ARTICLES

Informations générales
  • TD 6.297
  • ARTICLES
  • LE JANSENISME ET LA REVOLUTION
  • Revue de l'Enseignement chrétien, N. S., XII, janvier 1877, p. 193-204.
  • TD 6, P. 297.
Informations détaillées
  • 1 ASCESE
    1 AUGUSTIN
    1 CONSTITUTION CIVILE DU CLERGE
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ESPRIT UNIVERSITAIRE
    1 HAINE CONTRE DIEU
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 HUMILITE
    1 HYPOCRISIE
    1 IDEES REVOLUTIONNAIRES
    1 JANSENISME
    1 JURIDICTION EPISCOPALE
    1 ORGUEIL
    1 PHILOSOPHIE MODERNE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 REVOLUTION
    1 SACREMENTS
    1 SOCIETES SECRETES
    2 ARNAULD, ANGELIQUE
    2 ARNAULD, FAMILLE
    2 ARNAULD, JEANNE
    2 BUXTOF, JEAN
    2 COUSIN, VICTOR
    2 CROMWELL, OLIVIER
    2 DESMARES, GUY-JOSEPH
    2 DOUCET, CHARLES
    2 DUPLEIX, JOSEPH-FRANCOIS
    2 DUVERGIER DE HAURANNE, JEAN
    2 FONTANES, LOUIS DE
    2 FRANCOIS DE SALES, SAINT
    2 FUZET, EDMOND-FREDERIC
    2 GAMBETTA, LEON
    2 GUEMENE, PRINCESSE DE
    2 HALLIER, FRANCOIS
    2 HARLAY, FRANCOIS DE
    2 HUGO, VICTOR
    2 JANIN, JULES
    2 JANSENIUS
    2 JEANNE DE CHANTAL, SAINTE
    2 JOUVENET, JESUITE
    2 LA ROCHEFOUCAULD, FRANCOIS DE
    2 LALANNE, NOEL DE
    2 LOUIS XIV
    2 NOAILLES, LOUIS-ANTOINE DE
    2 PARIS, DIACRE FRANCOIS DE
    2 PASCAL, BLAISE
    2 PEREFIXE, HARDOUIN DE
    2 RACINE, JEAN
    2 RETZ, PAUL DE GONDI DE
    2 RICHELIEU, ARMAND-JEAN DE
    2 RICHER, EDMOND
    2 ROBESPIERRE, MAXIMILIEN DE
    2 ROYER-COLLARD, ALBERT-PAUL
    2 SAINT-AMOUR, LOUIS GORIN DE
    2 SAINTE-BEUVE, CHARLES-AUGUSTIN
    2 SANTEUL, JEAN DE
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 BALE
    3 BELGIQUE
    3 BRUXELLES
    3 LILLE
    3 PARIS
    3 PORT-ROYAL DES CHAMPS
    3 ROME
    3 ZURICH
  • janvier 1877.
  • Nîmes
La lettre

C’est une histoire fort embrouillée que celle du Jansénisme, et l’on ne saurait trop remercier M. l’abbé Fuzet, secrétaire de l’Université de Lille, du beau et bon livre qu’il vient de publier sur ce triste épisode de nos annales, en prenant à partie un des derniers historiens des Jansénistes. M. de Sainte Beuve, en sa qualité de critique, s’arroge le privilège de toucher à tout. Il a voulu toucher à Port-Royal, et longuement. L’académicien du saucisson apparaît dans son oeuvre comme un historien à moitié véridique, à force de contradictions; et, dans le panégyrique même qu’il fait des Jansénistes, il livre assez d’aveux pour établir que le Jansénisme fut une lugubre erreur, dont les sectaires étaient fort vilaines gens, malgré l’admiration de Royer-Collard.

En parcourant le livre de M. Fuzet et les tristes révélations qu’il contient sur les côtés inférieurs de la nature humaine, on se prend à chercher encore pourquoi des hommes comme Fontanes, Royer-Collard, Cousin Victor Hugo ont admiré tant les Jansénistes.

Pur effet d’admiration du stoïcisme chrétien, répondront-ils. Fière réponse, si elle était sincère. Pour moi, j’y trouve seulement le secret besoin de révolte que l’homme porte au fond du coeur. L’Eglise commandait comme elle a commandé toujours, et l’on avait une intime satisfaction de refuser l’obéissance à ce qu’on avait entendu si longtemps appeler une ruine; car, pour les Jansénistes, l’Eglise était ruinée depuis que les théologiens n’entendaient plus Saint Augustin à la façon de Saint-Cyran. Puis la facilité de se passer beaucoup de choses sous un masque sévère avait bien son attrait; puis encore l’enthousiasme de l’artiste qui croit avoir découvert un aspect inconnu, et se pâme devant un horizon dont il semble faire sa propriété, parce qu’il n’est pas sur le chemin de tout le monde.

Que fût Port-Royale comme édifice? Un vieux cloître,dit celui- ci. Un cloître à peine achevé, dit celui-là. Entendez-vous donc sur l’âge du monument. Mais non, on ne s’entendra pas. Ce n’est pas facile sur le reste. Je cite ce simple détail pour constater la touchante harmonie des historiens les plus louangeurs de la secte. Que ce fut antique que ce fut moderne, peu importe: l’important était que ce fut admirable et les exclamations n’y faisaient pas défaut. Après cela trouvez, si vous le pouvez, le vrai sur ce qu’abrita un cloître, vieux selon Pierre, neuf selon Jacques. S’il en est ainsi, allez-vous dire, il doit être difficile de débrouiller l’écheveau d’une pareille histoire: c’est précisément mon avis, à moins qu’on ne s’arrête pas au témoignage de ceux qui avaient intérêt à mêler les fils d’une trame satanique, et qu’on ne prenne que ce qui est attesté par d’autres que par les intéressés.

Fatigué de tous les éloges des ignorants versés sur les Jansénistes, par des académiciens comme M. Janin ou comme M. Doucet, qui se contredisent à fond, mais louent quand même, M. Fuzet leur répond:

« Assurément, nous n’avons pas entendu à Port-Royal le bruit des chapelets qui s’agitaient néanmoins nous connaissons un peu les Jansénistes, nous nous sommes donné l’honneur de les saluer sous ces voûtes construites par M. Sainte Beuve (notre âge ne nous permet pas d’ajouter comme autrefois sous les arceaux du vieux cloître), nous les avons aussi salués sous bien d’autres voûtes, car on a beaucoup bâti à la gloire de ces Messieurs, et eux-mêmes se sont élevés, de leurs propres mains, de nombreux temples qu’ils ont remplis de leurs portraits et de leurs statues fort respectées par la piété filiale des dénicheurs de Saints. C’est pourquoi nous avons été surpris quand nous les avons entendu appeler âmes innocents, grands solitaires, sainte phalange, lorsque nous avons entendu raconter que la vertu leur mérita les honneurs de la persécution et du martyre: qu’ils ne s’occupaient du monde que pour le sauver; qu’ils travaillaient à régénérer par la foi la société en péril; qu’ils vivaient dans l’ombre d’une vie intérieure et douce. » (1)

Mais ne voilà-t-il pas que tout à coup un de leurs plus grands admirateurs, M. Cousin, dans une veine de franchise appellera le fondateur du Jansénisme en France, Saint-Cyran l’homme fatal qui introduisit dans Port-Royal une doctrine particulière, imprima à une oeuvre simple et grande le caractère étroit de l’esprit de parti, et fit presque d’une réunion de solitaires une faction ».

Oui, une faction et de toutes la plus dangereuse, car jusqu’alors les hérétiques s’étaient séparés de l’Eglise qui les anathématisait; les Jansénistes, au contraire, condamnés, frappés par les armes spirituelles, persévéraient à rester unis extérieurement au corps catholiques, ils se disaient catholiques, comme plus tard on s’est dit catholique anti-ultramontain, comme on se dit aujourd’hui catholique anti-clérical. La source de toutes ces hypocrisies est la même, mais c’est le Jansénisme qui l’a ouverte; elle coule depuis.

A proprement parler, le Jansénisme fut le père du juste milieu. Le fameux évêque d’Ypres apparut juste à l’époque où certains esprits ne voulaient plus de l’Eglise et se fussent volontiers attachés à la prétendu réforme s’ils eussent osé. Le Jansénisme fut la doctrine d’entre deux. Les protestants aimaient Jansénius et ses disciples comme leurs cousins, sinon comme leurs frères. La prétendue foi des admirateurs de Jansénius était une foi de respect humain mêlée de haine. La conspiration janséniste fut l’initiatrice de la conspiration philosophique. On aura beau dire, pour qui sait regarder dans l’histoire, Jansénius et Robespierre se donnent la main.

Les commencements de Port-Royal en France furent cupides, parjures, simoniaques. Cupides, les Arnaud voulaient de l’argent pour leurs filles; parjures, leurs relations à Rome étaient d’infâmes contre-vérités; simoniaques, on n’achetait les provisions de cette cour romaine si détestée par eux qu’en lui mentant avec impudence. Ecoutez plutôt. Arnaud l’avocat, ennemi-né des Jésuites, avait des filles. On ne pouvait les marier toutes; il fallait mettre au couvent Jacqueline âgée de sept ans et demi, et Jeanne âgée de cinq ans. L’aînée disait à son grand-père; « Mon grand papa, puisque vous voulez que je sois religieuse, je le veux bien, mais à condition que je sois abbesse ». Jeanne, au contraire, ne voulait pas être abbesse, de peur d’avoir à rendre compte de l’âme des religieuses. Mais le grand-père et le père arrangèrent tout cela. Toutes les deux eurent leur abbaye, et l’aînée, Jacqueline, la fameuse mère Angélique, eut Port- Royale; Jeanne eut Saint-Cyr. Mais Rome refuse les bulles à des poupées de sept ans et demi et de cinq ans. Un avocat ne s’inquiète pas pour si peu; on met un 1 devant 7, et cela fait 17. On peut bien être abbesse à 17 ans, la preuve c’est que mère Angélique le fut à cet âge. Pourtant elle s’ennuyait et voulait s’en aller. On lui fait signer, sans lui dire ce que c’est un papier où elle promet de rester toute sa vie. Alors un beau dépit la prend, et quand son père vient se reposer de son travail du barreau dans l’abbaye de sa fille, il trouve des grilles posées, les portes fermées, les murs exhaussés; impossible d’entrer ni par la porte, ni par la fenêtre, ni par l’échelle.

Alors a lieu la journée du guichet, que Royer-Collard admirait tant, où un père maudit sa fille parce qu’elle observe la règle, à laquelle lui-même l’a condamnée; où la fille s’évanouit d’abord, puis finit par céder, et où toute une famille vient manger pendant deux mois les biens d’un couvent. Tout cela ne pouvait être béni de Dieu, et de tout cela pourtant sortit la côterie de Port-Royal.

Les Arnaud ne se contentaient pas de ces biens; leurs filles à la bavette avaient douze à quinze mille livres de pension, que l’avocat Dupleix fit supprimer en divulguant la pension extorquée pour se venger d’un mauvais procédé des grands parents. Ah! les pieuses gens, et quelle vertu désintéressée!

Sainte Françoise de Chantal, à la même époque, avait, elle, un désintéressement et une vertu d’une autre sorte, et l’on comprend comment le regard de saint de l’Evêque de Genève, pénétrant ces mystères, le décida après mûr examen, à défendre des relations entre l’abbesse de Port-Royal et la fondatrice de la Visitation.

Maintenant que fut Jansénius et que fut Saint-Cyran? Ce furent deux esprits mécontents, fanatiques de nouveauté, de mystère et de la gloire à leur façon. Ce qu’ils firent pour préparer leur oeuvre, on l’a dit souvent, et M. Fuzet l’apprend avec des détails d’un intérêt nouveau. Jansénius, après être accouché de l’Augustinus, que peu de gens liront, meurt laissant à son ami le soin d’exploiter son oeuvre; et Saint- Cyran avec ses gémissements sur la chute de l’Eglise, la décadence de Rome et de l’Episcopat, les vues que Dieu lui donne, semble-t-il croire, prépare son noyau, rencontre les Arnaud, et l’intrigue se nous; la secte secrète commence.

Or, que voulait la secte? Détruire la vie religieuse par la suppression de Sacrements, d’une part; de l’autre, par la lutte où l’on espérait écraser l’état monastique sous les privilèges de l’épiscopat et des curés, en attendant que l’on écrasât l’épiscopat lui-même, sous les privilèges du directeur. Ecoutez plutôt Sainte-Beuve à propos du Petrus Aurelius de Saint-Cyran:

« Sous l’air de maintenir la prérogative extérieure et les droits des Evêques, Aurelius revenait en bien des endroits sur la nécessité de l’esprit intérieur, qui était tout. Un seul péché mortel contre la chasteté destitue, selon lui, l’Evêque et anéantit son pouvoir. Le nom de chrétien dépend pas de la forme extérieure du Sacrement, soit de l’eau versée, soit de l’onction du saint Chrême, mais de la seule onction de l’Esprit. En cas d’hérésie, chaque chrétien peut devenir juge. Toutes les circonscriptions extérieures de juridiction cessent. A défaut de l’Evêque du diocèse, c’est aux Evêques voisins à intervenir. A défaut de ceux-ci, à n’importe quels autres. Cela mène droit, on le sent, à ce que chacun fasse l’évêque. Sauf toujours, ajoute Aurelius, la dignité suprême du Chef apostolique, simple parenthèse de précaution. Mais qui jugera s’il y a vraiment cas d’hérésie? La pensée du juste en s’appliquant autant qu’elle peut à la lumière de la foi, y voit comme dans le miroir même de la céleste gloire! Ainsi se posait par degré dans l’arrière fond de cette doctrine l’omnipotence spirituelle du véritable élu. Derrière l’échafaudage de la discipline qu’il se piquait de relever, Saint-Cyran érigeait donc sous main l’idéal de son Evêque intérieur, du Directeur en un mot: ce qu’il sera lui-même dans un instant (2).

Et l’assemblée du clergé s’y laissa prendre, fit imprimer le livre, louer l’auteur; ne disait-on pas du mal des moines; n’exaltait-on pas l’épiscopat pour l’abaisser ensuite il est vrai; mais les Jésuites étaient battus, cela suffisait aux curés (3).

Ne parlons pas de la conversation de Saint-Cyran avec Saint Vincent de Paul où se peignent si bien les caractères contradictoires du chef de secte et du saint; l’orgueil et l’humilité, l’erreur opiniâtre tournant à l’injure et au paroxysme de la fureur, et la foi douce, pacifique comme ceux qui posséderont la terre, mais inébranlable et puissante en oeuvres. Laissons de côté la composition du livre de Jansénius et sa moëlle funeste. Qui ne connaît les cinq propositions? Toute histoire de l’Eglise raconte les discussions de la Sorbonne, les intrigues de ces Messieurs; mais notons un détail moins connu; quand condamnés quoi qu’ils prétendent, ils reviennent de Rome et passent par Zurich; les ministres protestants leur offrent un repas où ils se servent d’une copie de la bulle qui les condamne pour coiffer un flacon de vin par dérision, et M. Sainte-Beuve comprend très bien que les députés augustiniens se soient accommodés des ministres réformés. Qu’en dites-vous? Il est vrai qu’il trouve encore que les Jésuites répondaient assez spirituellement quand on leur demandait ce qu’ils entendaient par ce terme de Janséniste. Un Janséniste c’est un Calviniste disant la messe. Saint- Amour chercha à Bâle avec le savant Buxtorf ce qui pourrait réunir les différentes communions, et ils indiquaient la grâce comme le terrain commun d’une réconciliation possible. En doutez-vous? Ecoutez ce que M. Hallier disait à M. de Lyon:

« Que MM. de Lalanne et Saint-Amour avaient eu toujours grande correspondance avec les ministres de Zurich pendant leurs négociations à Rome; qu’ils (les ministres) les ont traités à leur retour; qu’on y a soutenu (à Zurich) des thèses où Jansénius est approuvé comme soutenant leur doctrine neque plus neque minus; que le Pape lui avait dit que M. de Saint-Amour serait un pur ministre à Genève ou ailleurs, qu’ils avaient eu intelligence avec Cromwell; que le Père Desmares était un franc calviniste dans l’âme. -Qu’ils furent de Zurich à Bâle en compagnie de six ministres, que M. de Sainte-Beuve avait dit à quatre ou cinq docteurs, le Pape en aura le démenti. »

Après de pareils aveux, osez dire que le Jansénisme et la Réforme ne se donnaient pas fraternellement la main. Pendant cela que faisait Saint-Cyran? D’abord il niait hautement qu’il fut l’auteur du Petrus Aurelius et les derniers éditeurs de mémoires sur le Jansénisme étaient forcés à cet aveu: Il paraît que M. de Saint-Cyran disait qu’il n’en était pas l’auteur, autant par humilité que parce qu’un autre tenait la plume. Ce qui n’empêche pas que les restrictions mentales ne soient choses abominables.

Voulez-vous le thème de ses conversations avec ceux qu’il croyait capables de porter la vérité.

« Il n’y a plus d’Eglise depuis six cents ans. -L’Eglise actuelle est une épouse répudiée: il y a corruption dans ses moeurs et sa doctrine. -Cette corruption est l’oeuvre de la théologie scolastique. -Le Concile de Trente est un concile du Pape et des scolastiques, où il n’y a eu qu’intrigues et cabales. -Le temps d’établir une autre Eglise est venu. -La véritable Eglise est la compagnie de ceux qui servent Dieu dans la lumière, dans la profession de la vraie foi et dans l’union de la charité. -L’Evêque et le prêtre qui pêchent mortellement contre la chasteté perdent leur dignité. -Les Evêques sont égaux au Pape et les simples prêtres aux Evêques. -Il faut également honorer les conciles particuliers et les conciles généraux. -L’état de l’Eglise n’est par monarchique mais aristocratique. -La doctrine de Richer n’a jamais été condamnée que par les sots. -En cas d’hérésie chaque Evêque devient Pape. -L’état religieux n’est bon que pour les relaps et les scélérats. -Il n’y a que ceux qui sont en état de grâce qui sont chrétiens. -Les péchés véniels ne sont pas matière suffisante à l’absolution. -La contrition parfaite est absolument nécessaire au sacrement de Pénitence; l’attrition ne suffit pas. L’absolution n’est qu’un jugement déclaratif de l’absolution des péchés. -Pour recevoir le sacrement de l’Eucharistie, il faut avoir fait pénitence de ses péchés, n’être attaché ni par volonté, ni par négligence à aucune chose qui, puisse déplaire à Dieu; ceux qui demeurent dans les moindres fautes et imperfections en sont indignes. -La grâce fléchit toujours le coeur et lui fait toujours vouloir ce qu’elle lui commande. -Cette proposition: Dieu veut sauver tous les hommes ne doit pas s’entendre de chaque homme en particulier, mais uniquement de ceux qui font leur salut.

Quand on demandait à Saint-Cyran où il avait pris ces maximes il répondait: ce n’est pas dans les livres, je lis en Dieu qui est la vérité même. Je me conduis suivant les lumières, inspirations et sentiments internes que Dieu m’inspire. »(4)

Avec cela on va loin. Saint-Cyran alla en prison par ordre de Richelieu; il le méritait bien quelque peu.

Si j’ai copié ces sentences accumulées de l’opiniâtre et fanatique abbé, c’est qu’elles me semblent un commentaire horrible mais très clair des cinq propositions condamnées par le Pape d’abord, par les Evêques ensuite.

N’allez pas croire toutefois que tout fut également lugubre parmi ces Messieurs et même parmi ces Dames. Les mères de l’Eglise, semblables aux matriarches, avaient leurs moyens de propager la vérité. On voit un archevêque de Sens offrir à ses amis de somptueux repas éclairés par, des bougies trempées dans l’ambre liquéfié dont l’odeur enivrait l’odorat tandis que la bonne chère épanouissait l’estomac: Larochefoucauld envoyait ses Maximes à je ne sais plus quelle princesse janséniste et demandait en échange de la confiture et de la marmelade.

Les curés de Paris, pour se fortifier dans la défense de leurs droits contre les empiétements des réguliers, se donnaient des repas magnifiques où pour combler les derniers vides, on faisait sur place des ragoûts de gibier; on apportait un réchaud devant le prélat protecteur du dîner et de la guerre contre les moines, et si le poivre blanc venait à manquer, le prélat savait le tirer de se croix pectorale, où il en enfermait en guise de reliques. Mais il était de la secte, et déclaré par la secte un Evêque des premiers temps.(5)

Tout est dit sur Pascal et ses petites lettres; il est facile de triompher de ses adversaires en falsifiant leurs écrits, d’attribuer à tous l’erreur de quelque écrivain isolé; mais encore une fois le sujet est épuisé, M. Fuzet l’a bien traité; ceux qui veulent un excellent résumé de cette scandaleuse controverse, scandaleuse seulement pour Pascal, le trouveront dans le chapitre XI.

On lit encore (les lit-on?) les Provinciales et on néglige les lettres bien supérieures à mon sens, de Racine, qui, piqué au vif par un blâme de ces Messieurs, leur ripostait de manière à les forcer de demander grâce. Hélas! pourquoi le sensible Racine se laissa-t-il prendre si vite à leurs filets?

Tous les moyens leur étaient bons et voyez comme on avait recours pour la propagation du mal aux petites écoles. – N’était-ce pas le germe de ce que d’autres espéraient faire plus tard pour l’Université?

Tous les moyens leur sont bons pour prêcher d’exemple. Le jour de Pâques Saint-Cyran ne dira pas la messe, mais ira avec son manteau et une étole par-dessus communier avec les laïques de sa paroisse. M. le curé dût être bien content.

Pourtant après Richelieu, Louis XIV commençait à prendre ombrage de cette secte sourdement mais vigoureusement organisée. On prévoyait une persécution possible et un bon rempart contre la persécution paraît se trouver dans la fabrication des miracles. On n’en vint pas du premier coup à ceux du diacre Pâris, mais on en eut. A la vérité jamais ils ne furent authentiques que par ces Messieurs, mais parmi ces Messieurs il y avait des prêtres. Or, Saint-Cyran l’avait décrété, les prêtres sont les égaux des Evêques, et les Evêques sont les égaux du Pape. L’authentique de ces Messieurs suffisait. Des miracles on passait aux exorcismes, mais le diable exorcisé par ces Messieurs revenait sous la forme du Cardinal de Retz, qui se vante d’avoir été plus fort qu’Arnaud en rendant son diable à la princesse de Guéméné! L’entêtement prenait des proportions incroyables. M. de Péréfixe, archevêque de Paris, doit soutenir des controverses sans fin avec les habitants de Port-Royal, purs comme des anges et orgueilleux comme des démons. Port-Royal dût subir (ô douleur!) la sentence portée de concert par l’autorité de l’Archevêque et l’autorité du Roi. On se soumit à la force, mais on prétendit garder la vérité pour soi.

Il faut lire les instructions rédigées sous la dictée d’Arnaud, et données aux religieuses dans la supposition d’une séparation prévue. La révolte en sort par chaque mot, par chaque lettre; mais ces Messieurs, avaient parlé. « Je ne connais pas le pape, disait l’une d’elles; je ne sais s’il fait bien ou mal, mais je connais nos Messieurs(6).

Absolument comme la République française connut M. Gambetta. Saint-Cyran mort, Arnaud était devenu le chef de la cabale, mais Arnaud était prudent. Averti par ses affidés de la Cour, il crut devoir se retirer. M. du Harlay, successeur de M. de Péréfixe, agissant de concert avec Louis XIV, et sur une bulle qui supprimait l’abbaye de Port-Royal des Champs, en avait dispersé les colombes rebelles. C’était l’heure de se montrer. Arnaud prit courageusement la fuite en Belgique, où il se fixe après plusieurs pérégrinations à Bruxelles. Louis XIV par sa fermeté et malgré le Cardinal de Noailles imposa silence pour un temps. Après lui la Régence avait bien autre chose à faire; les sectaires reparurent. Mais M. Fuzet n’a pu aller plus loin pour remplir la tâche qu’il s’est proposée.

Il la termine avec esprit par les démêlés de Santeuil avec les Jésuites, à propos de l’épitaphe composée par le poète sacré* à propos du coeur d’Arnaud transporté à Port-Royal. Santeuil, habile versificateur, était un pauvre caractère; il lui fallut demander pardon au Père Jouvenet, et il finit par se brouiller avec tout le monde.

Voilà pourtant admirablement épluchée la moins laide partie de la secte janséniste. Au XVIIIe siècle elle va se précipiter dans toutes les extravagances, et sous l’égide des parlements, dans toutes les fureurs. Le jansénisme est père de la constitution civile du clergé, le modèle de l’action des sociétés secrètes, il finit par s’incarner dans la révolution. Que le doctrinaire Royer-Collard admire tant qu’il lui plaira, ces hommes sans obéissance, et ces femmes pleines d’entêtement. Avant la déclaration des droits de l’homme, Port-Royal avait mis en pratique la maxime révolutionnaire: qu’à certains jours l’insurrection est le plus saint des devoirs. Que sont ces protestations contre l’Eglise de gens qui veulent rester dans l’Eglise, malgré les Evêques et malgré le Pape!

C’est le commencement de l’anarchie, dont l’éclosion se fera un siècle plus tard. Les Arnaud furent les précurseurs, les conventionnels furent les messies de la révolution; bien aveuglé qui ne le voit pas.

Port-Royal pourtant, malgré le mal qu’il a fait, nous offre un précieux exemple: la puissance de l’organisation autour d’une doctrine. Les résultats de l’organisation furent affreux, parce que la doctrine était détestable. Peut-être essaierons-nous de dire une autre fois comment nous voudrions tirer parti pour le bien, des trames ourdies pour le triomphe de Satan.

E. D'ALZON, des Augustins de l'Assomption.
Notes et post-scriptum
1. Les Jansénistes, par M. l'Abbé Fuzet, p. 7.
2. *Port-Royal* par Sainte-Beuve, T. I, p. 318.
3. *Les Jansénistes*, p. 86.
4. *Les Jansénistes*, p. 89.
5. Voyez pour les détails les pages 153 et suivantes.
6. *Les Jansénistes*, p. 285.