ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.239
  • ARTICLES
  • UN SCANDALE ET UNE LEÇON
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N. S., VIII, n° 48, avril 1875, p. 522-534.
  • TD 6, P. 239.
Informations détaillées
  • 1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 AUMONIERS SCOLAIRES
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 DOGME
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 ENTERREMENT
    1 ETAT
    1 FOI
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 HERESIE
    1 INDIFFERENCE
    1 INSPIRATION BIBLIQUE
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIBRE PENSEE
    1 MAITRES
    1 MANQUE DE FOI
    1 MINISTRES PROTESTANTS
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 PAIX
    1 PANTHEISME
    1 PAPE DOCTEUR
    1 PARENTS D'ELEVES
    1 PARLEMENT
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PROVISEURS
    1 RELIGIONS ADVERSAIRES
    1 REVOLUTION DE 1789
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 SAINT-SIEGE
    1 SCEPTICISME
    1 SOCIETES SECRETES
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 TOLERANCE
    1 TRINITE
    1 UNIVERSALITE DE L'EGLISE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 AGAR
    2 BRUNEL
    2 CAZEAUX, DOMINIQUE
    2 COQUEREL, ATHANASE
    2 COURNOT, ANTOINE
    2 COUSIN, VICTOR
    2 CROMWELL, OLIVIER
    2 ETIENNE, SAINT
    2 GRISY, DE
    2 GUIZOT, FRANCOIS
    2 HEGEL, FRIEDRICH
    2 ISAAC
    2 ISMAEL, BIBLE
    2 JUSTE-LIPSE
    2 NAPOLEON Ier
    2 NAPOLEON III
    2 PAUL, SAINT
    2 SARA
    2 SERRANO, FRANCISCO
    2 SIMON, JULES
    2 VIGUIE, JEAN-ARISTE
    3 ALLEMAGNE
    3 FRANCE
    3 HOLLANDE
    3 JERUSALEM, GOLGOTHA
    3 LEYDE
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PRUSSE
    3 THABOR
  • avril 1875.
  • Nîmes
La lettre

Nous recevons de Nîmes une lettre que nous publions en entier, sous forme d’article, et qu’il conviendrait d’intituler:

TRAITE D’ALLIANCE CONCLU ENTRE L’UNIVERSITE ET LE PROTESTANTISME SUR LES AUTELS DE LA LIBRE-PENSEE.

Les obsèques de M. Cazeaux, ministre protestant, aumônier du lycée et des écoles normales, ont donné lieu, le 13 mars dernier, à une manifestation dont la gravité ne saurait échapper à vos lecteurs. C’est un signe du temps.

Les détails que nous relevons, ainsi que les passages des discours prononcés, sont empruntés au journal Le Midi, organe reconnu du protestantisme.

« Après le Consistoire, marchait l’Université avec son drap porté par M. de Grisy, inspecteur d’Académie; le proviseur et le censeur du lycée et M. Brunel, professeur d’histoire. Tous les professeurs du lycée et de l’Ecole normale… Les élèves du lycée et de l’Ecole normale formaient la haie de chaque côté du funèbre cortège… »

Ainsi les catholiques assistaient à une fonction religieuse protestante. Que les protestants accompagnent le convoi de leur aumônier, ils ne peuvent voir dans cet acte autre chose qu’un devoir et un dernier témoignage de sympathie reconnaissante. Que les protestants se mêlent sans scrupule au convoi des Catholiques ou des Israélites, cela s’explique très-bien par leur indifférence systématique, au moins apparente, en matière de culte. Pour des catholiques, la question est tout autre, et nous doutons fort que l’on ait pris, à ce sujet, le conseil de M. l’Aumônier catholique. L’usage ne saurait prévaloir contre la loi. Mais ce n’est pas sur ce point qu’il conviendrait d’insister.

Je disais tout à l’heure que la cérémonie, où la douleur d’une famille impose tant de respect, où l’incertitude d’un avenir éternel commande un involontaire effroi, tient, de la présence en corps des ministres, le caractère d’une fonction religieuse à laquelle prennent part tous les assistants. Ce caractère a semblé compromis par le discours de M. Viguié, Président du Consistoire. Malgré l’émotion qui s’y fait sentir, à chaque ligne, malgré quelques mots empruntés au langage de la piété, malgré la citation d’un passage de l’Evangile, ce discours est, d’un bout à l’autre, le discours d’un libre-penseur, et pas un ne le désavouerait.

M. Viguié appartient, évidemment, au protestantisme libéral le plus avancé, et il loue M. Cazeaux d’avoir marché dans cette voie large, sans avoir même « éprouvé ces secousses douloureuses que tous, plus ou moins nous avons ressenties dans notre développement religieux…. La formule dogmatique et l’élément extérieur et moderne du Christianisme lui parurent secondaires ». Cela veut dire qu’il n’y a plus de dogmes; ce que nous appelons dogme, il faudrait bien plus tôt le nommer une opinion personnelle, variable d’une conscience à une autre, et ce qui fait le lien unique des associés d’un même culte, c’est la Charité, une Charité large, tellement large, qu’au dire de M. Coquerel, le Christianisme n’est, au fond, qu’un échange de bons et pieux procédés.

M. Viguié croit en Dieu, son discours en témoigne; mais cette opinion n’est pas un dogme absolu. M. Viguié croit-il à une trinité de personnes en Dieu, vraiment distinctes en tant que personnes; nous avons de fortes raisons d’en douter, malgré la formule de bénédiction, qu’en vertu de son ministère pastoral, il a cru pouvoir administrer aux assistants de tous les cultes qui l’entouraient.

Dans la pensée de M. Viguié, il est donc permis de croire ce que l’on veut ou de ne rien croire du tout. Aucun dogme, pas même celui de la divinité de Jésus-Christ, pas même celui de l’inspiration de la Bible, ne s’impose aux consciences chrétiennes. Et de fait, dans une conférence tenue à l’Oratoire de Nîmes, M. Coquerel signala un jour, dans la Bible, une foule de passages que sa raison ne pouvait accepter et même que sa conscience rejetait « avec horreur ».

M. Viguié est donc libre-penseur et il admet à la communion de son église les libres-penseurs de toutes les nuances. Mais le champ des morts est-il bien un lieu propice à de telles manifestations? Pourquoi mêler à une cérémonie funèbre, où il ne semble y avoir place que pour la douleur, les échos d’une lutte acharnée qui a creusé une scission profonde entre les protestants de tous les pays? Il semble qu’au moment où la dépouille mortelle d’un homme est rendue à la terre, la pierre et le silence de toute parole humaine seraient l’hommage le plus respectueux à la mémoire du mort et à la douleur des survivants. Pourquoi s’exposer, sur le bord d’une tombe, à soulever l’opposition des protestants orthodoxes? Pourquoi froisser le sentiment des catholiques, qu moment où l’on se réjouit de leur présence?

Non-seulement M. Viguié n’a pas compris ce qu’il y avait d’inopportun à faire d’un éloge funèbre une manifestation de parti, mais son zèle hétérodoxe l’a entraîné jusqu’à employer des expressions un peu vulgaires, un peu criardes, et à son insu, sans doute, assez blessantes. « Quand nous paraîtrons devant Dieu, il ne nous demandera pas….dans quel compartiment religieux nous nous sommes développés. »

L’Eglise Catholique, Apostolique-Romaine, cette grande Eglise qui, hier glorifiée, aujourd’hui persécutée, attire toujours les regards et concentre l’attention du monde entier; aussi visible, plus visible peut-être sur son Golgotha que sur son Thabor; « la plus haute école de respect » comme le disait un célèbre protestant orthodoxe; la cité que Jésus-Christ a établie sur la montagne pour que sa lumière se répande sur toute la terre; ce Vatican contre lequel l’Allemagne incrédule lutte en vain avec toute sa puissance; cette église de Rome à laquelle notre France obéit encore: aux yeux de M. Viguié, cette Eglise est un compartiment religieux. Comme les vers à soie se développent dans des cartons séparés, ainsi les âmes se développent dans divers compartiments, mais Dieu ne s’en inquiète pas. Développez- vous dans le carton musulman, dans le carton israélite, dans le carton calviniste, gomarien ou antigomarien, piétiste, quackérien, tout ce que vous voudrez, voire même dans le carton libre-penseur; Dieu n’en a cure et ne vous en demande pas compte.

Chose singulière! Les protestants avaient d’abord donné dans un excès révoltant. C’était leur dogme le plus incontesté, le moins variable d’une de leurs églises à une autre, que la foi en Christ suffit au salut; les bonnes oeuvres n’y sont pour rien. C’est ce dogme qui, au dire de M. Guizot, rassurait Cromwell mourant sur la destinée éternelle. Les voilà arrivés à une théorie toute contraire. D’après eux, les oeuvres sont notre seul titre au salut; c’est la seule chose dont Dieu nous demande compte au jugement. La vérité est que la foi sans les oeuvres est une foi morte; et que les oeuvres sans la foi ne sont que des oeuvres naturelles, produit exceptionnel du tempérament, mêlées de beaucoup de détails intimes qu’il ne faut pas regarder de trop près. Sauf les exceptions variables et inconsistantes que la nature produit, l’absence de foi engendre l’égoïsme et livre l’âme aux plus mauvaises passions. Sauf des exceptons peut- être plus rares encore, une foi fausse engendre des oeuvres abominables, et, plus d’une fois, la société civile a eu à se prémunir contre la fermentation de certains compartiments. Ainsi, M. Viguié, contrairement à son but, nous fait toucher du doigt la nécessité d’un pouvoir directeur, d’un pouvoir arbitre, en matière de foi; d’un pouvoir qui fasse tomber les barrières élevées par des chefs de sectes entre les divers compartiments et ramène ainsi toutes les brebis au même bercail. Que n’est-il lui- même frappé de cette évidence?

L’occasion a donc paru favorable à M. le Président du Consistoire pour se montrer protestant de l’extrême gauche, et les élèves catholiques du lycée et des écoles ont dû subir une leçon de libre-pensée.

Toutefois, il y a quelque chose de plus grave encore. M. le Président du Consistoire a cru pouvoir profiter, nous ne dirons pas abuser, de la présence d’un tel auditoire pour conclure et sceller une intime alliance entre le protestantisme et l’Université de l’Etat. De quoi nous nous garderons de le blâmer, si l’Université de l’Etat ne croit pas devoir s’en plaindre.

Citons. M. Cazeaux « aimait son lycée et ses écoles normales… L’Université lui était chère, cette grande et noble institution le passionnait. » L’Université, qui se plaint souvent d’être l’objet d’attaques passionnées, ignorait sans doute, et apprendra avec autant de plaisir que d’étonnement qu’elle a suscité des enthousiasmes exaltés jusqu’à la passion. Elle a donc trouvé le secret de faire aimer l’état, dont elle ne se distingue plus en rien, à une époque où ce personnage abstrait ne connaissait plus que le mépris de l’indifférence, souvent même des attaques violentes contre lesquelles il emploie légitimement la force, auxiliaire obligé du respect, son supplément quand il fait défaut. Mais l’Etat se fait Université; tout change de face, il est l’objet d’un culte passionné. Tous les libres-penseurs, les révolutionnaires radicaux s’unissent aux catholiques-libéraux pour l’adorer. Que veut dire ce changement? Ah! c’est la libre-pensée qui s’est vêtue d’une robe de pasteur ou d’une toge de professeur, qui parle piété en reniant la foi. Cette contradiction entre la toge et l’enseignement, entre les mots et la doctrine, est saluée avec bonheur par les sociétés occultes qui mènent le monde, surtout si l’on considère que c’est l’Etat qui paye et qui protège.

Mais poursuivons: « Il ne pouvait souffrir qu’on l’attaquât (l’Université) dans des vues mesquines et fanatiques. »

Voilà le mot lâché, le mot agressif qu’on veut faire sortir d’une tombe ouverte.

Mesquin et fanatique! Ce sont des mots un peu gros. A qui peuvent-ils bien s’appliquer?

Serait-ce à M. Jules Simon qui accusait naguère l’Université d’être arriérée au point de ne réussir à expliquer ni le grec, ni le latin, ni le français? Jules Simon, mesquin ou fanatique! Impossible.

Serait-ce à l’Académie des Sciences qui dans une séance mémorable, au lendemain de nos désastres, prononça des paroles qui eurent un retentissement immense et qu’on crut devoir effacer? Les échos affaiblis murmuraient les mots d’école et d’ignorance brutalement associés.

Ce n’est pas, sans doute, aux membres de l’Assemblée nationale que s’adressent ces épithètes injurieuses. Il est vrai que, dans le but hautement proclamé de rendre à la France la possibilité d’un enseignement sérieusement religieux et moral, plusieurs d’entre eux ont réclamé et réclament encore la liberté de l’enseignement supérieur, accompagnée de la liberté des programmes.

Non, les députés, les grands-maîtres, les académiciens, les magistrats, les pères de famille, ne sauraient être ni mesquins, ni fanatiques. S’il se plaignent parfois et se désolent, à la vue de tout ces ravages de l’impiété que l’on attribue au monopole universitaire, c’est qu’on les trompe.

Qui donc « attaque l’Université dans des vues mesquines et fanatiques? »

Qui!… Voulez-vous que je les nomme?

L’immense majorité du clergé français et des catholiques romains sans autre épithète.

Ils reprochent deux choses à l’Université:

1° D’avoir abdiqué toute indépendance vis-à-vis de l’Etat. Vue mesquine. Et de ne pouvoir même tolérer, elle si tolérante, un autre enseignement à côté du sien, combattant à armes égales. Vue de plus en plus mesquine.

2° De propager l’indifférence en matière de religion, et bien des fois l’impiété, et, par cela même, d’ouvrir de bonne heure les âmes des enfants à l’envahissement des passions mauvaises. Vue fanatique.

M. Cazeaux « la défendait avec feu, et certes, ajoute M. Viquié, nous nous associons bien à ses impatiences et à ses ardeurs ».

Je conçois très-bien que des pasteurs protestants, et surtout protestants libéraux, prennent fait et cause pour l’Université. Mais je voudrais qu’ils fissent connaître les vrais mobiles de leurs impatiences et de leurs ardeurs.

Qu’on vienne nous dire que « l’Université française, c’est la lumière, la lumière bienfaisante, pure, désintéressée; » soit. J’avoue que je ne comprends pas. mais d’autres comprennent sans doute ou croient comprendre. Passons; l’Université, c’est la lumière. Quant au désintéressement, je le sais, beaucoup de professeurs universitaires sont vraiment désintéressés par noblesse de caractère, ils ne sauraient tenir cette qualité d’une institution qui assimile le professeur à un sous-préfet ou à un garde-général.

Mais voici la confusion dans la lumière. On fait adroitement attribuer à l’Université actuelle des éloges qui, à l’étranger, se rapportaient évidemment à « cette vieille Université française, qui fut la mère et le type de toutes les Universités européennes ». Sans être la lumière, ce qui ne saurait se dire que de Notre-Seigneur, « cette vieille Université française » a longtemps été un vrai foyer de lumière, allumé au sein de notre France par le souffle généreux de la Papauté. Cette Université-là était libre, sous l’autorité de l’Eglise romaine, et sous la protection de nos rois.

M. Viguié ne saurait ignorer que la Révolution, après avoir cherché à corrompre la vieille Université, la bonne, finit par la supprimer radicalement. Vous n’ignorez pas qu’elle est restée bel et bien supprimée et n’a jamais été rétablie. Ceux qui aspirent à la rétablir et en postulent la liberté sont des esprits mesquins et fanatiques.

La nouvelle Université fut créée tout d’une pièce, plusieurs années après la mort de l’ancienne, par Napoléon Bonaparte, premier du nom. Depuis cette époque, la fille Cesar est au service, ainsi que ses enfants.

Ne confondez pas, s’il vous plaît, Agar et Sara, Ismaël et Isaac, le fils de la servante et le fils de la femme libre, la naissance selon la chair et la naissance selon la promesse, l’Université où enseignait saint Thomas et l’Université où Cousin secouait son scepticisme, l’Université où les Papes étaient écoutés et celle où Cesar est maître absolu.

Napoléon premier la créa pour servir, et Napoléon III acheva de river ses fers. Elle est l’Etat en même temps qu’elle est la Révolution. Comment serait-elle la lumière? Et comment une phrase dont la première Université est le sujet finit-elle par livrer son attribut à la seconde? Par quel tour l’Université française et libre du XIIIe siècle devient- elle, dans la même proposition, l’Université serve du XIXe, et comment est-elle en même temps la lumière sous ces deux formes antipathiques, contradictoires, qui se répugnent autant que la lumière répugne aux ténèbres?

Je mets la phrase entière sous les yeux du lecteur, pour que chacun puisse juger de cet effet de parole, et le qualifier à son gré: « Il disait, et nous disions avec lui, que cette vieille Université française, qui fut la mère et le type de toutes les universités européennes, comme on le proclamait naguère solennellement sur la généreuse terre de Hollande, il disait que cette Université française c’est la lumière, la lumière bienfaisante, pure, désintéressée. » Si le tour n’est pas large, il est à coup sûr, universitaire et protestant.

M. le Président du Consitoire fait sans doute allusion à l’anniversaire que vient de célébrer la ville de Leyde, en Hollande. Je n’ai pas sous les yeux les discours prononcés en cette circonstance par les délégués des corps enseignants. Mais ce qui ne saurait échapper à la première observation, c’est qu’entre la branche du service public qu’en France « on s’obstine à nommer l’Université » et l’Université calviniste de Leyde, il y a infiniment plus de distance qu’entre cette dernière et l’ancienne Université de Paris. Ce n’est pas une raison pour donner à l’Université de Paris des filles protestantes, et bien moins encore pour en venir, à la fin de la même phrase, à l’identifier avec ce je ne sais quoi dont la Révolution et l’Empire ont grevé la famille française.

L’un des premiers professeurs de Leyde, Juste-Lipse, dit que « le souverain doit avoir à coeur la religion; qu’il ne doit en admettre qu’une seule; qu’il doit punir les dissidents, s’il n’y a pas inopportunité; que le tolérantisme est une fausse paix, une dérision jetée à la divinité, la ruine de la félicité publique et le renversement des lois ».

Il est vrai que cet auteur, revenu sincèrement à la foi, mourut dans les meilleurs sentiments.

Pauvre Hollande! Elle aussi commence à recueillir les fruits du schisme et à graviter dans l’orbite prussien. La première à rappeler son ministre accrédité auprès du Saint-Siège, elle semble obéir sans qu’on ait besoin de lui commander. Au premiers signal, elle reconnaît Serrano, elle démolit les forteresses de ses frontières, elle s’endort, sans alliance, dans une trompeuse sécurité, comme si, déjà, dans la dernière guerre, elle n’avait pas entendu de près les menaces d’une invasion armée, comme si l’on n’enseignait pas sur les bords de la Sprée, que les Hollandais, étant de race allemande, ont tout intérêt à leur incorporation dans la grande patrie germanique. Les reptiles distillent déjà leur venin, même en Hollande. La persécution contre l’Eglise catholique y trouve des approbateurs. Beaucoup de professeurs sont allemands. Si M. Viguié le savait, sans doute ses sympathies seraient froissées, j’aime à le croire.

Ces professeurs allemands savent à merveille insinuer à leurs disciples l’admiration pour la grande patrie germanique. C’est leur thème ordinaire.

Toutes les faveurs, toutes les places sont pour l’incrédulité. Les orthodoxes n’ont qu’à courber la tête; on le leur a dit en plein parlement Hollandais.

Savez-vous ce que les esprits forts de Hollande prétendent opposer à l’invasion allemande? Des ligues et congrès de la paix, l’institution de tribunaux internationaux; Risum teneatis, ô Borussiani!

La majorité de la population est protestante. Mais le protestantisme y est dégénéré, dans ces dernières années, en véritable incrédulité. Le principal journal des orthodoxes affirme, dans son numéro du 24 janvier dernier, que « l’église réformée de Hollande compte un million de membres qui n’admettent plus la Bible, et un demi-million qui, tout en donnant extérieurement quelques indices de croyance, n’admettent plus un seul article de foi. » Or le nombre total des protestants de Hollande ne dépasse pas deux millions! Donc plus de la moitié du peuple vit sans aucune foi. Fruit mûr pour la conquête!

Le panthéisme progressif de Hegel, est le seul évangile d’un grand nombre de Hollandais, et, en particulier, de leurs gouvernants.

Voilà où en est arrivée « cette généreuse terre de Hollande », sous l’influence de la libre pensée. Il était peut-être bon de dire ces choses, et nous remercierions M. Viguié de nous avoir attiré à cette digression, s’il ne fallait pas toujours répéter: Le lieu était mal choisi pour un tel prêche.

Selon messieurs les pasteurs, on manque de largeur dans l’esprit, quand on n’est pas universitaire.

L’Université, par l’organe de ses représentants officiels, a voulu se montrer reconnaissante. Elle s’est acquittée de cette tâche avec un tel empressement et une telle démonstration d’intime amitié que M. le Président du Consistoire a pu s’écrier.

« A cette heure, vous donnez un grand et noble exemple, qui honore et les maîtres et les élèves. Tous, sans distinction de culte, vous entourez ce cercueil. C’est touchant; mais c’est plus que touchant, c’est grand, c’est beau, c’est chrétien. Et, s’il y a une communication entre la terre et les cieux, l’âme de notre ami en tressaille de joie ».

Quelques personnes scrupuleuses ont pu s’offenser de cette forme dubitative: S’il y a une communication entre la terre et les cieux ». A tort. Car M. Viguié, excluant systématiquement le dogme, aurait pu et dû le dire: « S’il y a un ciel pour les âmes ». Vous pouvez l’admettre, je puis n’être pas de cet avis, sans cesser d’être chrétien, et vous ne devez pas supposer un dogme qui choquerait ma croyance personnelle.

Ainsi, « tous sans distinction de culte », ont recueilli, « confondus dans un même sentiment de respect, de regrets et de sympathie » les singuliers enseignements d’un homme qui se dit chrétien et pasteur. Donnaient-ils vraiment « un grand et noble exemple », ces maîtres et ces élèves, devant qui on bafouait ainsi toute « forme officielle » du christianisme, c’est-à-dire l’Eglise catholique, toute école dogmatique », c’est-à-dire l’école catholique, et, par surcroît, toutes les écoles où ne règne pas le scepticisme moderne?

Non-seulement ils consentaient, par leur présence, à une doctrine impie qui est le renversement du christianisme et la négation de tout culte; non- seulement ils se rendaient responsables d’une profession publique d’incrédulité, de la même façon que Paul le fut de la mort d’Etienne; mais encore, par leur organe le plus autorisé, tous ces représentants de l’Université ont prononcé publiquement leur adhésion à ce qui venait de se dire. M. le Proviseur du lycée s’est en effet chargé d’accepter, en leur nom, l’alliance qui leur était proposée. Lui, catholique, a voulu sceller de sa parole le traité passé avec le protestantisme radical.

« Au nom des élèves du lycée de Nîmes, que vous avez pendant trente années éclairés de la lumière de l’Evangile, et qui ont eu votre dernière pensée, je dépose sur votre cercueil cette couronne, symbole de celle que vous avez déjà reçue, dans un monde meilleur, de Celui qui, seul peut récompenser dignement ceux qui ont sur cette terre passé en faisant le bien.

« Au nom de cette jeunesse que vous avez aimée et qui se souviendra, dans les luttes de la vie, de vos fortifiantes leçons; au nom de mes collègues qui ont apprécié la dignité de votre caractère et l’élévation de votre esprit; au nom de l’Université dont vous avez bien mérité, je vous remercie, et je vous dis, non pas adieu, mais au revoir ».

Aussitôt, ajoute le journal protestant, M. Viguié, Président du Consistoire, répond:

« Et moi aussi, monsieur, au nom de cette famille en larmes, au nom du corps pastoral qui fut pour Cazeaux une seconde famille, au nom du Consistoire dont les principes furent toujours piété et charité, au nom de notre population si généreuse et si sympathique, au nom de Dieu, au nom de Dieu qui est amour, je vous remercie des belles et bonnes paroles que vous venez de prononcer.

« Et vous, mes frères, recevez la bénédiction du Seigneur… » On le voit, rien n’est oublié. L’alliance est conclue en bonne forme. D’une part c’est au nom des élèves du lycée, au nom des collègues de M. Jouvin, AU NOM DE L’UNIVERSITE; d’autre part, AU NOM DU CORPS PASTORAL, au nom du Consistoire, au nom de la population de Nîmes, catholique aux trois-quarts, que sont échangées ces communications pieuses dont on peut résumer le sens, avec quelque précision, dans les termes suivants:

Article premier: Dieu ne s’inquiète pas des vérités qu’accepte ou rejette notre raison. Le gouvernement des intelligences, établi par lui, c’est l’anarchie. Pas de dogmes communs.

Article second: Les divers cultes ne sont que des compartiments construits par l’intolérance. Nous, tolérants, tenons pour seul culte légitime le communisme des cultes, confondus dans je ne sais quelle admirable promiscuité.

On conçoit très-bien qu’un catholique à qui ces deux articles, entendus dans un prêche, au cimetière, n’ont paru causer que de l’enthousiasme, ait eu la hardiesse de canoniser un ministre protestant qui en était le zélé propagateur.

Les catholiques non universitaires, ni libéraux, passent pour fort intolérants, et toutefois, ils ne damnent et ne canonisent personne, lorsque Dieu ou son Eglise n’ont pas parlé. M. Jouvin ne se contente pas, comme nous, de l’espérance. Non, il affirme, d’une manière absolue; c’est un fait déjà accompli. Singulière apothéose d’un ministre calviniste prononcée sans hésitation par un proviseur catholique? Ce n’est plus de la tolérance, c’est un décret de canonisation universitaire.

Les élèves de M. Jouvin sont, en grande majorité, protestants. Toutefois, il s’y trouve une minorité catholique assez notable. Et M. le Proviseur, parlant au nom des élèves, sans distinction de culte, affirme que pendant trente années, M. le pasteur Cazeaux les a éclairés de la lumière de l’Evangile. Que faisait donc, s’il vous plaît, M. l’Aumônier catholique? A moins que cette lumière ne soit à la fois blanche et noire, et que le oui et le non*, prononcés sur le même sujet, sur une question identique, ne soient également lumineux.

Après tout, cela regarde les parents, et les élèves, sans doute, s’en inquiètent fort peu. Elèves et parents sont bien les maîtres de choisir entre ces trois termes:

Une éducation catholique,

Une éducation protestante,

Une éducation universitaire, c’est-a-dire mixte, un composé des deux, un amalgame où tout culte se perd, toute religion vient se dissoudre, pour faire place aux dangereuses fantaisies de la libre-pensée.

Tout dépend en effet de vous, ô familles. Quand vous le voudrez nous aurons une sérieuse liberté d’enseignement supérieur. Et si la liberté d’enseignement est vraiment sérieuse, l’Université ne tardera pas à rougir d’elle-même. En ce jour, ses membres les meilleurs viendront à l’Eglise, et la patrie pourra renaître.

Un chef d'Institution.
Notes et post-scriptum