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Informations générales
  • TD 6.261
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  • LETTRE A MONSIEUR LE MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
    SUR LES PROGRAMMES ET LES EXAMINATEURS DES EXAMENS DU BACCALAUREAT ES-LETTRES ET DU BACCALAUREAT ES-SCIENCES.
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N. S., IX, n° 51, juillet 1875, p. 193-197.
  • TD 6, P. 261
Informations détaillées
  • 1 BACCALAUREAT
    1 DEVOIRS DE L'HOMME
    1 DIPLOMES
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT RELIGIEUX
    1 ENSEIGNEMENT SECONDAIRE
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 EXAMENS SCOLAIRES
    1 GOUVERNEMENT
    1 GRADES UNIVERSITAIRES
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 JURYS SCOLAIRES
    1 LEGISLATION
    1 MANQUE DE FOI
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 PARLEMENT
    1 PROFESSEURS D'UNIVERSITE
    1 PROGRAMME SCOLAIRE
    1 REVELATION
    1 REVOLUTIONNAIRES ADVERSAIRES
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 DUMAS, JEAN-BAPTISTE
    2 DURUY, VICTOR
    2 FORTOUL, HIPPOLYTE
    2 SAINTE-CLAIRE DEVILLE, HENRI
    2 SIMON, JULES
    2 WALLON, HENRI-ALEXANDRE
    3 MONTPELLIER
    3 NIMES
  • Henri-Alexandre Wallon
  • juillet 1875.
  • Nîmes
La lettre

Monsieur le Ministre,

Maintenant que l’Assemblée nationale s’est prononcée sur le sort définitif de la loi sur l’Enseignement supérieur, permettez-moi de vous exposer, sur deux points principaux, les motifs de la divergence profonde qui doit subsister entre les vrais catholiques, ceux qui mettent avant tout les intérêts de leur foi religieuse, et l’Université officielle, fût-elle appuyée par certains catholiques.

L’Université de l’Etat sent que ses jours sont comptés; bientôt elle ne sera plus que la forteresse des doctrines révolutionnaires. En effet, dès que les Universités libres commenceront à fonctionner; on peut être assuré que l’élément catholique se séparera promptement de l’Université officielle, et l’établissement napoléonien se trouvera, selon le gouvernement qui régira la France, avant quelques années, dans l’alternative ou de cesser d’être, ou d’achever de passer sous le joug de la Révolution.

Voilà ce que, malgré les désirs de quelques honnêtes universitaires, il est aisé de le prévoir; voilà où la rigoureuse logique du développement de certains principes doit fatalement aboutir.

Je comprends très bien que le chef de l’Université veuille retarder pour la corporation qu’il préside un pareil malheur; mais le pourra-t-il? cela me paraît absolument impossible. Voici pourquoi:

Quels sont, en ce moment les plus ardents défenseurs de l’Université? Ne sont-ce pas les hommes de la Révolution? Quels en sont les adversaires déterminés? Ne sont-ce pas les vrais catholiques? La solution du problème est facile à trouver. Si les Révolutionnaires défendent l’Université, c’est qu’elle est révolutionnaire dans son essence; si les catholiques la combattent avec tant d’ardeur, c’est que, malgré quelques honorables aveugles, l’Université dans son fonds porte un élément anticatholique.

Cela est plus évident que le jour, excepté pour les aveugles.

Or, vous venez de dire aux catholiques: Messieurs, vous avez la liberté de l’Enseignement secondaire, vous avez de plus la liberté de l’Enseignement supérieur; seulement, entre ces deux enseignements, vous aurez la bonté d’envoyer vos enfants subir des examens dont nous nous réservons le programme, devant des juges qui, par la force des choses, deviendront chaque jour de plus en plus les ennemis de votre foi.

Une pareille situation est-elle tolérable pour les catholiques? Et ne comprenez-vous pas, Monsieur le Ministre, que le refus que vous leur faites de préparer eux-mêmes leurs programmes et de passer leurs premiers examens tout au moins devant un jury mixte, les blesse au plus profond du coeur?

Parlons d’abord des examinateurs. Quoi! les professeurs de nos facultés pourront faire subir les examens de la licence et du doctorat, et ils n’auront pas la capacité de faire passer les examens du baccalauréat. Ah! Monsieur le Ministre, c’est par trop se moquer des gens! Ou bien il y a là-dessous un motif secret que l’Université officielle craint d’avouer et que je me réserve de révéler tout-à-l’heure.

Oui, les professeurs des Facultés libres pourraient parfaitement faire passer des examens. Après tout, y a-t-il donc si longtemps que les examens se passaient au sein des Académies, là où ne subsistait aucune Faculté? Je connais des bacheliers de cette origine et je ne sais pas si les examens en étaient beaucoup plus faibles; plus tard on fit promener les examinateurs; il en venait à Nîmes de Montpellier; on en envoyait d’Aix en Algérie, si je ne me trompe. Enfin l’institution n’était pas très immuable; mais tout à coup on a parlé de la possibilité de Facultés catholiques. Oh! la question a immédiatement changé. Vivent les Facultés de l’Etat! Seules elles donnent la science, témoins les changements de M. Fortoul avec sa bifurcation, les modifications de M. Duruy, les incroyables aveux de M. Jules Simon, suivis de changements qui ont encore changé; témoins les déclarations solennelles de M. Dumas, de M. Sainte-Claire-Deville et d’autres chefs de la science; et il me semble, en consultant vos circulaires, que vous-même modifiez quelque peu les dispositions de vos prédécesseurs. Evidemment vous n’êtes pas bien sûr de votre affaire; vos programmes par les changements incessants qu’ils subissent, prouvent que, s’ils sont perfectibles, ils sont encore loin d’être parfaits. Pourquoi nous imposer des imperfections officielles?

Remarquez, Monsieur le Ministre, que je ne m’arrête pas aux questions matérielles; je ne dis pas avec le National de 1846 ou 47: l’Université, c’est une caisse; on garde les examens pour en percevoir les droits; mais je dis: si malgré ces perpétuelles variations dans les programmes, aveux très- explicites d’une incontestable faiblesse et d’un plus incontestable insuccès dans l’Enseignement, vous tenez tant aux privilèges des programmes pour le baccalauréat, vous vous réservez le monopole des examinateurs, c’est que vous avez un motif secret que vous ne dites pas et que je veux vous dire dans les termes les plus modérés que je pourrai trouver: L’Université n’aime pas l’Eglise catholique et elle s’en défie.

Donc, on donnera aux élèves formés par elle des examinateurs défiants de son enseignement. Prenez garde, Monsieur le Ministre, que la force des choses n’amène les catholiques à considérer les hommes, si honorables qu’ils puissent être, comme des surveillants soupçonneux, je n’ose pas dire comme les espions de leur foi.

Mais direz-vous peut-être: La foi n’a rien à faire ici; il s’agit d’une somme quelconque de science à constater chez les jeunes aspirants au diplôme.

On dit que vous êtes catholique, Monsieur le Ministre, et dans ce cas, vous savez assurément que la vérité première, qui est Dieu, doit imprégner de son influence toutes les vérités secondaires; vous êtes catholique, et vous savez assurément qu’en-dehors de certaines vérités que la raison humaine peut absolument atteindre, il est des vérités d’un ordre supérieur, dont Jésus-Christ est le révélateur suprême, comme Verbe éternel, et, comme Dieu fait homme, est le Docteur par son Eglise; et que ne pas tenir compte de ces vérités divines peut être chose agréable à la libre-pensée; mais c’est le sacrilège de l’intelligence pour le croyant catholique.

Eh bien, direz-vous encore, nous vous laissons le temps dans vos collèges d’enseigner ces vérités; mais l’Université, qui reçoit dans son sein les élèves de toutes les religions, ne peut pas s’occuper de ces sortes de questions et ne peut pas en faire une matière de ses programmes.

Vous dites vrai, Monsieur le Ministre, et c’est pour cela que j’accuse l’Université de pousser ses élèves à l’oublie de leurs premiers devoirs. Les premiers devoirs de l’homme sont pour nous les devoirs envers Dieu, Or, avec vos programmes, vous mettez une barrière entre ces devoirs et les aspirants au baccalauréat. On l’a dit, il faut le répéter à satiété: les jeunes gens, par l’effet des préoccupations des examens où l’on ne peut s’occuper de l’enseignement religieux, laissent de côté, aux années les plus importantes de leur vie, l’étude des questions religieuses.

Je serai franc. M. Wallon ne le veut pas, je le crois pour son honneur; M. le Ministre de l’Instruction publique est contraint de le vouloir, ou du moins d’agir comme s’il le voulait, ce qui revient au même. L’Université peut-elle être franchement catholique? Evidemment non, sans quoi la Révolution ne la protégerait pas comme elle la protège; et si elle n’est pas catholique, elle est contre Jésus-Christ qui a dit: Qui n’est pas avec moi est contre moi. L’Université n’est pas avec Jésus-Christ, n’est pas avec l’Eglise: donc elle est leur ennemie, et dans les programmes qu’elle impose, elle est, malgré elle, obligée d’infiltrer un venin d’incrédulité par l’oubli des questions religieuses. Et vous voulez qu’à mesure que les catholiques s’apercevront de cet état plus clair que la lumière, ils ne prennent pas pour l’institution universitaire les sentiments de la défiance la plus grande.

Le meilleur moyen d’éviter ces inconvénients, c’est de laisser libre chaque établissement d’instruction secondaire. J’admets qu’un jury vérifie si ce programme est suffisamment fourni de matières scientifiques et littéraires, j’admets qu’on vérifie que les livres qu’on y indique n’ont rien de contraire aux moeurs, comme les catholiques en rencontraient naguère dans le programme universitaire: mais passée cette limite, je ne puis comprendre qu’on ne nous laisse pas le choix de nos programmes, de nos examens et de nos examinateurs.

Vous ne trouverez donc pas mauvais, Monsieur le Ministre, que les catholiques conjurent tous les députés qui ne sont pas franchement révolutionnaires, de réclamer les programmes d’études rédigés dans un sens catholique, des examens faits d’après ces programmes et des examinateurs capables d’interroger sur des questions religieuses.

Je suis avec respect, etc.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum