ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.72
  • ARTICLES
  • DEPENDANCES DE LA HIERARCHIE CATHOLIQUE
    III
    OEUVRES DE CHARITE
  • L'Assomption, IV, n° 6, 15 mars 1878, p. 41-42.
  • TD 7, P. 72-76.
Informations détaillées
  • 1 AMOUR DIVIN
    1 AMOUR DU CHRIST
    1 APOSTOLAT DE L'ENSEIGNEMENT
    1 APOSTOLAT DE LA CHARITE
    1 APOTRES
    1 AUMONE
    1 AVARICE
    1 CHARITE ENVERS LE PROCHAIN
    1 CLASSES INFERIEURES
    1 CLASSES SUPERIEURES
    1 COLONIES AGRICOLES
    1 CORPORATIONS
    1 DIACONAT
    1 DONATIONS
    1 ECOLES
    1 EVEQUE
    1 FIDELES
    1 HIERARCHIE ECCLESIASTIQUE
    1 HOPITAUX
    1 HOSPICE
    1 MONASTERE
    1 OEUVRES CARITATIVES
    1 OEUVRES DE JEUNES
    1 OEUVRES SOCIALES
    1 ORPHELINATS
    1 PAPE
    1 PARESSE
    1 PAUVRETE
    1 PERSECUTIONS
    1 SPOLIATEURS
    1 VIE ACTIVE
    1 VIE SPIRITUELLE
    1 VISITE DES MALADES
    2 ANGELE MERICI, SAINTE
    2 BASILE, SAINT
    2 BERNARD DE CLAIRVAUX, SAINT
    2 BOURDALOUE, LOUIS
    2 CAMILLE DE LELLIS, SAINT
    2 GALLICAN, SAINT
    2 JEAN DE DIEU, SAINT
    2 JEROME, SAINT
    2 JOSEPH CALASANCZ, SAINT
    2 VINCENT DE PAUL, SAINT
    3 AMERIQUE
    3 ANGLETERRE
    3 BRETAGNE
    3 ESPAGNE
    3 NIMES
    3 ROME
    3 VAL-DES-BOIS
    3 VERSAILLES
  • 15 mars 1878.
  • Nîmes
La lettre

La charité domine tout: Major autem horum caritas. Elle inspire tout. Elle a pourtant son action spéciale. Cela dure depuis longtemps. Jésus-Christ a dit: « Si vous voulez être parfait, vendez vos biens, donnez-les aux pauvres ». La perfection consiste à donner tout ce que l’on a, mais ce n’est pas indispensable; l’obligatoire consiste à donner son superflu. Grave question! Si tous donnaient le superflu, il y aurait bien peu de pauvres, et peut-être pas de révolutions; chacun faisant effort, les couches inférieures soulagées murmureraient bien moins. Les couches supérieures rachetant la multitude de leurs péchés par l’aumône, Dieu châtierait moins; le luxe serait moins scandaleux à côté de l’extrême misère. Il y aurait moins de murmures contre la Providence, plus de résignation dans les coeurs, moins de projets coupables dans les têtes, plus de paix en bas, plus de sécurité en haut.

Ce n’est pas d’aujourd’hui que l’Eglise a suivi les ordres du Sauveur et des Apôtres. Dès les premiers temps, elle répandit la charité chez ses enfants, au point que la charité était un de leurs signes caractéristiques: « Voyez comme ils s’aiment »! disaient les païens, dès le second siècle, en contemplant la masse d’aumônes versées par eux dans le sein de l’indigence.

Les apôtres avaient préposé les Diacres pour veiller aux aumônes. L’aumône était une des charges importantes des Evêques et des Souverains Pontifes. Ceux-ci, généreusement secondés par les fidèles, donnaient abondamment, et se vantaient dans leurs lettres que nulle part un pain plus blanc n’était donné qu’à Rome.

Quand l’Eglise eut des jours de paix, la charité s’organisa mieux encore. S. Basile, en Orient, se distingua par ses ordonnances pour secourir avec intelligence les besogneux de toute espèce. Sur les bords du Tibre, S. Gallican fonda le premier hôpital dont j’aie entendu parler. Pourtant, même sous les persécutions, il y avait des associations de pauvres veillant aux portes des catacombes et n’introduisant que les initiés. Il fallait que les pauvres chrétiens d’alors fussent tous bien honnêtes pour résister à la tentation de dénoncer à la police impériale les assemblées souterraines de l’Eglise tranquée de toute part.

Avec une plus grande paix, la charité dilata ses entrailles. L’on se trouva, en bien des endroits, en possession des biens des prêtres du paganisme. Des conciles fixèrent la part de l’Evêque, des bâtiments ecclésiastiques, des prêtres et des pauvres. A quoi, plus tard, il fallut adjoindre les secours donnés par les abbayes. Pauvres d’abord, les monastères s’enrichirent des largesses des rois, des grands seigneurs, largesses offertes pour leurs péchés; et comme les péchés était nombreux et quelquefois énormes, les largesses étaient abondantes. Singulier moyen, dit-on, de sauver son âme en dépouillant les héritiers. Hélas! d’où vient, et en tout cas d’où venait alors, la fortune des barbares envahisseurs et de leur postérité? Trop souvent des spoliations; on en rendait une partie, quelquefois les héritiers en avaient trop encore. N’oublions jamais le proverbe cité par S. Jérôme, répété par Bourdaloue à la chapelle de Versailles: Omnis dives aut iniquus aut iniqui haeres. Et aujourd’hui, qui donc s’est appauvri avec les 240 millions, dont la cour des comptes ne peut pas se rendre compte? Et il y en a bien d’autres.

Les moines n’avaient pas à se rendre compte de l’origine des biens, dont ils étaient dépositaires et qu’ils augmentaient par leur travail. On a dit: Ils retinrent trop pour eux. D’abord ils avaient travaillé beaucoup, on veut bien le reconnaître, dans les premiers siècles de la vie monastique. Plus tard, il fut utile de les accuser de paresse, pour les dispenser de posséder. Et l’on sait quel profit en retirèrent les pauvres.

Quoi qu’il en soit, la charité toujours féconde inventa des oeuvres de toute espèce. Le moyen-âge en est plein; et, depuis les confréries pour l’érection des ponts sur les fleuves d’un passage difficile, jusqu’aux moines de Saint- Bernard; depuis les ordres militaires pour soigner et protéger les pèlerins jusqu’aux corporations d’ouvriers placées sous la protection des Saints, partout surgissaient les oeuvres de la charité la plus merveilleuse: les Trinitaires ou les religieux de la Merci pour la rédemption des captifs, les maladreries pour les lépreux proclamaient que, partout où une misère humaine apparaissait, se révélait en même temps une pensée de tendresse, de soulagement et de consolation.

Le moyen-âge s’en va laissant de ses oeuvres ce qui en est vivant, léguant aux âges modernes la charité sous des formes nouvelles; S. Jean de Dieu, S. Joseph de Calasance, S. Jérôme Emilien, S. Camille de Lellis, S. Vincent de Paul, Ste Angèle de Merici et tant d’autres.

Dans les hôpitaux, dans les écoles, dans les champs, auprès des moribonds, ces moines vont porter les remèdes, l’instruction, l’espérance, et font bénir, des abandonnés du monde, le Père qui est au ciel et qui veille sur tous ses enfants.

De nos jours, de nouvelles inventions charitables semblent se ployer à de nouveaux besoins. C’était beaucoup que S. Vincent de Paul eût attiré au cloître, dans les hospices, des filles consacrant leur chasteté à Dieu et aux pauvres. Que de congrégations analogues n’ont pas été formées depuis! que d’orphelins recueillis, que d’oeuvres agricoles formées pour rétablir dans les champs des tempéraments usés dans leur source, au sein des villes! que de corporations, où l’on a vu jusqu’à quatre-vingt mille ouvriers sous la direction d’un saint prêtre! On en a vu avoir besoin de mille francs par jour, et, sans secours officiel, les trouver. On en a vu commencer, il y a 25 ans, dans un pré, parce qu’on n’avait pas de chambre et avec onze sous; et élever en ce moment douze mille petits garçons, dont cinq ou six mille pour le sacerdoce. Le berceau des Petites-Soeurs des pauvres fut un trou de rocher en Bretagne, sur le bord de la mer. Là, deux simples villageoises allaient, tous les dimanches, parler de Dieu et du zèle pour les chrétiens sans asile. La maison de Nimes fut leur centième fondation; l’Espagne, l’Amérique, l’Angleterre reçoivent aujourd’hui leurs bienfaits. Quand elles commencèrent, elles n’avaient que leurs bras et un coeur brûlant d’amour pour Jésus- Christ.

Que dire des cercles catholiques, des corporations comme celle du Val-des-bois, des oeuvres de Jeunesse, des écoles du soir? des asiles pour les jeunes personnes arrivant des campagnes dans les grandes villes, où le vice les attend pour les corrompre, où la charité les attend aussi pour sauver leur innocence si menacée?

Il faut s’arrêter et dire: Fortis ut mors dilectio. La mort du corps et surtout la mort de l’âme est bien forte, la charité ne l’est pas moins; elle dispute à la mort du corps le malade sur sa couche de souffrance, et le guérit souvent; elle fortifie, par ses soins, l’orphelin dès les premiers jours; mais surtout elle donne l’immortelle vie à l’âme morte par le péché, elle la rend à Dieu par les perpétuelles résurrections qu’elle opère; et dans ce travail, où, par ses mains, la vie éternelle est sans cesse redonnée à ceux qui l’avaient perdue, elle donne, pour qui sait comprendre, la preuve la plus éclatante que Dieu, qui conserve par sa providence la succession des choses terrestres, renouvelle, par des milliers de prodiges tout autrement merveilleux, le monde des âmes par la charité.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum