ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.143
  • ARTICLES
  • CONGRES DE L'ENSEIGNEMENT CHRETIEN
  • Revue de l'enseignement chrétien, N. S., III, n° 17, septembre 1872, p. 385-391.
  • TD 6, P. 143.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ATHEISME
    1 CHEFS D'ETABLISSEMENT
    1 CONGRES DE L'ENSEIGNEMENT LIBRE
    1 EDUCATION RELIGIEUSE
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
    1 ESPERANCE
    1 EVEQUE
    1 FOI
    1 HUMILITE
    1 INDIFFERENCE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIBRE PENSEE
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 OEUVRES OUVRIERES
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 VOCATION SACERDOTALE
    2 BAILLY, EMMANUEL SENIOR
    2 DU LAC, JEAN-MELCHIOR
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    3 CHARTRES
  • septembre 1872.
  • Nîmes
La lettre

La Revue, quelquefois en retard, tente aujourd’hui un effort pour paraître à l’avance. Nous voudrions faire un dernier appel à tous nos lecteurs, avant le Congrès qui s’ouvre le 2 septembre, pour les conjurer de venir en nombre à cette réunion si importante à nos yeux.

Nous nous adressons à trois catégories de collaborateurs.

D’abord aux représentants de NN. SS. les Evêques. Sans doute nous nous trouvons tout de suite en face d’une difficulté. C’est aux Evêques qu’il a été dit: Euntes docete. L’Enseignement appartient dans un diocèse au premier pasteur. Et n’a-t-il pas le droit de nous dire: de quoi vous mêlez-vous?

Si l’un de nos vénérables Prélats nous adressait cette question, nous nous permettrions de lui répondre très- humblement que nous ne nous mêlons en rien du fond même de l’Enseignement, mais de la manière dont cet Enseignement peut s’étendre plus loin et porter plus de fruit. Or, s’il est un point connu du système par lequel les ennemis de l’Enseignement catholique s’efforcent d’en affaiblir la portée, c’est l’isolement de nos chefs. Ils divisent, pour triompher plus aisément des forces éparpillées. Pour vaincre leurs efforts, il faut s’unir. Demander à Nos Seigneurs les Evêques de venir nous communiquer leurs lumières, ne serait pas respectueux. Puis crieraient au Concile.

En sollicitant des représentants de l’épiscopat, nous sommes bien plus à l’aise; aucun engagement n’est pris, les prélats qui voudraient bien témoigner leur intérêt en nous envoyant un de leurs prêtres, les chargeraient ou de parler ou d’écouter seulement. La seule présence de ces envoyés nous serait une force. A leur retour, peut-être rapporteraient- ils quelques lumières sur la lutte d’ensemble à livrer à l’ennemi commun. Une guerre générale est impossible sans un plan général. -Mais, dira-t-on, vous empiétez sur la direction que l’Episcopat seul peut donner. En aucune façon: seulement les représentants des Evêques sans imposer à ceux-ci aucune responsabilité, pourront se voir et se communiquer les idées des prélats qui les envoient; ils pourront, à leur retour, rendre compte de ce qu’ils auront entendu, sauf à NN.SS. les Evêques à prendre ou à laisser ce qui sera jugé utile ou nuisible.

Dans ces termes, la bienveillance que nous témoigneraient Nos Seigneurs les Evêques, nous semble pleine d’avantage pour la cause de l’Eglise, puisque, ne s’engageant à rien, ils ont l’occasion de recueillir de précieux renseignements, et de combiner plus tard, après des travaux préparatoires, une action commune, s’il jugent à propos d’en faire l’essai. Arrivés à ce point notre incompétence devient complète et nous nous arrêtons.

Nous sommes plus à l’aise pour inviter les chefs d’enseignement libre. Vis unita fortior, cet adage est incontestable. J’ai vu sur la margelle d’un vieux puits, ces trois mots bien significatifs:Ex unitate libertas; nous n’avons pas la liberté, parce que nous ne la méritons pas, et nous ne la méritons pas, parce que nous ne savons pas nous unir.

Nos adversaires, unis, s’il se peut dire, au nom de la libre- pensée, dans l’unité de l’incroyance, sont unis aussi dans l’unité de la haine contre l’Eglise, colonne et base de la vérité. Pourquoi donc, nous qui avons l’unité de foi, n’aurions-nous pas aussi l’unité de la charité, c’est-à-dire l’absence de parti pris? Pourquoi l’inviolable attachement des principes ne donnerait-il pas une grande condescendance sur les moyens à prendre pour les faire triompher? Posées sur ce terrain, les discussions seront pleines d’avantages; et pour faire comprendre dans une étude commune la profondeur du mal, et pour faire découvrir dans des communications plus intimes les moyens à prendre, les plans à adopter. Une grande responsabilité pèsera sur ceux qui, pour n’avoir pas voulu entrer dans une action commune, permettront à l’homme ennemi de triompher partiellement dans des combats d’escarmouche. Sans conteste notre isolement fait ses affaires; on a besoin de tirer le canon contre des remparts, on laisse passer les tourbillons de poussière. Notre petit nombre ne doit pas nous effrayer; quand en retournant au centre de notre action, nous grouperons et nos collaborateurs et ceux de nos anciens élèves sur lesquels nous pouvons compter, nous aurons une puissance incalculable, et par l’énergie des principes auxquels nous consacrerons un plus grand dévouement, et par l’entente qui présidera à la ;combinaison de nos efforts, quand notre action sera plus générale et plus unie. Ce que nous nous permettons de dire aux chefs d’établissements, nous le disons aussi à tous ceux de leurs collaborateurs qui croiraient pouvoir venir joindre leurs efforts aux nôtres.

Nous appelons enfin, avec non moins d’instance, les catholiques qui comprennent l’urgente nécessité de rendre à la vérité catholique tous ses droits. Au fond, la question de l’Enseignement est la question de l’avenir de la France et du monde entier. Qui donc pourrait s’en désintéresser? Nos adversaires le savent bien: leur mot d’ordre n’est-il pas la suppression de toute diffusion de la vérité religieuse? Ah! si nous avions, pour la propagation de nos doctrines, la moitié de l’ardeur fébrile qu’ils mettent à se débarrasser de toute foi!

Il est banal de dire que la foi catholique est la question vitale de tous les catholiques. Pourquoi ne voit-on pas qu’en hannissant du peuple et des classes aisées l’Enseignement religieux, on tarit aussitôt la source de la milice sacerdotale, on supprime ou l’on réduit de la façon la plus désastreuse les cadres du clergé? M. de Maistre disait qu’avec le tableau des ordinations, il pourrait prédire des choses étonnantes. Nous n’avons, hélas! plus besoin de son génie pour prévoir au jour présent ce qui attend le clergé, si tous les catholiques ne s’unissent pas pour éviter les malheurs que le triomphe possible de l’Enseignement irreligieux prépare dans un avenir prochain. Appauvrissement de l’armée sacerdotale, impossibilité de recevoir de la main des ouvriers évangéliques le pain de la parole, telle est une des conséquences nombreuses et inévitables du plan de nos ennemis. Nous signalons celle-là parce qu’elle nous paraît avoir moins frappé les esprits. Nous ne pouvons espérer un nouvel apostolat comme au sortir du Cénacle. L’institution est descendue du Ciel, à nous de la conserver sur la terre, mais il faut pour cela des vocations: l’application de nos ennemis est de les étouffer dans leur germe, l’indifférence la plus coupable les laisse se dessécher lorsqu’elles percent le sol. On peut prédire que, si l’on n’y porte la plus sérieuse attention, le triomphe du père du mensonge est assuré par le plus simple des moyens, l’épuisement des sources sacerdotales, l’amoindrissement de l’Enseignement religieux amenant la diminution des vocations, et la diminution des vocations supprimant le moyen de répandre l’enseignement religieux. Nous sommes enfermés dans ce cercle de fer. Moins d’Enseignement religieux, moins de vocations, et réciproquement, moins de vocations, moins d’Enseignement religieux, jusqu’au moment où les vocations disparue, l’Enseignement religieux disparaîtra, et la foi, objet de cet Enseignement, fera place au nihilisme le plus absolu.

Quelques esprits inattentifs diront peut-être: Mais si les prêtres manquent de foi, de pieux laïcs ne pourront-ils pas les remplacer? Sans doute personne plus que nous ne proclame l’utilité de certains maîtres laïcs. Une des joies de notre vie s’est trouvée dans un commerce intime avec des professeurs chrétiens, dont le zèle, le prosélytisme marchaient de pair avec les plus fortes vertus, mais il n’en est pas moins vrai que la source de l’Enseignement religieux est ailleurs, et que, sans le prêtre, le laïc enseignant perd bien vite le principe même de sa force, et cette mission indirecte qu’il semble recevoir de l’indigence des ouvriers plus spécialement destinés à instruire.

J’insiste peut-être trop sur ce point, et cependant il frappe d’une telle clarté l’homme désireux de conserver ses croyances, que peut-être décidera-t- il quelques catholiques de plus à nous venir en aide et à répondre à notre invitation.

II. Nous ne revenons pas sur le programme du Congrès. Evidemment il renferme des imperfections, il doit en renfermer. Dans tout essai de guerre, il faut s’attendre à ne jamais bien faire du premier coup, mais tout imparfait qu’il est, il fournit matière à de suffisantes études, et si toutes les questions étaient nettement tranchées, si les rapports à faire étaient capables de porter la conviction désirable dans le public préoccupé de leur solution, dans l’esprit surtout de nos députés qui auront bientôt à fixer les bases d’une législation nouvelle, pense-t-on qu’un terrain considérable n’aurait pas été conquis?

C’est venir sans doute un peu tard demander une sérieuse étude de ce programme, afin d’obtenir des discussions plus approfondies dans les diverses commissions où sérieuse répartira le travail. Cependant il est encore temps, et la rapidité de l’intelligence française possède, nous en sommes assurés, des trésors de lumière plus abondants peut-être et surtout plus vrais que ceux dans lesquels on a puisé de quoi décupler les milliards de l’emprunt.

III. Enfin, nous dira-t-on: quel résultat pensez-vous obtenir? Quand nous n’obtiendrions rien, nous aurions énormément obtenu.

Cette réponse en apparence paradoxale veut une explication.

Je me servirai d’abord d’un exemple. Le congrès des oeuvres ouvrières en est à sa septième ou huitième session, qu’étaient les premières réunions? des conversations sans doute d’autant plus admirables qu’il fallait lutter contre tout un monde d’obstacles dont le premier était l’isolement. Les plus affreux découragements viennent de la solitude faite autour des oeuvres les plus bénies de Dieu. Rien de pire que le désert pour démoraliser les troupes les mieux aguerries. Voilà l’ennemi qu’eurent à vaincre d’abord les hommes charitables réunis dans ces congrès inconnus, s’il faut en juger part le récit des premières années; puis le courage s’est fortifié, l’expérience aussi. Quelques succès venant en aide et la grâce du Dieu surtout, le congrès de l’année dernière a fondé une oeuvre durable et l’on sérieuse prépare au congrès de Poitiers avec des espérances qui ne seront pas déçues.

Ainsi sérieuse forment ces sortes d’oeuvres.

Mettons que le Congrès de l’Enseignement libre ne produise immédiatement aucun fruit.

On n’aura rien fait, soit: on réfléchira sur ce qu’on aurait pu faire, on sérieuse sera expliqué, compris. Quand même plusieurs courants sérieuse formeraient, la conséquence serait que plusieurs groupes tenteraient de s’ouvrir des voies diverses vers un même but, mais comme l’ennemi est aux portes, on sentirait la nécessité de sacrifier tous les points de vue personnels à l’intérêt général. Pense-t-on que la campagne entreprise pour le congrès soit baclée en une semaine? Il y a plus de cinquante ans que M. de La Mennais poussa le cri de guerre contre l’Université qu’il appelait le vestibule de l’enfer. Mettons qu’il ait exagéré, mettons aussi qu’il disait un peu vrai. La lutte eut des phases diverses. Le P. Lacordaire et M. de Montalembert s’y précipitèrent avec un zèle d’autant plus noble qu’il fut d’abord plus stérile. Les catholiques d’alors ne comprenaient pas. Lorsqu’en 1840 MM. Bailly et Dulac reprirent, dans l’Univers, la campagne contre le monopole universitaire, quelles protestations, une certaine prudence, prudence chrétienne, ne fit-elle pas retentir? Ils poursuivirent, ces glorieux entêtés, ils excitèrent la réflexion de nos premiers pasteurs. Monseigneur l’Evêque de Chartres lança ses lettres célèbres. Presque tout l’épiscopat fut ébranlé. On prévit que la liberté catholique obtiendrait quelque chose. Elle n’a certes pas tout obtenu. Et c’est pourquoi nous voulons organiser une nouvelle série de combats: plusieurs n’en verront pas le terme. Hélas! je rendais il y a quelques jours à peine les derniers devoirs à l’un des vigoureux chrétiens qui furent les plus humbles et les plus puissants combattants d’une lutte qui finira seulement quand la vérité aura vaincu l’erreur. Mais parce que des soldats, et les plus vaillants, tombent au milieu de la mêlée est-ce une raison de poser les armes?

Je parle d’un insuccès possible et complet, mais quoi! ne pourrons-nous pas préparer une organisation? et ne serait-ce rien par exemple que des centres établis sur plusieurs points et qui, selon les nuances qu’il faut respecter, sérieuse grouperaient autour d’hommes capables d’indiquer, sans jamais l’imposer, une direction plus unie?

Encore une fois, même n’ayant pas réussi, nous aurons fait cette oeuvre immense de préparer un second, un troisième congrès, nous aurons fondé une action durable. Que nos commencements soient obscur, méconnus, qu’ils soient imparfaits en apparence, q’importe? les édifices les plus inébranlables sont ceux dont les fondations plongent le plus bas dans le sol, et à cette profondeur on s’inquiète peu si les pierres qui portent à fleur de la terre des murs, plus ou moins chargés d’ornements, ont été suffisamment polies. Nous posons les fondements de notre oeuvre; à ceux qui voudront nous aider, nous demandons à la bâtir sur l’humilité, la foi et l’espérance. Dieu, s’il le juge opportun, la couronnera par la conquête de nos droits légitimes et par la régénération de la France à l’aide d’une éducation catholique.

EMMANUEL D'ALZON, des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum