ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.192
  • ARTICLES
  • A PROPOS DU PROGRAMME PREPARE POUR LE CONGRES DE L'ENSEIGNEMENT CHRETIEN
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N.S., V, n° 28, août 1873, p. 310-316.
  • TD 6, P. 192.
Informations détaillées
  • 1 BIEN SUPREME
    1 CATECHISME
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CONGRES DE L'ENSEIGNEMENT LIBRE
    1 COURS
    1 ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE
    1 ENSEIGNEMENT DES SCIENCES
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 EVEQUE
    1 HAINE ENVERS LA VERITE
    1 JOUISSANCE DE DIEU
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 MINISTRES PROTESTANTS
    1 OPINION PUBLIQUE
    1 PARESSE
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 RESPECT HUMAIN
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 ROI DIVIN
    1 THEOLOGIE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 BEAUMONT, ELIE DE
    2 BOURGADE, FRANCOIS
    2 DONEY, JEAN-MARIE
    2 DUMAS, JEAN-BAPTISTE
    2 DURUY, VICTOR
    2 FALLOUX, ALFRED DE
    2 FORTOUL, HIPPOLYTE
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 GAUTIER, LEON
    2 HARPAGON
    2 PARIEU, M.-LOUIS-FELIX ESQUIROU DE
    2 PASCAL, BLAISE
    2 POINSOT, LOUIS
    2 ROULAND, GUSTAVE
    2 SIMON, JULES
    3 MONTAUBAN
  • août 1873
  • Nîmes
La lettre

Vous invitez, mon cher Directeur, vos amis à vous présenter des observations sur le projet de programme que vous avez préparé pour le prochain Congrès d’Enseignement chrétien.

Je me permets de vous en soumettre quelques-unes, soit à propos de l’Enseignement supérieur, soit à propos de l’Enseignement religieux.

I. Vous engagez à rechercher les moyens d’intéresser de plus en plus l’opinion publique à la question de la liberté de l’Enseignement supérieur.

Je dois vous dire que ces moyens je ne les chercherai pas du tout. Pourquoi? Parce que je crois peu digne d’un catholique d’intéresser l’opinion publique.

L’opinion, a dit Pascal, est la reine du monde, et elle en est si bien la reine qu’elle empêche, quand elle domine, Jésus- Christ d’en être le roi.

L’opinion publique est un tyran ou une esclave, et, au lieu de fléchir le genou devant elle, je préfère lui donner un joug. L’opinion publique! mais c’est tout un système parfaitement anti-chrétien, le règne de l’opinion c’est le règne du respect humain public, politique, littéraire, dogmatique. De grâce, ne me parlez pas d’opinion publique. Ignorez- vous, que même au Concile, certaines voix opposantes se sont crues très-fortes parce qu’elles invoquaient l’opinion publique. Le Concile a passé par-dessus.

Au fond, le monde se sépare en deux parts; ceux qui veulent la vérité et ceux qui en ont peur. Espérez-vous, au nom de l’opinion publique, ramener la masse des poltrons? Ils vous suivront assez d’eux-mêmes, si vous l’emportez. Prenez souci de la cause en elle-même que vous défendez, c’est le cas de dire: insta opportune, importune. Peu importe l’opinion. Criez plus fort qu’elle, vous finirez avec votre droit par triompher.

L’emploi de l’opinion comme arme de guerre est, ce me semble, aujourd’hui, plus que jamais, un moyen anti-chrétien. Je n’ignore pas le scandale que je puis causer par cette affirmation, mais si on l’examine attentivement, c’est le fond même du christianisme. Qu’a jamais fait Jésus-Christ pour l’opinion publique, pour s’en emparer, l’asservir? Il a constamment prévenu ses apôtres contre sa puissance et a sans cesse déclaré qu’il l’avait vaincue. Confidite, ego vici.

L’opinion est un sable par trop mouvant. Bâtissez sur un fondement plus solide et laissez l’opinion publique pour ce qu’elle vaut.

II. Opportunité d’ouvrir dès à présent des cours libres d’enseignement supérieur.

Au lieu d’opportunité je mettrais nécessité et, du reste, je suis mille fois de votre avis.

Il faut se préparer par des études, et en général les études n’ont un vrai charme que quand elles ont un but. Mais qui fera ces cours? Tout catholique studieux et intelligent. Et où donc? Oh! les locaux ne manquent pas. Un parloir de pensionnat pour les anciens élèves, un cercle d’ouvriers où, avec du talent, on attirera plus que des ouvriers, une réunion de jeunes hommes où l’on abordera une foule de questions. Seulement il faut que les catholiques se persuadent qu’ils doivent prendre à coeur une foule de questions dont ils se désintéressent un peu trop. Je puis citer une ville du midi où, au milieu des préoccupations que cause aux propriétaires l’invasion du phylloxera, un professeur ayant donné quatorze leçons sur la chimie appliquée à l’agriculture a compté parmi ses auditeurs quatre catholiques et soixante protestants. Que si vous me répondez: Les catholiques sont plus détachés, eux, des biens de la terre que leurs frères séparés: je resterai parfaitement incrédule et je dirai: Ils sont plus apathiques.

L’apathie, voilà le vrai mot de la situation.

Faut-il désespérer? Non, il faut mettre la main à l’oeuvre et au plus tôt.

Seulement il se présente pour moi une grave question: est-il bien nécessaire que les cours de l’Enseignement supérieur soient très-fréquentés? M. Léon Gautier n’a-t-il pas fait observer, avec très-juste raison, que les cours les plus intimes étaient précisément ceux où les élèves profitaient le plus? Un cours de faculté n’est pas une parade d’éloquence, et quand l’auditoire est trop nombreux le professeur est bien forcé à le réduire à ces mesquines proportions. Mais les expositions d’autant plus claire qu’elles sont faites avec plus de simplicité, mais les objections présentées et aussitôt résolues, mais la direction dans les recherches indispensables au jeune homme qui veut puiser la vraie science dans les sources: cela n’est possible qu’avec un nombre d’élèves restreint.

Il y a donc tout avantage à commencer au plus tôt des cours libres, ne fût-ce que pour préparer ainsi les futurs professeurs de nos facultés libres. Si les auditeurs sont nombreux, tant mieux en un sens; si leur nombre est peu considérable, on s’en consolera par l’utilité plus grande qui doit en résulter pour les élèves serieux.

Les futures universités catholiques seront-elles entièrement ce qu’ont été les universités anciennes? A côté de leur vigoureuse constitution qui les a fait vivre pendant des siècles, n’aperçoit-on aucune imperfection dont il faudrait préserver les universités de l’avenir? Certes, il y a bien de problèmes à poser, et l’établissement des cours libres pourrait les aider à résoudre avec moins d’inconvénients.

Vous objecterez: Cela est bon pour les sciences, les lettres, mais la médecine, le droit?

Il ne faut pas croire qu’il soit bien difficile de trouver un jeune avocat qui, ayant pris son doctorat, réunisse autour de lui, dans une ville qui ne possède pas une école de droit, sept à huit jeunes gens et les préparer à subir leurs examens. S’il persévère dans ce professorat privé, croyez- vous qu’il n’ait pas au bout de quelques temps les qualités requises pour faire un bon professeur? Par ce moyen et par d’autres semblables se prépareront, croyez-le, sans trop de peine, les membres de nos futures universités.

Quant à la médecine, je m’en rapporte entièrement à ce qu’a dit l’an dernier M. Le professeur Bourgade, et s’il a quelque chose à ajouter cette année, j’y souscris par avance.

III. Passons, si vous le voulez bien, à la grave question de l’Enseignement religieux.

De même que la vie éternelle est le but de ceux qui ont la foi, de même d’acquérir la vie éternelle devrait être l’unique préoccupation des croyants, de telle sorte qu’elle fût le centre de toute leur existence.

Mais qu’est-ce que la vie éternelle? Jésus-Christ lui-même nous l’apprend. C’est une connaissance: Haec est autem vita aeterna, ut cognoscant te solum verum Deum et quem misisti Jesus Christum. Cette connaissance sans doute est double: il y a la claire-vue de la patrie, et ceci est la joie du ciel, le torrent de volupté qui fera l’ivresse des saints. Mais à cette connaissance, source de notre éternel bonheur, qui osera nier que se rapporte un autre ordre de connaissances sur la terre? L’état définitif c’est la science de Dieu aussi élevée que l’âme transfigurée dans l’ordre surnaturel en est capable; pourquoi cette connaissance, comme nous pouvons la recevoir ici-bas, ne serait-elle pas notre plus grande préoccupation? S’il en est ainsi, tout rentre dans la hiérarchie au point de vue des études, la connaissance de Dieu et de Notre-Seigneur étant le point central, les autres connaissances acquièrent leur importance de leur relation avec la science de Dieu. Sans doute il faut bien reconnaître que l’homme ici-bas a divers termes de son activité passagère et qu’il doit acquérir l’instruction relative aux carrières multiples que les individus doivent embrasser, mais une de nos erreurs fondamentales est de trop oublier la parole divine: Porro unum est necessarium. Ce qui est nécessaire avant tout, c’est la science de Dieu et de sa loi, le reste vient après, et doit s’y rapporter toujours.

Ce m’est un perpétuel sujet d’ébahissement d’entendre des hommes très-chrétiens dire: Etudiez le grec: étudiez le latine, là est la base des études classiques, et ne pas dire: Etudiez Dieu, là est la vérité, la force et la lumière de l’âme, l’éternel bonheur.

Où donc faut-il mettre l’Enseignement religieux? partout.

Faire des classes d’instruction religieuse, c’est parfait, mais qu’il me soit permis d’invoquer l’autorité de l’ancien évêque de Montauban, Mgr Donney, de si douce et majestueuse mémoire: Les classes d’instruction religieuse doivent être toutes les classes. Pour cela, il est vrai, il faudrait trouver chez tous les professeurs cette profondeur de connaissances qui fait bien quelque peu défaut chez plus d’un. On ne comprend pas assez qu’à l’encontre du maître Jacques d’Harpagon, tour à tour cuisinier et cocher, on n’est pas successivement professeur de grammaire et professeur de catéchisme; on est les deux choses à la fois, ou plus tôt si, à certains moments, on est plus exclusivement professeur de catéchisme, on est toujours professeur de religion, même à propos de la grammaire et des humanités.

On a trop chassé Dieu de partout. Il faut le ramener partout. On trouvera ce que je dis de l’exagération: ou la société périra, ou il faudra en revenir à mettre Dieu partout, en nous, autour de nous. -In ipso enim et vivimus et movemur et sumus.

Tant que les nations n’auront pas compris ces vérités, elles chancelleront sur leurs bases.

Maintenant, que l’on adopte une méthode graduées pour distribuer la science religieuse aux enfants, je ne m’y oppose certes pas, et j’accepte toute proposition tendant à améliorer l’ordre des développements. Mais pour moi, c’est une question qui vient bien après celle dont je viens de vous entretenir.

Dieu, absent de partout, doit pénétrer partout, nous ne saurions trop le répéter.

IV. Quelle est la valeure de la méthode universitaire?

Est-il bien nécessaire de tant nous préoccuper du plan universitaire, si, comme tout fait l’espérer, nous avons un peu plus tôt, un peu plus tard, le droit de conférer les grades, et dès lors de rédiger nos programmes. J’ai toujours admiré la vive préoccupation avec laquelle un certain nombre de nos amis disent à l’Université: Prenez garde: cette méthode que vous adoptez est pleine de danger pour vous, vous finirez par y succumber; voyez-vous le grand malheur! Si l’Université à force d’imprudence se noie de ses propres mains, et puis, et puis nous en serons débarrassés. Voilà tout.

Mais aussi, réplique-t-on, l’Université est une institution impossible à détruire. Vous croyez?

Mais les perpétuels changements qu’elle subit, ses oscillations incessantes, montrent-elles un édifice si parfaitement solide sur ses bases? Elle voulut les grands principes avec MM. de Falloux et de Parieu. Elle est tombée légèrement dans le métier, grâce à MM. Fortoul et Dumas, comme nous le lui avons entendu reprocher par MM. Poinsot et Elie de Beaumont.

M. Rouland l’a dirigée vers autre chose, sans qu’il sût bien précisément vers quoi, si ce n’est contre le cléricalisme.

Le règne de l’utilitarisme matérialiste a pris naissance avec M. Duruy, s’est développé avec M. Jules Simon.

Et aujourd’hui? aujourd’hui l’Université ne fera pas mieux, et ne l’accusons pas trop, elle ne peut pas faire autre chose. Ah! si les Evêques qui ont consenti à s’asseoir à côté des ministres protestants et du rabbin, avaient le droit de donner une direction positive à l’Alma mater*, nous l’accepterions avec bonheur: mais le rabbin, mais les minitres protestants, mais les francs universitaires surtout, le permettaient-ils? Laissons, laissons l’Université marcher dans sa voie et souvenons-nous qu’au point ou elle est arrivée, il faut dire de ses méthodes ce que saint François de Sales, si je ne me trompe, disait des romans: la meilleure n’en vaut rien et n’en vaudra jamais rien.

En résumé, nous marchons au milieu des ruines. Les catholiques seuls peuvent déblayer le terrain et assurer la restauration de l’antique édifice; mais pour cela, il leur faut un travail opiniâtre, une invincible persévérance, le sentiment qu’aujourd’hui l’instruction est affaire moins de forme que de fond, et que ce fond c’est la connaissance de Dieu manifestée par son Fils, et de Jésus-Christ enseigné par l’Eglise.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum