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Informations générales
  • TD 7.6
  • ARTICLES
  • MEMOIRES D'UN ANCIEN DE LA VIEILLE ASSOMPTION
    CHAPITRE III
    JULES MONNIER
  • L'Assomption, I, n° 4, 15 février 1875, p. 25-27.
  • TD 7, P. 6-11; CO 244.
Informations détaillées
  • 1 AGREGATION
    1 BEAU CHRETIEN
    1 CACHET DE L'ASSOMPTION
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CONFESSION SACRAMENTELLE
    1 DISTINCTION
    1 ENGAGEMENT APOSTOLIQUE DES LAICS
    1 ENSEIGNEMENT
    1 MAITRES
    1 MORT
    1 ORPHELINATS
    1 PERE DE FAMILLE
    1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
    2 EYSSETTE, PHILIPPE
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 MONNIER, JULES
    2 PLINE LE JEUNE
    2 REYNAUD, ABBE
    2 TRAJAN
    3 MONTPELLIER
    3 TOULOUSE
  • 15 février 1875.
  • Nîmes
La lettre

Un soir du carême 1837, M. Germer-Durand, professeur au lycée et chrétien comme il en faudrait beaucoup, présenta au P. d’Alzon un de ses amis touché par les sermons de M. l’abbé Reynaud, du clergé de Toulouse, et prédicateur à la cathédrale. C’était un jeune homme dont l’oeil révélait la franchise, l’ardeur, une vive sensibilité; sa voix, où vibrait une impressionnabilité nerveuse, était extrêmement sympathique; son grand front, encadré dans de beaux et longs cheveux, portait l’empreinte du travail, et sa taille frêle semblait pencher sous les efforts d’une volonté énergique et les élans d’une imagination embrasée par le coeur.

Ce pauvre P. d’Alzon fut immédiatement sous le charme, et ce que je répéterai d’après ses confidences, prouvera que le charme a duré pendant près de vingt ans.

Jules Monnier, professeur au lycée comme M. Durand, était une de ces natures exquises, égarée dans l’Université, hors de sa voie. Il avait été élève à l’institution Dabo, suivant les classes de Henri IV. Il avait passé par l’école normale, mais non pas tanquam per ignem, ou bien le feu n’avait pas été très purificateur. Résolu à s’établir dans le Midi, il avait pris des engagements dont quelques personnes étaient surprises. Le P. d’Alzon ne put jamais le blâmer: Jules Monnier était si impressionnable! Ce qui est sûr, c’est qu’il dépensait en affection une exubérance de coeur dont très peu de personnes sont capables et que tous ne savaient pas apprécier.

Il voulait se confesser, mais c’était une confession d’ami qu’il voulait faire d’abord, et c’est pour cela qu’il déposa entre les mains de son nouveau père deux énormes cahiers de son écriture fine et ferme à la fois, où étaient consignés les souvenirs du jeune homme de vingt-cinq ans, le bien, le mal, avec la même sincérité. Puis il se met aux pieds du prêtre avec un sentiment de foi qu’on eût dit antique, et, à partir de ce jour, s’il eût des hésitations à tenir son engagement, c’est qu’il se demandait s’il ne ferait pas mieux d’embrasser l’état ecclésiastique. Une réponse catégorique l’en détourna, et il se dédommagea par une participation presque quotidienne aux sacrements.

Mais il avait besoin d’action. Il n’entra pas, il se précipita dans les conférences de Saint-Vincent-de-Paul. Celles-ci un moment endormies, furent réveillées, on peut même dire ressuscitées par lui, et M. Philippe Eyssette, dont les vertus cachées aujourd’hui dans un tribunal de première instance, eussent peut-être mérité qu’un de ses successeurs aux conférences de Saint- Vincent-de-Paul, depuis ministre de la justice, les plaçât sur un théâtre où elles eussent profité à un plus grand nombre de témoins.

Philippe Eyssette et J. Monnier étaient faits pour s’entendre: celui-ci, ardent, impétueux, heureux de ne pas connaître les obstacles, souffrant beaucoup quand il les connaissait, se désespérant de ce que l’humanité n’avait pas été jetée dans son moule, si rapproché de la perfection; celui-là, plein d’une intelligence supérieure, mais très maîtresse d’elle- même, souple, fin, délié, ne renversant pas les obstacles, les tournant plutôt, et les laissant assez loin derrière lui pour prouver que la ligne courbe est quelquefois la plus directe d’un point a un autre. Quand je parle de ligne courbe, Dieu me garde de dire que tout ne fût pas très droit chez lui, mais s’il rencontrait une montagne, il trouvait plus court de prendre à droite ou à gauche, que de la faire sauter avec des pétards.

Qui dira les heures de douce joie que le P. d’Alzon a passées avec ces deux hommes? avec eux fut fondé l’orphelinat des garçons, dont le premier asile fut établi au Cours-Neuf, oui, au Cours-Neuf, et où les enfants pouvaient prendre l’air dans une cour assez grande pour être abritée tout entière par une plante grimpante, un chèvrefeuille je crois. Où donc était M. Durand, pour ne pas participer avec sa maturité et sa sagesse à ces travaux et leur éviter certaines inexpériences?

Hélas! il était à Montpellier.

Quand on entre dans la voie des saints avec une volonté forte on ne s’y arrête plus. C’était chaque jour une invention nouvelle, et je me rappelle l’ébahissement du P. d’Alzon lorsque M. Monnier vint lui proposer, comme un des plus doux passe-temps, de faire le plus souvent possible une bonne petite préparation à la mort.

-Et votre femme, lui dit-il. -Bah! Bah! elle la fera avec moi. -Notez qu’on était en pleine lune de miel, dans un certain second étage de la rue Dorée.

Un an était à peine écoulé depuis son mariage, M. Monnier était père. Il en fut si bouleversé que, de joie, il faillit étrangler la nourrice; on le mit à la porte. Il court chez le P. d’Alzon. Celui-ci le voyant tout affaré, lui demande quelle catastrophe l’a frappé. L’enfant est-il mort avant le baptême? La mère a-t-elle succombé? Avec des efforts inouïs, Monnier put dire: Je suis père! et il tomba évanoui. Le P. d’Alzon, qui en a vu bien d’autres, prit tout bonnement un flacon d’éther, en versa quelques gouttes sur du sucre, administra le tout à son cher convulsionnaire, le mena prier à la chapelle de la Sainte-Vierge de la cathédrale, lui fit faire un tour de boulevard, et le ramena jusque chez lui, où l’on consentit à lui rouvrir, quand il eut bien promis que sa joie d’être père ne lui ferait plus étrangler personne.

Le temps passait. L’Université perdait tous les jours un peu plus la sympathie du jeune professeur. Pourtant il alla à Paris concourir pour l’agrégation: il fut admis dès le premier concours, revint à Nîmes et peu après se donna tout entier à l’Assomption.

Qui dira le bien qu’il fit par sa foi agissante, par l’entrain de ses classes, par la vie qu’il communiquait? Quelques natures prudentes, pour ne pas dire vulgaires -hélas! il y en a partout- le trouvaient exagéré: l’affection de ses élèves, le bien qu’il faisait à leurs âmes et que d’autres trouvaient inutile de faire, ce qui était plus commode, son tact si sûr dans l’enseignement, son goût supérieur dans son appréciation des lettres chrétiennes, sa passion pour le côté divin dans l’art, en faisaient un maître incomparable. Ne punissant jamais, sa parole brève, sèche, saccadée, lui fournissait des traits dont il perçait les écoliers paresseux et qui lui donnaient la pleine possession de son jeune auditoire. Les conférences de Saint-Vincent-de-Paul durent leur formation à presque tous les maîtres, mais à personne plus qu’à lui, et en conduisant les élèves chez les pauvres, il leur parlait de façon à les ramener meilleurs.

Lorsque, pliant sous la maladie, il fut obligé de renoncer à l’enseignement, il demanda les modestes fonctions de maître d’études. Là, que de bonne choses n’accomplit-il pas encore, dois-je dire, pour la condamnation de ceux qui ne voient dans une étude qu’une chambre à bâiller? Avec des intermittences, le mal fit des progrès dont le terme fatal pouvait être prévu. Jules Monnier s’endormit dans le Seigneur le 16 mars 1856, jour de la naissance du prince impérial.

Avant même d’entrer à l’Assomption, ses ardeurs rêvaient d’une association où une vie sévère pourrait être pratiquée même au milieu du monde. Un jour, MM. Eyssette et Monnier apportèrent au P. d’Alzon un projet de règlement où étaient consignées comme obligatoires certaines austérités nécessaires à leur feu. Le P. d’Alzon ajourna; mais, sans qu’il puisse l’affirmer, ce fut là le germe du tiers ordre de l’Assomption. Dans quinze jours, j’aborderai cet important sujet.

En attendant, quel dommage que M. Durand ne soit pas encore dans l’autre monde! J’ai là à propos de lui des notes merveilleuses pour retracer les traits de cette belle figure qui semblerait de granit, si l’on ne découvrait, à chaque instant et comme malgré elle, des détails d’une tendresse la plus délicate dans ses inventions. Mais je me tais, je ne veux pas renouveler le ridicule de Pline cassant le nez de Trajan vivant à coups de panégyrique. Je puis bien dire pourtant qu’à MM. Durand et Monnier l’Assomption doit surtout le cachet d’originale distinction, qu’elle garda si longtemps et qu’elle reprendra bientôt, il faut l’espérer, grâce aux efforts enfin victorieux de quelques uns des héritiers de ces deux types accomplis du professeur chrétien.

UN ANCIEN.
Notes et post-scriptum