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Informations générales
  • ARTICLES
  • INSTRUCTIONS SUR L'EDUCATION CHRETIENNE
    VII
    REFORME DU CHRETIEN PAR LA FOI, L'ESPERANCE, ET LA CHARITE
  • L'Assomption, III, n° 52, 15 février 1877, p. 222 à 225 (1).
  • K 1-2
Informations détaillées
  • 1 BIEN SUPREME
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CHARITE THEOLOGALE
    1 CORRUPTION
    1 CREATION
    1 DIEU LE FILS
    1 DIEU LE PERE
    1 ESPERANCE
    1 ESPRIT CHRETIEN DE L'ENSEIGNEMENT
    1 FOI
    1 JESUS-CHRIST AUTEUR DE LA FOI
    1 PECHE
    1 REDEMPTION
    1 SAINT-ESPRIT
    1 SALUT DES AMES
    1 TRINITE
    1 VIE SPIRITUELLE
  • 15 février 1877.
  • Nîmes
La lettre

Je voudrais avoir le temps de tout vous dire sur le fond divin de l’éducation chrétienne; mais le temps presse, il faut aller vite.

Samedi, je vous ai trop incomplètement indiqué comment le Fils, selon saint Paul, étant le caractère du Père, de même la Sainte Trinité, par le baptême, était le caractère du chrétien. Aujourd’hui, je voudrais vous montrer ce même caractère du chrétien développé par les trois vertus fondamentales du christianisme: la foi, l’espérance et la charité, et vous faire voir à quelle hauteur s’élève, au-dessus de ses semblables, celui qui, en possédant le germe divin, s’efforce de le développer en lui.

I. La foi. -La foi est une vertu par laquelle nous croyons toutes les vérités révélées que notre seule raison ne saurait atteindre.

L’auteur de la foi est Jésus-Christ; Jésus-Christ Dieu prenant la vérité au ciel; Jésus-Christ homme la communiquant aux hommes sur la terre. Deum nemo vidit unquam; unigenitus Filius Dei, qui est in sinu patris, ipse enarravit.

Un Dieu, vérité éternelle, enseigne la vérité; la lumière infinie proportionne cette vérité à la faiblesse de l’oeil de notre âme, donne à cet oeil la force de porter l’éclat de cette lumière divine et jette dans l’âme la e notion des mystères de Dieu, selon qu’il nous importe de les connaître, pour établir entre Dieu et nous les plus intimes rapports.

Mais à quoi bon? Ecoutez.

Que faites-vous quand vous étudiez le monde littéraire? Vous vous exercez au développement de votre goût dans l’ordre de la pensée; vous cultivez le beau dans la sphère de l’intelligence et vous perfectionnez votre puissance de donner une forme idéale à ce que vous voulez exprimer.

Que faites-vous quand vous étudiez les mathématiques? Vous recherchez certains principes qui, développés en vous par la méditation, vous permettent de résoudre certains problèmes à l’aide desquels vous pourrez, par des applications plus ou moins savantes, pénétrer dans le monde des corps, soit pour en saisir la nature, soit pour en assujettir les forces à votre usage et les faire servir à de prodigieux résultats.

De même pour la foi, avec cette différence que si la littérature vous révèle le monde du beau, que si les mathématiques vous révèlent les lois de l’univers physique et quelques-unes de leurs applications, le monde divin, en partie pénétrable par votre raison, est absolument inaccessible par le côté le plus élevé, à moins qu’une force surhumaine ne vous y transporte. Cette force est la foi. Mais, de même que le littérateur habite avec plus d’aisance les sphères du beau dans l’ordre de la pensée, que le mathématicien s’élance par le calcul jusqu’aux extrémités de l’espace, de même, par la foi, le chrétien scrute tous les mystères, même les profondeurs de Dieu. Spiritus enim omnia scrutatur etiam profunda Dei. Le beau, les mathématiques ne pénètrent que dans le monde créé; la foi pénètre dans le monde intime, mystérieux, infini du Créateur. Or, si la culture des lettres et des sciences donne quelque chose de plus élevé, de plus puissant à l’intelligence, à quelle hauteur ne s’élèvera pas, quelle puissance de l’âme n’acquerra pas celui qui, par la foi, s’exerce à vivre dans le monde de Dieu?

Etrange contradiction de l’homme! trouve des jouissances dans l’ordre idéal du beau créé, du beau façonné par sa pensée même, dans la recherche des principes qui expliquent le monde de la nature; et la beauté par essence, la beauté divine et la source de toute force créée, la puissance créatrice elle-même, il la néglige!

Ne convenez-vous pas pourtant que l’homme est fait, en grande partie, par le milieu dans lequel il vit; que s’il est avec des hommes corrompus il se corrompra; avec des êtres médiocres, il sera vulgaire; avec des esprits distingués, il en prendra les sentiments, les allures, les moeurs? Et vous voudriez que celui qui vit par la foi avec Dieu ne contracte pas, de ses rapports avec Celui qui est la plénitude de l’être, du vrai, du bien, quelque chose que la terre ne saurait communiquer? Mais, pour cela, il faut vivre de foi. Justus autem meus ex fide vivit.

Ah! oui, la foi qui ouvre par avance les portes éternelles, qui soulève quelque chose des voiles derrière lesquels Dieu nous cache la lumière de la gloire!

Mais nous pouvons en recevoir une plus grande participation, premièrement par la demande; secondement par l’effort pour croire; troisièmement par la contemplation des vérités divines; quatrièmement surtout par la mise en oeuvre de ces vérités comme règle de notre vie. « Marche devant moi et sois parfait », disait Dieu à Abraham. Marchons devant Dieu, toujours en sa présence, et la perfection, sous ce regard divin, nous deviendra comme nécessaire.

Heureux celui qui, nourrissant son âme des lumières de la foi, devient en quelque sorte tout lumineux.

II. L’espérance. -Vivre dans une lumière divine, c’est avoir la possibilité de voir les choses par le côté divin, mais la contemplation de la lumière et des objets qui se meuvent dans la lumière ne suffit pas. Il faut plus: il faut savoir agir dans la lumière de Dieu, agir pour arriver à un but, et, la foi nous montrant le plus haut de tous, il faut agir pour l’atteindre.

Or, c’est à ce point de vue qu’à votre âge la vertu la plus importante est peut-être l’espérance. Pourquoi? Parce que vous êtes préoccupés, ou du moins vous devez l’être, du but à donner à votre vie; et vous n’y apportez aucun soin. Pourtant, quoi de plus nécessaire a un jeune homme que de savoir ce qu’il fera. Et remarquez bien: vous vous dirigerez vers diverses carrières; à merveille toutes sont honorables. Mais cette carrière où vous conduira-t-elle? Avez-vous perdu la foi? Etes-vous sans espérance? Elle vous ouvre le tombeau, elle vous donne les vers pour frères, la pourriture pour mère. « J’ai dit à la pourriture: vous êtes ma mère, et aux vers: vous êtes mes frères et mes soeurs. »

Si vous avez la foi, vous savez que le terme c’est, pour un trop grand nombre, l’enfer; si vous avez l’espérance, pour vous c’est le ciel: il vous est commandé de l’atteindre, de le désirer. Il ne vous est pas permis de dire: c’est trop haut, non, car vous pouvez aller jusque-là. Sans doute, vos forces n’y suffiront pas, mais Jésus-Christ est là; montez, montez du côté du ciel, du côté de Dieu.

Et comprenez-vous ce qui se passe dans le chrétien plein d’espérance? Il lui devient facile, par la grâce, de monter aussi haut que possible vers Dieu, source de tout bien, « récompense surabondante, Merces magna nimis« . En voulez-vous? Mais faites les sacrifices nécessaires. En voulez-vous? Mais priez.

Ah! qu’il est fort celui qui ne considère la vie que comme un apprentissage et qui regarde au delà de toutes les carrières finies, au delà de tous les projets humains déçus, de tous les succès avortés, et qui peut dire: J’ai Dieu, et pour toujours!

La grâce de Jésus-Christ, Dieu, bien suprême, éternellement possédé: voilà le but du chrétien; mais alors, combien les pensées de la terre deviennent méprisables! Hélas! qui l’ignore? et qui agit comme s’il le savait?

A côté de cela, voyez le spectacle hideux donné par les gens sans espérance qui nous mènent. On ne veut plus de Dieu et l’on demande à la terre de reprendre l’homme tout entier quand il meurt; c’est impossible.

Ah! vous demandez le droit d’être enfoui comme un animal immonde; vous vous infligez à vous-même cette honte; mais, après que vous l’aurez ignominieusement savourée, souvenez-vous que quelque chose de plus fort que vous soulèvera votre être de cette fosse où vous prétendez l’enfouir: c’est Dieu et Satan; Satan qui vous aveugle avec ses mensonges; Dieu qui réclame d’abord votre âme pour venger sa justice, en attendant qu’il requière votre corps pour le châtier à son tour. Et, singulière dérision, vous réclamez les enterrements civils au nom de la liberté de conscience; mais vous la détruiriez, la conscience, si vous pouviez la détruire! Qu’est-ce que la conscience sans la sanction de la loi que la conscience est tenue d’observer? Qu’est-ce que la loi sans la peine pour le violateur, sans la récompense pour celui qui l’observe? Or, avec vos enfouissements, vous protestez contre la récompense et la peine; vous niez le ciel et l’enfer. Non, ne parlez pas au nom de la liberté de conscience.

Je vous dirai ce que vous êtes: des hommes réclamant la liberté de n’avoir pas de conscience. Or, quand il n’y a plus de conscience, que devient l’ordre moral? Ah! vous aurez beau faire, il subsistera toujours, ne fût-ce que par les châtiments que Dieu inflige aux peuples qui le détruisent.

Mais quelle position magnifique est faite, par contraste, à ceux qui veulent espérer! « Ne vous attristez pas, disait saint Paul, comme les autres qui n’ont pas d’espérance. Non contristemini sicut et coeteri qui spem non habent. » Espérons, espérons, Dieu est là; et, « dans notre espérance, soyons forts. In spe erit fortitudo vestra« . Ah! que notre caractère s’agrandisse de toutes les hauteurs où l’espérance veut l’élever!

Espérons; mais agissons conformément à notre espérance. Nous agirons pour l’éternité et nous saurons ce que valent les hommes qui ont dit adieu à l’espérance, et qui sont les hommes du désespoir.

III. La charité. -Il ne s’agit pas seulement de voir la vérité, de tendre vers le but divin; il s’agit d’agir dans l’esprit de Dieu. Or, dit saint Jean, « Dieu est charité, et celui qui demeure dans la charité demeure en Dieu et Dieu en lui, Deus caritas est, et qui manet in caritate in Deo manet et Deus in eo. » Que voulez-vous de plus?

Ah! qu’heureuse est l’âme ainsi fixée en Dieu! Connaître la vérité de Dieu, être porté par le secours de Dieu, tendre vers Dieu, vivre en Dieu et faire vivre Dieu en soi: quelle lumière, quelle intimité divine, quelle puissance!

Mais comprenez-vous pourquoi on vous dit tant de ne pas être des hommes médiocres, d’être des hommes d’intelligence, de confiance, d’action, d’énergie, d’initiative?

Pourquoi Dieu a-t-il créé le monde? Parce qu’il nous a aimés. Pourquoi nous a-t-il rachetés? Parce qu’il nous a aimés. Pourquoi nous sanctifie-t-il par son Esprit? Parce qu’il nous aime. Voilà l’action du Père dans la création; du Fils, dans la Rédemption; du Saint-Esprit, dans la sanctification des âmes.

Et nous, que ferons-nous?

En face du monde qui se corrompt, une création nouvelle; en face du péché qui infeste tout, une nouvelle rédemption; en face des flots de haine qui montent de l’enfer, une charité toujours croissante et toujours agissante. Le monde moral se détruit, refaites-le: le péché usurpe tout, détruisez-le; la haine nous envahit, luttez par l’amour; apprenez à aimer, à être en Dieu et à mettre Dieu en vous.

Certes, en partant de ces considérations, que de magnifiques choses à accomplir! Et que la carrière d’un jeune homme est belle s’il croit, s’il espère, s’il aime, s’il dit comme l’Apôtre: Et nos… credidimus caritati; si, en face de ces montagnes de glace sur lesquelles repose le monde égoïste du jour, il dit: Nos ergo diligamus Deum quoniam Deus prior dilexit nos!

Ah! quels horizons, si vous le voulez, s’ouvrent devant vous! Allez, allez, travaillez, espérez, aimez; Dieu est là, avec vous, en vous. Laissez, comme dit le Prophète [ceux qui vont à la mort.]: Qui ad mortem ad mortem et qui ad gladium ad gladium. Pour vous, allez à la vie, allez à l’action, à l’énergie, à l’initiative, par la charité.

Ne dites pas: les hommes ne valent pas la peine qu’on les aime. Je le crois bien si c’est pour eux; mais si c’est pour Dieu, si c’est pour Jésus-Christ mort pour vous, vivant pour vous!…

Que voulez-vous donc au delà?

E. D'ALZON
Notes et post-scriptum
1. Le numéro de la revue est indiqué par erreur comme étant le 51.