ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.234
  • ARTICLES
  • DOM GUERANGER
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N. S., VIII, n° 46, février 1875, p. 356-358.
  • TD 6, P. 234.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DU PAPE
    1 BEAU CHRETIEN
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LITURGIE
    1 PENITENCES
    1 PRIMAUTE DU PAPE
    1 SAINT-SIEGE
    1 SALUT DES AMES
    1 SENTIMENT DES DROITS DE DIEU
    1 SERVICE DE L'EGLISE
    1 ULTRAMONTANISME
    1 VIE RELIGIEUSE
    2 BENOIT, SAINT
    2 BROGLIE, JACQUES DE
    2 CECILE, SAINTE
    2 CHARLES X
    2 COMBALOT, THEODORE
    2 GUERANGER, PROSPER
    2 PIE IX
    3 SOLESMES
  • février 1875.
  • Nîmes
La lettre

C’était pendant l’hiver de 1830, je courais après l’abbé Combalot, qui se disposait à prêcher le dernier carême entendu aux Tuileries par Charles X. Je rencontrai le vaillant missionnaire arrêté dans la rue du Bac, avec un jeune ecclésiastique, dont la stature grêle était courronée par la tête la plus expressive comme esprit et austérité. Je retins l’abbé Combalot; et comme le jeune abbé s’éloignait: « Mon cher, me dit-il avec cette voix prolongée qu’il prenait si bien quand il voulait donner plus de valeur à sa sentence, ce petit homme rêve une révolution dans la liturgie ».

A quelques années de là dom Guéranger fondait Solesmes, et un peu plus tard publiait les Institutions liturgiques . La révolution prédite commençait à se réaliser.

L’histoire ecclésiastique dira un jour avec quelles douleurs fut accompli ce grand changement, dont le principal instrument eut, au-dessus d’une science et d’un talent incontestés, le mérite si rare aujourd’hui d’avoir su, dès les premiers jours de sa carrière, ce qu’il voulait, et de l’avoir inflexiblement poursuivi sous le coup de toutes les oppositions, sauf celle de Rome. On semait alors dans les larmes et bien souvent dans les déceptions. On se dévouait avec frénésie à la cause de l’Eglise et l’on était étonné que l’Eglise n’acceptât pas avec reconnaissance et bénédiction tous les plans que laïcs et prêtres découvraient chaque jour en sa faveur, sans prendre la peine de consulter l’autorité légitime. Je crois bien qu’il y avait, au fond, beaucoup d’ignorance, encore plus de présomption naïve; beaucoup d’orgueil chez un chef; chez les jeunes, l’envie de devenir des hommes forts, comme on disait en ce temps-là.

Dom Guéranger eut l’immense avantage, avec une ardeur égale à celle des plus ardents, de regarder toujours du côté du Vatican et de lui demander toujours sa direction. Il la reçut, la suivit; et s’il eut des regrets au spectacle de certaines chutes,il n’eut pas pour lui un seul jour d’éclipse. Quand la tempête arriva, sa barque était portée si haut sur le rocher de Pierre qu’aucun flot ne put l’atteindre, même de son écume.

Dans cette abbaye de Solemes, où j’ai le regret de ne l’avoir pas visité, il faisait avec une grande foi des choses merveilleuses. Sa santé, depuis longtemps brisée, obéissait pourtant à une volonté de fer; et, s’il avait adouci quelques-unes des prescriptions monastiques de son patriarche, à coup sûr il avait laissé assez de sévérité pour effrayer tous ceux de ses disciples qui surtout ne voulaient pas, avant d’être savants, [cesser d’]être moines.

L’Eglise inspire à ses enfants des aptitudes diverses: les uns cherchent la pénitence et la séparation du monde terrestre dans le laid, se contentant de la perfection invsible; les autres persuadés que Dieu, beauté infinie, a fait rejaillir sur ses saints la lumière de son visage, estiment qu’il ne dédaigne pas d’être honoré par les formes multiples de l’art humain divinisé à son service, et aiment à attirer comme un reflet de la splendeur divine dans les oeuvres consacrées à sa gloire. L’abbé de Solesmes était de ces derniers: le rétablissement de son abbaye, le cloître de Sainte-Cécile, la pureté des chants du choeur, la majesté de toutes les formes liturgiques, tout cela lui était particulièrement cher et rentrait dans son plan de restauration de la vie monastique telle qu’il la rêvait.

Le moine était assidu à sa stalle, il ne l’était pas moins à la table de travail.

Il ne craignit pas de combattre le livre de M. Broglie sur les premiers siècles de l’Eglise, et, avec un coup d’oeil prophétique, de signaler les dangers d’une école qui, tout en se disant chrétienne, semble avoir horreur du surnaturel et s’appliquer à le réduire au plus mince minimum, comme si le chrétien amoindri lui eût fait pressentir la politique que chacun sait.

L’Année liturgique dont neuf volumes ont paru, la Vie de S. Benoît, commencée depuis dix-huit ans environ, restent inachevées.

C’est tantôt il retouchait ses oeuvres comme la Vie de Ste Cécile, tantôt il se croyait obligé de reparaître dans l’arène et de lancer dans les luttes du Concile, où Pie IX l’avait appelé [et] d’où la maladie l’éloigna, ce chef- d’oeuvre de polémique, le livre de La Monarchie pontificale, qui fut le dernier coup de massue tombé, sinon sur les inopportunistes, au moins sur certaines inopportunités. Puis vint la sentence du Concile et, à partir de ce moment, l’abbé de Solesmes eut terminé son oeuvre.

Plus heureux que tant d’autres de ses amis, il put voir Pie IX proclamer seul l’Immaculée-Conception, et puis avec l’Eglise enseignante l’Infaillibilité pontificale: qu’avait-il à demander de plus ici-bas?

Le saint et savant bénédictin est mort, dit-on, en faisant le catéchisme à une petite fille, après avoir refusé la pourpre romaine. Il connaissait la valeur des âmes, et toutes celles à qui il pouvait faire du bien lui devenaient aussitôt précieuses. Avec lui finit une génération de vaillants d’Israël. Puisse la génération qui suivra offrir, à part certaines défaillances, le même amour pour la cause de Dieu, la même tendresse filiale pour l’Eglise, le même dévouement simple et fort dans l’obeissance à Pierre et à ses successeurs!

E. D'A.
Notes et post-scriptum