ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.133
  • ARTICLES
  • DU MOUVEMENT RELIGIEUX EN ANGLETERRE
    PREMIER ARTICLE
  • Bulletin de l'Association de Saint François de Sales pour la défense et la conservation de la foi. 1866, p. 180-187.
  • CZ 119; TD 7, P. 133-141.
Informations détaillées
  • 1 ANGLICANISME
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 DIVINITE DE JESUS-CHRIST
    1 EGLISE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 PERSECUTIONS
    1 PROTESTANTISME
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RATIONALISME
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SCEPTICISME
    1 SCHISME ORIENTAL
    2 AUGUSTIN DE CANTORBERY, SAINT
    2 CHARLES I
    2 COLERIDGE, SAMUEL TAYLOR
    2 CROMWELL, OLIVIER
    2 DIOCLETIEN
    2 ELISABETH I D'ANGLETERRE
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
    2 GUILLAUME III D'ANGLETERRE
    2 HAMPDEN, RENN-DICKSON
    2 HENRI VIII
    2 IRWING, EDWARD
    2 JELF, WILLIAM-EDWARD
    2 KEBLE, JOHN
    2 LLOYD, DOCTEUR
    2 MAHOMET
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 NERON
    2 NEWMAN, JOHN-HENRY
    2 PHOTIUS
    2 PUSEY, EDWARD BOUVERIE
    2 SCOTT, WALTER
    2 WORDSWORTH, WIILLIAM
    3 ALLEMAGNE
    3 ANGLETERRE
    3 FRANCE
    3 IRLANDE
La lettre

Le protestantisme n’est plus même un cadavre; ses agitations ne sont pas la vie. Où peut-on trouver désormais dans les masses qu’on est convenue d’appeler protestantes un symptôme d’organisation vraie, incontestée, des idées communes, la même foi, les mêmes moeurs, le même Christ, le même Dieu? L’organisation en est toute civile. Le gouvernement catholique, juif, libre-penseur, en tient la sanction suprême entre les mains; nous en avons eu la preuve, tout récemment, pour la France et pour l’Angleterre. Qui a un ;symbole même chez les protestants qui veulent en avoir un ? Qu’est Jésus-Christ pour eux? Est-ce un homme, est-ce un Dieu? Et Dieu lui-même qu’est-il. Est-ce le Dieu de Mahomet, est-ce le Dieu en trois personnes des chrétiens? Quel protestant répondra à ces questions dans un sens, sans que le protestant, son plus proche voisin, ne réponde autre chose, même la contradictoire? Et Mgr Manning n’avait-il pas raison de dire que la Réforme vogue en pleine incrédulité et en pleine infidélité?

On a déjà indiqué, dans le Bulletin de Saint François de Sales, les nouveaux symptômes de décomposition que présente le protestantisme de France. Je voudrais appeler l’attention des lecteurs sur un spectacle analogue que nous offre l’Angleterre, et pour cela:

1° Essayer d’étudier les causes de ce remarquable mouvement commencé, il y a trente ans environ, dans une partie considérable des membres de la Haute Eglise;

2° Dire ce que fut ce mouvement, de 1833 à 1845;

3° Parler de l’agitation qui s’est faite de nouveau à propos d’une publication rationaliste qui émut l’épiscopat et le clergé anglican;

4° Enfin, signaler les efforts suprêmes de quelques intelligences épouvantées, pour chercher un principe de vie dans je ne sais quelle union entre l’Eglise d’Angleterre, l’Eglise de Rome et l’Eglise de Photius.

Rien de curieux comme de constater l’identité des résultats du principe protestant en Angleterre, comme en France et en Allemagne; rien de douloureux et de sympathique à la fois comme la lutte insoutenable, à laquelle se livrent les plus belles intelligences pour se réfugier à l’abri d’un principe d’autorité en matière de religion, sans reconnaître le vrai et seul légitime principe d’autorité confié par Dieu à l’Eglise catholique.

Nous parlerons aujourd’hui des causes du mouvement que nous voulons étudier.

On se ferait une étrange illusion, si l’on croyait que la Réforme s’établit sans difficulté en Angleterre. Pour se rendre un compte exact des résistances qu’elle rencontra, il est bon de se rappeler, sans remonter plus haut, que l’Angleterre fut évangélisée, après être retombée dans le paganisme, par saint Augustin, l’envoyé de saint Grégoire le Grand. C’était l’époque de la race anglo-saxonne qui fournit tant de grands serviteurs de Dieu; c’était aussi l’époque des grandes institutions qui furent la gloire du peuple anglais. Plus tard, quand l’invasion normande eût porté ses usurpations dans l’Ile des saints, on vit toujours je ne sais quelle lutte entre la vieille foi populaire et les moeurs si profondément catholiques, d’une part, et, de l’autre, ces durs barons qui, ayant commencé leur prise de possession par le brigandage, ne voyaient pas de motifs de le suspendre, tant qu’il y avait quelque chose à piller. L’Eglise, protectrice des faibles, luttait pour l’ancienne race opprimée et pour les vieux droits méconnus. Les rois, chefs des envahisseurs, prétendaient dominer l’Eglise, comme ils avaient conquis le sol anglais. Cela se continua avec des succès divers jusqu’à ce qu’enfin Henri VIII, fatigué de trouver dans Rome un obstacle à son ambition effrénée et à ses honteuses passions, rompit violement avec le Pape.

Deux remarques sont ici nécessaires: la première, c’est que la séparation ne fut point l’effet de la bulle d’excommunication qu’on a tant reprochée au Souverain Pontife. De récentes découvertes historiques ont démontré jusqu’à l’évidence que l’acte de séparation d’avec Rome avait été sanctionné par le Parlement anglais, avant que la bulle ne fut connue à Londres. La seconde, c’est qu’Henri VIII, en précipitant l’Angleterre dans le schisme, n’adopte aucune erreur des prétendus réformés et que, toutes les fois qu’il rencontrait un protestant, il le faisait brûler en compagnie des catholiques rebelles, à raison de l’omnipotence religieuse qu’il s’attribuait.

De ce qui précède, il est facile de comprendre quelles idées avaient préparé la royauté et l’aristocratie à la rébellion et comment le peuple, resté catholique par sa foi et ses institutions, dut opposer une certaine résistance aux envahissements de l’hérésie.

Il serait trop long d’énumérer pour quelles causes les biens des couvents furent trouvés bons à augmenter la richesse du souverain et de la noblesses, et pour quels motifs on crut utile de conserver les évêques, les canonicats et d’autres riches prébendes, afin de fournir à l’existence de certains cadets de famille, et comment en même temps ces grands emplois, mis à la disposition de la couronne, devinrent un moyen d’influence gouvernementale. La conclusion était qu’au lieu de faire table rase, il était expédient de maintenir, à côté de la hiérarchie politique, une hiérarchie religieuse avec un roi ou une reine, chefs absolus de l’une et de l’autre. On reconnut comme dans l’Eglise catholique des archevêques, des évêques, des chanoines, des curés. Il est vrai qu’on ne les consultait guère que pour la forme. Lorsqu’il s’agissait de modifier les dogmes ou de bouleverser la discipline, le Parlement s’y entendait bien mieux, et, dans tous les cas, il avait la décision suprême, quand les souverains consentaient à la lui céder.

Ce fut ainsi qu’avec des destinées diverses et des retours assez nombreux de succès et d’humiliations, la Haute Eglise, en définitive de plus en plus amoindrie, traversa les règnes d’Elisabeth et de Charles Ier, les insultes de Cromwell, les fluctuations des deux derniers Stuart et le protestantisme hollandais de Guillaume III.

Tandis que l’établissement ecclésiastique perdait nécessairement chaque jour de sa vitalité, malgré les concessions les plus serviles, la foi du peuple, privé de ses pasteurs, dépérissait sous le coup de persécutions, dont quelques-unes rappellent les plus mauvais jours de Néron et de Dioclétien. On était ainsi parvenu à inspirer aux masses un sentiment d’horreur pour le ;papisme, et pourtant, malgré les plus tristes préjugés, on entend les paysans anglais répéter tous les jours: « La religion catholique a été la première religion du pays; elle en sera la dernière« . Il y a dans les campagnes anglaises bien plus de catholiques qu’on ne le croit généralement, et peut-être serait-on étonné, si le temps nous permettait de donner toutes les preuves que nous avons d’une pareille affirmation.

J’ai dit qu’Henri VIII, sauf la révolte contre le Pape, avait maintenu tous les points de la foi catholique. Il n’en fut pas de même sous Edouard VI, Elisabeth, Cromwell et surtout Guillaume III. Le protestantisme pénétra par tous les points. Déjà, quatre-vingts ans après Henri VIII, on comptait plus de deux cents sectes en Angleterre. Qu’on juge par là de la pulvérisation où elles doivent être arrivées aujourd’hui, et des germes de scepticisme que cette liberté de penser a dû semer dans les esprits!

Tandis qu’une portion considérable des âmes, en Angleterre, allait se perdant dans tous les sentiers de l’erreur, un certain nombre d’hommes instruits, sincères, pieux, prenaient au sérieux la hiérarchie religieuse de ce qu’on est convenu d’appeler l’Eglise établie et combattaient pour les débris sans cesse diminués de leur vieille foi, avec honneur, sinon avec succès. En ce même temps, la tempête révolutionnaire, qui avait bouleversé la France, jetait sur les côtes d’Angleterre un certain nombre d’évêques et de prêtres catholiques, dont le malheur, les vertus et le commerce dissipaient un grand nombre de préjugés que les protestants, dans leur jugement exclusif, avaient formés et conservé depuis longtemps contre le clergé catholique. Plusieurs évêques ou dignitaires de la Haute Eglise ne craignirent pas de manifester leurs impressions favorables, et le docteur Lloyd, professeur à l’université d’Oxford, plus tard évêque de la même ville, ne craignit point de rendre souvent hommage, devant les jeunes étudiants, à ce qu’il y avait de noble, de sincère chez nos prêtres exilés, et de déclarer que bien de fausses idées avaient fait place dans son esprit à une estime plus saine des croyances et des pratiques romaines. Formés sous l’impression d’un pareil enseignement, les jeunes gens d’Oxford durent envisager le catholicisme avec plus d’impartialité que leurs prédécesseurs.

Joignez à cela l’apparition, dans une des chaires de l’université, du docteur Hampden dont les idées rationalistes, puisées aux sources allemandes, présentaient la doctrine de la Trinité comme une combinaison des jugements de la raison spéculative avec les prescriptions de l’autorité, ou bien comme une vue exactement scientifique du principe de causalité; l’influence des sacrements n’étant plus pour lui que la foi générale à la magie dans les premiers âges de l’Eglise, et ainsi des autres dogmes. Le docteur Manning n’avait-il pas raison, en face de pareilles propositions, de parler d’incrédulité et d’infidélité? C’est ce que sentirent un nombre considérable de théologiens d’Oxford; ils voulurent empêcher ce qui restait de la foi antique de se précipiter dans l’abîme ouvert par le rationalisme. Ce fut alors que la réaction anglo- catholique commença.

Chose étonnante, le docteur Lloyd, dans son cours de 1826 à 1828, commença une étude de ce que les Anglais appellent Le livre commun des prières. Ce livre, à vrai dire, n’est qu’un amalgame liturgique des débris de nos traditions catholiques et de toutes les erreurs, qui successivement ont passé par la tête des rois, des théologiens et des parlements anglais. Au fond, son origine était catholique, et pour découvrir cette origine, il fallut recourir au missel, au bréviaire et au rituel romain.

L’enthousiasme pour ces livres inconnus prit des proportions extraordinaires. On vit des étudiants et théologie et de jeunes ministres réciter tous les jours l’office de Rome. Les préventions s’effaçaient de plus en plus. Vers la même époque, le docteur Lloyd fit un cours où assistaient, sauf M. Keeble, tous les futurs directeurs de mouvement qui se préparait. Parmi les matières qui furent traitées, se trouvait l’histoire du concile de Trente, et il l’aborda dans le sens le plus catholique pour un protestant. A une époque où les protestants ne se défiaient encore de rien, le cours du professeur royal en théologie passa sans causer aucune émotion, et, partant, apaisa chez un certain nombre de jeunes et belles intelligences l’irritation contre le papisme et ses doctrines.

Parmi les faits précurseurs du mouvement prêt à éclater, signalons la publication de l’Année chrétienne, de M. Keeble, et son incroyable popularité. On y sent un parfum de piété catholique qui frappe tous ceux qui en admirent les beautés littéraires. Conçoit-on un protestant invoquant la Vierge et réclamant tout pour elle, excepté l’amour d’adoration?

Du reste, les meilleurs esprits avaient comme l’instinct qu’un travail intérieur se faisait dans le protestantisme, et le docteur Newman, dans une lettre adressée au docteur Jelf pour défendre son fameux Traité 90, ne craignait pas de dire: « J’ai toujours soutenu et je soutiendrai qu’il (le mouvement religieux) ne peut être considéré comme un mouvement particulier et individuel. Les poètes et les philosophes de cet âge lui ont donné naissance depuis quelques années. Les grands noms de notre littérature, sir Walter Scott, M. Wordsworth, M. Coleridge, quoique dans des voies diverses, et avec des différences essentielles entre eux, et peut-être même en dehors de tout système religieux, témoignent tous néanmoins de ce fait. Le système de M. Irving en est encore un autre témoignage. Notre époque est à la recherche de quelque chose, et malheureusement la seule communion religieuse, qui dans ces dernières années a été en possession pratique de ce quelque chose*, c’est l’Eglise de Rome ».

Voilà comment parlait un protestant, chef d’un mouvement destiné, disait-on, à préserver les esprits de la pente vers Rome.

Ainsi s’établissaient deux courants opposés: les uns, ayant besoin de croire, comprenant que la Bible seule ne pouvait suffire et remontant jusqu’aux sources de l’Eglise catholique par des études faites avec la plus loyale ardeur; les autres, embarqués sur le principe du libre examen, sapant tous les dogmes et la Bible elle-même et marchant vers la destruction de toutes les vérités; -et, chose remarquable, -les unes et les autres signalant à leurs adversaires le point fatal où ils seraient forcé d’arriver; les rationalistes prophétisant aux Puséistes la nécessité de devenir catholiques, les Puséistes, à leur tour, annonçant aux rationalistes qu’ils en viendraient à perdre toute foi religieuse.

Telle était la situation en 1833. Malheureusement, les rationalistes plus conséquents avec leurs principes, étaient beaucoup plus nombreux, et, si l’on pouvait espérer que leurs prédictions sur les puséistes se réaliseraient en partie, il était facile de prévoir aussi quels affreux ravages le libre examen ne tarderait pas à faire dans l’édifice vermoulu de l’anglicanisme.

Notes et post-scriptum