ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.175
  • ARTICLES
  • DU MOUVEMENT RELIGIEUX EN ANGLETERRE
    CINQUIEME ARTICLE
  • Bulletin de l'Association de Saint François de Sales pour la défense et la conservation de la foi, 1867, p. 15-21; 46-53.
  • CZ 120; TD 7, P. 175-192.
Informations détaillées
  • 1 ANGLICANISME
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 ATHEISME
    1 AUGUSTIN
    1 AUTORITE DE L'EGLISE
    1 AUTORITE PAPALE
    1 BAPTEME
    1 CARACTERES DE L'EGLISE
    1 CHASTETE DU PRETRE
    1 CONCILE DE TRENTE
    1 CULTE DE LA SAINTE VIERGE
    1 EGLISE ET ETAT
    1 ENFER
    1 ENSEIGNEMENT DE L'ECRITURE SAINTE
    1 EUCHARISTIE
    1 FOI
    1 IMMACULEE CONCEPTION
    1 INCARNATION DE JESUS-CHRIST
    1 INDIFFERENCE
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 INSPIRATION BIBLIQUE
    1 MARTYRS
    1 ORDINATIONS
    1 PERES DE L'EGLISE
    1 PROTESTANTISME
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RATIONALISME
    1 REDEMPTION
    1 RETOUR A L'UNITE
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SCHISME ORIENTAL
    1 TRINITE
    1 UNITE DE L'EGLISE
    1 VERITE
    2 ALLIES, THOMAS
    2 BOSSUET
    2 COLENSO, JOHN-WILLIAM
    2 GORHAM, DOCTEUR
    2 KEBLE, JOHN
    2 KINGSLEY, CHARLES
    2 LEIBNIZ, GOTTFRIED-WILHELM
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MOLANUS, GEBHARD-WOLTER
    2 NEWMAN, JOHN-HENRY
    2 PATRIZI, COSTANTINO
    2 PIE IX
    2 PUSEY, EDWARD BOUVERIE
    2 RAMIERE, HENRI
    2 WARD, WILLIAM-GEORGE
    2 WISEMAN, NICOLAS
    3 ANGLETERRE
    3 CANTERBURY
    3 CAP, LE
    3 DUBLIN
    3 ECOSSE
    3 FRANCE
    3 IRLANDE
    3 OCCIDENT
    3 ORIENT
    3 PORT-NATAL
    3 ROYAUME UNI
    3 SAINT-PETERSBOURG
    3 WESTMINSTER
La lettre

La crainte d’envahir un terrain qui n’est pas le nôtre nous a fait supprimer une foule de considérations dans l’article précédent. Aujourd’hui nous reprenons toute notre liberté et nous nous proposons de revenir sur les dernières luttes, c’est-à-dire sur ce qui a eu lieu depuis la publication de l’Apologia pro vita sus du docteur Newman. On sait qu’attaqué par M. Ch. Kingley sur la sincérité de la morale des prêtres catholiques, l’illustre oratorien, qui, pour la première fois, était exposé à un reproche pareil, publia sous forme de justification l’histoire de sa vie. L’accueil enthousiaste que le public anglais fit à ce livre fut un nouveau triomphe pour l’Eglise; nous lui avons fait de trop nombreux emprunts pour qu’il nous soit possible, avec notre cadre restreint, d’y revenir encore, d’autant plus que nous avons à signaler un autre champ de bataille de cette grande guerre, où le catholicisme cueille toujours de nouveaux lauriers.

J’ai là sur ma table la neuvième édition d’un volume intitulé: Essais et revues (1861), dont l’apparition fut comme la prise de possession de l’Eglise anglicane par le rationalisme le plus avancé. Il devait en être ainsi. Cette pente funeste avait été prédite par les anglo- catholiques d’Oxford. On les avait blâmés, censurés, repoussés comme des prophètes de malheur, et maintenant les faits ne leur donnaient que trop raison. L’Eglise établie, qui n’avait pas voulu des hommes de la via media, se trouvait livrée sans défense à des docteurs qui faisaient pénétrer dans son sein tout le venin de la nouvelle exégèe allemande. Ce livre fut dénoncé, et les auteurs condamnés à une ombre de censure par la cour des arches; mais le conseil privé de la reine se hâta de faire disparaître même cette ombre. Quand le docteur Ward et le docteur Newman voulurent interpréter les XXXIX articles dans le sens catholique, ils furent condamnés. Le docteur Ward subit une dégradation publique. Mais quand les Essaïstes (on les a ainsi nommés) ont voulu interpréter ces mêmes articles dans le sens le plus rationaliste, ils ont eu complètement gain de cause.

Nous avons dans l’article précédent indiqué les principales erreurs de cette école: négation de l’inspiration des Livres Saints, de l’éternité des peines, de la Trinité, de l’Incarnation, de la Rédemption, etc. Le clergé anglican, dans une sorte de synode appelé convocation et que quelques protestants ont défini: Beaucoup de bruit pour rien, prononça un blâme; seulement ni la cour des arches, ni le conseil privé de la reine n’en tinrent le moindre compte. On en fit mémoire pour le considérer comme non avenu. C’est consolant. Des ecclésiastiques publient un livre qui sape par la base la religion qui les fait vivre, le corps des ministres de cette religion les condamne, à une majorité quelconque, et les tribunaux civils les absolvent. Voilà une religion dont la doctrine a de singulières garanties. Plus tard, une convocation de la province ecclésiastique de Cantorbéry condamna les Essais et revues, mais, disait le docteur Manning dans une lettre adressée en 1864 à un ami anglican, que prouve cette condamnation? Quand on ne saurait pas que quelques voix à peine ont fait la majorité, quel effet cette condamnation a- t-elle produit? Quelle en est l’autorité? Quelle garantie fournit-elle à ceux qui viendraient s’y réfugier?

La réponse à ces questions, poursuit le docteur Manning, a été donnée par la chancelier d’Angleterre lui-même dans la chambre des Lords. Il est certain qu’aucune convocation ne peut se réunir sans une autorisation royale; qu’assemblée, elle ne peut délibérer sans permission; qu’avec cette première permission il lui en faut une autre pour examiner telle ou telle matière, et qu’elle ne peut prendre une résolution en faire un décret sans être passible des peines les plus graves. En effet, ou la déclaration de la convocation est un acte judiciaire, ou elle ne l’est pas. Si elle ne l’est pas, c’est du papier gâté; si elle l’est, la convocation est en collision avec le conseil de la couronne, et l’on sait en Angleterre qui des deux l’emportera. Que la convocation ait bien fait, c’est ce qui est évident pour le docteur Manning; mais, poursuit-il, il n’en est pas moins vrai que ce que la convocation défend, – c’est-à-dire de prêcher dans les chaires de l’Eglise établie des doctrines antichrétiennes, -la conseil privé de la reine le permet. Ces doctrines étant impunément prêchées, que deviendra la vérité, que deviendra la foi? Ceci, paraît- il, ne regarde pas les tribunaux ecclésiastiques en Angleterre. Mais ce qu’il faut bien établir, c’est que du moment où l’Eglise anglicane, pour se débarasser de toute autorité spirituelle supérieure, a accepté que le roi comme personne spirituelle recevait tous les appels ecclésiastiques, il faut bien reconnaître que c’est l’Eglise anglicane qui s’est placée ainsi sous le joug du pouvoir temporel; mais celui-ci, n’ayant pas mission pour définir les points controversés ne fera qu’enregistrer et légaliser par la force des choses de nouvelles erreurs. Les juges civils seront toujours condamnés à dire: Nous nous reconnaissons incompétents à condamner telle doctrine, et la doctrine non condamnée aura, par cela même, le droit d’être enseignée. Elle le sera, soyez-en sûr. Qui discernera la vérité de l’erreur? Personne. Tout se terminera par un peut-être.

Ne dit-on pas: ces tribunaux ne sont pas l’Eglise. Non, sans doute, ils ne le sont pas, mais ils autorisent toutes les erreurs à être prêchée dans l’Eglise, sans que l’Eglise ait aucun droit de protestation. Ainsi l’erreur acquiert tous les jours un peu plus le droit de cité, et la vieille doctrine le perd chaque jour dans la même proportion.

Il est impossible de se défendre d’une certaine émotion, lorsque, trente-cinq ans après que Newman eut quitté Oxford, on voit le vieux docteur Pusey lui demander la permission de faire imprimer son traité 90, justifier son ancien ami, dans une préface dont il fait précéder le traité, de tous les reproches qui, dans le temps, furent faits à la brochure et à son auteur. Le traité 90, aux yeux du Pusey, est l’arche de salut de l’anglo-catholicisme, et ce n’est qu’en revenant, comme Newman le voulait, à l’interprétation le plus catholique possible des XXXIX articles, que l’on peut espérer conjurer les tempêtes que le rationalisme accumule contre l’Eglise établie. Donc, on se persuade peut-être que Pusey se rapproche de la manière de penser de ses anciens amis aujourd’hui catholiques. On verra bientôt comment cet esprit si distingué est éloigné d’une pareille conclusion.

Mais une des douleurs les plus vives, la plus vive on peut dire, du docteur Pusey, fut la sentence favorable rendu par le conseil privé dans l’affaire des Essais et revues. Il en exhale les accents dans quelques pages publiées par lui, et où il communique au public l’opinion de deux des principaux jurisconsultes anglais sur la valeur de cette sentence. Il en résulte que le conseil privé n’a pas voulu juger une question de principe, mais statuer dans l’espèce, comme on dirait en France, si je ne me trompe. Mais qu’importe? si l’on sait que dans tous les faits semblables la même sentence doit être rendue. On sait que le conseil privé n’a pas prétendu que la doctrine contenue dans les Essais et revues est bonne; mais l’on est assuré que tous les ministres qui publieront des doctrines semblables seront absous de toutes censures portées par les évêques. On peut même prévoir que si le rationalisme de MM. les ecclésiastiques anglicans va au-delà des dernières publications, leurs affirmations seront également légalisées selon l’expression du docteur Manning.

La situation de cette Eglise infortunée est-elle arrivée à un état assez humiliant? Ecoutez.

Un certain docteur Colenso s’était fait nommer évêque dans les colonies africaines, à Port-Natal, et professait dans ses sermons, ses mandements et ses écrits, des doctrines du genre de celles dont nous venons de parler. L’archevêque du Cap le cite à son tribunal et le condamne comme professant de graves erreurs. Colonso naturellement fait appel. Or, voici le résumé de la sentence définitive.

1° l’archevêque n’a pas eu le droit de condamner l’évêque de Port-Natal, parce que la reine n’a pas eu le droit d’instituer un archevêche au Cap, pas plus qu’elle n’a eu le droit d’instituer un évêché à Natal;

2° Que l’archevêque du Cap n’a par conséquent, pas eu le droit de condamner Colenso;

3° Que ni l’archevêque ni Colenso n’ont le droit de toucher un traitement. L’archevêque du Cap fut ainsi bien battu. Pour le consoler, le gouvernement lui laissa son traitement, et Colenso, à qui on le laissa aussi, se hâta d’aller le toucher à Natal, où il remonta sur son siège, non sans quelques difficultés de la part d’un bon nombre de ses diocésains qui le considèrent comme un mécréant.

Encore une fois, que conclure, sinon que désormais toutes les barrières sont abaissées, et qu’il n’est pas d’erreur qui ne puisse être professée dans les chaires de l’Eglise anglicane, sans que les évêques aient dans les chaires de l’Eglise anglicane, sans que les évêques aient aucun moyen de s’y opposer? Dans une pareille situation, pense-t-on qu’il s’écoule beaucoup de temps avant que ne se pose cette question: « A quoi sont bons les évêques qui n’ont aucune autorité pour affirmer, pour condamner, qui peuvent voir nier les sacrements qu’ils administrent puisqu’ils ont laissé nier la nécessité du plus nécessaire de tous, le baptême? » Jésus-Christ avait dit aux apôtres: « Allez, enseignez et baptisez ». Si le baptême et l’enseignement ne sont que de mots, Jésus-Christ est un menteur. Mais l’épiscopat anglais qu’est-il?

Je reviens sur mes pas. Dans sa brochure sur l’acquittement des Essaïstes, le docteur Pusey était revenu à plusieurs reprises sur diverses appréciations du docteur Manning, et, en lui répondant, il était entré dans certaines distinctions où je me permets de ne pas le suivre, uniquement parce que j’avoue n’en pas bien saisir la subtilité. Quelque élevée que soit l’intelligence de l’illustre chef actuel de l’Ecole anglo-catholique, il y a des moments où il semble se réfugier dans un ordre d’idées un peu paradoxal, et je ne voudrais pas lui prêter des opinions qui ne seraient pas les siennes.

Quoiqu’il en soit, le docteur Manning mis en cause, ainsi que le cardinal Wiseman, crut devoir répondre pour lui et pour son évêque en ce moment sur son lit de mort. Il établit.

1° Qu’il reconnait l’action du Saint-Esprit dans l’Eglise anglicane. Tous les grands théologiens la reconnaissant même chez les païens, pourquoi la nierait-il dans une communion chrétienne?

2° Il déclare s’affliger profondément de tous les affaiblissements que la foi ne cesse de subir dans l’Eglise anglicane et des progrès inévitables de l’incrédulité; il établit que si l’Eglise anglicane conserve encore certaines vérités, elle n’a plus la vérité, c’est-à-dire la vérité complète, absolue, intégrale, telle que Jésus-Christ l’a laissée à son Eglise; que des affaires comme celles de Gorham, des Essais et revues, de Colenso, sapent par la base l’anglicanisme et l’éloignent de plus en plus de cette Eglise catholique, dont la mission est, comme celle de son fondateur, non de détruire, mais de compléter, non solvere, sed adimplere. Une fois ces déclarations faites, le docteur Manning établit que, loin qu’à ses yeux l’Eglise anglicane soit le grand boulevard opposé à l’incrédulité, comme Pusey l’avait prétendu, c’est au système anglican qu’on doit l’anarchie qui désole aujourd’hui les esprits en Angleterre. Le pays, dit-il, n’avait qu’une foi, il y a trois siècles. Qui a produit toutes ces divisions et subdivisions d’erreurs? Quelle est leur source? N’est-il pas évident que la Réforme est responsable de tout ce qu’elle a enfanté de sectes et d’erreurs? Cette Eglise, on en convient, retient certaines vérités; mais avec quelle facilité ne vont-elles pas se perdant? Et, du train dont vont les choses, avec les sentences de ces tribunaux, qu’en restera-t-il sous peu? Si l’Eglise anglicane a eu des écrivains apologistes de la religion, les dissidents en ont eu aussi, et aucun dissident n’est allé aussi loin que Gorham, les Essaïstes ou Colenso. L’Eglise anglicane et les communions dissidentes sont évidemment sur le même niveau. Si l’Eglise anglicane est une barrière contre l’infidélité par les affirmations, elle est une source d’incrédulité par tout ce qu’elle permet de nier dans les chaires. Mais il faut aller au fond: l’Eglise anglicane se présente-t-elle comme le prédicateur divin de la vérité? Alors pourquoi n’exige-t-on pas l’obéissance de la foi? Avoue-t-elle qu’elle n’est pas ce prédicateur divin? Elle ne peut donc opposer qu’une barrière humaine à l’incrédulité, et l’on sait la force de ces sortes de barrières.

Quant à moi, conclut le docteur Manning, loin que l’Eglise anglicane soit un boulevard contre le flot de l’incrédulité, elle me produit l’effet d’avoir flotté à son tour devant l’incrédulité croissante, et, pour tout dire, elle se laisse entraîner à chasser sur ses ancres. Vous et moi, nous avons marché; moi, pour me rapprocher du centre; vous, pour vous en éloigner. Je dis ceci sans amertume, car ce m’eût été une joie profonde de vous voir entrer dans la possession complète, immuable de la vérité, à la suite de vos grands travaux de ces dernières années.

Il nous reste à parler rapidement d’une publication, dont l’effet devait être immense, de l’Eirenicon du docteur Pusey.

Ceux qui voudront lire une belle analyse de ce livre la trouveront dans les articles que le P. Ramière a consacrés au sujet qui nous occupe dans la Revue du monde catholique. Je me suis même demandé quelque fois si je ne ferais pas mieux de renvoyer tout simplement aux études du savant jésuite; toutefois, notre plan est assez différent, nos points de vue envisagent la question sous deux aspects très distincts, et la matière est assez importante pour être examinée de plusieurs côtés.

Qu’est-ce donc que l’Eirenicon? C’est un instrument de paix, dans la pensée de l’auteur; c’est une machine de guerre, selon le docteur Newman. Vous prétendez, dit celui-ci à son ancien ami, nous offrir la branche d’olivier, mais convenez que vous nous la lancez à l’aide d’une catapulte.

Pusey, au lieu de répondre directement à la lettre du docteur Manning, qui sur ces entrefaites, avait été nommé archevêque de Westminster, préféra, sous forme de lettre, indiquer au docteur Keeble sur quelles bases on pourrait traiter de la paix entre les catholiques et les anglicans. Après avoir expliqué comment, dans ses vieux jours, il préférait ne pas rentrés dans l’arène pour repousser les attaques des incrédules et des semi-incrédules contre l’évangile; après avoir expliqué sa sympathie pour les évangélistes tout en établissant, le mieux possible, qu’il ne recule pas sur ses vieilles amarres, il fait ses conditions. J’en vois quatre principales:

1° Reconnaître les Eglise d’Orient, d’Occident et d’Angleterre; -ceci est vieux.

2° Revenir sur les définitions du concile de Trente; ce qui est impossible, on ne revient pas sur un concile général.

3° Amoindrir le pouvoir du Pape, surtout protester contre son infaillibilité.

4° Biffer d’un trait de plume la définition de l’Immaculée Conception et mettre à la raison les exagérations de plusieurs auteurs catholiques relativement au culte de la Sainte Vierge.

Laissons la quatrième condition. Le P. Newman s’est chargé d’y répondre et a expliqué admirablement la différence qu’il faut mettre entre le culte de la Sainte Vierge et la doctrine sur la Sainte Vierge. Donc elle a été, au moins intrinsèquement, admise de tout temps. Le culte, qui découle de la doctrine et en est la manifestation, a eu des développements successifs. Quant aux exagérations de certains auteurs, l’Eglise n’en est pas responsable, quoique plusieurs, citées par le docteur Pusey, puissent être prise dans un sens tout autre que celui qu’il leur donne. Ecartons donc ce point particulier. Revenons aux projets d’union. Pour cela, il faut établir non pas l’Eglise une, non pas l’unité de l’Eglise selon le symbole de Nicée, mais des Eglises: non pas un corps, mais des corps. Une en Orient, une en Occident, l’autre en Angleterre. Pourquoi ce corps en Angleterre? Pourquoi le corps de l’Eglise anglaise, qu’il faut distinguer de l’Irlande, de l’Ecosse et de la moitié de l’Angleterre? Car l’Eglise anglicane n’est certes pas le Royaume-Uni tout entier.

Du reste, ne pourrait-on pas demander au docteur Pusey comment, après sa protestation au sujet de l’affaire Gorham, il a encore le courage de présenter l’Eglise anglicane comme enseignant la vérité?

Mais quant au pouvoir du Souverain Pontife, il faut en prendre son parti. Le courant est chez les catholiques du côté de l’autorité. Plus il semble réduit par l’effet des événements à son élément spirituel, plus on sent le besoin de développer, de fortifier cet élément à l’autre point de vue, et dès lors, il n’y a plus à s’occuper des conciles. Quand pourront-ils être convoqués de nouveau? Quand ceux qui parlent le plus pour en faire l’éloge permettront-ils aux évêques de les tenir, aux papes de les convoquer? Graves questions qui laisseraient l’Eglise désarmée, si un tribunal vivant, perpétuel, infaillible ne subsistait dans son sein. L’histoire des révolutions modernes preuve, en dehors du pouvoir temporel dont nous n’avons pas à nous occuper, la nécessité d’une manifestation plus grande du pouvoir spirituel.

Après tout, un fait restait incontestable. Le docteur Pusey pouvait dire en 1865 ce que les docteurs Newman et Ward n’avaient pu dire en 1840. Pourquoi? Parce que, l’incrédulité ayant fait au sein de l’Eglise anglicane les plus effrayants progrès, les évêques n’osaient plus condamner certaines questions catholiques, lorsqu’ils étaient obligés de supporter tant de manifestations rationalistes.

On disait au docteur Pusey: « Vous vous occupez beaucoup de la position des catholiques et des concessions qu’ils doivent vous faire, mais quelle est donc la position de l’Eglise anglicane? Quelle est sa vie organique? Quelle sont ses espérances d’avenir? Quelle est votre théorie sur l’unité? Les sacrements sont-ils seuls la preuve de l’unité du corps de Jésus-Christ? Mais Jésus- Christ n’a-t-il pas dit: Enseignez? L’enseignement est-il le même en Orient, en Occident, en Angleterre? Mais voyez les donatistes: ils avaient les mêmes sacrements, la même doctrine, ils étaient hors de l’unité. Et vous, vos sacrements sont-ils valides? Vos ordinations ne sont-elles pas contestées? Croyez-vous comme l’Orient et l’Occident sur l’eucharistie? »

Les donations sont l’anglicanisme légalisé, et l’Eglise catholique les repousse. Saint Augustin constate que le seul vice des donatistes est leur schisme, que les sacrements ne servent de rien quand ils sont reçus hors de l’unité. Même mourir pour Jésus-Christ n’est plus le martyre, dès qu’on n’est plus dans l’unité. Telle est la doctrine ancienne.

Nous ne suivrons pas les auteurs qui ont combattu le docteur Pusey sur ce qu’il dit de l’indépendance de l’Eglise. On peut dire que l’illustre professeur d’hébreu a été écrasé sous les poids des textes des Pères, confirmant par la tradition la doctrine catholique sur l’indissoluble unité, et la visibilité de son chef et la perpétuité de la prédication dans l’Eglise.

Nous avons réservé, par clore la série des réponses faites à l’Eirecon;, une pièce trop importante pour ne pas fixer tout particulièrement notre attention.

Le docteur Manning avait été accusé d’être de ceux qui avaient éprouvé une joie sauvage; lors des affaires des Essais et revues;. Ce fut même un des motifs que le déterminèrent à écrire sa lettre au docteur Pusey. Celui-ci ne jugea pas même à propos de lui répondre; ce fut à M. Keeble que l’Eirenicon fut adressé. Je sais bien comment on qualifierait en France une pareille façon d’agir. En Angleterre cela, paraît-il, est admis.

Cependant, l’illustre cardinal Wiseman n’étant plus; le siège de Westminster, si glorieusement occupé par lui, venait d’être confié par Pie IX au docteur Manning. Reprendre la discussion avec un homme qui n’avait pas jugé à propos d’entrer en discussion directe avec lui n’était pas convenable pour le nouveau prélat; aussi ce ne fut point au docteur Pusey qu’il s’adressa directement, mais il profita d’une admirable occasion que lui fournit la Providence.

Tandis que des propositions de paix étaient faites de la manière que l’on vient de voir, un certain nombre de ministres anglicans (on nous a assuré que leur nombre était de plus de mille;) proposèrent, en attendant l’union désirée, une communauté de prières aux catholiques. Plusieurs acceptèrent cette offre, et l’Association pour l’union prit un assez grande développement chez les laïques, et même chez quelques prêtres. Les évêques catholiques s’en émurent, prirent entre eux des résolutions pour s’opposer à une association pareille et s’adressèrent à Rome. La Congrégation du Saint Office répondit par la plume du cardinal Patrizzi et déclara que les principes, sur lesquels reposait une association pareille, renverseraient de fond en comble la constitution de l’Eglise, puisque, au lieu de cette ;unité de foi prêchée par l’Apôtre, on tombait dans l’indifférence par rapport aux articles les plus importants de la foi. Certes, l’Eglise catholique prie pour la conversion de tous, mais n’en repousse pas moins de la communion de ses prières ceux qui ne se soumettent pas à son enseignement et n’acceptent pas sa foi. Les catholiques doivent donc s’abstenir d’une association qui favorise l’indifférentisme et cause le plus grand scandale. Or l’indifférentisme est le plus grand des maux des temps présents. Tel est le fond de la lettre

Cent quatre-vingt-dix-huit doyens, chanoines, curés et autres prêtres anglicans crurent devoir s’adresser directement au cardinal Patrizi pour se plaindre de la condamnation qu’il venait, au nom du Saint-Office, de faire tomber sur l’Association. Les questions de dogme, disaient-ils, étaient réservées, et l’on ne devait pas prétendre rien décider sur les matières controversées. Certes, c’était déjà un assez étonnant spectacle que celui de voir près de deux cents ministres anglicans s’adresser directement à un cardinal de la Sainte Eglise Romaine; aussi le cardinal Patrizi jugeat-il convenable de leur répondre, à son tour.

Il ne craint pas de les appeler honorabiles et dilectissimi domini, mais en même temps il leur déclare que jamais l’Eglise ne reconnaîtra l’héritage du sacerdoce et du nom catholique (c’étaient leurs propres expressions) chez ceux qui se sont séparés du Siège apostolique. La seule Eglise catholique est celle qui, selon l’expression de Notre- Seigneur, est bâtie sur saint Pierre. L’unité est dans cette adhésion à Pierre, et la vie est dans cette unité. L’infaillibilité s’y trouve aussi, et si l’Eglise peut cesser un instant de prêcher la vérité, elle n’est plus l’Eglise. Or, c’est précisément ce que met en doute le projet d’union, en supposant que l’Eglise catholique puisse faire des concessions. Or, s’il lui est impossible d’en faire, il ne reste plus qu’une chose, c’est de s’unir à elle en retournant purement et simplement sous son autorité. C’étaient ces lettres que Mgr Manning crut devoir publier dans un mandament qu’il intitula: Réunion de la chrétienté.

Après avoir fait une analyse et un magnifique commentaire des pièces dont nous venons de donner un aperçu, Mgr Manning poursuit: « Nous ne pouvons donner ce qui n’est pas à nous. La divine et infaillible autorité de l’Eglise pose elle-même des bornes à notre pouvoir et à nos désirs. Nous ne pouvons offrir l’unité qu’à une condition, c’est l’obéissance sans condition à la voix vivante et non interrompue de l’Eglise de Dieu. On dira que nous mettons des obstacles à l’union, mais il y a quelque chose de plus divin que l’union, c’est la foi: la foi qui fixe le dogme, et le dogme qui, en théologie, est ce que les axiomes sont pour la science. Le dogme est la vérité fixée, et voila pourquoi, dans les réponses du Saint-Office, on en revient à l’union par la vérité. Or, la vérité a pour colonne et pour base l’Eglise catholique ».

Mais Mgr Manning ne s’arrête pas là. On avait prétendu traiter, en dehors du Pape, un projet de réunion entre les catholiques et les protestants. Il revient, lui, aux fameuses correspondances entre Bossuet, d’une part, Leibnitz et Molanus, de l’autre. Il prouve que Bossuet pose comme base indispensable:

1° La soumission de tous les catholiques au Pape;

2° L’impossibilité que personne dans l’Eglise, même le Pape, puisse changer quelque chose aux définitions dogmatiques d’un concile ecuménique, et, par conséquent, au concile de Trente. Ceux donc qui ont proposé la réunion avec des conditions pareilles peuvent y renoncer. Il ne s’agit pas même d’interpréter le concile de Trente dans un sens accommodatif, comme le proposait le traité 90; il faut le prendre dans son sens pur, simple, naturel.

Laissons la question de l’infaillibilité du Pape. Prenons pour le moment, si l’on veut, l’opinion des gallicans; restent l’autorité du Pape et l’infaillibilité de l’Eglise. Les anglicans sont encore loin de là.

Une des causes de l’erreur des anglicans, c’est qu’ils ne se font pas une idée exacte de la vie de l’Eglise. Qu’est-ce que la vie de l’Eglise? C’est le Saint-Esprit que Jésus- Christ lui a envoyé, qui est Dieu, esprit de vérité, esprit vivant, toujours dans l’Eglise, l’assistant toujours et d’une manière infaillible, car le Dieu de vérité ne peut enseigner l’erreur. Si cela est, ce n’est pas à l’homme qu’on se soumet, mais à Dieu. Nierez-vous cette proposition? Il vous faut nier la parole de Jésus-Christ: Je suis avec vous, tous les jours, jusqu’a la consommation des siècles« . Direz-vous que Jésus-Christ est avec son Eglise pour la tromper?

Les anglicans, dans leurs désirs de réunion, avaient dans un banquet fait des propositions à un prince russe, qui semblait les avoir accueillies. On se demandera peut-être ce qu’un laïque russe peut dans des questions de ce genre, mais on ne doit pas oublier que c’est bien un laïque, qui à Saint-Pétersbourg, présida le synode. Pourquoi le tzar ne lui conférait-il pas des pouvoirs spéciaux pour décider les questions dogmatiques?

N’oublions jamais que l’Eglise anglicane forme à peine la moitié de l’Angleterre, que l’école anglicane est une portion de cette Eglise, et que les anglo-catholiques ne sont qu’un fragment de cette école. Il n’en faut pas moins louer leurs efforts. Mais à quoi aboutissent-ils? Magni passus, sed extra viam;, dit saint Augustin.

De tout cela, que conclure? Que l’Eglise anglicane n’a plus qu’une apparence de vie, et que le souffle qui la ranimera doit être la pure, la vraie foi; non pas la foi inoculée à l’aide de concessions, mais la foi venue de celui qui a mission de la prêcher du haut de la chaire de saint Pierre, et des évêques en communion avec lui.

Que conclure encore? Que nous ne saurions jamais assez remercier Dieu d’avoir épargné à la France les humiliations que font subir aux Anglais les avilissements de leur Eglise nationale.

E. d'ALZON, vicaire général de l'évêque de Nîmes.
Notes et post-scriptum