ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.268
  • ARTICLES
  • LES DROITS DE DIEU ET LES IDEES MODERNES, PAR L'ABBE FRANCOIS CHESNEL, VICAIRE GENERAL DE QUIMPER.
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N. S., IX, n° 54, octobre 1875, p. 534-542.
  • TD 6, P. 268.
Informations détaillées
  • 1 ACTES PONTIFICAUX
    1 ASSOCIATION
    1 ATHEISME
    1 CAUSE DE L'EGLISE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 COMMUNISME
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 CREATEUR
    1 CREATURES
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 DROITS DE DIEU
    1 DROITS DE L'HOMME
    1 ENFER
    1 ETAT
    1 ETAT DIEU
    1 FAMILLE
    1 GALLICANISME
    1 GOUVERNEMENT
    1 IDEES DU MONDE
    1 JUSTICE
    1 LEGISLATION
    1 LIBERALISME
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 LIBRE PENSEE
    1 MAGISTERE
    1 MORALE
    1 MORALE INDEPENDANTE
    1 NATURALISME
    1 PAPE
    1 PEUPLE DE DIEU
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PROPRIETES FONCIERES
    1 RESPONSABILITE
    1 REVELATION
    1 REVOLTE
    1 ROYALISTES
    1 SALUT DU GENRE HUMAIN
    1 SEPARATION DE L'EGLISE ET DE L'ETAT
    1 SOCIALISME
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 SOUVERAINETE POLITIQUE
    1 VERTU DE RELIGION
    2 BISMARCK, OTTO VON
    2 CHESNEL, FRANCOIS
    2 DARRAS, JOSEPH-EPIPHANE
    2 EURIPIDE
    2 GREGOIRE VII, SAINT
    2 HENRI IV, EMPEREUR
    2 JOB, BIBLE
    2 NERON
    2 PAUL, SAINT
    2 PIERRE, SAINT
    2 ROBERT BELLARMIN, SAINT
    2 ROYER-COLLARD, ALBERT-PAUL
    3 QUIMPER
  • octobre 1875.
  • Nîmes
La lettre

« Un livre élémentaire sur les erreurs qui sont le plus répandues dans le temps où nous sommes » (Préf.,P.II), mais c’est un des précieux cadeaux à faire à un public très- nombreux parmi les sages du jour. Ah! que de gens qui croient savoir et sont des sots! comme disait saint Paul, il y a bientôt deux mille ans. C’est toujours le même état des esprits: des sots à force de se croire sages; voilà de quoi se peuple l’humanité civilisée. Pourtant ce n’est point à ces gens-là que le livre de M. Chesnel fera du bien; ils passeront, regarderont et n’y comprendront rien. Est-ce que Dieu, s’il existe peut avoir d’autres droits que ceux qu’ils voudront bien lui accorder?

Mais il est un certain nombre d’âmes naïves encore, assez sincères pour comprendre que les choses vont mal, sans savoir encore trop pourquoi, assez intelligentes pour croire qu’il n’y a pas d’effets sans cause, juste l’opposé des libres-penseurs, mais qui ne saisissent pas encore ou quelle est cette cause, ou quels sont ses rapports avec les effets incontestables, je veux dire le mal croissant des sociétés. Elles veulent s’instruire, percer le redoutable problème dressé devant elles. A ces âmes, le Livre élémentaire comme l’auteur l’appelle, cera une révélation.

Je voudrai bien (mais quelle impertinence de l’espérer), qu’une main chrétienne le plaçât sur la table de quelques-uns de nos habiles législateurs; qui ne se doutent pas que la science du droit social se résume dans la science des droits de Dieu. Paradoxe incroyable pour les trois quarts. Pourtant je ne doute pas que quelques heures données à l’oeuvre du Vicaire général de Quimper n’amènent d’abord des scandales, puis des étonnements, puis un bouleversement d’idées, chez plus c’un bon esprit égaré, mais non perverti. Il y a aujourd’hui tant d’hommes supérieurs, pleins des meilleures intentions, mais qui, par pure ignorance, débitent des absurdités dont malheureusement la pauvre France paie les conséquenses pratiques:

L’Eglise dont la lumière dès le premier jour est montée comme celle du soleil levant, mais qui, à la différence du soleil, ne connait pas de déclin -nescit occasum- toujours la même, toujours plus éclatante, semble changer, parce qu’à travers les siècles elle projette de plus abondants rayons. Elle tient toujours le même langage, mais à mesure que des erreurs multiples attaquent son immuable vérité, elle est toujours plus féconde dans ses commentaires; elle ne dit jamais autre chose qu’au commencement, elle dit selon les âmes pour les éclairer, selon les erreurs pour les réfuter, selon les besoins pour les apaiser, selon les dangers pour les dissiper. Et quand l’Eglise, du haut de son magistère infaillible, après les luttes qu’elle à cru suffisantes pour faire le jour, fixe, en la précisant, la doctrine catholique, objet de scandale pour l’orgueil de tous les temps, il se fait un apaisement profond dans les âmes droites, un ébranlement non moins profond dans celles que l’anathème atteint, et ces grands coups n’ont fait tant de bruit que parce qu’ils ont frappé juste (p.XIII), car ce que l’auteur dit des derniers actes pontificaux et des derniers Conciles, il faut le dire de tous les actes pontificaux à travers les âges.

Mais laissons le passé, occupons-nous du présent. La grande erreur moderne, c’est l’erreur libérale. Qu’est-donc que le libéralisme: C’est l’Etat débarrassé de l’Eglise, c’est l’ordre naturel repoussant l’ordre surnaturel, c’est l’humanité affranchie de Dieu; tous les libéraux ne vont pas jusque-là; mais le principe y va. Pour plus de clarté, je rappellerai que Bellermin appelait les libéraux de son temps les libertins (libertinos). Qu’après cela il y ait des libéraux absolus et des libéraux modérés, qu’importe? Les uns sont plus logiques et plus effrayants, les autres plus inconséquent parce qu’ils sont plus honnêtes ou plus habiles.

En face de ces adversaire, quel est le plan de l’auteur? « Il traitera d’abord de la souveraineté de Dieu sur tout l’ordre social, vérité fondamentale qui est niée par le libéralisme absolu; ce sera l’objet du premier livre. (Celui que nous avons entre les mains.) »

« Il traitera ensuite de la part de souveraineté sur l’ordre social donnée par Dieu à l’Eglise dans la personne de saint Pierre; c’est ce que nie le libéralisme modéré, et ce sera l’objet du deuxième livre. » (Terrain brûlant: M. de Bismark permettra-t-il qu’on y pose les pieds?)

« Il exposera enfin l’histoire des rébellions contre la souveraineté qui appartient à Dieu, et qu’il a confiée à son Eglise; ce sera l’objet du livre troisième et final. »

Ah! Monsieur Chesnel, Monsieur Chesnel, où allez-vous vous engager? Je finissais, pas plus tard que ce matin, l’admirable histoire de saint Grégoire VII, par l’abbé Darras, dans son 22° volume. Je frémissais en voyant toutes les calomnies, tout ce que le Néron du XI° siècle, Henri IV, avait accumulé de ruses, de mensonges, d’hypocrisies, de persécutions, d’infamies, d’abominations, pour soutenir sa révolte contre un des plus grands génies que le monde ait produits, une des plus admirables figures de saint que l’Eglise ait enfanté. Et je me demandais comment un si grand nombre de clercs, d’abbés, d’évêques, avaient pu soutenir la cause du monstre impérial. Hélas! c’est qu’au delà des doctrines mises en avant, les défenseurs de l’empereur Henri IV y trouvaient leur intérêt. Côté humiliant des question, mais côté trop vrai pour qu’il ne faille pas en tenir compte.

Rien de plus simple que ce principe, le souverain propriétaire est maître de sa propriété; le créateur est maître absolu de la créature, qu’il a tirée du néant et qu’il peut y faire rentrer. Niez-vous cet axioms, il faut nier Dieu. C’est bien fort. L’acceptez-vous? la conséquence est rigoureuse, le créateur a un domaine absolu sur la créature, sur les individus, sur les collections d’individus, sur les peuples, sur les familles de peuples, sur l’humanité considérée comme un tout moral. Maître absolu, personne ne commande que par lui. Per me reges regnant, et legum latores justa decernunt. Entendez-vous, souverains? rois ou empereurs? Entendez-vous aussi MM. les députés législateurs?

De là trois principes:

« La source des sociétés humaines est divine: ceux qui gouvernent les Etats sont les ministres de Dieu et non pas du peuple. Enfin, la souveraineté humaine, c’est-à-dire le droit de gouverner les hommes peut s’acquérir ou se perdre. »

Ce dernier point scandalisera quelques lecteurs. Pour les rassurer, hâtons- nous de leur dire que M. l’abbé Chesnel est aussi légitimiste qu’un breton puisse l’être, mais il n’est pas gallican. Du reste, M. Chesnel se gêne peu avec ses adversaires et leur rappelle du premier coup les sentences du Saint-Esprit: L’homme vain s’enfle d’orgueil et il se croit libre comme un ânon sauvage (Job.XI).

Nous sortons du néant: voilà notre origine, et, s’il plaisait à Dieu, nous y rentrerions soudain. Ou nions Dieu, ou reconnaissons cette incontestable vérité, et si nous la reconnaissons, reconnaissons son suprême domaine sur l’univers, sur l’humanité, sur tous les hommes séparés ;ou unis. Cela dit, la controverses est facile. Dieu ne peut pas, nous ayant créés, ne pas être notre maître, car si nous étions indépendants, il y aurait des êtres contre qui sa puissance viendrait se briser, ce qui implique contradiction. Dieu créateur, Dieu conservateur des êtres en leur donnant constamment l’existence! Et puis, agissez comme si Dieu n’était pas: mais avant, niez-le.

Dieu régénérateur: Mais ceci nous conduit non-seulement à la révélation, à un Dieu parlant aux hommes, les rachetant, les sanctifiant, leur assurant d’immortelles destinées société des anges et des saint, mais encore à Dieu ayant le droit de commander aux réunions d’hommes vivant en société. Or, la nature de ce domaine, de cette propriété, de cette juridiction, il faut l’étudier pas à pas; et, à mesure qu’elle se déroule, on voit combien Dieu rend l’homme grand, en prenant la peine de s’occuper ainsi de sa petitesse, mais on voit aussi combien l’homme se rapetisse en voulant s’agrandir lui-même en dehors de la dépendance de Dieu.

Pour nier ces vérités élémentaires, il faut être ou athée ou panthéiste, ou déiste; mais le déiste posant des limites à l’omnipuissance de Dieu est un athée commencé, un athée inconséquent, lequel, dès qu’il voudra être logique, roulera dans le franc athéisme. M. Chesnel vous le montrera clairement dans ce temps de si grandes tristesses, les croyants ont cette joie de voir que la séparation devient de plus an plus évidente et que nous en sommes, en matière de vérité, à dire: tout ou rien; non pas que la pauvre raison ne puisse retenir quelques vérités, mais, sans la révélation, elles sont si maigres, si enveloppées d’erreurs, si isolées qu’on ne sait où cela ira si Dieu n’y met pas la main par un secours surnaturel. Je remercie particulièrement l’auteur de la façon si nette dont la question est traitée par lui.

A mesure que l’auteur avance, sa logique devient si serrée et en même temps son argumentation si originale, qu’il est à la fois impossible de l’analyser, c’est-à-dire de réduire davantage son raisonnement, et de n’être pas tenté de le citer en entier. Eh bien! qu’on le lise! Pour moi, je le lis pour la seconde fois et je me propose, à cause du plaisir que j’y trouve, de le relire une troisième. Les amis de la langue française y trouveront grand plaisir, et les chrétiens, désireux de s’instruire, grand profit.

L’Etat n’est pas seulement la somme des droits individuels, ni une abstraction pure de l’esprit. Il existe réellement dans la puissance de ceux qui exercent là souveraineté. Cette existence concrète de l’Etat est particulièrement gênants pour ceux qui, arrivés au pouvoir, veulent faire leurs quatre volontés. Si l’Etat est une pure abstraction de l’esprit, comme ce sera commode! Qui répond d’une abstraction? On acceptera la petite morale, mais la grande, celle qui se permettrait de parler conscience aux hommes d’Etat. Bah! Vive l’Etat abstrait! Je me suis souvent demandé si les gouvernants des sociétés modernes croyaient avoir une âme; car, s’ils en ont une, elle est immortelle, elle est responsable devant Dieu. Voilà la gêne. Mais aussi, des gouvernants sans âme, c’est un peu fort. Et pourtant nous allons à ce terme par la suppression de la grande morale.

Voilà où en était réduit un de nos plus grands hommes d’Etat, M. Royer-Collard. Non, l’Etat abstrait n’a pas d’âme; mais les rois, les empereurs, les présidents, les députés eux- mêmes, les gardes-champêtres ont une âme; et quoi qu’on dise, leurs âmes sont responsables, à moins que l’on ne prétende qu’à mesure que la position grandit, la responsabilité diminue, à cause de l’abstraction suprême de la notion de l’Etat. Ceci tombe dans la démence, et c’est pourtant du Royer-Collard tout pur.

Non, à moins de tomber dans l’Etat-Dieu, tous les Etats sont responsables dans la personne de leurs chefs. Dieu seul ne l’est pas, parce qu’il est la puissance et la loi éternelle. Il apporte bien dans la société un autre élément, l’amour, dont les sociétés modernes s’occupent très peu; c’est pourquoi on s’y aime si tendrement que les partis ne s’y déchire jamais, chose étonnante! La langue grecque, si philosophique, a un mot pour exprimer pouvoir et commandement, comme pour attester que la société commence par en haut et non par en bas. On n’a pas assez remarqué l’étroit relation entre les politiques, qui placent le pouvoir dans le peuple et les philosophes qui font commencer, sans création aucune, les êtres organisés des champignons.

Oui, le pouvoir vient de Dieu et non des peuples, non pas d’en bas, mais d’en haut. Il est au-dessus du peuple, indépendant de lui, quoique fait pour lui par la miséricorde de Dieu; uni au peuple comme l’âme au corps, dont toutes les molécules réunies ne feront jamais une âme; vivant dans des êtres responsables, à la différence du corps, qui ne l’est point, et qui, pourtant dans un sens, le sera pour les élus dans le ciel et pour les damnés dans l’enfer. Ceci soit dit en passant pour les amateurs de molécules populaires. On voudra bien lire avec la plus grande attention le chapitre VI: Comment s’acquiert et comment se perd la souveraineté: on verra où aboutit la souveraineté inadmissible des gallicans et la souveraineté populaire de 92, et quel âbîme sépare ces deux théories de la notion catholique de la souveraineté.

Mais quels sont les deux grands devoirs de l’Etat?

La religion et la justice; on pourrait dire la justice seulement, la justice étant une vertu par laquelle on rend à chacun ce qui lui appartient; or, tout appartenant à Dieu nous lui devons tout. Dieu se contente de ce que l’on entend par religion; la justice s’applique aux droits et aux devoirs des hommes entre eux: l’Etat les doit faire respecter.

Cependant de ce que l’Etat nous doit la religion, il ne s’ensuit pas qu’il soit docteur et souverain pontife, sans quoi nous en viendrions à la monstruosité de l’Etat enseignant et du Pontificat césarien. Il doit faire respecter la religion, parce qu’il doit en avoir une. L’Etat est incompétent en matière de religion. Mais il ne doit pas y être étranger. Au fond, jamais l’Etat ne pourra se désintéresser d’un élément social aussi important que la religion. C’est comme pour Jésus-Christ: qui n’est pas pour elle, est contre elle.

Oui, la religion a la première place, parce que les rapports de Dieu avec l’homme sont la base des rapports des hommes entre eux. Là est le principe, la force, la sanction des lois. Au-delà de tous les gendarmes, de toutes les prisons, de tous les échaufauds, il y a l’enfer, et, pour le dire en passant, telle est une des raisons pour les quelles tant de catholiques libéraux aiment peu à entendre prêcher sur l’enfer, la plus forte sanction des lois divines et humaines.

Aux devoirs de l’Etat envers la religion se rapportent les questions majeures de la liberté d’enseignement et de culte, chez un peuple qui n’a plus une religion publique, ou qui, en ayant plusieurs, au fond ne se soucie guère des unes ou des autres. Il faut étudier les rigoureuses déductions de l’auteur pour se faire une idée nette de l’enchaînement établi entre des problèmes féconds en fruits de mort ou de vie, selon qu’ils seront résolus.

L’Etat, de plus, doit à ses sujets la justice. Il n’est pas la source de nos principaux droits, mais il en est le protecteur et le défenseur de par Dieu. Il faut contempler le tableau, tracé de main de maître dans le chapitre X, de la société, depuis qu’elle a abandonné la notion de la justice, basée sur le droit de Dieu. Que les méchants en soient satisfaits, libre à eux de goûter les joies malsaines, mais pour qui observe sans prévention la peinture du passé, c’est une lugubre prophétie de l’avenir, si nous ne revenons au légitime architecte des édifices sociaux, au véritable gardien des cités durables.

Qu’on parle tant qu’on voudra des droits de l’homme, que sont- ils sans une origine supérieure, toute-puissante, infiniment sage et éternelle? En un mot, qu’est-ce que les droits de l’homme sans le droit suprême de Dieu, auteur des hommes et de leurs droits? Plus d’un lecteur sera bien surpris quand il verra que les droits de l’Etat sont limités par ceux de la famille, des associations qu’il n’a pas fondées et de l’Eglise. Les droits de la famille: mais qu’est-ce donc que la famille, en un temps où la législation semble s’être appliquée à la détruire ou au moins à la diminuer?

Que sont les associations? Quoi! des Etats dans l’Etat! Et l’Eglise, cette perpétuelle ennemie de la civilisation moderne, menant tout! allons donc!… Eh bien! prenez patience, lisez avec quelque attention; si vous n’êtes pas ramené à d’autres idées, je vous garantis, qu’à moins de parti pris, ou d’une extrême légèreté, vous serez forcé de réfléchir, et ce sera déjà beaucoup

Que si vous êtes scandalisé, après avoir donné de justes raisons, M. Chesnel, qui connait quelque peu son antiquité, vous dira avec Euripide: Ne vous fâchez pas contre la nature des choses, car cela ne leur fait rien du tout.

Et la propriété, si elle vient de l’Etat, l’Etat peut la reprendre: il le fait pas mal, et tous les jours, pour les biens de l’Eglise. Mais attendons. Quand Dieu aura été suffisamment volé, nous verrons quels motifs on donnera pour empêcher le vol de devenir une institution sociales. En effet entendez les communistes et les socialistes réclamer leur droit de cité, et vous croyez le libéralisme, avec ses formules anodines, capable d’arrêter leurs progrès à travers les ruines qu’il leur faut?

Après avoir résolu quelques questions, corollaires des précédentes et du plus haut intérêt, l’auteur se juge lui- même à la lumière des actes pontificaux; et comme son livre en est un lumineux commentaire, il ne faut pas s’étonner si les citations qu’il leur emprunte sont la confirmation de tout ce qu’il a dit.

Mais il ne veut pas s’en tenir là. Et ici notre rôle change; à nous de le stimuler, car nous n’avons que la première des trois parties de son travail. Et nous attendons avec impatience la seconde. La conclusion de celle que nous venons d’examiner étant que le libéralisme est la théorie de l’affranchissement qui livre l’homme à lui-même, en niant la dépendance où il est de Dieu, comme individu, comme membre d’une famille, comme membre d’une société, il en résulte que Dieu n’a rien à faire dans la société humaine. Nous voilà en présences de deux principes: celui qui nie la dépendance de l’homme et de la société par rapport à Dieu, et celui qui affirme cette dépendance. Le Syllabus a déjà tranché la question. Au Concile du Vatican, quand il sera repris, on le tranchera d’une façon plus solennelle et plus explicite encore.

La religion de l’avenir, a dit un Allemand, sera l’irréligion; Dieu, chassé de la société par le libéralisme, voilà le commencement de la prophétie. Reste à ce qu’il soit chassé des individus; cà ne serait pas long, si les espérances de l’enfer se réalisaient; la logique y est. Mais, grâce à Dieu, l’enfer ne peut pas toujours être le plus fort. Dieu, par l’ordre surnaturel, attire tout à lui,et ego si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad meipsum; et par cette attraction puissante dans laquelle il respecte la liberté humaine, au point de permettre des chutes inénarrables, il élève les hommes, et les réunions d’hommes, les sociétés, à une admirable hauteur par des rapports nouveaux; et comme, selon la théologie, dans une créature peut se faire tout ce que Dieu voudra qu’il soit fait en elle, Dieu pourra faire tout ce qu’il voudra dans une société, réunion de créatures. Ajoutons que Dieu peut mais ne doit pas, en quelque sorte, risquer ses dons surnaturels. Quel crime à l’homme de ne pas les recevoir et de faire comme s’ils n’existaient pas. C’est là ce qu’on peut appeler le mal moderne. C’est par une société à lui que Dieu a élevé l’humanité à ces hauteurs admirables. Et cette société surnaturelle a des liens bienfaisants avec les sociétés humaines qui ne les repoussent pas. Ces liens, que sont-ils? Nous le verrons dans le second livre.

Et maintenant, si je me recueille enface de ce beau livre, je ne puis m’empêcher de remercier la Providence d’avoir permis qu’un des théologiens qui ont contribué à préparer le Concile, nous ait donné l’exposé succinct de travaux intimes que sa science et son talent le mettaient à même de résumer avec une sûreté de jugement, une puissance de logique, une clarté de pression, dues à sa connaissance de la langue de l’école et de la langue française que personne ne lui contestera. Nous avons vu la partie philosophique, attendons avec une impatience bien légitime la partie théologique, et, oserais-je dire, la prophétie de la seconde moitié du Concile. Quand Dieu ménage aux croyants sincères une lumière si abondants, il faut espérer beaucoup de sa miséricorde, qui répand des clartés pareilles par la voix de son Eglises et des explications pareilles par la plume de ses docteurs.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum