ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.201
  • ARTICLES
  • A PROPOS DU RAPPORT DE M. LABOULAYE
    REPONSE DU T. R. P. D'ALZON A M. G. DE CHAULNES
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N. S., VI, n° 32, décembre 1873, p. 118-123.
  • TD 6, P. 201.
Informations détaillées
  • 1 COMITES CATHOLIQUES
    1 COURS
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 EVEQUE
    1 GOUVERNEMENT
    1 GRADES UNIVERSITAIRES
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIBRE PENSEE
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 MORALE INDEPENDANTE
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 TOLERANCE
    1 UNITE CATHOLIQUE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 BOSSUET
    2 CHAULNES, GABRIEL DE
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 JAUBERT, COMTE
    2 LABOULAYE, EDOUARD-RENE DE
    2 LAVALLIERE, LOUISE DE
    2 LOUIS-PHILIPPE Ier
    2 ROYER-COLLARD, ALBERT-PAUL
    2 SEGRIS
  • G. de Chaulnes
  • décembre 1873.
  • Nîmes
La lettre

Monsieur,

Avant de répondre à la lettre que vous avez bien voulu m’adresser et qu’a publiée la Revue de l’enseignement chrétien dans le numéro de novembre, j’ai voulu attendre la fin de la crise ministérielle, et je m’en applaudis. Dieu me préserve de dire le moindre mal du ministre de l’instruction publique qui s’en va, mais enfin il était membre de l’Université, tandis que son successeur n’a jamais, que je sache, appartenu à l’Alma mater. Or c’est là un précieux précédent, prévu ou imprévu, mais dont les catholiques feront bien de profiter. Il est manifeste qu’on peut être ministre de l’instruction publique sans être universitaire, point capital, et sur lequel ce nous sera un impérieux devoir d’insister désormais.

Car, vous le voyez tout d’abord, si le ministre de l’instruction publique est pris en dehors de l’Université, ne pourra-t-il pas donner à l’enseignement supérieur libre des inspecteurs, des examinateurs pris en dehors de l’enseignement officias. Vous voyez que la force même des choses les questions font leur chemin.

Mais puisque vous avez la bonté de m’interroger sur le rapport publié par M. Laboulaye à propos de la future loi qui nous permettra d’aborder les sommets de l’enseignement, je tiens à vous faire observer que mon opinion se modifie par ce qui se passe sous nos yeux. Oui sans doute, il y a contradiction flagrante entre les prémises et la conclusion. Dire d’abord: l’enseignement supérieur sera libre, et aboutir à decréter la collation exclusive des grades par les professeurs de l’Etat est un illogisme insoutenable. Mais peut-être n’est-il pas mauvais d’attendre l’application pratique de la loi, nous aurons sans aucun doute, sous très- peu de temps, des examinateurs capables. Mais les avons- nous au moment où j’écris ces lignes? Si la loi nous donnait un droit dont nous ne pourrions pas immédiatement user, nos ennemis ne manqueraient-ils pas de dire ou que l’on nous accorde plus que nous ne sommes capables de recevoir, ou que l’enseignement supérieur va péricliter en nos mains?

Ces observations préliminaire posées, j’accorde sans peine que le rapport de M. Laboulaye est plein de contradictions, mais je ne crains pas de le dire, de contradictions qui m’effraient peu, si la nomination du nouveau ministre de l’instruction publique a un sens dans la pensée de ceux qui l’ont placé là.

Je vais essayer de faire ressortir mon affirmation du rapport même que je veux étudier dans ses parties principales.

Ne parlons pas de la saveur républicaine que M. le rapporteur jette sur les premières lignes. « Nous ne sommes plus au temps où Royer-Collard proclamait que l’Université a été établie sur cette base fondamentale que l’instruction et l’éducation appartiennent à l’Etat et sont sous la direction supérieure du roi« . Voilà le roi bien mis à sa place, n’est-ce pas, et recevant ce qu’il mérite, mais du même coup l’Etat est mis à sa place aussi et je suis loin de m’en plaindre. « Nous en avons fini avec l’idéal monarchique« , poursuit le rapporteur, et je suis assez de son avis en ce sens qu’un roi coiffé du bonnet de docteur en guise de couronne ne me va guère. Dieu veuille que nous en ayons aussi fini avec l’idéal universitaire.

« Sans doute il importe à l’Etat que les citoyens soient instruits. Il importe à la société que le flambeau de la civilisation passe de main en main sans s’affaiblir et sans s’éteindre. En ce sens il est vrai de dire que l’Etat a le droit et le devoir de s’intéresser à l’enseignement, mais il n’en résulte pas que lui seul ait le droit d’enseigner ». (Rapport.)

Ce n’est pas tout, mais c’est beaucoup. Non l’Etat n’a pas le droit d’enseigner les questions sur lesquelles il proclame son incompétence, et le nombre s’en accroît tous les jours; oui l’Etat doit laisser la liberté d’enseigner une foule de sciences auxquelles, comme Etat, il ne lui est permis de rien comprendre et sur lesquelles il est, en effet, d’une incompétence absolue; aussi acceptons-nous avec empressement cet aveu: « Il n’y a aucune raison pour conserver à l’Etat un monopole qui « inquiète les consciences, qui amoindrit la vie locale et qui, en supprimant la concurrence, amoindrit les études. Un enseignement officiel sera toujours un enseignement incomplet. »

C’est parler d’or, mais pourquoi l’avouer si tard? Et où domine l’intelligence; chez les catholiques qui le répètent depuis si longtemps, ou chez les universitaires qui ne s’en aperçoivent pas encore? Toutefois nous aurions ici à faire quelques réserves, mais les gens de la libre-pensée ne les comprendraient pas, nous les réservons pour plus tard.

Après un exposé rapide des réclamations des catholiques à la fin de la Restauration, aux premiers jours de 1830 et pendant tout le règne de Louis-Philippe, après avoir constaté que la République accorda enfin ce que la royauté bourgeoise avait refusé, après avoir confessé que l’Empire lui-même, sous l’impulsion d’un ministre non universitaire, avait fait préparer une loi sur la liberté de l’enseignement supérieur, M. Laboulaye reconnaît que le temps est venu de donner enfin satisfaction aux catholiques et aux Evêques. Car, bien qu’il ne les nomme qu’en passant, ce ne sont évidemment pas les libres-penseurs qui réclameront la liberté d’enseigner. L’Université fait trop bien leurs affaires pour qu’ils puissent acclamer autre chose que ses prétendus droits.

Laissons de côté les luttes intérieures que le rapport nous signale au sein d’une première commission nommé par M. Ségris, et dont M. Guizot fut le président. Arrivons immédiatement à la commission dont M. Laboulaye est le rapporteur, et qui devait examiner le projet de loi présenté par M. le comte Jaubert.

« La commission n’a pas discuté longtemps le principe de la loi. Tous les commissaires choisis par les bureux, s’étaient prononcés pour la liberté d’enseignement supérieur. Aussi avons-nous fait de ce principe le premier article de la loi ».

« Quel état et quel état! » peut-on dire avec Bossuet parlant à Mme de La Vallière, le jour de sa profession. Oui, nous avons fait du chemin; tout y est-il bon? Je ne sais, mais dans l’état présent des choses, nous aurions tort de nous plaindre. Désormais le principe est posé, et désormais l’enseignement supérieur sera libre.

Le principe posé, voyez le résultat: Tout français (et par là entendez tout homme et toute femme) peut faire des cours publics, pourvu qu’il n’ait pas encouru certaines interdictions. Que peut-on désirer de plus? Ah! vous voulez des professeurs, vous en aurez de toute sorte. Vous le voyez, nous sommes pour la liberté.

« C’est également dans le sens le plus large que nous prenons le mot cours. Il ne s’agit pas seulement de leçons faites en concurrence avec celles que l’on donne dans les chaires publiques ». Mais prenez garde où vous allez, qui jugera la limite infranchissable dans un aussi vaste champ? Sera-ce le ministre de l’instruction publique? Sera-ce le procureur de la république? La libre-pensée, la morale indépendante auront-elles leurs professeurs? Ceci commence à préoccuper, et à force de permission au mal comme au bien, la vraie liberté ne finirait-elle pas par devenir impossible? « Bien hardi serait celui QUI ne se prête pas à l’enseignement! »

Ainsi nous y voilà. Tout sujet peut être abordé; on va loin avec cette opinion, et l’on déconsidère d’avance l’enseignement supérieur. –Il sera permis de tout enseigner, hormis ce qui constitue un délit suivant nos lois.

I’indifférence la plus absolue de l’Etat en matière d’opinions: arrière les principes, nous ne connaissons plus que les intérêts. Maintenant si l’on considère dans leur ensemble l’article 1 qui établit la liberté absolue de l’enseignement,l’article 2 qui permet aux associations de se former pour enseigner, l’article 9 qui lève les barrières posées par l’article 291 du Code pénal, l’article 11 qui permet de reconnaître établissements d’utilité publique les associations enseignantes, l’article 13 qui permet de fonder des universités conférant des grades moyennant une loi, je dis que nous avons tout ce qu’on peut désirer.

En effet, le principe de la liberté posé comme il est, ne peut plus se retirer. Ce principe a fait trop lentement son chemin pour ne l’avoir pas fait sûrement. Et quant à la loi nécessaire pour conférer des grades, je trouve la mesure profondément salutaire pour écarter une foule d’établissements de spéculation, de même aussi quand une association sérieuse aura obtenu par une loi le droit de conférer des grades, il faudra nécessairement une nouvelle loi pour le lui enlever. Ce sera la plus grande garantie donnée à la liberté acquise.

Car veuillez le remarquer, Monsieur, en lisant et relisant le projet de la commission, après avoir gémi sur le monopole passé, je me prends à m’effrayer de la licence future. Ces cours dont on accordera l’ouverture avec tant de facilité, où nous mèneront-ils, si l’on n’y prend garde. Certes, les catholiques réclament avec justice le droit d’enseigner, mais la liberté d’enseigner dans un pays qui ne croit à rien, où nous conduira-t-elle?

Je ne demande pas de restrictions; au nom de quelles croyances une société qui n’en a point pourrait-elle en poser? Affreuse situation que celle d’un peuple, qui, pour obtenir le droit de manger, en est réduit à reconnaître aux empoisonneurs le droit de tuer les gens!

Voilà pourtant où nous en sommes. Qu’en conclure? C’est la nécessité pour les catholiques de se grouper, de mettre en commun un redoublement d’efforts et de se mettre au plus tôt à l’oeuvre. Qu’au plus tôt des cours publics soient établis par eux, que dans ces cours les auditeurs se préparent, mais que les professeurs se préparent aussi. Quand plusieurs professeurs de cours auront mis leurs travaux en commun, une faculté sera bien près d’être formée. Puis viendra l’université, et ce sera un développement simple, naturel, légitime, irrésistible; croyez-vous qu’une fois le premier pas fait dans cette voie, il sera possible de refuser la faculté de conférer des grades? Pour moi, je ne saurais le supposer, sauf meilleur avis. Ces progrès accomplis, je ne dirai plus de l’Université: Delenda Carthago: mais comme Bossuet, d’une certaine déclaration: Abeat quo libuerit; et je crois qu’elle n’ira pas loin.

Veuillez agréer, Monsieur, l’hommage de mes plus respectueux sentiments.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum