres pour s’en effrayer? Comment ce changement dans les esprits a-t-il eu lieu? Comment Rome, si affaiblie par ses luttes avec les gouvernements à travers tout le dix-huitième siècle, reprend-elle peu à peu ses droits? Sans doute, d’abord, parce que Dieu l’a de nouveau placée dans cette condition nécessaire de toutes ses victoires, la persécution; sans doute aussi parce que Dieu, dans les tourmentes révolutionnaires, a incessamment balayé et balaie encore les gouvernements persécuteurs; mais surtout parce que les catholiques semblent résolus à profiter des bouleversements accomplis sous leurs yeux, et parce qu’au milieu des grandes instabilités dont ils sont témoins, ils sentent le besoin de s’attacher, avant tout, au seul pouvoir qui ait reçu les promesses de dominer les attaques de l’enfer et les révolutions de la terre.

Cette dernière raison, il n’en faut pas douter, est une de celles qui ont le plus contribué à dissiper certains préjugés contre Rome, en d’autres termes les doctrines gallicanes. Les peuples ont trop fait sentir leurs caprices aux rois pour que ceux-ci, au milieu des préoccupations que leur donne le principe de la souveraineté du peuple, puissent être désormais bien inquiets des prétentions ultramontaines; et ce côté de la question est, nous le pensons du moins, pour longtemps écarté.

Reste l’action suprême du Souverain Pontife sur l’Eglise; mais, plus les papes laissent les rois et les peuples vider à eux seuls leurs débats, plus l’exercice de leur pouvoir devient indépendant pour le bien de l’Eglise. Et c’est sous ce rapport que nous ne saurions trop admirer la marche providentielle que suivent les idées depuis un certain nombre d’années. Qui, en effet, au moment où M. de Maistre se fit en Europe le porte-étendard de l’infaillibilité pontificale, eût pu prévoir cette transformation si rapidement accomplie au sein du clergé et parmi les catholiques de France? Qui eût pu conjecturer avec quelque vraisemblance l’entraînement si soudain d’une pareille initiative? Cependant, le sol était préparé pour recevoir cette semence; et, s’il est permis de le dire, une lumière dominait toutes les démonstrations de la science théologique: c’était la grande leçon des catastrophes accomplies et des révolutions imminentes. On comprenait la nécessité d’un pouvoir unique et fort dans la société spirituelle, en face des déchirements des sociétés politiques; et l’ultramontanisme, ce scandale des deux derniers siècles, devenait, pour les âmes fatiguées de tant d’orages, le port où elles s’abriteraient au moment du danger.

Tel est, suivant nous, le vrai motif du mouvement accompli, depuis vingt-cinq ans surtout, dans le clergé et parmi les catholiques instruits et sincères. Ce progrès peut-il être désormais arrêté? Nous ne le pensons pas; nous croyons, au contraire, qu’il ira toujours croissant sous l’oeil d’un grand nombre de nos Pontifes et les bénédictions de Rome.

III. Est-ce à dire pour cela qu’aucune résistance ne sera faite, et que plusieurs esprits, sages et prudents, du reste, ne seront pas effrayés d’un mouvement qui, pour eux, a l’apparence de la nouveauté? Le croire serait se bercer d’une étrange illusion. Oui, il y aura de la résistance et il convient qu’il y en ait. L’opposition viendra de deux côtés: de la part des ennemis de l’Eglise alarmés de voir l’attitude prise par ses défenseurs, et de la part de certains de ses membres. En un sens, les premiers sont peu redoutables, puisque nous savons quel est leur but et quel est le nôtre. Nous sommes plus embarrassés à l’égard d’hommes estimables, dont le savoir et les vertus incontestés ont droit à toute notre vénération, et qui parlent au nom des traditions créées par ce qu’on est convenu d’appeler l’Eglise gallicane. Après tout, les combattre n’est pas bien nécessaire. Dans un Mémoire sur les droits coutumiers écrit évidemment par les plus modérés d’entre eux, il est constaté que, depuis vingt ans, le jeune clergé est passé en masse aux doctrines romaines; il n’y a donc qu’à laisser faire; et, sans controverse, le gallicanisme périra au sein du clergé, faute de partisans. S’ensuit-il que ce retour vers Rome ne doive pas être aidé? Ce serait une grave erreur que de le croire. Comment le favoriser? C’est là une des questions aujourd’hui les plus importantes, et sur laquelle la nouvelle Encyclique vient de jeter les plus abondantes lumières.

IV. Disons-le tout d’abord: la controverse sur les principes romains est close désormais; il en est du gallicanisme comme de toutes les erreurs qui ont pris leur origine dans quelque cause philosophique, politique ou morale. Il s’est développé sous l’aile du pouvoir; il avait acquis une extension, un moment formidable pour la constitution de l’Eglise, quand tout à coup, le vent des révolutions ayant ébranlé le trône de ses protecteurs, il n’a plus eu pour soutien que les avocats et les amis de l’ordre légal. Est-ce à dire pour cela que son esprit soit entièrement mort? Certainement non! il vivra aussi longtemps que dureront les questions agitées entre les deux puissances. Mais il n’est pas moins vrai que les leçons de ces derniers temps ont profité à tous les catholiques sincères à qui la logique de l’histoire a fait tirer des conclusions inaperçues peut-être encore pour quelques doctes théologiens. La société chrétienne sent plus que jamais ce besoin d’unité; elle sent qu’elle ne peut l’obtenir qu’à la condition de se grouper chaque jour de plus en plus autour du centre commun. D’une part, l’état actuel des choses montre clairement l’impossibilité de ces conciles généraux, auxquelles certains esprits voudraient remettre la décision définitive des grandes questions; d’autre part, les dangers auxquels a été et est encore exposé l’Eglise font sentir l’urgence d’une direction énergique et prompte. Quand la tempête menace d’engloutir le navire, la voix qui commande la manoeuvre doit être obéie de tous, et son autorité se puise dans le sentiment même du danger commun.

La question ultramontaine n’en est donc plus une aujourd’hui; en France, nous en revenons à penser ce qu’on pense dans le reste du monde catholique; et quand, parmi nous, il ne restera pas plus de gallicans qu’il n’y reste de jansénistes, où donc le gallicanisme se réfugiera-t-il?

Mais suffit-il de poser des principes et ne faut-il pas arriver à en déduire les conséquences? Il est malheureusement trop vrai que, sous l’influence de certaines idées admises comme incontestables chez nous, un grand nombre des meilleurs esprits qui, depuis vingt ans, se disent ultramontains, sont parfaitement gallicans dans la pratique. Et peut-être étonnerions-nous plus d’un de nos lecteurs, qui croient du fond de l’âme l’infaillibilité du Pape, en leur demandant par quels principes, dans certaines circonstances, ils règlent leur conduite. La contradiction qui subsiste entre l’attachement à la Chaire infaillible et telles propositions énoncées sans le moindre scrupule, sera certainement plus tard un des faits les plus curieux de l’histoire ecclésiastique. Ne nous en affligeons pas trop cependant; car chaque jour les contradictions tendent à disparaître et la transformation qui s’opère présage à l’unité catholique un de ses plus magnifiques triomphes.

Ce travail, toutefois, ne se fera pas sans effort; il y aura de grands étonnements, peut-être même des tentatives de scandale; mais la semence est jetée, elle a même percé la terre; l’arbre produira ses fruits en son temps. On comprend qu’à ce point de vue un monde nouveau, pour ainsi dire, s’ouvre aux études théologiques de notre jeune clergé; il s’agit pour lui, non seulement d’établir que la lumière vient de Rome, mais encore, à l’aide de cette lumière, de reprendre une foule de questions traités, il y a longtemps, dans notre pays, tout autrement que Pie IX ne veut qu’on les traite. Déjà quelques théologiens ont ouvert la tranchée. M. l’abbé Rohrbacher, dans son Histoire ecclésiastique, a déblayé le terrain; M. l’abbé Blanc, quoique avec plus de prudence, pose dans son Cours d’intéressantes thèses; nos prélats même ne craignent pas de descendre dans l’arène; mais celui de nos écrivains qui, dans ces derniers temps, a jeté le plus de clartés nouvelles sur les matières controversées, c’est incontestablement M. l’abbé Bouix. Grâce à lui, les études sur le droit canon, en reprenant leur importance, nous permettront de renouer la chaîne de traditions trop longtemps interrompues, et, tout en nous montrant les modifications profondes apportées à la discipline de l’Eglise par nos modernes révolutions, de nous attacher plus que jamais aux principes généraux du droit commun.(2)

V. Evidemment, l’on ne s’arrêtera pas là et la parole du Souverain Pontife, qui s’est fait entendre avec tant de modération et d’autorité, entraînera nécessairement dans la voie qu’elle vient d’indiquer les esprits préparés déjà par les controverses aux-quelles Pie IX juge à propos de mettre un terme. A quoi se réduit en effet, l’Encyclique que le monde catholique et la France, en particulier, ont accueillie avec tant d’obéissance et d’amour? Pie IX ne dit- il pas à ceux à qui il s’adresse: Des discussions se sont élevées parmi vous; le bien commun de l’Eglise exige qu’elles cessent; commencez à entrer dans de communs sentiments, et, pour cela, acceptez toute la pensée, l’enseignement et la direction de votre chef infaillible?- L’Encyclique dit-elle autre chose?

Et ces paroles ayant été reçues de tous comme elles l’ont été, par quelques- uns même avec une si courageuse obéissance, qui oserait affirmer que le gallicanisme n’est pas bien mort? A la vérité, nous avons entendu quelques hommes prudents manifester la crainte qu’une fois les principes posés par l’Encyclique admis de tous, Rome ne veuille réduire les Evêques à l’état de Vicaires Apostoliques. Y songe-t-on? Peut-on évoquer de pareils fantômes au moment où l’on vient de voir le Saint-Siège combattre, comme il l’a fait, pour rendre aux Vicaires apostoliques d’Angleterre et de Hollande leurs titres épiscopaux?

Cette objection écartée, que reste-t-il, sinon une impulsion puissante donnée au mouvement vers l’unité qu’appelle la presque unanimité des chrétiens, effrayés par les périls auxquels l’Eglise a été exposée? On aura beau faire, la Providence a disposé les esprits des catholiques de telle sorte que, à peine une controverse soulevée, tous les regards se tournent du côté de Rome pour lui demander une solution; et Rome, avec sa sagesse divine, se montre résolue à répondre aux désirs de ses enfants. Quelques-uns s’en affligent; qu’importe? On n’empêchera pas le pouvoir moral des Souverains Pontifes de diriger le monde chrétien. Et c’est pourquoi nous croyons de la plus haute importance de méditer sans cesse l’Encyclique, non-seulement dans son ensemble, mais aussi dans ses détails, afin d’en saisir toute la portée. On ne saurait trop se pénétrer, en effet, des intentions du premier Pasteur, pour se rendre compte des développements qu’il indique si clairement à l’activité catholique.

Et, premièrement, on ne niera plus que le Pape ne soit favorable à la tenue des conciles. Pie IX félicite ceux de nos Evêques qui ont fortifié leur pouvoir dans ces vénérables assemblées, et renouvelé leur zèle pour le gouvernement de leur troupeau; et les motifs qu’il leur donne sont trop puissants pour qu’on n’espère pas que de nouveaux conciles ne viennent accroître le bien opéré déjà par les premiers. « Ut in vestris Dioecesibus et fidei depositum integrum inviolatumque custodiatur, et sana tradatur doctrina, et divini cultus honor augeatur, et Cleri institutio ac disciplina corroboretur, et morum honestas, virtus religio, pietas undique fausto felicique progressus magis in dies excitetur et confirmetur. » Mais cette question ne nous regarde pas directement; aussi nous bornons-nous à citer.

La joie que cause au Souverain-Pontife le retour presque universel à la liturgie romaine; la valeur qu’il rend au besoin à la constitution de S. Pie V; le sens qu’il donne à ce mouvement vers l’unité du culte; tout cela est bien propre à encourager ceux qui, depuis quelques années déjà, appelaient de leurs voeux le réforme liturgique. Nous ne disons rien des conseils donnés à propos des études classiques; ceci ressemblerait à un triomphe, et nous préférons nous taire; mais nous ferons remarquer avec quelle importance on traite les études sacrées. Voilà certes de quoi repousser les assertions imprudentes de ceux qui disent que les études théologiques trop fortes sont un danger. Qu’il nous soit permis d’admirer aussi la maternelle bienveillance avec laquelle l’Eglise sait convoquer autour d’elle tous ses enfants, et les appeler à concourir, avec ses défenseurs naturels, au service de la cause commune.

Mais la pensée de Pie IX nous semble surtout se révéler dans l’invitation si souvent répétée de prendre pour mot de ralliement les droits de la Chaire apostolique, et d’exciter de plus en plus l’amour des peuples pour l’Eglise et pour le Siège suprême qui en est le centre. « Omni igitur episcopalis vestrae vigilantiae studio nihil unquam, neque réjouir neque verbis, praetermittite quo fideles ipsi hanc S. Sedem magis magisque ex animo diligant, venerentur omnique obsequio excipiant, et exsequatur quidquid Sedes ipsa docet, statuit atque decernit. » Ces paroles, adressées d’abord aux Evêques, le sont également à tous les prêtres et à tous les chrétiens; nous sommes heureux de les prendre pour notre devise et pour point de départ de tout notre enseignement.

Pour mieux faire comprendre son intention immuable, Pie IX annonce la condamnation du fameux Mémoire sur le droit coutumier, et ceci est grave, après tant de sentences du même genre rendues depuis peu, la réprobation d’un écrit aussi modéré en apparence que le Mémoire, annoncée d’une manière aussi solennelle, indique la pensée arrêtée de mettre obstacle à toute manifestation de principes en opposition avec les doctrines romaines.

Conciles provinciaux, liturgie, études classiques et sacrées, droits et devoirs des écrivains laïques, puissance incontestée du Siège infaillible, répression de tout ce qui tendrait à en discuter les imprescriptibles droits, n’est-ce pas le résumé de toutes les controverses modernes, et l’Encyclique n’en donne-t-elle pas la plus claire et la plus paternelle solution? Quand Rome a-t-elle parlé avec plus de douceur et plus de force? Quand ses paroles ont-elles été accueillies avec un plus filial amour? Ne sent-on pas dans la voix du Pontife non-seulement le juge qui décide, mais le docteur et le père qui guide et qui conduit? Pour nous, nous l’avouons, l’Encyclique nous découvre un nouvel horizon; et, sans pouvoir déterminer d’avance quels seront tous les féconds résultats de cet acte solennel, il nous paraît impossible que ceux qu’elle signale ne soient pas désormais des conquêtes assurées, et que tous les coeurs catholiques ne se sentent pas excités à se grouper autour du Chef de la famille, pour se préparer à de nouvelles luttes, sans doute, mais aussi à des triomphes nouveaux.

L'Abbé Emm. D'ALZON.
Notes et post-scriptum
1. *Report from the select Committee appointed to report the nature and substance of the laws and ordinances, existing in foreign states, respecting the regulation of their Roman Catholic subjects, in ecclesiastical matters*, etc. -Ordered by the House of Commons to be printed. -25 June 1816.
2. M. l'abbé Bouix, qui a obtenu un bref de Pie IX, pour son *Traité du Concile provincial*, vient de recevoir un titre encore plus flatteur à la confiance du clergé; son premier volume *Sur les Principes du droit canon* a été, par l'ordre du Pape, admis comme livre classique dans le Collège ecclésiastique fondé récemment à Rome en faveur des Protestants convertis qui veulent entrer dans le sacerdoce.