ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.150
  • ARTICLES
  • DU MOUVEMENT RELIGIEUX EN ANGLETERRE
    TROISIEME ARTICLE
  • Bulletin de l'Association de Saint François de Sales pour la défense et la conservation de la foi, 1866. p. 231-240.|Paris, 1866, p. 231 à 240.
  • CP 5; CZ 119; TD 7, P. 150-162.
Informations détaillées
  • 1 ANGLICANISME
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 AUGUSTIN
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 CHASTETE DU PRETRE
    1 COMMUNION FREQUENTE
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 DISCIPLINE ECCLESIASTIQUE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
    1 FOI
    1 HERESIE
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INDULGENCES
    1 JURIDICTION EPISCOPALE
    1 LIBERALISME
    1 LITURGIE
    1 LUTHERANISME
    1 MYSTERE DU SALUT
    1 PAPE
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PRIMAUTE DU PAPE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PURGATOIRE
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SACREMENTS
    1 SCHISME
    1 SUCCESSION APOSTOLIQUE
    1 THEOLOGIE
    1 UNIVERSALITE DE L'EGLISE
    1 VENERATION DE RELIQUES
    1 VENERATION DES IMAGES SAINTES
    1 VIE DE PRIERE
    2 ALLIES, THOMAS
    2 APIARIUS
    2 ARIUS
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 HAMPDEN, RENN-DICKSON
    2 HENRI VIII
    2 LUTHER, MARTIN
    2 NESTORIUS
    2 NEWMAN, JOHN-HENRY
    2 PIE IX
    2 PUSEY, EDWARD BOUVERIE
    2 RAMIERE, HENRI
    2 WISEMAN, NICOLAS
    3 AFRIQUE
    3 ALEXANDRIE, EGYPTE
    3 ANGLETERRE
    3 ANTIOCHE DE SYRIE
    3 CONSTANTINOPLE
    3 HIPPONE
    3 LITTLEMORE
    3 OCCIDENT
    3 ROME
  • 1866
La lettre

III. Tandis que des hommes pleins d’ardeur, d’intelligence et de bonne foi, dans l’espoir de rendre la vie à un corps profondément malade, tentaient un remède héroique non sans péril pour eux-mêmes, un jeune savant catholique, après avoir reçu l’éducation théologique à Rome, revenait dans sa patrie, et, se disposant à profiter de tous les avantages que lui fournissaient pour la controverse les luttes intérieures du protestantisme, allait occuper pendant trente ans une de ces positions créées par la Providence au profit à qui elle veut donner une mission.

Profondément versé dans les langues orientales et dans la littérature européenne, le docteur Wiseman, par sa prodigieuse facilité de travail, savait transformer les heures en journées et suffisait aux occupations les plus variées. Profitant de cette sûreté de connaissances théologiques que les écoles romaines savent seules donner, armé de tout ce que l’exégèse allemande pouvait lui fournir de secours contre le rationalisme moderne, capable d’aborder tous les points de détail, il profitait surtout des questions d’ensemble pour écraser ses adversaires.

Il faut étudier le second volume de ses Mélanges pour juger de la vigueur des coups qu’il leur portait. S’emparant des invasions que le protestantisme libéral avait faites à Oxford, et des soulèvements qu’elles avaient suscités soit parmi les hommes de la vieille école, soit parmi les partisans de la fameuse via media, il demandait aux nouveaux venus s’ils avaient bien le courage de se dire chrétiens, et de quel droit ils prétendaient occuper des chaires et des dignités dans une Eglise, dont ils sapaient les fondements à coups redoublés. Puis, se retournant vers les hommes de la vieille réforme, il leur demandait à leur tour si ce n’était pas de leurs mains qu’avaient passé aux mains de leurs adversaires ces armes, avec lesquelles on avait voulu abattre l’Eglise catholique et qu’on retournait maintenant contre eux.

La publication des ;Traités pour les temps présents lui fournit une magnifique occasion de montrer la double inconséquence des deux grandes fractions protestantes. Après avoir posé que le protestantisme devait s’évanouir dans une négation universelle au nom même de son principe, le docteur Wiseman s’adressait aux jeunes et ardents docteurs de la Réforme transformée et il leur disait. Vous réclamez contre certaines invasions en faveur des droits de l’épiscopat. Mais qui plus que Rome a combattu avec persévérance pour les droits de l’épiscopat, pour l’indépendance des évêques? Vous vous plaignez de la perte de la liturgie, vous revenez aux anciennes prières, vous pleurez sur ces formes admirables où un mélange des cantiques de l’Ancien Testament, des paroles du Nouveau et des oraisons de l’Eglise semblaient unir la voix de l’homme à la voix de Dieu pour pénétrer le ciel. Mais qui a maintenu ce concert perpétuel, objet de vos regrets, sinon l’Eglise catholique? Vous en avez la preuve dans ses missels, dans ses bréviaires, objets de vos études.

Vous voudriez qu’on revînt à la communion plus fréquente, mais ne la trouvez-vous pas chez les catholiques? Ils ont conservé les formes du baptême, les exorcismes, enfin le rituel de vos pères et des nôtres.

Quant à la discipline ecclésiastique, qui de vous ou de nous la respecte mieux: Remontez aux temps anciens, suivez le cours des âges, où se rencontre le vrai développement des lois de l’Eglise? Où voyons-nous s’opérer sans obstacle la rapide destruction de ces lois au nom de la liberté de conscience, au nom des droits du gouvernement temporel? Ces lois, ici, disparaissent chaque jour; elles n’ont de vie que celles des momies précieusement embaumées. Le cadavre y est, l’esprit de vie où est-il? Voyez l’Eglise catholique, au contraire; elle est toujours la même, et si quelques modifications y ont lieu, d’une part, les principes fondamentaux sont toujours les mêmes, de l’autre; c’est elle-même qui modifie, et, même dans les concordats avec les princes, rien ne se fait sans sa permission.

En un mot, si quelquefois l’Eglise opère des réformes, c’est pour supprimer les abus inévitables partout où l’élément humain entre pour quelque chose, mais en conservant toujours les institutions et le principe divin de ces institutions. Vous prétendez avoir la succession apostolique. Mais ne pourrait-on pas vous contester, comme on l’a contesté en effet, la consécration des premiers évêques de la Réforme? Toutefois, accordons qu’ils sont validement évêques, où est leur juridiction? Qui la leur a confiée? Qui a changé les limites des diocèses? Avec vos systèmes (vous en avez plusieurs) de la via media, vous ne voulez pas du Pape. Supprimons-le; il nous faut au moins un patriarche pour l’Europe, comme nous en voyons à Antioche, à Alexandrie, à Constantinople. Où est pour vous le patriarche d’Occident, sinon à Rome? Qui vous a envoyé vos évêques au commencement, si ce n’est lui? Pourtant vous vous en êtes séparé. Ou renoncez aux grandes lois des anciens conciles que vous invoquez, ou avouez que vous n’avez plus aucune juridiction, et sans juridiction, qu’est-ce qu’une Eglise particulière: Où est le lien d’union avec l’Eglise universelle? Même en supprimant le Pape, en admettant le système des grandes Eglises unies entre elles, vous avez brisé le lien commun, vous êtes un corps à part, ou plutôt vous êtes un membre retranché.

Ouvrant l’histoire des hérésies, le docteur Wiseman, appuyé sur le témoignage du grand évêque d’Hippone, établissait ensuite la plus frappante analogie entre les donatistes des IVe et Ve siècles et les anglicans du XVIe; rapprochement frappant, quoiqu’au premier abord le docteur Newman ait refusé de le reconnaître. Qui étaient les donatistes en effet, sinon de simples schismatiques? Ils acceptaient tout dans l’Eglise, sauf l’autorité de l’Eglise universelle, au nom de l’autorité d’une portion de l’Eglise d’Afrique. Et c’est pourquoi le docteur Wiseman répétait contre les anglicans, avec saint Augustin: Quapropter securus judicat orbis terrarum, bonos non esse qui se dividant ab orbe terrarum, in quacunque parte orbis terrarum. Ces paroles toutefois firent une puissante impression sur un grand nombre, et Newman avoua, plus tard, que longtemps il croyait entendre retentir à ses oreilles ces foudroyantes paroles: securus judicat orbis terrarum.

Ces attaques inattendues nous offrent un curieux spectacle, sur lequel il faut s’arrêter un moment. Dans leur admiration pour l’antiquité retrouvée, les chefs du mouvement d’Oxford s’avançaient avec tout l’orgueil d’une découverte, les saints Pères, les anciennes lois de l’Eglise à la main, et témoignaient une impatience visible, quand ils entendaient les vieux protestants, d’un côté, leur dire: « Nous ne voulons plus de cela »; et, de leur côté, les catholiques dire à leur tour: « Il y a longtemps que nous avons cela, et vous qui prétendez vous en emparer, prenez garde, vous n’avez en main que votre propre condamnation ». Leur mécontentement perce à chaque instant contre les catholiques, toutes les fois que ceux-ci tentent de leur prouver que, loin d’être des inventeurs, ils savent à peine le sens des monuments dont ils réclament la propriété. Rien de plus vexant pour eux que de se voir contester la propriété de ces archives de l’Eglise catholique et de s’entendre rappeler sans cesse que le dépôt authentique s’en trouve à la Bibliothèque vaticane.

Il importe aussi de se rappeler une observation pleine de vérité, que le R. P. Ramière consignait dernièrement dans le Monde, c’est que rien n’est plus difficile que de saisir la véritable pensée des anglicans de la nouvelle école. Ajoutons que l’une des raison en est que ces prétendue catholiques ont chacun leur catholicisme. Ils ont tous la même foi, sauf toutes les différences que chacun y apporte, sous le masque de l’antiquité et de l’autorité. Ils jouent, s’il est permis de le dire, au christianisme; ils en empruntent les vêtements, mais par dessous c’est toujours le principe protestant qui s’agite. Ajoutons encore que, avec une incontestable érudition, ils manquent de ces vue d’ensemble que l’enseignement traditionnel peut seul donner. Chaque professeur a sa doctrine, chaque controversiste son système, sans lien avec le plan général d’une doctrine commune. Cet individualisme, si l’on me permet le mot, fait que chacun écrit pour soi, pense pour soi, arrive avec ses idées personnelles à une conclusion isolée, fournit peut-être une somme plus grande de travail, mais ce travail, après tout, est bien souvent perdu pour la cause générale. Dès lors, ou il faut se résigner à les attaquer un à un, -ce qui est un labeur interminable, -ou les combattre par un système d’ensemble avec l’inconvénient d’entendre chacun de ces docteurs vous dire: « Mais prenez garde, dans le système que vous attaquez j’ai ajouté ceci, j’ai supprimé cela, vos objections portent à côté ».

Enfin l’érudition incontestable, mais sans contrôle, de ces hommes éminents les expose à bâtir quelquefois un système sur des faits parfaitement expliqués par la science catholique, et où il faut voir tout autre chose que ce qu’ils prétendent y trouver. Qu’on ne permette de donner deux exemples. Le docteur Pusey, dans son :Eirenicon, appuie avec une complaisance particulière sur l’histoire du prêtre africain Apiarius pour prouver que les évêques d’Afrique ne reconnaissaient pas ou plutôt repoussaient les jugements de Rome. J’avoue en toute humilité que la cause d’Apiarius ne m’avait nullement frappé. Or, quand j’ai voulu l’étudier en dehors de ce qu’en dit le docteur Pusey, j’ai été stupéfait de voir comment un détail si facile à expliquer, si l’on considère la place qu’il occupe dans les rapports de Rome avec tout le monde catholique, a pu fournir matière aux objections qu’il soulève de la part d’un homme aussi éminent que le docteur Pusey. Je pense que lorsque lui-même a lu la réponse qui lui fait un de ses anciens disciples, M. Allies, il aura regretté d’avoir invoqué l’histoire d’Apiarius.

Autre fait. Le docteur Pusey, poursuivant ses attaques contre ce qu’il appelle l’omnipotence pontificale, veut opposer les lettres des évêques écrites avant la définition du dogme de l’Immaculée Conception à la bulle de Pie IX, et il fait de nombreuses citations.

Me permettra-t-on d’affirmer, sans entrer dans le détail, qu’à l’exception d’un seul, tous les évêques, avec lesquels j’ai en l’honneur de m’entretenir de cette grande question, envisageaient cette définition à un point de vue tout différent de celui que suppose le docteur Pusey. L’ancien évêque de Nimes, par exemple, qui avait pris pour sceau épiscopal la médaille de l’Immaculée Conception, pouvait-il ne pas accepter le dogme de Marie Immaculée, malgré ce que semble croire l’auteur de l’Eirenicon? Et quant au prélat, qui avait bien voulu me confier la pensée que Rome n’oserait pas aller jusqu’à une définition dogmatique, je suis bien assuré qu’avec la teinte quelque peu gallicane de ses idées, il ne pouvait pas ne pas accepter la décision suprême; ne fût-ce qu’à cause de l’ancien serment des docteurs de Sorbonne, qui, comme on le sait, ne recevaient le bonnet du doctorat qu’après avoir juré de prêcher partout que Marie avait été conçue sans péché.a

Cette digression nous semblait nécessaire pour expliquer tout ce qui peut se trouver de faux, même avec la plus grande sincérité, dans les études et les assertions d’hommes qui ne peuvent s’appuyer sur un enseignement général et homogène tel que le donnent les écoles catholiques.

La querelle prenait des proportions étranges. Les fameux traités, qui d’abord apparaissaient presque chaque semaine par brochure de quatre ou cinq pages, ne se publiaient qu’à de rares intervalles; mais c’étaient, sinon des volumes, au moins de véritables traités. C’était la doctrine protestante constamment battue en brêche par un effort continu pour présenter les fameux trente-neuf articles, adoptés par le parlement anglais, comme l’expression de la foi anglicane et peuvent s’interpréter pourtant dans un sens catholique. Dire que le sens catholique fut toujours parfaitement saisi, c’est ce que nous n’oserions pas affirmer, mais enfin l’intention y était. Nous en donnerons un exemple. L’article XI de la confession anglicane porte que nous sommes justifiés par la foi seule. Du premier coup ne croyez-vous pas entendre une proposition luthérienne? Point du tout, reprenaient les auteurs des Traités; nous sommes justifiés par la foi seule, mais non pas par la foi morte; par conséquent, c’est par la foi vivante. Mais la foi vivante se manifeste par des oeuvres. Donc il faut les oeuvres pour manifester la foi, quoique ce soit la foi seule qui justifie. La foi seule justifie, mais sans les oeuvres on ne peut savoir si on a la foi nécessaire au salut, fides quoe per charitatem operatur. Avec une pareille manière de raisonner on comprendra parfaitement que des religieux qui voulaient modifier leur règle, tout en tenant au texte, en aient conservé le sens. Les religieux, disait la règle, porteront des habit ;blancs, et, en note, on ajoutait: c’est-à-dire novis.

Mais nulle part cet effort prodigieux n’avait été fait comme dans le fameux Traité 90, et toutefois il ne faut pas soupçonner la moindre mauvaise foi. Qui jamais a soupçonné de mauvaise foi le docteur Newman, et si jamais pareil reproche eût pu tomber sur l’auteur du traité, comment le docteur Pusey eût- il, avec sa permission, réédité ce même traité vingt-cinq ans après? C’était donc un fait bien grave que l’apparition d’un pareil manifeste. Qu’on en juge par le seul tableau des matières qui y sont traitées, et où l’on s’efforce de prouver que les rédacteurs des fameux trente-neuf articles, qui marquent la séparation entre l’Angleterre et Rome, ont eu de puissants motifs de ne rien dire qui ne pût être interprété dans un sens catholique. En effet, dit-on, d’après des témoignages qui semblaient irréfutables, il eût été à craindre que les populations et une grande partie du clergé inférieur n’eussent repoussé la nouvelle profession de foi, si l’on y eût vu autre chose qu’un moyen de briser ce qu’on appelait le joug de Rome. N’oublions pas qu’Henri VIII avait écrit contre Luther et qu’à ses funérailles on avait chanté la messe de ;Requiem pour le repos de son âme. Une messe de Requiem chantée pour le chef du protestantisme anglais!

Quoi qu’il en soit, le Traité 90 prétendait réunir les catholiques et les protestants anglais sur les matières suivantes; la Sainte Ecriture et l’autorité de l’Eglise, la justification par la foi seule, les bonnes oeuvres avant et après la justification, l’Eglise visible, les conciles généraux, le purgatoire, les indulgences, les images, les reliques, l’invocation des saints, les sacrements, la transsubstantiation, la messe, le mariage du clergé, l’évêque de Rome.

Certes, un catholique romain ne sera pas toujours satisfait des explications offertes; mais il y avait assez de propositions antiprotestantes pour soulever l’indignation, le scandale de tous les anciens professeurs de théologie, des évêques, en un mot de tous ceux qui ne voulaient pas de rapprochement avec Rome.

Personne plus que le docteur Newman ne fut surpris du bruit que fit son Traité; mais, il nous le déclare lui-même, en dehors des mesures prise contre sa publication, il sentit bientôt que la position morale qu’il avait conquise était irrévocablement perdue pour lui. On le considéra comme un transfuge. Vainement les hommes les plus considérés de son parti élevèrent-ils la voix en sa faveur. Newman n’était plus considéré comme de l’Eglise anglaise. On ne voulut pas s’en tenir à une réprobation par les livres et les journaux, on voulut, on poursuivit une condamnation officielle. Elle ne fut accordée qu’à moitié. Les membres de l’université laissèrent leurs chefs formuler une sorte de blâme, mais quand il s’agit d’aller plus avant, plus de 550 membres remercièrent les dignitaires, appelés proctors, d’avoir opposé leur veto à un acte plus sévère et prouvèrent ainsi que la condamnation solennelle n’aurait pu être obtenue. Cependant, les évêques s’effrayaient; ils avertissaient du danger qu’allaient faire courir à l’Eglise d’imprudents théologiens qui voulaient, au nom de la tradition, un accroissement de pouvoir épiscopal, lequel était employé par ceux qui en étaient investis à les frapper de sentences plus énergiques. C’est à n’y rien comprendre, ou plutôt on voit à quelles fausses positions sont condamnées des âmes honnêtes, quand elles voulent s’appuyer sur des principes contradictoires.

Mais si le docteur Newman ne fut pas personnellement atteint, il sentait bien que sa position était perdue. Il se faisait en même temps une révolution chez lui, la lumière se levait sur son intelligence. L’étude des erreurs d’Arius et de Nestorius lui montra des rapprochements, inattendus pour lui, entre les premiers hérétiques et les hérétiques modernes. Lui qui tenait tant pour la via media, il la retrouvait chez les hommes d’un certain tiers-parti, dès les premiers siècles. Quant à Rome, elle était toujours la même. Cette situation toujours identique le frappa. Il y avait là une permanence qui tenait du divin; ses yeux, peu à peu désillusionnés, furent frappés à la longue de la beauté de cette Eglise, qui, toujours semblable à elle-même, agit à travers les siècles avec la même patience, la même autorité, la même conviction que sa force vient de plus haut que la terre.

Chose étrange, les adversaires de Newman avaient annoncé son retour au catholicisme, avant que lui-même y songeât sérieusement. Il était en quelque sorte poussé à rentrer dans le sein de l’Eglise véritable par ceux qui le voyaient abandonner le principe du libre examen. Il y avait comme un pressentiment universel. Quant à lui, il fallait attendre et marcher pas à pas. Il s’était retiré d’Oxford et vivait avec quelques amis dans sa petite propriété de Littlemore, et déjà on lui reprochait de vivre de la vie monastique. Il paraît que les protestants ne peuvent voir des hommes partager leur temps entre la prière, l’étude et le silence, sans les accuser de vouloir se faire moines. Ce qui est sûr, c’est que la prière achevait ce que la prière avait commencé. Mais ce n’était pas sans de vives et profondes émotions. Quand le moment solennel fut venu, quand, dans la plénitude de sa volonté, Henry Newman résolut de retourner à la foi de ses pères, de grands déchirements durent s’accomplir. L’esprit était plein de lumières, mais le coeur était bouleversé. Il venait d’écrire son ;Traité sur le développement doctrinal comme pour se demander à lui- même la vérité catholique, mais la démonstration se trouvant faite avant la fin du livre, le livre resta inachevé.

Le 20 janvier 1846, il écrivait à un ami: « Jugez de mon isolement, voilà douze heures que retentissent à mes oreilles ces mots: Obliviscere domum tuam et domum patris tui.. Je réalise plus que cela en quittant Littlemore, il me semble que je lance sur la grande mer ». Un mois après, il visitait rapidement ses amis d’Oxford, leur disant un dernier et dÉchirant adieu. Depuis, ajoute-t-il lui-même, je n’ai plus vu Oxford, excepté ses clochers, comme on les aperçoit du chemin de fer.

La rupture consommée pour Newman le fut bientôt pour soixante ou quatre- vingts membres de la même université. A ces conversions en succédèrent beaucoup d’autres. Mais arrêtons-nous, il est bon de ne pas tout dire.

Depuis, un mouvement contraire se manifeste. Les puséistes avaient failli faire verser le protestantisme anglican en pleine Eglise catholique. Mais retournant au principe protestant du libre examen, d’autres, non moins logiques que les auteurs des Traités, eurent bientôt réparé le temps perdu. Les doctrines du docteur Hampden reprirent tout l’avantage, et le rationalisme le plus sincère, mais aussi le plus destructeur de toute vérité révélée, de toute idée chrétienne, commença a formuler ses négations. L’Etat, de son côté, en face de certaines velleités d’indépendance, réclama plus rigoureusement ses droits, en profita pour placer sur les sièges épiscopaux des hommes dont le christianisme est tout au moins suspect. L’anglicanisme, menacé un instant de devenir catholique, va se montrer à nous avec le danger de n’être plus même chrétien.

Notes et post-scriptum