ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.178
  • ARTICLES
  • A M. L. VEUILLOT, REDACTEUR EN CHEF DE L'UNIVERS.
  • Revue de l'enseignement chrétien, N. S., V, n° 25, mai 1873, p. 5-8.
  • TD 6, P. 178.
Informations détaillées
  • 1 AUMONIERS SCOLAIRES
    1 BACCALAUREAT
    1 CHARITE ENVERS DIEU
    1 CITE
    1 COLLEGES
    1 CONSCIENCE MORALE
    1 CONSEIL SUPERIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
    1 DEVOIRS DE SOCIETE
    1 DROITS DE DIEU
    1 ENFER ADVERSAIRE
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
    1 ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ESPRIT UNIVERSITAIRE
    1 ETAT DIEU
    1 FACULTES CATHOLIQUES
    1 GRADES UNIVERSITAIRES
    1 INSTITUTEURS
    1 INSTITUTIONS POLITIQUES
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 JUIFS
    1 LAICISME
    1 LEGISLATION
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LOI MORALE
    1 LYCEES
    1 MAITRES
    1 MAITRES CHRETIENS
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 MORALE INDEPENDANTE
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 RELIGIEUX ENSEIGNANTS
    1 SATAN
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 VERBE INCARNE
    1 VERITE
    2 BROGLIE, ALBERT DE
    2 MOISE
    2 PAUL, SAINT
    2 VEUILLOT, LOUIS
  • LOUIS Veuillot
  • mai 1873
  • Nîmes
La lettre

Mon cher ami,

Me permettrez-vous de vous soumettre quelques réflexions, peut- être utiles encore, après tout ce qui se dit depuis si longtemps sur la liberté d’enseignement? On se propose de reprendre en sous-oeuvre l’enseignement à ses divers degrés; mais certains esprits semblent croire que, l’enseignement primaire s’adressant aux masses, c’est de celui-là surtout qu’il importe de s’occuper. Cette opinion est, selon moi, une erreur capitale; et voici pourquoi. L’enseignement primaire n’est que le reflet d’une direction donnée d’en haut. Qui niera que les conseils municipaux n’aient une très-grande influence sur l’action exercée par les instituteurs dans leurs écoles, même avec des maîtres congréganistes! Tel est le vrai point de la discussion. Qu’il soit indispensable d’instruire les masses, nul ne le conteste; mais là n’est pas le problème: il est dans l’esprit qu’on leur communique, et cet esprit, bon ou mauvais, vient de plus haut, il vient des classes dirigeantes, des conseils municipaux ou généraux; et ceux qui les composent ont été, pour la plupart, formés par l’enseignement secondaire. Or, l’enseignement secondaire relève de l’enseignement supérieur, les études étant faites, dans les lycées et collèges, selon le plan des programmes des baccalauréats. Les professeurs des facultés, c’est-à- dire les membres de l’enseignement supérieur, sont chargées de veiller à ces programmes; et, bien que l’origine en remonte plus haut, c’est l’enseignement supérieur qui est chargé d’en faire l’application, Qu’en résulte-t-il? C’est que, pour ne pas offusquer les croyances diverses, on y mêle le moins possible l’élément religieuse. On n’attaque pas les vérités religieuses, on s’abstient le plus possible d’en parler; et je vous dénonce un mal presque universel: c’est la difficulté, au nom de l’abstention universitaire, de forcer les élèves qui touchent au terme de leurs examens à s’occuper de leur instruction religieuse. Quand on leur reproche leur coupable négligence, ils ont tous cette réponse stéréotypée: Mais ce n’est pas dans le programme du baccalauréat, donc nous laissons ces sujets de côté.

Les catholiques, répond-on, ont pourtant un aumônier. Je vous conjure de ne jamais permettre que l’on vous parle sérieusement de ce qu’on appelle un aumônier de collège, et moi-même je tiens à n’en pas dire davantage, pour ne pas me laisser entraîner à en dire trop. Non, le véritable enseignement religieux n’existe pas dans l’Université, et il est profondément atteint, par cette institution inqualifiable, dans les établissements chrétiens. L’enseignement religieux sera en péril partout, tant que les chrétien n’auront pas le droit de faire leurs programmes; mais pour cela, il leur faut des facultés ayant les mêmes droits que les facultés officielles, et pouvant conférer des grades de la même valeur que les grades des facultés de l’Etat. Tant que nous n’aurons pas cette égalité absolue, nous n’aurons pas la liberté, nous serons esclaves; et tant que nous serons esclaves, l’enseignement secondaire ne sera pas pour nous suffisamment religieux; et l’ensemble des hommes sortis des collèges, ayant quelque influence sur les communes et sur les Départements, ne veillera pas d’une manière utile à la direction imprimée à l’enseignement primaire.

Tel est le premier motif qui me fait considérer la loi sur l’enseignement supérieur comme bien plus importante que la loi sur l’enseignement primaire. J’en ai encore un second. De quel prétexte se sert-on pour effacer les questions religieuses du programme des baccalauréats? On dit: l’Etat doit l’enseignement à tous; or, il y a divergences sur la religion; supprimons le plus possible ce qui ne peut que diviser. A merveille! Mais on oublie qu’en matière d’enseignement l’idée qui doit dominer, c’est la première des idées: c’est Dieu. Vous excluez Dieu autant qu’il dépend de vous; donc, autant qu’il dépend de vous, vous excluez la première des idées, le premier principe. Vous voilà condamnés à un enseignement sans principe, puisque vous repoussez le premier de tous. Mais l’idée de Dieu, du premier principe, n’est pas une pure abstraction, mais une vérité d’ou découlent toutes les autres vérités essentielles, ce qui, en matière d’enseignement, est bien déjà quelque chose. Pour les chrétiens, se premier principe des idées et de toutes les vérités théoriques est en même temps la base de toutes les vérités morales, et l’homme moral ne subsiste qu’à la condition d’en être pénétré. Vous ôtez de d’enseignement, en supprimant Dieu, la base de la morale chrétienne, et vous trouvez que ce n’est rien? D’autant plus que pour nous, catholiques, laisser Dieu de côté est un crime: « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu », a-t-il été dit à Moïse; c’est en tête de la loi ancienne. « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et n’adoreras que lui seul; a-t-il été répété par Jésus-Christ, parlant au diable pour le mettre en fuite, -remarquez ce détail- et Satan fui. Satan qui, de nos jours, veut rester dans l’enseignement, propose qu’on n’y parle pas de Dieu; Satan est très-logique: seulement il part des principes de l’enfer.

Nous qui n’avons pas, pour ces sortes de principes, un enthousiasme excessif et qui nous soucions peu d’être de la compagnie du diable et d’avoir de bons rapports avec lui, nous cherchons à mettre Dieu partout: « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites-le au nom de Notre-Seigneur », dit S. Paul, et nous préférons la société de Dieu à celle du prince de ce monde. D’autant plus qu’il n’y a pas seulement utilité, convenance, logique: il y a obligation. Nous sommes obligés, si nous avons la foi, de mettre Dieu à l’origine de tout, au milieu de tout, au terme de tout. Et cet exil dédaigneux que la prétendue science moderne lui inflige est une des plus effroyables scélératesses que les siècles aient jamais vues; scélératesse telle qu’il ne faut pas être bien habile pour prévoir un châtiment terrible, et à ceux qui l’ont commise, et à ceux qui y ont participé. Voyez: c’est encore, après dix-neuf siècles, le cri des Juifs en face de Jésus- Christ: « Nous n’avons point d’autre roi que César »! Jésus- Christ, c’est l’Homme-Dieu; César, c’est l’Homme-Etat, en attendant qu’il soit l’Etat-Dieu.

Ce sera un jour une belle étude à faire que celle des sinuosités à travers lesquelles l’Université à glissé ses plis onduleux, pour arriver à la suppression de Dieu du haut en bas de l’enseignement. Mais observer bien qu’elle commence par en haut. Raison de plus pour réclamer nos droits en haut avec autant, sinon avec plus d’insistance qu’en bas. Nous touchons à un moment solennel de la lutte entre le bien et le mal. Dieu restera-t-il possesseur, je ne dis pas de toutes les âmes françaises, mais au moins des âmes catholiques? Dieu sera-t-il chassé du monde, de la science, des intelligences, de la société non par des attaques directes, mais par un enseignement qui le supprime, par politesse en apparence, avec la plus horrible hypocrisie au fond, qui veut l’obliger à n’exister pas pour la création et tout ce qu’elle renferme? Voilà le problème sacrilège qui se dresse derrière l’Université maîtresse de l’enseignement supérieur, secondaire, primaire, par les programmes dont l’Université se réserve le monopole exclusif.

Je voulais encore vous parler de ce que renfermait de périls la loi de Broglie sur le conseil supérieur de l’instruction publique; mais cette lettre est assez longue. Que l’Université ait son conseil, composé de ses fonctionnaires, tant qu’elle voudra. Mais qu’on prenne garde de tromper les catholiques avec le masque formé par quelques noms honorables, qui servent à recouvrir une oeuvre destinée à être tous les jours davantage l’adversaire redoutable de l’Eglise.

Voilà à quoi n’ont pas assez réfléchi, peut-être, ceux qui, s’en rapportant à d’excellentes intentions, ont beaucoup trop voté les yeux fermés.

Agréez, mon cher ami, etc.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum