ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.142
  • ARTICLES
  • DU MOUVEMENT RELIGIEUX EN ANGLETERRE
    DEUXIEME ARTICLE
  • Bulletin de l'Association de Saint François de Sales pour la défense et la conservation de la foi, 1866, p. 204-210
  • TD 7, P. 142-150; CP 2; CP 4; CZ 119.
Informations détaillées
  • 1 ANGLICANISME
    1 ASCESE
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 BONTE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ESPRIT D'INITIATIVE
    1 FOI
    1 GRANDEUR MORALE
    1 INTELLIGENCE
    1 LIBERALISME
    1 LIBRE PENSEE
    1 PIETE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RATIONALISME
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    1 SUCCESSION APOSTOLIQUE
    2 ALLIES, THOMAS
    2 FROUDE, RICHARD-HURREL
    2 GREGOIRE XVI
    2 KEBLE, JOHN
    2 MARRIOTT, CHARLES
    2 NEWMAN, JOHN-HENRY
    2 PALMER, WILLIAM
    2 PERCEVAL, ARTHUR
    2 PUSEY, EDWARD BOUVERIE
    2 ROSE, HUGH
    2 TERTULLIEN
    3 ANGLETERRE
    3 BARBADES
    3 DUBLIN
    3 ITALIE
La lettre

II. Ainsi que nous le disions naguère, les ravages du rationalisme au sein de l’université d’Oxford prenaient à vue d’oeil les plus effrayantes proportions; les préventions contre les catholiques s’apaissaient chez bon nombre de nobles intelligences; la religion orthodoxe se transformait sous l’action d’événements plus forts que ses principes, plus forts surtout que ses inconséquences; enfin, une grande humiliation était infligée par le gouvernement, tous les jours plus sceptique à cette malheureuse Eglise établie, celle de recevoir de mains plus que suspectes des évêques dignitaires une foi plus suspecte encore. C’en était bien assez pour expliquer une réaction chez les hommes qui estimaient la foi, l’Eglise, la religion autre chose qu’une affaire de caprice, de fantaisie, de politique. Il était moralement certain que cette réaction aurait lieu, dès qu’un homme se trouverait capable de grouper autour de lui des âmes élevées, ardentes et attristées à la vue des ruines accomplies dans le sanctuaire, et désireuses d’empêcher des ruines plus grandes encore.

Cet homme fut le docteur John-Henri Newman. Une attaque inqualifiable lui fournit, il y a deux ans, l’occasion de publier, sous forme d’apologie, l’histoire de sa conscience et du grand mouvement religieux qui produisit un si grand ébranlement en Angleterre, de 1833 à 1845. Tertullien a dit que l’âme est naturellement chrétienne; on pourrait dire aussi que, même au sein du protestantisme, il y a des âmes naturellement catholiques. Trois principes sont la loi de la vie intellectuelle du docteur Newman:

1° La conviction qu’en tout il doit se placer uniquement sous l’oeil de Dieu. Dieu et mon âme, voilà le cri perpétuelle de sa conscience;

2° La foi pratique, invincible, au-dessus de tout raisonnement, au monde surnaturel;

3° La passion, si je puis dire, de dépendre d’une autorité légitime.

Joignez à cela ce sentiment de droiture et de sincérité qui le faisait s’écrier pendant une maladie qu’on croyait mortelle: « Mon Dieu, je n’ai pas péché contre la lumière », et le sentiment non moins profond qu’il ne pouvait mourir, à la même époque, parce qu’il avait une grand oeuvre à consommer. Ajoutez un coeur plein de tendresse pour des amis qu’il ne cherche pas, mais à qui il tend les bras lorsqu’ils se présentent; une riche et poétique imagination, à qui la prose ne suffit plus à certains moments d’enthousiasme; l’élocution la plus facile; un style que les Anglais comparent à celui de leurs plus belles antiquités littéraires; une science profonde, variée, puissant aux véritables sources une puissance de produire qui frappe presque de stupeur en présence de la liste de ses nombreux ouvrages; et, pardessus tout, le don d’embrasser les âmes, et vous aurez l’idée du docteur Newman, si je l’ai bien deviné à travers ceux de ses livres que j’ai lus et relus avec ravissement. Ce qui charme, ce qui entraîne au-delà du talent, de la finesse des aperçus, de la beauté du style, de la vigueur du raisonnement, c’est l’honnêteté chrétienne, si je puis dire ainsi, qui vous pénètre et vous séduirait, en quelque sorte malgré vous, si vous trouviez je ne sais quel bonheur à vous placer au plus vite sous son charme.

Toutefois, le docteur Newman ne donna pas son nom au mouvement. Il se sentait trop jeune, et quelque brillant que fût l’avenir ouvert devant lui et par son talent, et par sa volonté de faire une oeuvre, de remplir sa mission, et par le concours de ses amis, en 1833, il fallait prendre un drapeau plus connu, sinon plus respectable, du moins déjà plus respecté par le public: on s’adressa au docteur Pusey.

Professeur royal d’hébreu, chanoine de la cathédrale d’Oxford, le docteur Pusey par ses relations, par sa position de famille, par sa science incontestée, par sa piété profonde, par je ne sais quelle aurécle de vertu et de bon renon, avait tout ce qu’il fallait pour prendre sous son patronage le groupe d’hommes peut-être moins connus qui pouvaient bien lui servir de piédestal, mais qui ne pouvaient servir eux- mêmes d’étendard. Avec des nuances très marquées, comme il arrive toujours quand les hommes ne peuvent asseoir leurs pensées sur les immuables principes de la vérité, le docteur Pusey devint le centre, si j’ose le dire, du mouvement, mais son action n’était pas isolée. A côté de lui était Keeble, dont nous avons déjà parlé et que le docteur Newman ne craint pas de désigner comme le véritable initiateur du mouvement. Son action sur l’université était très grande. C’est lui, toujours selon Newman, qui aurait tiré le premier coup de canon dans cette guerre d’un nouveau genre, par son sermon du 14 juillet 1833, prêché devant l’université et qu’il intitula l’Apostasie nationale. Le titre seul indique une hardiesse calculée. Que l’Eglise anglicane ait apostasié, quel catholique peut en douter? Mais que devant les membres les plus doctes de cette Eglise un ministre anglican ait osé le proclamer d’une façon en quelque sorte officielle, c’est ce qu’a lieu d’étonner et ce qui explique, en même temps, la situation des esprits qui n’en furent pas trop scandalisés.

Je ne cite que pour mémoire Hugh Rose, Arthur Perceval, William Palmer, de Dublin, Mariott et M. Allies; ce dernier est depuis longtemps catholique. C’étaient pourtant des hommes remarquables; malheureusement on ne peut pas tout dire.

Mais je demande la permission de m’arrêter un moment sur un nom enveloppé de tristesse et de mystère. Je ferai connaître aux lecteurs français la figure de Hurrel Froude, mort à trente-six ans. On ne sait vraiment pas s’il n’était pas catholique. Se représente-t-on un jeune protestant, s’imposant des austérités, imprudentes sans doute, puisqu’elles n’étaient pas réglées par l’obéissance et qu’elles altérèrent sa santé, domptant ses passions, vivant dans la retraite, maudissant les chefs de la prétendue Réforme, ému de quelques faiblesses qu’il rencontre dans l’Eglise catholique, comme d’avoir vu un prêtre sourire en entrant au confessional, et dénonçant ce fait comme un scandale, s’éloignant tous les jours de plus en plus des idées protestantes, au nom de l’autorité dont il reconnaît l’impérieuse nécessité en face du rationalisme et de ses ravages dans les esprits abandonnés à eux-mêmes dans je ne sais quelle désolante solitude. Ornez ce jeune homme de toute la puissance d’initiative dont une vigoureuse intelligence puisse être douée, de toute l’ardeur pour les recherches scientifiques, de la loyale disposition à ne reculer devant aucune conséquence d’un principe mûrement accepté, du coeur le plus sympathique, d’un rare bonheur dans le choix des amis, du courage de leur dire la vérité, comme il se la disait à lui-même, et vous pourrez vous rendre compte de l’influence que Hurrel Froude dut exercer dans un cercle restreint sans doute, mais dont les résultats étaient incalculables, à cause de la qualité et de la distinction des hommes sur qui cette influence s’exerçait sans résistance, et en qu’elle pénétrait en quelque sorte par tous les pores de l’amitié.

Hurrel Froude ne put jouir du mouvement dans ses beaux jours. Vainement demanda-t-il à l’Italie, à la Sicile, aux iles Barbades un climat plus doux pour une poitrine que les brumes d’Angleterre attaquaient de la manière la plus douloureuse pour ses amis; le mal fut plus fort que la salubrité du climat et quand, revenu sur le sol natal, il y eut rendu le premier soupir, quel livre le docteur Newman emporta-t-il de sa bibliothèque, sur l’invitation d’un ami, comme un des objets de prédilection de celui qui venait d’expirer? Un bréviaire catholique. Le protestant Hurrel Froude récitait tous les jours son bréviaire.

Le docteur Newman fixe lui-même les premiers signes du mouvement au 14 juillet 1833. A la rentrée de l’année scolaire à Oxford, que de choses étaient organisées! Des brochures sans nombre, des revues, des collections d’anciens ouvrages réedités comme moyen de renouer la chaîne de la tradition, semblaient sortir comme par enchantement de tous les points du sol et frappaient à coup redoublés le vieux protestantisme légal de l’Eglise établie. C’était, disait-on, pour le mieux reconstruire et en faire le catholicisme des premiers siècles. En attendant, Eglise et protestantisme, battus en brèche, eussent été vite démolis, si les vieux professeurs qui tenaient à des traditions plus ou moins certaines, à une doctrine plus ou moins précisée et exigeant une fidélité quelconque aux XXXIX articles, dont nous parlerons bientôt, à la suprématie fictive de la Bible, à la toute-puissance de moins en moins contestée du libre examen, père de la libre pensée, n’eussent vu à quel péril les nouveaux sauveurs exposaient l’établissement.

Une lutte devait avoir lieu; elle ne tarda pas, en effet, à se manifester. C’étaient les évêques anglicans, pour qui les chefs du mouvement réclamaient avec un zèle étrange la succession apostolique, un accroissement d’autorité ecclésiastique, plus d’indépendance vis-à-vis de l’Etat, et qui ne voulaient pas plus d’indépendance, mais qui, sans réclamer plus d’autorité, au nom de leur titre de successeurs des apôtres, faisaient des charges (ainsi s’appellent des mandements des évêques anglicans) contre leurs prétendus et trop empressés défenseurs.

C’étaient les membres de l’université d’Oxford, ceux qu’on y appelle les tuteurs, les principaux des collèges qu’il ne faut pas confondre avec les principaux des collèges français, qui réclamaient dans les cours soit publics, soit particuliers, dénonçaient les catholiques comme des pharisiens des temps modernes, et les chefs du mouvement comme la pire espèce des pharisiens. Ces messieurs, après tout, avaient le vrai sentiment de la conservation.

Quant aux puséistes (nous leur donnerons ce nom que le docteur Newman lui-même leur donne), ils s’appuyaient en général sur trois grands principes:

1° La lutte contre le libéralisme; car, pour la plupart d’entre eux, être libéral en politique et rationaliste en religion était un double fait corrélatif; c’est ce qui les rendait anti-libéraux. Ils étaient essentiellement dogmatiques;; ils voulaient une vérité définie et non pas un vague sentiment religieux, décomposé sans cesse par la liberté de penser;

2° La confiance dans la vérité de certaines propositions définies et appuyée sur une base dogmatique, c’est-à-dire la foi à une Eglise visible avec des sacrements et des rits qui sont les canaux de la grâce invisible;

3° A côté de cette croyance qui est bien plus catholique que protestante, la conviction que Rome était profondément déchue. Cette troisième proposition servait à justifier les deux premières, dont les conséquences ramenaient trop forcément sur la route de Rome.

La position n’en était pas moins très fausse. Car si quelques évêques anglicans, au nom de leurs vieux principes, condamnaient ces novateurs d’antiquité, qu’étaient ces évêques à foi douteuse, et peut-être sans foi, que le gouvernement imposait aux chapitres et aux diocèses, dont quelques-uns répudiaient la succession apostolique qu’on leur attribuait, et dont les autres étaient embarrassés pour savoir s’ils la condamneraient au nom de leurs principes, ou s’ils l’accepteraient dans leur intérêt personnel.

Cependant, les professeurs d’Oxford s’émouvaient; les chefs des collèges commençaient à organiser une sorte d’espionnage. Les jeunes gens qui fréquentaient les collèges étaient sévèrement examinés et renvoyés assez durement, s’ils ne fournissaient pas de suffisantes garanties de protestantisme selon l’ancienne manière. On apportait une plus grande sévérité dans les examens pour la collation des ordres.

Je ne sais rien d’intéressant comme le récit de cette vie d’étudiant d’Oxford, comme le docteur Newman nous l’a dépeinte dans son livre intitulé Perte et gain (Loss and gain). Il faut y suivre les perplexités d’un jeune homme arrivant à Oxford avec toute la loyauté de son âge, mais aussi avec un esprit logique qui pousse les conséquences jusqu’à leur terme légitime, qui cherche à trouver la vérité complète dans ce protestantisme qu’il a reçu par tradition, et voit se débattre autour de lui mille opinions contradictoires, lesquelles n’ont qu’un point commun de rapprochement: la haine de Rome.

La guerre prenait donc les plus sérieux proportions, quand le docteur Newman et ses amis eurent l’idée de publier les ;Traités pour les temps présents.

C’étaient d’abord une série de feuilles volantes, où l’on posait des questions plus ou moins brûlantes. Les sujets en étaient la nécessité de s’unir contre les ennemis de la foi, la succession apostolique, la prière publique, la véritable Eglise réformée, la règle de foi, les traditions historiques, le principe rationaliste, le bréviaire romain, la régénération par le baptême, la prière du matin et du soir dans les églises, etc., etc.

De pareils sujets devaient déplaire, surtout par les tendances qu’on y découvrait. On supposa une lettre de félicitations écrite par le pape Grégoire XVI aux chefs du mouvement, où on leur annonçait leur prompt retour à l’Eglise catholique. L’émotion fut telle que le docteur Pusey crut devoir prendre la plume pour se justifier, lui et les siens, d’une pareille supposition calomnieuse selon eux. Les Tractariens (on leur donnait aussi ce nom) avançaient bien vers Rome, mais n’y étaient pas encore arrivés.

Notes et post-scriptum