ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.163
  • ARTICLES
  • DU MOUVEMENT RELIGIEUX EN ANGLETERRE
    QUATRIEME ARTICLE
  • Bulletin de l'Association de Saint François de Sales pour la défense et la conservation de la foi, 1866, p. 264-273.
  • CP 6; CZ 120; TD 7, P. 163-175.
Informations détaillées
  • 1 ANCIEN TESTAMENT
    1 ANGLICANISME
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BAPTEME
    1 CALVINISME
    1 CONCILE OECUMENIQUE
    1 CONCORDATS
    1 EGLISE ET ETAT
    1 EGLISE NATIONALE
    1 ENFER
    1 ENSEIGNEMENT DE LA VERITE
    1 HERESIE
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INSPIRATION BIBLIQUE
    1 LUTHERANISME
    1 ORDINATIONS
    1 RATIONALISME
    1 REDEMPTION
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SCEPTICISME
    1 SCHISME
    1 TRINITE
    2 ALEXANDRE, DOCTEUR
    2 BLOMFIELD, CHARLES-JAMES
    2 BROUGHAM, HENRY-PETER
    2 BUNSEN, CHRISTIAN-KARL-JOSIAS DE
    2 BURNET, GILBERT
    2 CHARLES I
    2 COLENSO, JOHN-WILLIAM
    2 CONSTANTIN LE GRAND
    2 CROMWELL, OLIVIER
    2 ELISABETH I D'ANGLETERRE
    2 ERASTE
    2 GORHAM, DOCTEUR
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
    2 GUILLAUME III D'ANGLETERRE
    2 HENRI VIII
    2 JACQUES I STUART
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEIBNIZ, GOTTFRIED-WILHELM
    2 LUTHER, MARTIN
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MARIE TUDOR
    2 MORE, THOMAS
    2 NEWMAN, JOHN-HENRY
    2 PHILPOTTS, HENRY
    2 THOMAS DE CANTORBERY, SAINT
    2 VITALIEN, SAINT
    2 WILBERFORCE, ROBERT-ISAAC
    3 ANGLETERRE
    3 BERLIN
    3 CANTERBURY
    3 CAP, LE
    3 HANOVRE
    3 JERUSALEM
    3 LONDRES
    3 NATAL
    3 NICEE
    3 OCCIDENT
    3 PRUSSE
    3 ROME
    3 TERRE SAINTE
La lettre

IV. La manière dont s’est accomplie la Réforme en Angleterre devait lui imprimer un cachet à part. Ailleurs on a vu des prêtres, des évêques émettre des erreurs, et le charme du nouveau, la fascination de la parole, l’amour de l’opposition leur donner de nombreux partisans. Les intrigues de cour se mêlaient, comme sous le Bas-Empire, à des questions purement théologiques; l’erreur devenait une héresie, c’est-à-dire une erreur obstinée, rebelle; elle durait plus ou moins longtemps, suivant qu’elle possédait en elle-même un principe plus puissant de vitalité, ou suivant qu’elle était plus sérieusement appuyée au dehors.

En Angleterre, il en fut autrement. Henri VIII voulait rompre avec Rome, pas davantage; il conservait tous les dogmes catholiques, sauf celui de l’autorité de l’Eglise. Avait- il, dans les divers actes qui suivirent sa séparation, un système bien arrêté? Je n’en sais rien. La passion a quelquefois une logique plus habile, plus rigoureuse que tous les systèmes. Ce qui est sûr, c’est qu’un médecin hollandais, sous le pseudonyme d’Eraste, composa une théorie tellement conforme aux actes d’Henri VIII et de ses successeurs protestants, que l’ensemble des doctrines formulées depuis par les légistes anglais contre les droits de l’Eglise fut nommé l’érastianisme. Je me propose de donner aujourd’hui un aperçu rapide des principaux faits produits sous l’influence érastienne dans l’anglicanisme, depuis les premiers jours de la Réforme anglaise, et d’insister plus particulièrement sur ceux qui, tout récemment encore, ont servi à constater l’asservissement de l’Eglise établie et ;one amené une réaction dans un certain nombre d’esprits.

Déjà, selon Henri VIII, le roi étant établi de Dieu comme son ministre pour le bien, minister Dei in bonum, est une personne spirituelle et a, par conséquent, tous les pouvoirs spirituels. Avec une pareille manière de raisonner, on va loin, quand on est le plus fort. Le roi consulte sa chancellerie, son conseil privé ou le parlement, à son choix; une fois cette précaution prise, il est infaillible en tout que personne spirituelle. Il y a bien toujours quelques ecclésiastiques dans les divers corps que je viens de nommer. Mais ce n’est nullement comme autorité religieuse qu’on les interroge; ce sont de simples conseillers et pas davantage. C’est donc un tribunal laïque, en dernière analyse, qui tranche toutes les questions religieuses de dogme, de morale, de discipline. Ce qui est le plus surprenant, c’est que la séparation d’avec Rome une fois prononcés, il faut qu’il en soit ainsi. Si l’Eglise universelle n’est pas infaillible, une Eglise particulière ne peut pas l’être. La décision suprême en matière controversée doit donc venir d’ailleurs que de l’épiscopat de cette Eglise. Or, en dehors de l’épiscopat, il n’y a dans un pays que l’autorité laïque. C’est donc à elle qu’on est réduit à recourir.

Du reste, assurait-on, ce pouvoir était ainsi établi par la volonté de Dieu. Chez les Romains, avant Jésus-Christ, les empereurs n’étaient-ils pas souverains pontifes, comme ils étaient princes de la jeunesse et tribuns du peuple? Les persécutions suspendirent pour un temps cet état de choses; mais à peine Constantin fut-il baptisé que l’ordre naturel reprit son cours. La puissance politique et la puissance religieuse résidèrent désormais dans le chef de l’Etat. On aura peine à croire que de pareilles propositions aient pu être émises et surtout acceptées. Rien ne plus vrai cependant. Selon Henri VIII, dans un état Chrétien, le roi a toute puissance spirituelle et temporelle; il peu, de sa propre autorité, faire pendre, brûler, décapiter tout rebelle à la religion, et l’on sait qu’il ne se faisait pas faute d’user de ce prétendu droit, non seulement contre les catholiques, mais aussi contre les luthériens qu’il surprenait dans son royaume, à cause de toutes les injures que Luther avait vomies contre lui.

Selon la même doctrine, le roi donne l’institution aux évêques par d’approbation. Est-il besoin de dire que la doctrine catholique des concordats peut bien conférer aux princes le droit de présenter aux évêques, mais que l’institution en est réservée aux souverains pontifes et qu’ainsi c’est le Pape seul qui institue les évêques?

Plus tard, le droit d’approbation fut transformé en congé d’élire; c’était plus simple. En effet, les chapitres anglais qui nommaient les évêques ne savaient pas toujours quel sujet serait approuvé et étaient exposés à en présenter plusieurs. On trouva bien plus expéditif de leur donner l’autorisation de nommer telle personne qu’on leur désignait, à l’exclusion de toute autre. Peut-on trouver une méthode plus merveilleux pour garder les formes anciennes avec le pouvoir nouveau?

La dynastie des Stuarts reconnut plus de pouvoirs aux évêques, leur autorité fut plus respectée; mais on n’en portait pas moins le joug royal, et, en acceptant ce pouvoir, on rompait nécessairement avec l’Eglise. Burnett ne craint pas de le reconnaître. En effet, supposons plusieurs rois protestants: ils sont infaillibles chez eux, soit. Mais le sont-ils chez les autres? Et s’il y a une Eglise universelle qui compte un chef universel, comment cette Eglise pourra-t-elle communiquer avec des chefs d’Eglises particulières? C’est-ce que Thomas Morus, prêt à monter sur l’échafaud, ne craignit pas de déclarer, lorsque, accusant l’autorité qu’allait le condamner, il disait: « L’Eglise d’Angleterre n’est qu’une petite portion de l’Eglise universelle. Je ne puis reconnaître le droit du conseil privé d’un royaume, quand il refuse de reconnaître les droits de la chrétienté tout entière ».

Tenons compte pourtant d’un acte de courage, de la part du clergé anglican sous Henri VIII. Il osa bien, pour sauvegarder les droits de Dieu, ajouter une clause où il déclarait qu’il n’entendait se soumettre que dans la mesure où la loi de Jésus-Christ le lui permettrait: Quantum per legem Christi licet;. Henri VIII se trouva offensé de la supposition qu’il pourrait commander quoi que ce fût de contraire à l’évangile, et la clause fut supprimée.

La reine Marie rétablit les évêques catholiques, mais à peine a-t-elle rendu le dernier soupir qu’Elisableth réclame les mêmes droits que son père. Tous les évêques, moins un, protestant et naturellement sont déposés. Ce fait, si honorable pour l’Eglise d’Angleterre, est malheureusement peu connu, en France du moins. Nous n’avons pas à examiner ici le caractère particulier des persécutions religieuse d’Elisabeth. Les protestants ont prétendu que Rome avait eu une papesse. Le plus illustre des protestants, Leibnitz, s’est chargé de réfuter cette calomnie. Mais en plein XVIe siècle l’Angleterre donna le spectacle d’une reine-papesse. Les Anglais se soumirent, et, pour ajouter un cachet spécial, cette reine et cette papesse était le fruit de l’adultère. Les bâtards, quand ils ont persécuté l’Eglise, ont donné un caractère particulier de haine à leur tyrannie, comme pour se venger sur l’épouse du Christ de leur illégitimité.

Il nous est impossible de poursuivre l’histoire de l’oppression toujours plus violente de l’Eglise par l’Etat, depuis Jacques Ier, Charles Ier, Cromwell, jusqu’aux princes de la famille de Hanovre. Guillaume III, par une dernière déposition générale, se débarrassa de tous les évêques anglicans qui refusèrent le serment et voulurent rester fidèles à la dynastie renversée des Stuarts. La seule conséquence à tirer, c’est qu’à voir cette servitude toujours croissante sous laquelle on étouffe la parole de Dieu, on est forcé d’avouer que, de toutes les insultes qu’un gouvernement puisse faire à un peuple, à sa conscience, à sa dignité, c’est de lui donner une Eglise nationale.

En effet, les buts des deux sociétés sont si divers que les confondre est pire que de refaire le chaos. L’une a pour but l’ordre et la paix sur la terre, ut tranquillam vitam agamus; l’autre nous propose un bonheur éternel et le moyen d’y arriver, mais par des moyens que Dieu n’a jamais mis à la disposition des princes de ce monde. Aussi quand les pouvoirs de la terre ont voulu absorber les droits de la société religieuse, il y a eu non seulement de grands désordres dans le monde, mais en outre un honteux affaissement des caractères; les consciences se sont obscurcies et le scepticisme a pénétré de toutes parts.

Ces germes funestes s’étaient manifestés depuis longtemps en Angleterre; mais par la permission de Dieu ils firent explosion presque aussitôt après l’interruption du mouvement puséiste. Après s’être précipités au côté de l’autorité, répoussés par leurs principaux théologiens et par les évêques, les esprits religieux en Angleterre se tournèrent vers le rationalisme. Plusieurs faits contribuèrent à accélérer ce mouvement.

Indiquons ici les principaux: d’abord, l’affaire d’un archevêché prusso-anglican à Jérusalem.

Il paraîtrait que, depuis assez longtemps, la Prusse avait le désir de faire gouverner ses sujets luthériens et même calvinistes par un épiscopat. D’où tirer la consécration de ces évêques? De Rome? C’était impossible. On crut que l’Angleterre serait plus accommodante et le chevalier Bunsen, malgré son rationalisme bien connu, entama des négociations avec l’archevêque de Cantorbéry, dans le but de satisfaire les désirs du gouvernement prussien. Mais on ne pouvait faire un essai, dangereux après tout, en Prusse même; on imagina d’établir un évêque à Jérusalem. Le premier sujet à l’occuper serait un Prussien qui recevrait l’ordination, l’institution et la juridiction de l’archevêque de Cantorbéry. Si l’essai réussissait en Terre Sainte, on le renouvellerait à Berlin et le tour serait joué. Cependant, c’était bien un peu fort de voir un simple archevêque envoyer un évêque sur le siège occupé d’un patriarchat; quand les anglicans sont en train, ils n’y regardent pas de si près. Un acte du parlement, du 5 octobre 1841, donna à l’archevêque de Cantorbéry tous les pouvoirs nécessaires pour instituer, fonder des évêques, consacrer des évêques, sujets de la reine ou autres, peu importait. Le parlement anglais étendait ainsi sa juridiction spirituelle jusqu’aux extrémités de la terre. Quelques années plus tard, il est vrai, le conseil de la couronne déclara implicitement que cet acte est sans valeur, en prononçant que la reine n’a pas le droit d’établir un archevêché au Cap et un évêque à Natal, ;(ce sont pourtant des possessions anglaise); mais nous ne sommes pas chargés d’expliquer ces contradictions.

Ce qui est sûr, c’est qu’au sein de l’anglicanisme l’affaire de l’évêque de Jérusalem suscita de très vives réclamations. Le docteur Newman crut devoir protester; le docteur Manning sentit, avec bien d’autres, un profond ébranlement dans sa foi. Cette alliance de la vérité avec l’hérésie (les Prussiens sont des hérétiques aux yeux des vrais anglicans) bouleversait bien des consciences; mais la conscience du gouvernement était au dessus de ces scrupules, et le docteur Alexandre, Prussien d’origine, anglican par sa consécration, partit avec sa femme pour être évêque de Jérusalem, porteur des lettres du primat d’Angleterre sanctionnées par le parlement. On dira peut-être que ceci tourne au bouffon. Nous répondrons que ce n’est pas notre faute. Serait-il permis de demander si l’anglicanisme, par le fait même de sa constitution séparée, ne frappe pas de mort toute tentative de prosélytisme?

Quel droit cette personne spirituelle qu’on appelle le roi ou la reine d’Angleterre possède-t-elle, hors de ses possessions, pour répandre et prêcher la foi? Et, en allant au fond du système, si l’archevêque de Cantorbéry a, par la permission du parlement, le droit de consacrer un premier évêque de Jérusalem, pourquoi saint Grégoire le Grand n’a-t- il pas eu le droit d’envoyer des évêques en Angleterre? Pourquoi le Pape actuel n’aurait-il pas ce même droit? Et pourquoi rompre la dépendance sinon avec le souverain Pontife, au moins avec le patriarche l’accident qui réside à Rome et d’où découle la vie du véritable épiscopat anglais?

En attendant, le gouvernement allait augmentant chaque jour ses exigences pour faire admettre des sujets plus ou moins suspects d’incrédulité. La société ecclésiastique a été établie pour maintenir la prédication de la vérité et la légitime administration des sacrements. Sacrements et vérité importaient peu aux gouvernants. L’Eglise déformée par le schisme était un excellent moyen d’action; peu importait le reste. On ne résiste jamais bien avec une foi diminuée. Or, le choix des évêques laissait peu de place à l’apparition de quelque nouveau Thomas de Cantorbéry. On cédait toujours, et des concessions sans cesse renouvelées amenaient des exigences nouvelles. Quand l’affaire de Gorham se presenta, la surprise du pouvoir fut grande de rencontrer une résistance inattendue.

L’Etat peut-il forcer les évêques à donner le pouvoir de curé à un ministre anglican qui ne croit pas à la nécessité du baptême? Dans toute Eglise encore chrétienne la question serait vite résolue. En Angleterre, il en fut autrement et l’évêque Philpoth, après avoir parcouru tous les degrés de la juridiction ecclésiastique et civile, fut condamné à donner des lettres d’institution pour une cure au docteur Gorham, qui ne croit pas à la nécessité du baptême. S’il y a une hérésie ou plutôt une négation des bases du christianisme, c’est bien celle-là. D’où il résulte que le pouvoir suprême forçait les évêques à admettre des hérétiques au droit d’enseigner la vérité aux fidèles. Aucun cas pareil ne s’était présenté depuis Elisabeth. Enfin, voilà où en est l’Eglise anglicane.

Il faut lire, dans le traité de Wilberforce sur l’Eglise, les réflexions qu’une décision pareille produisit chez un nombre considérable d’ecclésiastiques; quant aux protestations, elles se réduisirent à quatorze.

Dans une lettre à un ami anglican, le docteur Manning racontait, il y a deux ans, les détails les plus intéressants de cette protestation. Il en résulte que ce ne fut pas sans de longues et de très vives discussions que les expressions en furent arrêtées. Les personnes qui y prenaient part considéraient ce fait comme une crise de vie ou de mort pour l’anglicanisme. Aussi l’un des signataires, lorsque la discussion fut close et la protestation rédigée, ne craignit pas de dire: « Si l’Eglise d’Angleterre ne se justifie pas de l’affaire Gorham, je pense que nous sommes tous prêts à l’abandonner. -Pour moi, répondit un autre des signataires, arrive que pourra, je n’ai aucune intention de quitter l’Eglise d’Angleterre ».(2)

Ainsi était détruit l’article du concile de Nicée: ;Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum. Il fallait que l’Eglise anglicane parlât ou qu’elle abdiquât complètement le droit de condamner l’erreur. Voici ce que l’on fit.

Le docteur Blomfield, alors évêque de Londres, proposa un bill pour modifier le droit d’appel au conseil de la couronne en matière de doctrines, de telle sorte que les questions canoniques fussent toujours du ressort du conseil. Les questions de doctrine seraient soumises aux évêques. Les débats qui suivirent méritent d’être remarqués. Le public y prêta les plus vif intérêt. Un des évêques qui prirent la parole fit observer que le rejet du bill ferait tomber bien des joyaux de la couronne de l’Eglise anglicane; à quoi l’on répondit que, s’ils pouvaient tomber si aisément, il fallait qu’ils fussent bien mal attachés*. Lord Brougham parla contre le bill. Il dit, avec son grand bon sens anglais, que les évêques ne pouvaient former un tribunal suffisant pour les questions de doctrine controversée, car ils pouvaient se partager en nombre égal et ne pas décider; ou bien avoir une simple majorité qui ne donnerait à personne une conviction morale; ou bien encore que la majorité, quelque grande qu’elle fût, ne compenserait pas la valeur morale de la minorité, dont les membres seraient connus par leur science, leur influence, et vers qui pencherait certainement le public. Le résultat pouvait être prévu: le bill fut rejeté, et la défaite fut telle qu’on n’en avait jamais encore vu de semblable. Quelqu’un alla plus loin que lord Brougham sur cette question. En supposant l’unanimité des évêques sur un point controversé, leur décision sera-t-elle infaillible? Par qui sera-t- elle regardée comme telle? Par personne. Et l’on arriverait fatalement à cette conclusion que, supposé que Dieu ait établi un gardien, un guide infaillible de la vérité, ce n’était certainement pas l’Eglise anglicane; et devant ce fait il ne restait que le rationalisme pur ou le catholicisme pur.

Or, à l’affaire de Gorham en ont succédé bien d’autres. La doctrine de l’eucharistie a été attaquée. Le docteur Colenso, un évêque, a ruiné l’autorité des livres de l’Ancien Testament, a proclamé l’utilité de la polygamie; d’autres ont nié l’éternité des peines de l’enfer, la rédemption, la Trinité, ect. Qui a protesté, si toute fois l’on a protesté? Quel effet a produit une protestation, dont on connaît les discussions préparatoires? Mais voici qui est plus fort. Le juge suprême, c’est le parlement. Or, depuis l’admission des juifs dans son sein, des ennemis du christianisme seraient donc appelés (supposé, comme on en parle, qu’on voulût modifier les 39 articles) à décider en dernier ressort les questions fondamentales de la doctrine chrétienne. Voici où les dernières décisions juridiques nous amènent. On peut nier la nécessité du baptême, l’inspiration des Livres Saints, l’éternité des peines, les mystères de la Trinité, de l’Incarnation, de la Rédemption, et, de par l’Etat, être chrétien anglican, curé, évêque. Voilà où a conduit la doctrine d’Henri VIII, réduite en système par Eraste

Or, au milieu de ce chaos de tant d’opinions monstrueuses, donner des cures, des canonicats, des chaires de professeurs, des évêques à ses amis, quelle que soit leur doctrine, comment les évêques le peuvent-ils? Ils ne le peuvent en aucune façon. D’autre part, comment voulez-vous que l’Etat se prononce en pareille matière, sans encourir le reproche de se mêler de ce qui ne le regarde pas? L’Etat donc n’interviendra pas, et nous verserons dans l’abîme du scepticisme, terme de toutes les contradictions, tandis que les hommes de bonne foi se réfugieront dans le sein de l’Eglise catholique pour y trouver la vérité, en dehors de l’Etat protégée par la seule autorité légitime qui en ait reçu de dépôt.

L’Eglise anglicane est frappée à mort. Personne ne peut la ramener à la vie. Ce ne sont pas les rationalistes qui la démolissent pierre à pierre; ce n’est pas l’Etat, qui, tout en maintenant son joug de fer sur l’organisation sociale de cette Eglise, se déclare plus incompétent que jamais pour juger de la doctrine; ce ne sont pas les évêques, dont l’infaillibilité est repoussée par tous. Elle sera pourtant une Eglise nationale; elle aura de fonctionnaires, légalement très haut placés, des évêques à la chambre des lords, des dignitaires avec de superbes revenus, jusqu’au jour où trouvant inutile d’avoir des docteurs pour dire le oui et le non, ou pour ne rien dire du tout par prudence, l’opinion et l’Etat lui-même aboliront les cures, les canonicats, les chaires et les évêchés. Ce jour-là, l’Eglise anglicane aura cessé d’exister, sans qu’on puisse lui avoir d’autre reconnaissance que de laisser à l’Etat des églises toutes bâties et d’immenses terres à vendre pour remplir ses caisses vides.

Notes et post-scriptum