ARTICLES

Informations générales
  • TD 7.95
  • ARTICLES
  • UN ENTERREMENT CIVIL
  • L'Assomption, II, n° 47, 1 décembre 1876, p. 186.
  • TD 7, P. 95.
Informations détaillées
  • 1 ANIMAUX
    1 ENTERREMENT
    1 LIBRE PENSEE
    3 NIMES
  • 1 décembre 1876.
  • Nîmes,
La lettre

Mon cher Rédacteur,

L’Assomption a eu le bonheur de posséder un professeur très saint, mais esprit archifaux, qui n’avait quitté l’Université qu’au moment de sa retraite. Il nous édifiait au plus haut des points par ses vertus; il nous agaçait par ses paralogismes; ce professeur n’avait qu’une affection: un chien; il n’avait pu vivre en bon ménage; ce chien absorba tout son coeur, sauf, je crois, une paire de canaris.

Le chien tomba malade. On appela pour l’animal un médecin de chiens, homéopathe comme le maître. Malgré l’homéopathe, le chien mourut. Le maître pour conserver quelque chose de Fido, le fit écorcher, et, de la peau tannée fabriqua une descente de lit, absolument comme un professeur de la faculté de médecine de Paris, dont je dirai le nom si on me le demande, fit faire de la peau tannée d’une demoiselle, qui n’était pas sa femme, un tabouret et une paire de pantoufles.

Quand Fido fut écorché, que faire du reste? mon professeur envoya à ses collègues des lettres de faire part pour les inviter à la cérémonie. Les malheureux eurent le courage de n’y pas paraître. Ces sacristains ne voulaient pas d’enterrement civil! On sut par le domestique chargé de creuser la fosse, qu’à l’heure dite, les restes de Fido, enveloppés dans le drap de lit le plus fin du professeur, furent portés à la tombe préparée, et y furent déposés.

Mais, avant l’enfouissement, mon homme, qui ne lâchait pas son chien comme cela, descendit dans le trou, écarta le linceuil, et malgré l’écorchement, plaça sa main sur le coeur du quadrupède défunt pour bien s’assurer que rien ne battait plus. Puis la pelle du fossoyeur acheva l’oeuvre.

On ne dit pas qu’on ait demandé les honneurs militaires. Je me figure que quand on ne croit pas à l’âme, on ne peut demander aucune espèce d’honneur, ni pour bête, ni pour homme, même au nom de la liberté de conscience. La liberté de conscience sans la foi à l’âme immortelle me fait terriblement l’effet d’être la liberté sans conscience.

Pour moi qui crois à Dieu, à l’âme, à l’enfer et au ciel, je suis, en toute conscience, vôtre.

E. d'Alzon.
Notes et post-scriptum