ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.96
  • ARTICLES
  • DE LA REFORME DE L'ENSEIGNEMENT (SUITE ET FIN).
  • Revue de l'enseignement chrétien, N. S., 1, n° 2, juin 1871, p. 115-121.
  • TD 6, P. 96.
Informations détaillées
  • 1 AUMONIERS SCOLAIRES
    1 BACCALAUREAT
    1 ENSEIGNEMENT
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ESPRIT UNIVERSITAIRE
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIBRE PENSEE
    1 LUTTE ENTRE L'EGLISE ET LA REVOLUTION
    1 MAITRES
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 PARENTS D'ELEVES
    1 RATIONALISME
    1 TOLERANCE
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 MOISE
    2 SIMON, JULES
    3 ANGLETERRE
    3 BORDEAUX
    3 DIJON
    3 LYON
    3 PARIS, COLLEGE HENRI IV
    3 TOULOUSE
  • juin 1871
  • Nîmes
La lettre

Depuis la publication de notre précédent article, le Ministre de l’Instruction publique a parlé. Une circulaire de M. Jules Simon avertit MM les professeurs de l’Université de se tenir sur leurs gardes, les invite à quelque prudence et à beaucoup de modération, et les somme enfin d’être sages, même en dehors de leurs fonctions, leur rappelant que le professorat est un sacerdoce. Je reconnais toutes les bonnes intentions du Ministre, mais à quoi ont-elles abouti? Au déplacement de quelques professeurs. Ce remède ne saurait être efficace, et l’on a de la peine à comprendre comment des articles ou des discours, scandaleux à Bordeaux, deviendraient édifiants à Lyon. Une politique ou une philosophie, dangereuse à Dijon, ne saurait être à Toulouse sans inconvénients. D’ailleurs que reproche-t-on à ces membres du corps universitaire? D’être républicaine? Est-ce-que M. Jules Simon ne le serait plus? de n’être pas catholique? M. Jules Simon a-t-il abjuré le rationalisme et la libre pensée? Les lycées et tous les collèges de l’Etat ne sont-ils pas ouverts, ainsi que toutes les administrations, aux fonctionnaires et même aux élèves de tous les cultes? Est-ce qu’on exclurait les fonctionnaires qui ne reconnaissent aucun culte? Qu’il est vrai que les mutations imposées à ces professeurs sont une disgrâce, tous les hommes logiques doivent protester contre une si criante injustice. Le clergé repoussera ces prétendus ménagements dont on veut se faire un mérite auprès de lui; car le clergé ne saurait plus se laisser prendre à des pièges pareils; il connaît maintenant le fond de l’esprit universitaire. L’Université est toujours l’ennemie de l’Eglise catholique. Elle veut bien de la libre-pensée, mais elle veut aussi des élèves; et, quand la libre-pensée prend un peu trop ses ébats, les élèves venant à disparaître, elle prie la libre-pensée de s’effacer ou de porter plus loin ses chaires discréditées. Car, voyez-vous, le professorat est un sacerdoce.

Le pouvoir universitaire se confondant avec le pouvoir civil, l’Université n’a jamais eu, comme corporation, d’autre opinion que l’opinion du gouvernement du jour. Dès lors, il est impossible de découvrir le moindre tort dans la conduite d’un professeur qui manifeste une opinion quelconque. Si l’Université a un Credo, qu’elle le publie. Mais si ce symbole n’existe pas, si aucun candidat à l’agrégation n’a été interrogé jusqu’ici sur sa foi, s’il ne peut pas l’être, pourquoi lui demanderait-on compte de ses croyances, ou pourquoi lui ferait-on un crime de sa pauvreté en fait de principes?

Pour moi, et je le dis avec tout le respect dû à des hommes parmi lesquels il en est plusieurs que j’estime et honore, je pense que, dans l’Université, la position insoutenable ce n’est pas celle des maîtres plus ou moins républicains, plus ou moins libres-penseurs; c’est bien plutôt celle des prêtres qui s’y trouvent encore; et, s’il y a des hommes à éliminer, ce ne sont pas les professeurs incrédules, ce sont les aumôniers.

L’aumônier, direz-vous, fait du bien. -Tant qu’il vous plaira; mais mettons tout le bien qu’il peut faire en regard de tout le mal que sa soutane couvre, et vous aurez bientôt conclu.

Il m’en coûte de dire ces choses; mais qu’on se rappelle le mémoire publié, en 1830, par le P. Lacordaire, alors aumônier d’Henri IV: les choses, certes, ont cruellement empiré depuis. Non, non que l’Université ne change pas ses professeurs, parce qu’ils sont trop sincères, et qu’elle nous rende des prêtres qui, par leurs vertus mêmes, sont un masque d’autant plus dangereux jeté sur une des vraies causes de nos malheurs, l’enseignement officiel.

Il faut répéter à satiété le mot de l’Evangile: Non protest arbor mala bonos fructus facere. L’Université est une institution radicale ment mauvaise; le temps est venu de la renverser sous le poids de ses oeuvres. Il est impossible de la transformer, comme quelques-uns le proposent, au point de rendre bons les fruits malsains et empestés. Toutes les fois que ceux qui la gouvernent ont voulu le tenter, ils n’ont jamais pu échapper au reproche d’hypocrisie.

V. On me demandera peut-être ce que je mettrai à la place de l’Université. Eh mon Dieu! quelque chose que l’Université vante beaucoup et pratique très peu: la Liberté. Je suis loin de prétendre que la liberté la plus absolue soit sans inconvénients. Mais de deux choses l’une: -ou l’Etat redeviendrait chrétien et admettrait, comme base de tout enseignement, la doctrine catholique. Dès lors, il se ferait un devoir et un honneur de protéger la liberté de l’Eglise, qui réclame, comme un héritage du Christ, le droit d’enseigner et d’élever la jeunesse. Ce n’est pas que les membres seuls du clergé ou des congrégations enseignantes fussent appelés à exercer ce ministère délicat, mais l’Eglise veillerait elle-même à ce que le dépôt de la foi et les règles des moeurs fussent conservées dans leur intégrité, et à ce que les autres enseignements ne fussent jamais en contradiction avec ses principes immortels. Cet idéal est loin, bien loin de nous. -Ou l’Etat, sans être légalement athée, sans être indifférent à l’affirmation ou à la négation de Dieu, l’Etat, s’avançant même jusqu’à comprendre le Décalogue de Moïse parmi les principes constitutifs des sociétés, n’irait pas néanmoins jusqu’à se prononcer entre les diverses confessions et persisterait à tenir la balance égale entre le credo immuable et les croyances variables à l’infini des sectes séparées. Dans ce cas il y a des lois protectrices de l’enfance, et il ne sera jamais permis à un gouvernement, qui ne veut pas abdiquer, de livrer les enfants aux entreprises homicides des marchands d’éducation, pas plus qu’aux calculs non moins homicides des partis anti-sociaux. Encore une fois, ce qu’il y a de plus urgent, c’est que l’Etat n’enseigne plus par lui-même, parce qu’il n’a aucun principe d’éducation, n’ayant officiellement aucun principe religieux.

L’essentiel, c’est que la surveillance nécessaire de la liberté d’enseigner acquière ce degré d’impartialité et de justice que la nature humaine, avec ses invincibles penchants, rend bien difficile chez les inspecteurs universitaires.

Il n’est pas impossible de modifier la législation dans ce sens. Elle peut armer la société contre ceux qui attaquant ses principes constitutifs, tout en laissant inviolable la liberté des familles et l’indépendance de l’Eglise dans l’enseignement religieux. Il est infiniment plus pratique de protéger la liberté en réprimant la licence que de couvrir maladroitement de sa responsabilité toutes les licences du monopole.

On parle beaucoup d’économies que nos malheurs ont rendues indispensables; on se propose de supprimer quelques magistrats, un certain nombre de sous-préfets. La suppression progressive de la portion du budget absorbé par le monopole universitaire serait une économie plus sérieuse. Il y aurait un double profit, et n’est-ce pas un principe de bonne administration que les économies utiles sont celles qui, en ménageant nos finances, débarrassent l’administration de services improductifs, à plus forte raison de services qui produisent du mal sans compensation.

Si l’on ne se hâte, demain peut-être on réussira à endormir l’opinion. Car, il n’est pas difficile de prévoir ce qui va arriver. Après les orgies de l’insurrection, où les élèves de l’Université, sinon les maîtres, ont bien eu quelque part, nous arriverons, il n’est pas difficile de le prévoir, à une réaction en sens inverse, et telle hypothèse peut se présenter où, avant quatre ou cinq ans, l’Université se fera dévote… pour vivre. Aux premiers jours du dernier empire, nous avons vu les échantillons de ce mouvement, il est vrai prompte ment arrêté. Ce ne fut qu’un feu de paille mais ce feu, l’intérêt aidant, pourrait se rallumer et produire les mêmes illusions. Non, ne forçons pas des hommes qui peuvent être égarés, mais que nous croyons sincères, à prendre par intérêt une attitude gênante.

VI. Mais, dira-t-on encore, si vous supprimez l’Université, vous supprimez du coup les grades universitaires; et la force des études, et la culture littéraire, et la barrière si utile à opposer à tant de nullités qui se précipitent sur les plus honorables carrières! La réponse est facile. Vous parlez de la force des études en France? Cette force, je la nie positivement, et j’ajoute que ce malheur doit être attribué en très grande partie au baccalauréat. Ce n’est pas le lieu d’épuiser cette question, l’expérience est là et il faut fermer les yeux à la lumière pour contester notre incontestable faiblesse en matière d’études. Et quant à la culture littéraire, hélas! nous voyons où, depuis quelque temps, nous sommes tombés; et si l’Université réclame pour elle les produits modernes de la littérature, elle a certes une vigoureuse audace.

Reste la nécessité d’empêcher les carrières diverses d’être obstruées par des jeunes gens qu’une insuffisante préparation rendrait indignes de les aborder. Mais enfin l’Université ne doit pas seule avoir souci de la réputation des divers corps, où de jeunes aspirants demandent à être admis! Des commissions prises dans ces corps mêmes formeront toujours un jury plus compétent.

Quant aux établissements d’éducation rendus à la liberté absolue, au point de vue des méthodes littéraires ou scientifiques, leur préoccupation n’étant plus de mouler leurs élèves selon le type unique et (disons-le) absurde de l’examen final, voici ce qui aura lieu: après tout, ils tiendront, au nom de leur existence même, à soutenir entre eux une légitime concurrence, et cette concurrence ils la soutiendront par les examens qu’ils imposeront aux élèves. Au lieu d’un examen final, on aura ou l’on pourra avoir une série d’examens, à l’aide desquels les jeunes gens, montant successivement, pour l’enseignement secondaire, de degré en degré, comme pour le droit et pour la médecine, n’en seront plus à réserver des efforts exagérés, comme cela se voit trop souvent, pour la dernière année, quelquefois même pour les six derniers mois de leurs études.

Les établissements eux-mêmes auront, selon nous, un immense avantage, celui de donner une valeur légitime aux certificats d’étude qu’ils pourront délivrer.

On cherchera évidemment à obtenir des certificats du meilleur aloi. Là, sans doute, se retrouvera la lutte entre le maître et le père de l’élève, et ce sera aux maîtres à juger ce qu’ils préfèrent, ou d’une sévérité pénible quelquefois envers les parents, ou d’une condescendance bientôt ruineuse, à cause du contrôle supérieur que le public fera des certificats délivrés au sortir du collège.

XII. Mais là où le baccalauréat me paraît surtout funeste, c’est quand je l’envisage au point de vue religieux.

Un fait certain, c’est que les élèves, au moment où les questions religieuses devraient les intéresser le plus, se trouvent, par suite de ce malheureux examen, dans une disposition de dégoût pour toute étude qui les détourne de l’objet unique de leurs préoccupations. Il se forme sur ce point des traditions fâcheuses, malgré tous les efforts des maîtres. Je sais bien que les élèves distingués sont capables de suffire à tout, mais les élèves distingués ne font pas la masse. Un grand nombre, après avoir perdu leur temps dans les classes inférieures, arrivés en rhétorique et en philosophie, veulent le réparer; et, dans ce but, ils écartent tout ce qui ne se trouve dans le programme de l’examen; et comme toute question religieuse en est forcément exclue, l’enseignement religieux n’est, aux yeux de nos jeunes aspirants, qu’une superfétation.

Je parle des établissements chrétiens. Que serait-ce, si je plongeais mes regards dans les lycées, à l’heure où l’aumônier fait ses cours de catéchisme ou de controverse? Et vous voulez que ces jeunes gens, parvenus au terme de leurs études classiques, avec les notions les plus insuffisantes des principes religieux, incapables de soutenir une lutte contre d’autres jeunes gens, dont les objections sont souvent d’autant plus difficiles à réfuter qu’elles sont plus absurdes, vous voulez qu’ils ne sentent pas leur foi s’ébranler et souvent se perdre?

Nous ne pourrons donner un enseignement religieux solide que lorsque, débarrassés des préoccupations du baccalauréat, les élèves sauront que les certificats d’études seront délivrés dans les maisons où ils au ront été élevés; que ces certificats auront la valeur morale de la maison qui les délivrera, et que, dans les maisons chrétiennes, ils ne seront accordés qu’après des examens où l’instruction religieuse sera placée en première ligne. C’est pour cela que nous conjurons Nos Seigneurs les Evêques d’élever la voix pour demander la destruction du baccalauréat. Un illustre prélat nous disait que, laissant ses titres à l’Université officielle, il faisait donner, dans ses établissements, aux plus brillants de ses élèves le diplôme de maître ès-arts. Les Universités anglaises, qui valent bien la nôtre, attachent un grand honneur à un titre pareil. Mais, peu importe. L’essentiel, c’est le droit, pour chaque établissement, de faire subir ses examens comme il l’entend, et de distribuer des certificats d’études sous la forme qui lui plaira. Ces certificats, contrôlés par d’autres examens, pourront induire en erreur, lorsqu’un établissement, jadis sévère, penchera vers sa ruine. Mais outre que le baccalauréat est une mesure bien au autrement fausse de la force des études, l’erreur que nous prévoyons sera bien vite relevée, et la conséquence fatale sera la mésestime encourue par des maîtres trop faciles envers des élèves incapables.

Nous avons indiqué quelques réformes, à nos yeux indispensables; nous pourrions en signaler bien d’autres; pour aujourd’hui, c’est assez. Peut-être, pourtant, reviendrons-nous un jour sur la nécessité de faire pénétrer chez les élèves l’influence de l’Eglise, et sur l’action qu’elle doit exercer en matière d’enseignement, s’il plaît un jour à la Providence de fermer enfin l’ère si douloureuse de nos révolutions.

Emm. D’ALZON, des Augustins de l’Assomption.

Si, pour nous donner un bienveillant encouragement, Mgr. l’évêque du Mans n’a pas attendu la publication du premier numéro de notre Revue c’est que, pendant le Concile, il avait bien voulu, ainsi que quelques autres de NN. SS. les Evêques, approuver certaines idées sur la rénovation de l’enseignement et des études, idées que nous avions eu l’honneur de leur soumettre et que la Revue se propose de développer.

EMMANUEL D'ALZON, des Augustins de l'Assomption
Notes et post-scriptum