ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.86
  • ARTICLES
  • DE LA REFORME DE L'ENSEIGNEMENT
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N.S., I, n° 1, mai 1871, p. 56-64.
  • TD 6, P. 86.
Informations détaillées
  • 1 CATECHISME
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONSTITUTIONS PONTIFICALES
    1 DECADENCE
    1 DOCTRINES ROMAINES
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT UNIVERSITAIRE
    1 FACULTES DE THEOLOGIE
    1 GALLICANISME
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LIBERALISME
    1 LIBRE PENSEE
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 OUBLI DE SOI
    1 PAPE DOCTEUR
    1 PERSECUTIONS
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 SOUMISSION DE L'ESPRIT
    1 TOLERANCE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 PIE IX
    3 ALLEMAGNE
    3 FRANCE
    3 ROME
  • mai 1871.
  • Nîmes
La lettre

Tout nous avertit de la nécessité d’un réforme radicale sur tant de points religieux, sociaux et politiques, qu’il peut bien être permis d’examiner quelle doit être la part de l’enseignement dans la réforme si nécessaire de toutes choses.

I. Pour les catholiques, le Concile du Vatican est une lumière providentielle qui les avertit de l’importance attachée par l’Eglise à la nécessité de donner à l’enseignement, en face des théories délétères de la libre-pensée, quelque chose de plus précis pour les masses; c’est ce qu’indique le décret sur le catéchisme universel. En même temps, la constitution sur l’Infaillibilité nous fait voir combien était indispensable la proclamation d’un docteur doué du privilège permanent de frapper les erreurs, de fixer les vérités nécessaires aux temps présents, sans que les vaines chicanes du gallicanisme théologique ou gouvernemental vinssent, avec un plus ou moins hypocrite respect, dire au vicaire de Jésus-Christ: Vous ne savez ce que vous enseignez.

Si l’on ajoute à cette considération cette autre marque que la première constitution dogmatique du Concile a pour but d’atteindre les grandes erreurs philosophiques du jour, on arrivera a cette conclusion que Pie IX a voulu faire examiner, dans les délibération conciliaires, d’une part les grands écueils de la pensée humaine, de l’autre le moyen le plus assuré d’en prévenir les conséquences funestes, d’en guérir les maux de toute espèce, en montrant, dans un juge infaillible du vrai et du faux, du bien et du mal, le vrai médecin des intelligences et des sociétés malades.

Mais alors, pour tout chrétien, il ressort inévitablement ceci; que les chancres moraux qui rongent en ce moment l’humanité ont un rapport direct avec l’enseignement, considéré à son point de vue le plus élevée; en second lieu que, pour être efficace comme remède, l’enseignement doit s’appuyer tous les jours davantage sur celui qui, comme Jésus-Christ et par lui, a perpétuellement les paroles de la vie éternelle.

Voilà donc écartées, du premier coup, les vieilles défiances nationales contre l’enseignement de Rome; voilà renversé cet antagonisme savant et subtil, au nom duquel, tout en protestant de l’amour filial le plus tendre pour le Docteur perpétuellement vivant des nations, on déclarait que, par une incompréhensible fatalité, les docteurs secondaires, dont la chaire était entourée, n’avaient pas le sens commun; en sorte que ceux qui étaient le plus près de la source de la Vérité étaient précisément ceux qui y puisaient les eaux les moins pures.

Si le Pape est infaillible, ceux qui l’entourent participent de plus près non pas à son infaillibilité, mais aux bienfaits de cette infaillibilité, aux lumières qui en jaillissent; sous une surveillance plus rapprochée, ils sont moins exposée à certains écarts, et ont l’heureuse fortune d’être plus promptement avertis, ramenés, ou même frappés au besoin.

N’en demandons pas davantage au sujet de l’enseignement donné plus spécialement sous les yeux du Souverain-Pontife; cette considération suffit pour conclure que, si le centre de la Vérité enseignée c’est le Pape, ceux qui enseignent autour de lui ont des chances presque certaines d’être les plus fidèles échecs de cette vérité dans leur enseignement.

Si cette conclusion est exacte, nous sommes forcés d’arriver à une autre non moins importante. Ce que j’appellerais le grand péché d’une certaine école, c’est la défiance; on se défiait du Pape, on défiait de l’enseignement donné en son nom. Toute doctrine, venue en France de par delà les monts, était absurde, exorbitante comme prétention autoritaire, abominablement relâchée comme morale, dépourvue de toute puissance philosophique, et le reste. Tels sont les refrains qui retentissaient à nos oreilles; il n’y a pas encore assez longtemps pour que nous les ayons déjà oubliés. Qu’en résultait-il? la perte du respect pour le plus haut enseignement visible des vérités divines dans leurs applications aux maux présents. Si l’on veut nous permettre la familiarité de l’expression, on finissait par trouver que, de l’enseignement de Rome, il était bon d’en prendre, mais aussi d’en laisser. Naturellement ce qui était laissé l’emportait considérablement sur ce qui était pris. On faisait son choix selon mille convenances personnelles de position, de temps, de nationalité; et c’est ainsi que s’enracinait, en face de l’enseignement de Rome, une défiance trop souvent voisine du mépris. Ceux qui ont entendu certaines propositions émises pendant le Concile, soit à Rome, soit ailleurs, peuvent dire si j’exagère.

Eh bien! le fruit réellement chrétien de l’Infaillibilité reconnue sera, on n’en saurait douter, pour les hommes de bonne volonté, de rétablir la confiance là où la défiance avait beaucoup trop régné.

Est-ce à dire que toute proposition sortie de la bouche ou de la plume d’un docteur romain doive être immédiatement et sans discussion reçue comme parole d’Evangile? L’admettre serait insensé tout d’abord, et de plus, ce serait surtout nier cette admirable liberté d’opinion et de controverse qu’à Rome on respecte plus que partout ailleurs, quand il ne s’agit pas du fond de la doctrine. Sécurité dans l’esprit d’obéissance, liberté au nom du sentiment de cette obéissance même: voilà ce qui garantit, avec l’immuable attachement à la foi, la plus grande puissance d’efforts pour élargir sans danger les horizons de cette même foi.

Mais quoi! si la source de la vérité est à Rome, d’où elle se répand sur toute l’Eglise; si les docteurs romains, plus près du Souverain-Pontife, ont plus que d’autres l’avantage de n’émettre aucune proposition fausse sans être plus promptement ramenés à l’exactitude théologique, n’est-il pas évident que rien n’est désirable comme les relations plus fréquentes avec les grandes écoles romaines?

Je demande la permission d’écarter tout de suite, et en passant, une objection. Quoi! diront quelques-uns, c’est aujourd’hui que vous voulez pousser vers Rome, lorsque Pie IX prisonnier, le Sacré-Collège réduit à se cacher, les prêtres insultés, les religieux menacés d’expulsion avertissent assez que l’Eglise et son enseignement sont loin d’être libres! Je pourrais répondre que le concours plus nombreux des jeunes théologiens de toutes les nations pourrait être un appoint social assez fort contre les ennemis de la Papauté et de ses doctrines, si dures pour la Révolution; mais je vais droit à la question: Eh bien! oui, il y a, dans ce moment, oppression, envahissement des chaires, usurpation. Pour dire toute ma pensée, jamais la parole inspirée: salutem ex inimicis nostris n’avait eu une plus frappante application. Oui, comme dans toutes les choses humaines, comme en Allemagne, comme en France même, l’enseignement, à Rome, pouvait avoir des imperfections que la main de l’homme eût difficilement fait disparaître. Voilà pourquoi Dieu a forcé le diable à y mettre la sienne. A Rome, c’est un vieil usage que les gens du bagne sont chargés de balayer les rues; et, quand le balai des galériens les a nettoyées, les gens honnêtes les parcourent plus facilement. Tenez pour sûr que le passage des révolutionnaires par certaines chaires aura le même effet; certaines chaires seront plus nettes, les professeurs légitimes, quand ils y reviendront, y seront plus à l’aise et les auditeurs aussi.

Voilà, par exemple, une réforme dont il est inutile de s’occuper, mais où il fut reconnaître le dessein de Dieu, quand elle se fait.

Tenez pour certain que, avant un temps plus ou moins prochain, après les épreuves du moment, les universités romaines brilleront d’un nouvel éclat conforme à l’esprit du Concile, qui, comme le disaient à Rome bien des Evêques, aura été un Concile d’études. L’autorité plus incontestée de l’enseignement romain, la confiance plus grande qu’il inspirera par son voisinage du Docteur infaillible: voilà tout d’abord une cause des réformes les plus heureuses et sur lesquelles nous aurons à revenir plus tard.

II. Il est d’autres transformations imposées, ce semble, par les temps douloureux que nous venons de traverser.

Jadis l’esprit français était un esprit militaire, chevaleresque; nous avons mis à la place l’esprit utilitaire, mercantile, égoïste, matérialiste. Notre ancien esprit reposait sur le dévouement, et le dévouement lui-même sur les fortes convictions de la foi et des éternelles espérances. On savait se sacrifier, souffrir, mourir même avec joie, parce que l’on comptait sur un monde meilleur. Où en sont, à cet égard, les esprits, les coeurs surtout? Sauf quelques exceptions fournies et par les populations encore croyantes et par quelques groupes composé de ceux qui risquent tout parce qu’ils n’ont à espérer que dans l’anarchie, quel spectacle d’affaissement universel la France n’a-t-elle pas fourni? Qu’ont été, après tout, surtout dans les grandes villes, ceux qu’on appelle les honnêtes gens? Leur intérêt personnel les a comme paralysés, parce que les énergiques inspirations manquaient.

Il faut du moins que la rude leçon infligée par la Providence à la France entière fasse comprendre que l’instruction n’est pas seulement un moyen d’acquérir certaines connaissances indispensables à qui veut s’ouvrir une carrière et faire son chemin; il faut donner à l’enseignement un but plus élevé, celui de former l’homme moral à l’aide de principes inébranlables, à l’aide de ces grandes vérités qui s’appuient sur la vérité religieuse, et par cette vérité agrandissent l’homme en lui apprenant ses rapports avec Dieu et avec ses semblables sous l’oeil de Dieu. On a, au nom de la tolérance, beaucoup rabaissé la sublime mission d’enseigner. Sous prétexte de ménager les croyances diverses, on les a écartées toutes; singulier système, qui, au nom du respect des convictions individuelles, aboutit à l’indifférence et au mépris de toutes les convictions.

Eh bien! si un fait est aujourd’hui palpable, c’est que la grande haine contre Rome vient surtout de ce qu’elle n’a jamais pactisé avec les accommodements révolutionnaires, tolérants ou libéraux des habiles du jour. Rome a toujours proclamé les droits de la vérité, et c’est ce qu’on n’a pu lui pardonner.

Mais lorsqu’on voit aujourd’hui à quels abîmes nous ont conduits la tolérance et le libéralisme universitaires, il faut être cruellement aveugle pour refuser de voir la nécessité d’une profonde réforme imposée à la société dans son enseignement, et dont le premier acte sera la destruction de l’Université.

Qu’on ne se le dissimule pas, les catholiques doivent choisir. Une guerre à mort est déclarée entre l’Eglise et l’Université, je dirai même entre l’Université et la France. Veut-on l’Eglise catholique? Qu’on supprime l’Université. Veut-on que la France, sans conviction, sans foi, n’ayant aucune vérité à opposer aux appétits de la Commune entendue dans le sens le plus effrayant mais le plus logique du mot, sombre bientôt dans la tempête, qu’on lui laisse l’Université et ce sera vite consommé. Donc réforme radicale de l’enseignement en France par la destruction de l’Université et de son enseignement sceptique.

III. Du moment que l’on constate la nécessité de détruire l’Université, il n’y a qu’un parti à prendre: c’est de former des universités. Sans doute ceci regarde NN. SS. les Evêques, mais à une condition, c’est que le clergé et les catholiques leur viendront en aide. Il y a toute une croisade à entreprendre, sur laquelle aujourd’hui nous ne voulons rien dire, sinon qu’il y a tout à faire, ne fût-ce que pour faire cesser les situations les plus fausses d’hommes personnellement fort honorables et j’ajouterais les plus coupables, si elles devaient persister après la lumière qu’ont projetée sur elles de récentes discussions.

Qu’est-ce, je vous prie, par exemple, qu’une faculté de théologie dont les professeurs sont nommée par un ministre anticatholique comme le ministre actuel de l’instruction publique, au nom d’un gouvernement dont la foi religieuse est de n’en avoir aucune? Je sais bien que l’on peut s’entendre avec l’archevêque du lieu où la faculté est établie; mais, s’il y a divergence entre les deux pouvoirs sur le choix des sujets, qu’arrivera-t-il? Ou le professeur se séparera du ministre, et alors il ne professera pas; ou bien il se séparera de l’évêque, et alors il sera schismatique. Serait-il bien difficile de nommer tels ou tels professeurs de théologie gouvernementale à qui certains évêques de France adresserait de sérieuses observations, supposé qu’ils ne leur fermassent pas la bouche, s’ils enseignaient sous leur juridiction? Il est bon que les choses en soient venues au point où elles en sont, afin de constater combien il est dangereux qu’elles durent plus longtemps ainsi.

Et les grades théologiques, au nom de qui sont-ils conférés? Au nom de l’Etat, direz-vous. Ceci serait trop fort. Au nom de l’Evêque du lieu? Mais, outre qu’il ne peut les faire donner que pour son diocèse, remarquez qu’il en est des grades théologiques dans l’Eglise comme des distinctions honorifiques dans l’Etat. Un ruban rouge, bleu, vert, n’est rien sans doute; mais du moment que l’Etat s’en est emparé pour ses récompenses, nul citoyen n’a plus, sans permission, le droit de la porter. Or, les Souverains-Pontifes ont institué, dans l’Eglise, les grades de théologie; dès lors, ce n’est plus qu’en leur nom qu’ils peuvent être conférés. Une faculté de théologie qui ne confère pas les grades, qu’est-ce que c’est? Et je ne sache pas que le Pape ait accordé encore à ces institutions interlopes, le privilège de pareilles collations.

Je n’en dirai pas davantage aujourd’hui sur cet immense sujet, qu’il faudra bien examiner avec toute l’attention qu’il mérite, à moins que des correspondants, plus compétents que nous, ne veuillent nous éclairer de leurs lumières.

Mais le principe posé de l’incompétence absolue de l’Etat, en matière théologique, ne nous amène pas seulement à nier son droit d’avoir des facultés de théologie. Quel droit a-t-il à donner un enseignement religieux quelconque, lui qui n’a pas, qui ne peut pas, d’après 89, avoir de principes religieux? Ici nous nous trouvons en face d’un dilemme terrible: ou l’Etat ne peut pas, s’il est logique, faire enseigner de religion; ou, s’il enseigne les éléments de la foi, il tombe dans les plus grandes inconséquences.

Mais, pour l’immense majorité française, se dresse un autre dilemme bien autrement terrible: les expériences des derniers temps prouvent ou que la France doit revenir à avoir une foi religieuse ou qu’elle est condamnée à périr.

D’une part, la France plus longtemps privée de l’élément religieux meurt fatalement de nihilisme. De l’autre, l’Etat est radicalement incapable d’enseigner autre chose que le néant, sous peine de sortir de ses principes. Donc, il faut que, dans l’enseignement, la foi soit prêchée par d’autres que par les agents de l’Etat.

Et ceci est rigoureusement vrai à tous les degrés de l’enseignement.

Que faire dans une pareille situation?

Si l’Etat revenait franchement à des conditions normales, on sait bien ce qu’il y aurait à faire. Mais n’oublions pas que la société est malade, très malade. Il faut donc subir certaines nécessités du temps. Pourquoi ne pas revenir aux écoles confessionnelles? La France, comme société, n’est plus chrétienne, dit-on; soit! Mais les catholiques n’y sont-ils pas assez nombreux pour demander que la partie capitale de l’enseignement, l’enseignement religieux et tout ce qui s’y rapporte, soit placée sous l’autorité de ceux qu ont le droit et le devoir de s’en occuper? Pourquoi, selon les croyances, ne pas donner aux ministres de la religion la haute inspection des écoles? Avec ce système vous diminuez, si vous ne les faites entièrement disparaître, les dangers de l’instruction obligatoire; avec ce système, vous donnez aux jeunes générations ces convictions religieuses à l’aide desquelles vous les rendez capables de cette obéissance qui assujettit sans avilir et de cette discipline qui a fait la supériorité de nos ennemis dans nos derniers malheurs. N,y eût-il que cette seule raison, il n’en faudrait pas davantage pour engager les Français, jaloux de l’honneur de la France, à y réfléchis sérieusement.

Emmanuel d'Alzon, des Augustins de l'Assomption
Notes et post-scriptum