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Informations générales
  • ARTICLES
  • INSTRUCTIONS SUR L'EDUCATION CHRETIENNE
    III
    REFORME DE L'INTELLIGENCE
  • L'Assomption, II, nº 48, 15 décembre 1876, p. 189-191.
  • K 1-2
Informations détaillées
  • 1 ANGES
    1 ATTENTION
    1 BAPTEME
    1 BIEN SUPREME
    1 CONNAISSANCE DE DIEU
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 ETUDE DES PERFECTIONS DE DIEU
    1 FOI
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 LEGERETE
    1 LUTTE CONTRE LE PECHE
    1 MEMOIRE
    1 MENSONGE
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 ORIGINES DE L'HOMME
    1 PARESSE
    1 PERFECTIONS DE DIEU
    1 PEUR
    1 REFLEXION
    1 REFORME DE L'INTELLIGENCE
    1 REFORME DU CARACTERE
    1 SCEPTICISME
    1 TRAVAIL DE L'ETUDE
    1 VERITE
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 PILATE
    2 VOLTAIRE
  • 15 décembre 1876.
  • Nîmes
La lettre

L’éducation a pour premier but d’obvier, dans la mémoire, à l’absence d’idées, entretenue par l’ignorance, et de réformer les idées fausses, produites par l’erreur.

Et c’est, tout d’abord, une source de reconnaissance pour les jeunes catholiques qui ont été élevés dans la vérité et qui, par le baptême, ont reçu la grâce de la foi.

On ne sait pas assez la différence qu’il y a entre le baptisé, que l’éducation chrétienne développe, et le non-baptisé, relativement à la facilité qu’a le premier, et que n’a pas le second pour accepter les vérités de la foi.

Ce qui est certain, c’est que les vérités, les idées déposées dans la mémoire., n’y doivent pas rester dans un état d’engourdissement perpétuel: il faut les développer.

J’ai vu à Turin, il y a plus de trente ans, des grains de blé produits par d’autres grains de blé qui avaient été déposés dans le cercueil d’une momie égyptienne. Semés, ils avaient germé et fructifié après deux ou trois mille ans. De même les idées sont déposées dans la mémoire; mais si vous ne les cultivez pas, elles resteront à l’état de sommeil. Que faire? Les cultiver par l’intelligence.

I. -On peut tous les jours les accroître par l’étude; la mémoire se cultive, mais l’intelligence s’emparant des idées se les approprie par l’attention.

Que d’idées n’auriez-vous pas si vous prêtiez une attention plus grande aux leçons de vos maîtres! Mais, après avoir donné une application sérieuse à écouter en vous efforçant de comprendre ce qu’on vous dit, vous avez à faire un travail personnel, vous avez à réfléchir; c’est-à-dire à vous replier sur vous-mêmes pour savoir quelles conclusions vous devez tirer de certaines idées.

Par exemple, vous avez reçu cette idée que Dieu est bon, mais qu’il est juste. La conclusion est que vous devez avoir recours à sa bonté pour en obtenir tout ce qui vous est nécessaire, mais aussi que vous devez redouter sa justice si vous abusez de sa bonté.

Voici deux autres conclusions: il faut lui demander les secours qu’il vous accordera dans sa bonté; il faut fuir le péché qui vous exposerait aux coups de sa justice.

On vous a dit cela, mais vous n’y avez pas fait attention. Si, au contraire, par un effort, vous fixez votre esprit sur ces vérités, si vous-mêmes, par une réflexion sérieuse, vous tirez les conséquences de ces principes et de beaucoup d’autres qui vous ont été confiés dès l’enfance, vous serez surpris de la joie que vous procurera la découverte de certaines vérités que vous connaissiez peut-être, mais que vous n’aviez pas suffisamment faites vôtres par le travail de votre intelligence.

On est étonné quand on voit combien les conséquences les plus nécessaires à la vie chrétienne sont faciles à tirer de certains principes parfaitement clairs. Et ce qui surprend bien davantage, c’est de voir combien peu de jeunes gens se donnent la peine de penser, de fixer leur esprit, de réfléchir, de tirer des conséquences si claires, si rigoureuses, si importantes. Mais outre ces conclusions, tirées par le simple chrétien, il reste à ceux que Dieu a placés dans une position plus élevée à penser, à réfléchir beaucoup plus. Le champ des connaissances humaines s’ouvre devant eux, et ils ont des études à faire, études pénibles, et voici pourquoi.

Dieu a créé les anges capables de saisir du premier coup l’objet de leur pensée. Ils ont l’intuition de la vérité. Chez nous, au contraire, l’acquisition de la vérité se fait laborieusement, à l’aide du discours (discursus), du raisonnement; nous ne voyons pas la vérité directement, nous en recevons, pour ainsi dire, la description.

Votre oeil voit une maison comme un ange voit la vérité. Mais vous ne voyez pas la vérité, il faut qu’on vous la décrive; comme pour avoir l’idée d’une maison que vous ne voyez pas, il faut qu’on vous la décrive. Mais plus vous étudierez les détails de cette vérité, plus vous en aurez une idée développée, et plus votre intelligence se fortifiera. Ainsi vous ne voyez pas Dieu, mais si vous cherchez à vous rendre compte de sa puissance, de sa providence, de sa perfection, de sa justice, de sa miséricorde, il est évident que vous sentirez des rapports plus intimes s’établir entre Dieu et vous.

Quels magnifiques horizons ne s’ouvrent pas pour l’intelligence quand elle se livre à une étude sérieuse et bien dirigée sur le terrain de la vérité, et surtout quand, sous la pensée de Dieu, elle étudie son origine, qui est Dieu; la raison de son existence et de sa conservation, qui est Dieu; le terme de son être dans l’éternité, qui est Dieu!

Après cela, elle pourra se livrer à des études secondaires, nécessaires aux devoirs de la vie humaine; mais elle aura toujours au-dessus d’elle la pensée de la grandeur de son origine, de la dignité de sa nature, de la fin pour laquelle elle existe, puisqu’elle ne trouve que Dieu pour la créer, la conserver, lui donner l’éternel bonheur. Et elle sent combien de telles pensées l’élèvent au-dessus d’elle-même et au-dessus de ceux qui refusent de l’imiter dans les travaux de son intelligence.

II. -Malheureusement de nombreux obstacles se dressent contre le travail de l’intelligence.

La paresse. -Il en coûte pour ployer son intelligence à la réflexion, il est si doux de ne penser à rien et de regarder voler les mouches! La paresse! On fait des projets, mais la paresse empêche de les réaliser. Desideria occidunt pigrum. On fait de brillants projets d’avenir, le sommeil de la paresse les dissipe, comme les rêves de l’homme qui se réveille. On pouvait fournir une belle carrière, mais il fallait y entrer par les portes d’études préparatoires; ces portes, la paresse les ferme. On eût été un homme distingué, la paresse vous rendra un homme nul; conséquence de la stérilité où l’intelligence croupit par défaut de travail.

La légèreté. -On a un certain esprit d’à-propos; si un maître vous reproche un défaut, on lui répond: « Vous donnez sottement vos qualités aux autres », et l’on est très satisfait de sa citation. La légèreté empêche de penser qu’on prend un caractère détestable, qu’on est insupportable aux autres; qu’on devient un mauvais coeur, et que cette impossibilité de prendre les choses par le côté sérieux empêchera plus tard de se porter aux travaux qui exigent des méditations laborieuses pour atteindre un grand but, pour atteindre les sommets auxquels on avait le droit d’aspirer.

3° -J’aborde un côté peu honorable de l’abaissement de l’intelligence: c’est la mauvaise foi. Il y a divers degrés: le premier degré est l’habitude de répliquer.

Pourvu qu’on ait une mauvaise raison quelconque, on se tient pour content. Qu’importent les raisons bonnes? On a répliqué quelque chose, cela n’a pas le sens commun, mais enfin on a répliqué!

Puis viennent les mauvaises raisons habiles, qu’on finit par croire vraies; puis la franche mauvaise foi, que l’on couvre des plus odieux sophismes.

J’ai connu un prêtre perverti qui s’était fait ministre protestant et qui m’avouait qu’avant de monter en chaire il demandait à Dieu de ne pas permettre qu’aucun de ses auditeurs crût ce qu’il allait dire.

4° Enfin, la peur! Oui, la peur! On veut se mal conduire et on veut étouffer le remords, et, pour n’avoir pas peur, on entasse les efforts de l’intelligence pour obscurcir l’intelligence: noluit intelligere ut bene ageret. Oue de jeunes gens en sont là! Mais nous reviendrons sur ce triste sujet.

En attendant, mes amis, munissez-vous des idées saines, vraies, éternelles comme Dieu, qu’on vous donnera dans cette maison. Comprenez combien une intelligence qui se nourrit de ces vérités devient de plus en plus semblable à Dieu, non seulement par les dogmes de la foi qu’elle a reçus dans sa mémoire, mais par les fruits de ces vérités qu’elle a acquises par la culture de l’intelligence. Cultivez la vérité, agrandissez-en votre âme. Vous serez les vrais grands hommes parce que vous participerez à la grandeur même de Dieu.

Or, ces quatre fautes du collégien deviennent plus tard dans la vie quatre crimes:

Crime de la paresse, représenté par le mauvais serviteur qui n’avait pas fait valoir son talent; il n’avait pas travaillé, il fut jeté dans les ténèbres extérieures. Que d’hommes que leur paresse prive des dons de l’intelligence et conduit au vice!

Crime de la légèreté. Le besoin de prendre les choses par le côté léger conduit à plaisanter de tout ce qu’il y a de plus saint; de là le cynisme et le scepticisme: ce fut le crime de Voltaire.

Crime de la mauvaise foi: on sait qu’on a tort, mais on se vend. Crime de tant d’hommes publics! ce fut le crime de Pilate disant. Quid est veritas? et condamnant Jésus-Christ.

Crime de la peur : on voit la nécessité de confesser la vérité, on a peur. C’est là le crime des honnêtes gens.

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum