ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.11
  • ARTICLES
  • MEMOIRES D'UN ANCIEN DE LA VIEILLE ASSOMPTION
    CHAPITRE IV
  • L'Assomption, I, n° 5, 1 mars 1875, p. 37-38.
  • TD 7, P. 11-15; CO 245.
Informations détaillées
  • 1 ATHEISME
    1 BOURGEOISIE
    1 COLLEGE DE NIMES
    1 CORPORATIONS
    1 ENGAGEMENT APOSTOLIQUE DES LAICS
    1 ESPRIT DESINTERESSE A L'ASSOMPTION
    1 FONDATION DES CARMELITES DE NIMES
    1 LUXURE
    1 QUESTION SOCIALE
    1 TIERS-ORDRE DE L'ASSOMPTION
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 GERMER-DURAND, EUGENE
    2 MONNIER, JULES
  • 1 mars 1875.
La lettre

J’ai promis de parler du tiers-ordre de l’Assomption. C’est à tort que j’emploie ce mot, l’Assomption n’étant pas un Ordre: je devrais dire la tierce-Congrégation. Serait-ce admis? Ce qui est sûr, c’est que le nombre des hommes qui éprouvent le besoin de vivre d’une vie plus énergique que celle où descend la masse des chrétiens est beaucoup plus considérable qu’on ne le suppose. Pour qui observe avec attention, sous cet affaissement universel, sous ces dévotions à l’eau de rose, sous cette piété en boîte de coton, sous ce besoin, non pas d’accorder, mais d’offrir des concessions, il y a comme une protestation de quelques consciences d’élite. Elles sentent que, si pour plusieurs il est nécessaire de courber la règle jusqu’au point où elle cesserait si on la courbait encore, il est très avantageux qu’on la voie pourtant se redresser dans toute sa droiture au-dessus de certaines âmes. Il y a, d’un côté, d’immenses séductions, des affaiblissements, mais on sent encore l’attrait âpre et fécond des moeurs sévères, des saints délicatesses, des instincts supérieurs.

Tous les tiers-ordres ont eu pour but, et l’Eglise les a encouragés à cause de cela même, de faire pénétrer dans la vie des chrétiens ce qu’ils pouvaient prendre, tout en restant dans le monde, de la vie religieuse; et quoique quelques-uns aient eu un caractère militant, presque tous ont pourtant fini par se préoccuper de la sainteté personnelle de leurs membres. Pensée excellente; mais si elle a été réalisée, il était, ce semble, inutile de la reproduire de nouveau. L’esprit de l’Eglise ne procède pas ainsi.

Les croisades avaient enfanté des milices guerrières liées par des voeux: ce n’est plus avec l’épée que la cause de Jésus- Christ veut être défendue contre les Sarrasins, peu redoutables désormais. D’autre part, il serait difficile de réunir sans voeux, sous un même toit, des hommes qui emploieraient à la défense de l’Eglise les armes de la pensée; mais ne serait-il pas possible de grouper des hommes qui, prenant au milieu du monde les sévérités acceptables de la vie religieuse, unis par une pensée commune, se dévoueraient aux divers travaux de l’apostolat, seraient les pionniers du clergé, ses auxiliaires dans toutes les occasions permises et fourniraient une milice nouvelle à la cause du Christ? Toutefois ils ne se proposeraient pas de but spécial; lorsque d’autres se chargeraient de leurs oeuvres, ils les leur céderaient sans difficulté, non pas qu’il fallût voir dans un pareil abandon un acte d’inconstance, mais au contraire une disposition à faire ce que les autres ne font pas et à éviter toute idée de concurrence. Ce cachet de désintéressement, qui est un des traits les plus caractéristiques de notre esprit, doit passer des religieux aux tertiaires. Peut-être ôtera-t-il quelque chose à la renommée extérieure de la Congrégation; il n’en sera que plus agréable à Dieu.

Ces pensées s’agitaient dans le cerveau du P. d’Alzon. Il les communiqua dans une retraite qu’il prêcha aux principaux professeurs, au mois de septembre 1845. Les uns consentirent à entrer dans la famille religieuse qui allait se former, les autres acceptèrent le joug du tiers-ordre.

Evidemment je ne suis pas ici l’ordre historique, mais il m’a paru important de développer une pensée sur laquelle j’aurai souvent à revenir. Et puisque je suis sur ce chapitre, je me demande de temps en temps pourquoi, parmi les élèves prêts à nous quitter, nous n’en inviterions pas quelques-uns à se faire inscrire dans notre milice. Leur âge ne saurait être un obstacle. Que de saints religieux qui ont été admis dans les couvents de très-bonne heure! L’Eglise n’impose la nécessité d’une dispense que pour les adolescents au dessous de douze ans. Pourquoi vers seize, dix-huit ans, un jeune homme, sans avoir la vocation religieuse, n’aspirerait-il pas au tiers-ordre?

Je disais tout à l’heure que le mot tiers-ordre ne répondait pas absolument à la réalité. J’accepterais sans difficulté, à la place, le titre de corporation: j’y trouverais même un grand avantage.

Une des plaies sociales est dans l’incrédulité et l’immoralité qui, de la bourgeoisie, est descendue aux classes populaires. Or, cette terrible question des ouvriers n’aura de solution pratique que dans le rétablissement des corporations. Une corporation de chrétiens zélés, instruits, intelligents, animés de l’esprit d’initiative, doit se mettre tôt ou tard à la tête de tout mouvement qui tendra à ressusciter les corporations ouvrières. A ce point de vue, rien ne me paraîtrait plus utile que notre ancien tiers- ordre transformé en Corporation de l’Assomption. Cette association, en changeant de nom, ne changerait pas d’esprit, mais spécifierait davantage son but. En soumettant ces idées au P. d’Alzon, j’use de mon privilège d’ancien. S’il les trouve absurdes, il n’a qu’à les jeter au panier.

P.S. -En consultant quelques notes du P. d’Alzon, je trouve un détail assez curieux, et que je donne en post-scriptum:

« Je dois noter un fait qui tient assurément une place importante dans nos annales. J’ai dit que, dans ma pensée, l’établissement des Carmélites et celui d’un Collège marchaient presque de front depuis très-longtemps. Je dois ajouter que je n’avais presque aucune confiance dans le succès du pensionnat, lorsque, dans les premiers jours du mois d’août, j’allai faire une visite au couvent des Carmélites. Je priai ces bonnes soeurs de faire une neuvaine à une intention qui m’était personnelle. Le jour même où la neuvaine finissait, au moment où ces saintes filles venaient de la terminer par une communion, M. Monnier entra au secrétariat de l’évêché où je me trouvais; il n’avait, autant que je me le rappelle, d’autre but que de causer un moment avec moi. Je l’entretins de nouveau de mes projets: il accepte sans aucune résistance, et, aussitôt, écrit à M. Durand que jusqu’alors nous avions vainement sollicité. »

« Cette coïncidence m’a toujours frappé, car je dois ajouter que, depuis cette époque, mes appréhensions ont entièrement disparu et qu’il m’a été impossible de douter du succès de l’oeuvre. »

Un Ancien
Notes et post-scriptum