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Informations générales
  • TD 7.83
  • ARTICLES
  • UNE PAGE DE MEMOIRES POUR SERVIR A L'HISTOIRE ECCLESIASTIQUE DE NOS JOURS
  • L'Assomption, IV, n° 22, 15 novembre 1878, p. 168-171.
  • TD 7, P. 83-89.
Informations détaillées
  • 1 ACTES PONTIFICAUX
    1 CONCILE DU VATICAN
    1 HISTOIRE DE L'EGLISE
    1 INDEX
    1 INFAILLIBILITE PONTIFICALE
    1 LIBERALISME CATHOLIQUE
    1 LIBERTE DE L'ENSEIGNEMENT
    1 QUERELLE DES AUTEURS CLASSIQUES
    1 ULTRAMONTANISME
    2 AFFRE, DENIS
    2 BUCK, VICTOR DE
    2 CART, JEAN-FRANCOIS
    2 DARBOY, GEORGES
    2 DOELLINGER, IGNAZ VON
    2 DUPANLOUP, FELIX
    2 FALLOUX, ALFRED DE
    2 FRANCHI, ALESSANDRO
    2 GUTHLIN, ALOYSE
    2 KETTELER, WILHELM-EMMANUEL VON
    2 LACORDAIRE, HENRI
    2 LAMENNAIS, FELICITE DE
    2 LEON XIII
    2 MANNING, HENRY-EDWARD
    2 MATHIEU, JACQUES-MARIE
    2 MONTALEMBERT, CHARLES DE
    2 MOREL, JULES
    2 NAPOLEON III
    2 PARISIS, PIERRE-LOUIS
    2 PIE IX
    2 PLANTIER, CLAUDE-HENRI
    2 RAVIGNAN, GUSTAVE DE
    2 SENESTREY, IGNATIUS VON
    2 VEUILLOT, LOUIS
    3 BESANCON
    3 COMPIEGNE
    3 ITALIE
    3 LANGRES
    3 LONDRES
    3 NIMES
    3 ORLEANS
    3 SOLESMES
  • 15 novembre 1878.
  • Nîmes
La lettre

La mort de Mgr Dupanloup vient de provoquer dans le monde catholique des sentiments divers. Il ne s’agissait ni de ses vertus personnelles, ni des talents dont Dieu l’avait doué; il s’agissait de ses opinions et des grandes lignes de sa conduite. Les uns ont embouché la trompette sur un cerceuil et se sont réfugiés derrière un tombeau comme derrière une forteresse, où des soldats désorganisés par la chute de leur chef venaient chercher asile. D’autres ont fait des restrictions à leurs éloges; et aussitôt des cris de fureur se sont élevés. Pourtant, si l’on eût voulu avoir un peu de patience, la lumière aurait pu se faire.

Ainsi l’on a dit que Mgr Dupanloup fut le grand promoteur de la liberté d’enseignement. Rien de plus inexact. Le premier qui ouvrit la brèche universitaire fut Lamennais; derrière lui se précipitèrent, avec un grand éclat, Lacordaire et Montalembert, surtout Montalembert; puis l’Univers, puis l’évêque de Langres, Mgr Parisis. L’Univers et l’évêque de Langres entrainèrent l’épiscopat, assez longtemps un peu malgré lui. Le métropolitain de l’évêque de Langres défendit à son suffragant d’écrire sur ces questions; l’évêque déclina la compétence archiépiscopale, et le cardinal Mathieu n’insista plus.

Que l’Univers ait quelques motifs de ne pas admirer sans restriction l’illustre pontife, il y a de quoi. Figurez- vous que c’est Mgr Dupanloup qui détacha Montalembert du groupe de l’Univers. En voulez-vous la preuve? Allez à l’abbaye de Solesmes, et vous trouverez un premier volume des Moines d’Occident, où l’auteur formule contre les catholiques libéraux les mêmes griefs qu’il fit pleuvoir depuis avec tant de profusion sur leurs adversaires. Montalembert avait donc changé. N’a-t-il pas changé dans l’affaire des classiques?

Ce qui est sûr, c’est que Mgr Dupanloup avait formé une réunion d’hommes très-remarquables, parmi lesquels le P. de Ravignan (ses supérieurs l’obligèrent bientôt à lâcher pied). Leur but était la destruction de l’Univers et la fondation du plus beau journal qui eût jamais paru, disait le P. Lacordaire avec sa puissante imagination. Malheureusement Mgr Affre était là, qui souffla sur ces projets de destruction et sur le plus beau journal du monde. a le plus beau journal ne parut pas, à moins que ce n’ait été depuis la Défense;: et l’Univers resta plein de vie.

A peine désigné à Orléans par M. de Falloux, Mgr Dupanloup déclara que le premier acte de son épiscopat serait la ruine de ce pauvre Univers. Un mandement fut écrit, imprimé; il en reste sur terre sept à huit exemplaires au plus; le reste fut jeté au fond d’un puits de la rue de l’Université. Un acte pontifical, favorable à l’Univers, avait éclaté comme une bombe. Je soupçonne que, malgré le puits, tombeau du mandement, le perfide directeur de l’Univers en possède un exemplaire.

Puis vint l’affaire des classiques, où, quoique marchant de concert avec l’Evêque d’Orléans, l’Archevêque de Besançon perdit son influence sur une trentaine d’Evêques, à ce qu’il écrivait. Bien des lettres partirent d’Orléans pour Nimes, on n’y répondit plus; à la fin, Mgr Cartpria (c’est de lui que je le tiens) qu’on le laissât tranquille, non qu’il tint plus aux classiques chrétiens qu’aux païens; mais il avait soupçonné le piège et n’avait pas voulu s’y laisser prendre. Ainsi firent bien des évêques, qui avant tout ne voulurent pas avoir l’air de prêter la main à un projet dont l’Univers devait être la victime.

Si l’on me demande pourquoi cette fureur contre ce journal, je répondrai: C’est que l’Univers a un immense défaut, il est franc, et loyal: inde irae. Quand parut le Syllabus, une brochure de Mgr Dupanloup fut publiée, où on parlait du Syllabus et de l’Italie. Pie IX adressa une lettre pontificale à Mgr Dupanloup, louant la partie relative à l’Italie, faisant des réserves pour le reste. L’Union, qui probablement ne se doutait de rien, publia un texte tronqué, où étaient supprimées les réserves; mais il y eut à Londres des latinistes assez forts pour découvrir la coupure; le cardinal Manning demanda à Rome la pièce complète, on la lui envoya, il la fit insérer dans son intégrité dans un journal anglais; je me la procurai, je l’adressai à l’Univers, qui la publia en donnant la suppression, et découvrit ainsi le pot aux roses. Ah! l’Univers est un affreux journal!

Vint le concile du Vatican. Malgré son horreur pour l’empire, l’évêque d’Orléans alla à Compiègne solliciter le titre d’ambassadeur de la France au concile; il fut refusé. L’Empereur avait dit: Cet homme promet plus de beurre que de pain. Mais Mgr Dupanloup s’était abouché à Mayence avec le saint Mgr de Ketteler, le P. de Buck, jésuite, Dollinger et un archevêque, aujourd’hui cardinal qui se sépara vite d’eux.Que se passa-t-il là? l’archevêque que je vis pourtant quinze jours plus tard, ne me l’a pas dit. Cependant la France recevait comme un coup de foudre une brochure Orléanaise, publiée déjà aux quatre coins du monde dans toutes les langues. Les évêques étrangers en apportèrent à Rome des exemplaires qu’ils avaient reçus, avant qu’on ne se doutât de rien sur les bords de la Seine. Puis parut aussi un certain avertissement où M. Louis Veuillot, appelé accusator fratrum, était de par l’Apocalypse comparé au diable. Que c’était flatteur, et quel atroce caractère a ce M. Veuillot, quand il ne remercie pas à deux genoux pour avoir été mis en parallèle avec Satan, accusator fratrum!

Au concile, les chose tournèrent autrement qu’à Orléans on ne l’avait espéré. De là des départs avant la fin.

Qu’il y eût du froid entre Pie IX et Mgr Dupanloup, ceci ne peut se nier. Pie IX avait dit: Sa croix épiscopale lui porte à la tête. Mgr Dupanloup avait écrit au Pape: Bien que je sache que la vue de mon nom n’est pas agréable à votre Sainteté…. Sur quoi, Pie IX avait dit à la personne de qui je tiens le détail: « Mais le nom d’aucun évêque catholique ne m’est désagréable; seulement il en est que je ne puis approuver en tout ».

Mgr Dupanloup, en se posant en apparence chef de l’opposition, ne pouvait être très approuvé. Cependant il n’était pas le vrai directeur de la minorité. Sans se faire nommer ambassadeur, l’archevêque de Paris menait la bataille. Il fallait la gagner et elle était gagnée en effet par l’interruption espérée de la dernière session, sans un malheureux télégramme qui arriva 48 heures trop tard, et où l’on annonçait la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne.

On prétend que l’évêque d’Orléans allait recevoir le chapeau. Sous Pie IX, il ne l’aurait jamais eu. Et depuis l’avénement de Léon XIII au trône pontifical, le cardinal Franchi, déjà secrétaire d’Etat, avait dit: Jamais.

Quoi qu’il en soit de ce dernier détail, il est sûr que Pie IX et l’évêque d’Orléans étaient en dissentiment, sinon sur le dogme défini, au moins sur certaines doctrines. Il faut choisir: ou Pie IX est dans le vrai et l’évêque d’Orléans a tort, ou l’évêque d’Orléans a raison; mais alors pourquoi vantez- vous tant Pie IX? Ses doctrines, on les connait, elles sont contenues dans le Syllabus; la première partie a été affirmée par le concile qui y a ajouté, malgré l’évêque d’Orléans, le dogme de l’Infaillibilité pontificale. La seconde partie du Syllabus sera proclamée à la reprise du concile, et alors peut-être ajoutera-t-on aussi une proposition, que Pie IX avait remise à Mgr l’évêque de Nimes et qui fut supprimée dans des conditions que je dirai peut- être un jour. L’original du récit, écrit de la main de Mgr Plantier, se trouve entre les mains de l’évêque de Ratisbonne, qui me l’enleva des mains très aimablement.

Je conclus qu’on peut louer Mgr Dupanloup de ses vertus, de ses talents, de certains services rendus; mais que M. Veuillot a eu trop souvent le malheur d’avoir raison contre lui, tort impardonnable et bien digne de certains anathèmes.

L’histoire a commencé pour Mgr Dupanloup, elle enregistrera de grandes luttes vaillamment soutenues; elle lui reprochera sa conduite au Concile, et son obstination dans le catholicisme libéral, malgré tant d’actes pontificaux qui le condamnent.

Au moment même je reçois de la librairie Palmé, ;L’apologétique pontificale;, par M. l’abbé Morel, intitulée: La crise de l’Eglise. La crise a été mise à l’index, le 8 juin. Léon XIII a approuvé la condamnation, le 2 juillet. Cette condamnation a paru le 30 du même mois. Pourquoi cette hâte? Etait-ce pour décourager certaines espérances? Mais de qui est la brochure? Elle a paru sous le nom d’un libraire belge, lequel interrogé a prouvé que l’impression avait eu lieu en France et qu’il n’y était pour rien. Serait-elle de M. l’abbé Guthlin, vicaire-général d’Orléans, mais inspirée par Mgr Dupanloup, comme on le prétend? Peut-être l’imprimeur de l’Evêche d’Orléans pourrait-il dire s’il a eu réellement sous double clef le bon à tirer d’une seconde édition de la Crise, augmentée de deux longues notes rédigées par Mgr Dupanloup lui-même. Je serais désireux de savoir le fond de cette affaire, et pourquoi à Rome on a mis tant de promptitude à condamner la Crise de l’Eglise. Il y a là des obscurités que je voudrais voir se dissiper.

E. D'ALZON.
Notes et post-scriptum