ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.277
  • ARTICLES
  • DISCOURS DE M. WALLON AU CONSEIL SUPERIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
    [ET REPONSE DU P. D'ALZON]
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N. S., X, n° 55, novembre 1875, p. 5-15.
  • TD 6, P. 277.
Informations détaillées
  • 1 ANTICLERICALISME
    1 ATHEISME
    1 AUTORITES REPUBLICAINES
    1 CITE
    1 CLERICAUX
    1 CONSEIL SUPERIEUR DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
    1 DOCTRINE CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT CATHOLIQUE
    1 ENSEIGNEMENT OFFICIEL
    1 ENSEIGNEMENT SUPERIEUR
    1 EXAMENS ET DIPLOMES
    1 FRANCHEMENT CATHOLIQUES
    1 GOUVERNEMENT
    1 GRADES UNIVERSITAIRES
    1 HERESIE
    1 INSTITUTIONS POLITIQUES
    1 JURYS SCOLAIRES
    1 LEGISLATION
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 MAITRES
    1 MONOPOLE UNIVERSITAIRE
    1 PARLEMENT
    1 PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SEVERITE
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    2 DUMAS, JEAN-BAPTISTE
    2 JOURDAIN, MONSIEUR
    2 WALLON, HENRI-ALEXANDRE
    3 ANGERS
    3 LILLE
    3 LYON
    3 NIMES
    3 PARIS
    3 PARIS, CATHEDRALE NOTRE-DAME
    3 SAINT-DENIS
  • Henri-Alexandre Wallon
  • novembre 1875.
  • Nîmes
La lettre

Le mardi 26 octobre, le Conseil supérieur de l’instruction publique s’est réuni pour l’ouverture de sa session, sous la présidence de M. Wallon, ministre de l’instruction publique, qui a prononcé le discours suivant:

Messieurs,

Je vous remercie de votre ponctualité à vous rendre à la convocation un peu hâtive qui vous a été adressée. Si j’ai dû avancer, cette année, l’ouverture de votre session d’automne, vous en avez compris les motifs. Le vote de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur nous met en présence de deux grands intérêts auxquels il faut également satisfaire: je veux parler de l’enseignement public et de l’enseignement libre. La loi votée a été accueillie avec un tel empressement qu’on n’a pas attendu, pour en réclamer les bénéfices, la publication des règlements qu’elle prévoit et que son application réclame. Pour ma part, je n’ai cherché dans cette situation aucune fin de non-recevoir. Les déclarations ont été faites et acceptées dans les termes de la loi et dans l’esprit des règlements à intervenir. Mais il faut que ces règlements soient publiés sans retard, et ils ne peuvent l’être qu’après avoir été soumis à vos délibérations et transformés ensuite par le Conseil d’Etat en règlements d’administration publique. Je dépose donc sur votre bureau trois projets de décret: le premier sur les divers détails d’exécution de la loi; le second sur les formes et les délais des inscriptions à prendre pour les cours isolés, conformément à l’article 2; le troisième sur les conditions auxquelles un étudiant sera admis à passer d’une faculté dans une autre.

La collation des grades présente un point sur lequel doivent aussi porter vos délibérations. L’article 14, relatif au jury spécial, porte que « si le nombre des membres de la commission d’examen est pair, ils seront pris en nombre égal dans les facultés de l’Etat et dans l’université libre à laquelle appartiendront les candidats à examiner. Dans le cas où le nombre est impair, la majorité sera du côté des membres de l’enseignement public. »

Peut-on, pour arriver au partage égal, rétablir, dans le plus grand nombre des cas au moins, le nombre pair? La question n’est pas aussi simple qu’elle le pourrait paraître au premier abord. Les examens passés, soit devant les facultés, soit devant le jury spécial ayant la même valeur et devant conférer les mêmes titres, doivent nécessairement être subis dans les mêmes conditions. On ne pourrait donc changer le nombre des examinateurs dans le jury spécial sans le changer aussi dans nos facultés, et c’est par conséquent tout le système de nos examens publics qu’il s’agirait de remettre en discussion. Dans cette situation et pour préparer le travail du conseil, j’ai dû prendre l’avis des facultés dont l’expérience a tant d’autorité en cette matière. La grande majorité s’est prononcée pour le maintien de ce qui est. Le résumé de leurs délibérations vous sera présenté.

Si l’enseignement libre a besoin de règlements pour l’exécution de la loi qui le concerne, l’enseignement public ne réclame pas moins instamment des mesures qui lui permettent de tenir dignement son rang dans la situation nouvelle où il est placé. La loi elle-même impose au Gouvernement l’obligation de présenter, dans le délai d’un an, un projet de loi ayant pour objet d’introduire dans l’enseignement supérieur de l’Etat les améliorations reconnues nécessaires. » La première chose à faire est évidemment de compléter nos groupes universitaires dans les centres les plus importants; les villes, par un sentiment bien entendu d’intérêt privé, où l’intérêt public trouve d’ailleurs son compte, montrent une louable émulation pour y concourir. Dès l’origine de votre institution, le 12 juin 1873, vous aviez émis le voeu qu’une faculté de droit fît créée à Lyon. Le conseil municipal de Lyon vient de mettre l’administration supérieure en mesure d’exaucer votre voeu en s’engageant à faire tous les frais, d’installation, de personnel et de matériel.

Le décret est donc tout prêt. Le ministre des finances l’approuve, et je n’ai différé de le soumettre à la signature du Président de la République que pour vous montrer qu’il répond à vos voeux et vous appeler à lui donner, en regard des circonstances présentes, une plus solennelle confirmation.

La ville de Lille, de son côté, réclamait une faculté de médecine. Vous ne vous étiez pas montrés moins favorables à ses désirs. Seulement, comme l’administration municipale n’avait pas suffisamment déterminé l’étendue de son concours, vous aviez dû vous borner à prendre la demande en considération; MM. Dumas et Milne Edwards avaient eu soin de bien déterminer le sens de cette décision: c’était, disaient-ils, une invitation faite au ministre pour qu’il complète ses informations, et un appel adressé au zèle de la ville intéressée.

L’information a été complète et l’appel entendu. La création de cette faculté, que l’Assemblée avait adoptée, en intention, au moins, un jour, un seul jour dans un vote mal compris, s’est trouvée ajournée le lendemain; mais elle ne peut plus l’être, car l’Assemblée, par son vote, a supprimé l’école préparatoire, et la ville n’a plus voulu l’accepter quand on la lui a offerte comme école de plein exercice. Elle a mieux aimé faire de plus grands sacrifices et avoir une faculté véritable. Le vote du conseil municipal, calqué sur celui des conseils municipaux de Lyon et de Bordeaux, prend au compte de la ville toutes les dépenses de l’établissement qu’elle prie l’Etat de lui donner.

Vous avez donc à choisir entre deux décisions: ou maintenir une école dont la ville ne veut pas faire les frais dans l’état précaire où elle serait, ou y substituer selon les voeux de la municipalité énergiquement appuyés par le préfet, une faculté régulière qu’elle dotera largement. Vous ne pourrez pas hésiter. Par là vous aurez constitué le groupe universitaire du Nord partagé entre Douai et Lille, comme vous avez créé celui de Lyon, comme vous avez créé celui de Bordeaux. Honneur aussi aux villes qui, par des engagements considérables, ont contribué à former au Nord, à l’Est et à l’Ouest de la France, ces grands foyers d’enseignement qui rivaliseront avec notre grand établissement central de Paris.

Quand les municipalités font de tels sacrifices pour l’enseignement public, on peut avoir la confiance que l’Etat ne négligera rien de son côté pour le maintenir à sa hauteur et l’élever plus haut encore. L’Assemblée ne voudra pas que les professeurs qui restent fidèles à leurs premiers engagements souffrent de la concurrence d’écoles rivales, qu’ils souffrent des mesures mêmes qui, en augmentant le nombre des chaires d’une faculté menaceraient d’amoindrir leur position. En attendant que des projets de loi soient soumis a l’Assemblée, et que l’enseignement public reçoive les améliorations qu’il réclame, il y avait dans notre législation antérieure des dispositions utiles qu’il semble opportun de faire revivre et de développer. Telle est l’institution de l’agrégation des facultés des sciences et des lettres inaugurée en 1840, modifiée en 1855 et en 1857 et dont je vous soumets une réglementation nouvelle sur quelques points.

La loi n’exige pour les facultés libres que des docteurs; nous voulons, nous, pour nos facultés, des agrégés, c’est-à-dire l’élite des docteurs, triés au concours; mais ce projet fait place aux docteurs aussi, en attendant que l’agrégation les élève d’un degré. Il leur confère le droit d’ouvrir, après avis de leur faculté respective, des cours gratuits ou rétribués dans l’enceinte des facultés. Ce sera dans nos établissements un premier essai de privat-docentem dont on vante l’heureuse influence au sein des universités allemandes. Plus l’enseignement universitaire est mis en question, plus il convient que l’université rallie ses forces dispersées et en tire ce qui peut donner plus de puissance et d’éclat à ses cours.

Votre session, Messieurs, aura donc à pourvoir en même temps aux mesures réclamées par l’enseignement libre et à celles que l’enseignement public attend de vous. La sollicitude équitable que vous y apporterez aidera, j’en ai la confiance, à l’apaisement des esprits. Qu’ils soient troublés à l’heure qu’il est, on le comprend. Pour attirer les familles aux établissements qu’on veut fonder, on ne se borne pas à donner pour soi de bonnes raisons; on est tenté d’en chercher contre les autres. On ne parle pas seulement de bien à faire; on parle de décadence, de mal, de remède. On fait des comparaisons. On nous donnerait le droit d’en faire aussi. Mais avant d’établir un parallèle entre l’enseignement public et l’enseignement libre, laissons à ce dernier le temps de naître. Il serait injuste de prétendre qu’un jour il ne pourra pas avoir aussi ses grands noms et contribuer aux progrès de l’esprit humain. Pour le moment, ce que nous devons souhaiter, c’est que les deux modes d’enseignement se développent en paix l’un auprès de l’autre. Trop d’excitation de l’un ou de l’autre côté, chez ceux qui doivent veiller à leurs destinées, ne pourrait que jeter parmi les jeunes esprits appelés à en profiter, et même parmi les maîtres les germes des divisions les plus funestes aux études, les plus contraires au but que de part et d’autre on doit se proposer.

A la hauteur où vous êtes placés ici, Messieurs, vous ne pouvez que partager cette pensée de concorde. Donnons à l’enseignement libre toutes les facilités légitimes qu’il réclame pour s’établir. Donnons l’enseignement public tous les secours qui lui sont nécessaires pour s’étendre et s’élever davantage. Nous aurons satisfait à la double obligation que la loi nous impose, et nous pourrons attendre avec sécurité mais avec vigilance, les résultats que le législateur s’en est promis.

[Réponse du P. d’Alzon]

Ce discours, malgré une apparence plus que dédaigneuse, exhale par tous ses mots une odeur d’universitaire vaincu que l’on ne constate pas sans une certaine tristesse.

Vous êtes bien bon, vraiment, Messieurs, de vous dépêcher, autant de répondre à mon appel: ce n’en eût pas été la peine avec des gens raisonnables, mais les catholiques sont si pressés. Si vous avez été convoqués si vite, s’il vous a fallu abréger vos vacances prenez-vous en aux catholiques, gens intolérables entre tous. Du reste pour si pressés qu’ils soient, il leur faudra bien attendre bien quelque peu. Les règlements ne se font pas d’un tour de main, une sage lenteur est nécessaire. Vous délibérerez tout à votre aise, puis on fera passer la chose par le Conseil d’Etat qui, ayant d’autres chats à fouetter, y mettra le poids, la mesure, la lenteur qui doivent le caractériser.

Malgré tout, ces règlements il faut les faire, et voyez-vous, avec une ou deux voix de majorité, nous pourrons encore serrer l’écrou absolument comme pour la République dont je suis le père.

Ce commencement d’oraison n’est pas d’un bon augure; aussi pourquoi les catholiques sont-ils emportés?

Mais puisque M. le ministre montre son intention peu dissimulée de faire toutes les chicanes possibles aux catholiques; commençons par. lui faire une querelle légitime. Pourquoi cette distinction entre l’enseignement public et l’enseignement libre? « Le vote sur la loi de l’enseignement supérieur nous met en présence de deux grands intérêts auxquels il faut également satisfaire: Je veux parler de l’enseignement public ou de l’enseignement libre. »

Supposeriez-vous que les catholiques ont jamais songé à un enseignement occulte? Notre enseignement est aussi public que le vôtre. Mais voilà votre embarras. Vous n’avez jamais su ce que vous étiez ou plutôt vous n’avez pas osé le dire depuis quelques temps, car vous savez bien que vous étiez et vouliez demeurer le monopole. Le mot d’université vous allait assez bien, mais voilà que des universités vont s’élever, et l’université de France verra surgir l’université d’Angers, l’université de Lille et (voilez-vous la face!) l’université de Paris.

Vous sentez bien que réveillant les traditions des universités fondées par les Papes et par l’Episcopat français, votre université sera de peu de poids. Depuis trente ans, vous prenez, quittez pour reprendre et quitter encore le titre: de conseil de l’université. Au fond, qu’êtes-vous? Bientôt vous ne le saurez plus vous-même, quand vous ne serez plus le monopole.

Donc vous êtes l’enseignement public, mais nous nous ne sommes pourtant pas l’enseignement occulte, nous sommes à vos yeux l’enseignement privé. L’enseignement privé fondé par les Papes et les évêques, c’est curieux tout de même, et ne sentez-vous pas que de quelque nom dont vous l’affubliez, cet enseignement porte, dans ses flancs catholiques, une puissance qui, à un moment donné éclatera en emportant tous vos enseignements publics officiels pour laisser, à côté des enseignements plus ou moins retentissants de l’erreur et de l’incrédulité, la place victorieuse de l’enseignement de l’Eglise.

On reviendra plus tard, s’il y a lieu, sur les trois règlements que M. le Ministre présente à l’examen du Conseil supérieur.

M. le Ministre est de bonne composition, il voudrait bien dans le plus grand nombre de cas, au moins, rétablir le nombre pair? pour les jurys mixtes, à quoi bon, puisqu’au cas de partage, la voix du président toujours universitaire de l’Etat, sera prépondérante? Mais, dira-t-on, vous supposez donc un parti pris? hélas le discours que nous examinons suffirait seul à le prouver.

Or, dans cette grave question l’intérêt général est assuré, l’important c’est l’intérêt des facultés de l’Etat, et ces facultés consultés ont, à une très-grande majorité, voté pour le Statu quo. Je le crois bien.

Mais ne voyez-vous donc pas que derrière cette question des examens se dresse un problème bien autrement redoutable. Combien de temps les carrières seront- elles gênées par les fourches caudines de l’université? Ne sentez-vous pas que pour peu que vous mettiez trop de mauvaise volonté on va demander des examens spéciaux à l’entrée des diverses carrières comme pour la marine, l’armée, les armes savantes; mais que deviendront les examens de l’université de l’Etat? Absolument ce qu’ils voudront. Mais le niveau des études baissera? C’est possible, mais assez de professeurs du monopole ont assez constaté l’affaiblissement des études pour que, s’il continue, on ne l’attribue pas à une cause qui n’existe que d’hier.

Ce n’est pas sans une certaine satisfaction que je vois les professeurs de l’université officielle, venir prendre d’eux-mêmes la plus fausse des positions. Seront-ils sévères? on les accusera d’injustice, seront-ils indulgents, on ne manquera pas de dire qu’ils ont peur et veulent être populaires. Vraiment je comprends l’embarras de M. Wallon: mais il a beau consulter toutes les facultés qui relèvent de lui, elles sont incapables à lui fournir une solution logique. Or, c’est ici la force invincible des catholiques, quelques tronquées que soient les concessions qu’on leur a faites, on commence à sentir que leur situation est vraie et que la situation de l’enseignement légal est fausse. C’est beaucoup. Avec de la patience, bientôt ce sera tout.

Si l’enseignement libre a besoin de règlements pour l’exécution de la loi qui le concerne, l’enseignement public ne réclame pas moins instamment des mesures qui lui permettent de tenir dignement son rang dans la situation nouvelle. où il est placé. Eh oui, l’université officielle a un cruel besoin d’être radoubée! Ce ne sera pas nous qui contredirons à la refonte continuelle de la coque d’un navire usé, sans être bien vieux. Changez, rechangez, modifiez, transformez à votre aise, Messieurs le universitaire officiels! si l’Eglise depuis son origine avait subi la moitié des transformations auxquelles votre Alma Mater a été condamnée depuis moins de soixante et dix ans, quels cris de triomphe ne pousseriez-vous pas sur sa conduite et sa versatilité!

Enfin il faut de nouveaux règlements. Serait-il indiscret de vous demander pour combien de temps? car vous le comprenez bien vous-mêmes, tout cela ne peut être très-long. Toutefois un décret est tout prêt. L’obligation d’un ministre de l’instruction publique est d’avoir constamment en poche des décrets tout prêts pour son université, à mesure qu’elle penche à droite ou à gauche, vite un décret pour l’étayer. Combien de temps encore université et décrets doivent-ils donc durer? quoi qu’il en soit: « Le décret est tout prêt, le ministre des finances l’approuve, et je n’ai différé de le soumettre à la signature du Président de la République que pour vous montrer qu’il répond à vos voeux, et vous appeler à lui donner en regard des circonstances présentes, une plus solennelle confirmation ».

Ceci est du haut comique; l’université, si elle n’est pas une caisse, comme le disait le National vers 1846, a du moins une caisse que le ministre des finances doit contrôler, et je voudrais faire un jour un chapitre sur les rapports du ministre des finances et l’université de l’Etat, que de découvertes à faire! Mais enfin, soyez contents illustres conseillers, le ministre des finances approuve, et s’il approuve qu’avez-vous à désapprouver? Si le décret tout prêt n’a pas paru, c’est que M. le ministre de l’instruction lui réserve une démonstration. Oui, Messieurs, vous ne vous en doutiez pas, peut-être, mais enfin, il répond à vos voeux, à la vérité il est nécessaire qu’on vous le montre, mais quand M. Wallon, qui vous attendait pour vous le montrer, aura fait son apparition vous ne pourrez vous empêcher de dire, chose étonnante, je ne m’en doutais pas, mais sans m’en douter j’avais des voeux au fond de l’âme, M. Wallon me les a mis au jour.

Lyon a fait la demande d’une faculté de droit. Ah! Monsieur le ministre, vous qui montrez si bien aux membres de votre conseil les voeux intimes de leur coeur, ne pourriez-vous pas nous révéler un autre secret. Serait-il vrai qu’un certain numéro de l’Internationale a préparé lui-même, pendant son passage au pouvoir, les fonds nécessaires à cette faculté et à d’autres pour Lyon? Je l’avais entendu dire depuis longtemps déjà, mais cette accusation est une calomnie, toutefois ne feriez-vous peut-être pas très-mal de nous en démontrer la fausseté.

Une humble question s’il vous plaît, monsieur le Ministre. Lyon va avoir une faculté catholique de droit, Lille aura une faculté catholique de médecine, quel motif vous pousse à mettre bien vite aussitôt une faculté rivale à côté des universités naissante? Un peu de franchise, de grâce. J’admire votre préoccupation. On voulait jadis peu de facultés de l’Etat. Les catholiques en fondent pour eux avec leur argent; l’Etat en fonde bien vite pour lui avec l’argent des catholiques. Convenez que si la foi qui nous pousse à faire tant de sacrifices est un motif avouable, le vôtre subirai difficilement la lumière du jour.

Expliquons-nous. Vous êtes un honnête homme, monsieur Wallon, à Pâques on vous voit à Notre-Dame, vous alliez naguères avec les Conférences de saint Vincent de Paul au pèlerinage de Saint-Denis. Vous êtes catholique, oui, mais catholique libéral, ce qui par le temps présent dénote un esprit faux. Jusques aujourd’hui vous avez pu être libéral par ignorance. Après ce qui se passe depuis dix ans, vous ne pouvez plus l’être que par fausseté d’esprit, il me répugnerait de dire que vous l’êtes de mauvaise foi. Eh bien! il faut que vous le sachiez aujourd’hui, malgré vos efforts, malgré l’alliance acharnée de votre catholicisme avec votre libéralisme, la séparation se fait chaque jour plus profonde entre les idées libérales et les idées catholiques. Catholique avant tout, vous cessez d’être libéral; libéral avant tout, vous cessez d’être catholique. Le champ de la lutte est fixé par les radicaux, il s’agira de savoir si l’on sera anti-clérical ou clérical entre deux. Les libéraux, même avec leurs facultés de l’Etat, feront fort triste figure.

Et ne voyez-vous pas, puisqu’il faut tout dire, que la révolution peut fort bien emporter les facultés catholiques dont, malgré votre dédain, vous avez si grand peur, mais que le lendemain les facultés que vous, libéral catholique, vous fondez avec tant de complaisance, deviendront les forts avancés de la révolution dans toutes ses fureurs anti-religieuses?

Vous vous félicitez de voir quelques villes prendre à leur charge de nouvelles facultés que vous refusiez autrefois, que vous accordez aujourd’hui. Mais n’apercevez-vous pas le but des conseils municipaux qui vous font de pareilles demandes, et si vous l’apercevez, de grâce, pourquoi leur en faire un honneur?

J’ai toujours remarqué que la révolution aimait à se servir des administrateurs faibles pour porter ses coups. En 1830, à Nîmes, des protestants chargèrent un maire catholique de faire renverser les croix élevées sur les places publiques. Une fois les croix renversées, le maire fut brisé. Un protestant lui succéda, c’était un parfait honnête homme, mais les protestants ne voulurent pas lui confier l’oeuvre de vandalisme, un catholique leur parut préférable. Vous êtes catholique, monsieur Wallon, prenez garde de faire une oeuvre de radicalisme.

La loi n’exige pour les facultés libres que des docteurs, nous voulons, nous, pour nos facultés des agrégés, c’est-à-dire l’élite de docteurs triés au concours. Comme c’est fier! Mais, Monsieur, donnez-nous donc le temps, nous aurons nous aussi nos agrégés si c’est utile, et je puis vous garantir que le travail ne manquera pas chez nos professeurs; quant à l’intelligence prétendriez-vous avoir conservé au moins ce monopole?

Mais toute idée de mécontentement envers vous s’efface en moi à la lecture de votre péroraison; ah! je vous plains, vous êtes évidemment agacé.

Jupiter tu te fâches, donc tu as tort*.

Car tout en recommandant l’absence d’excitation, il est facile de voir que vous en étiez passablement saturé en écrivant vos dernières lignes, car ou votre avant-dernier alinéa ne signifie rien, ou après avoir exhalé malgré vous vos craintes, oui, vos craintes officielles, vous semblez conclure en disant Messieurs les catholiques, battons-nous en paix. Ce que cela signifie, je n’en sais absolument rien, ni vous peut-être non plus. Et voilà pourquoi votre fille est muette, monsieur Jourdain. Et voilà pourquoi l’Université est impérissable, monsieur Wallon; oui, comme la fille de M. Jourdain était muette.

E. d'Alzon.
Notes et post-scriptum