ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES

Informations générales
  • TD 8.6
  • ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES
  • LA PENSEE DE LA MORT
  • Le Pèlerin, V, n° 44, 3 novembre 1877, p. 690.
  • TD 8, P. 6; CO 216; CO 217.
Informations détaillées
  • 1 AMBITION
    1 BETISE
    1 BIEN SUPREME
    1 DETACHEMENT
    1 DOMINATION DE DIEU
    1 ETERNITE
    1 ETRE HUMAIN
    1 FAUSSE SCIENCE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 LIBRE PENSEE
    1 MATERIALISME
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 MORT
    1 ORGUEIL DE LA VIE
    1 PECHES
    1 VIE SPIRITUELLE
    2 PAUL, SAINT
  • 3 novembre 1877.
  • Paris
La lettre

Il faut mourir, c’est la loi inévitable. Quel est ce mystère? Pour peu que j’aie vécu, je puis dans mon souvenir évoquer le nom de tant d’êtres que j’ai connus, aimés. Je les appelle, aucun ne me répond. Ni dans les villes qu’ils les rencontrerai plus, je ne les verrai plus, ils ne me parleront plus. Ils se sont arrachés à mon affection malgré eux et malgré moi, et maintenant tout est fini. Non tout n’est pas fini, car, sous peine de remier son baptême, je dois croire à la résurrection de la chair, à la vie éternelle; je dois croire que mon Rédempteur est vivant et que je le verrai dans ma chair, quand les vers l’auront dévorée-; je crois à la vie éternelle-, et que je serai jugé par le Dieu vivant, qui donne la vie et la mort, qui précipite dans les enfers et qui en rappelle.

Le tout est de se préparer à la mort, à la résurrection, à l’éternelle vie.

Comment me préparer? En ne m’attachant pas à ce dont je dois être un jour séparé, en songeant que la figure de ce monde passe et qu’elle passe rapidement. Quand on porte à la tombe cet homme célèbre, ce banquier cent fois millionnaire, ce vainqueur de tant de batailles, ce roi, cet empereur, ce président de république, ce comédien, qu’en reste-t-il? Son âme est devant Dieu, son corps est condamné au tombeau et à son horrible décomposition. Qu’on l’embaume, viendra une révolution, et, n’ayant pas été dissous par les vers, il sera profané par les hommes. Cela s’est vu.

Mais ce corps sera réuni à son âme, à la résurrection de la chair, et la vie éternelle commencera. Quelle vie? Vie de l’enfer ou du paradis; vie de souffrance ou de joie sans fin; bonheur, malheur. L’éternité y mettra son sceau et ce sera pour toujours.

Quelle folie de chercher son espérance dans ce qui, très assurément, nous sera enlevé! Soyons sincères et n’aimons plus le mensonge de nos vains projets. Quoi? quelques écus, une décoration, le gonflement d’une dignité plus ou moins éphémère, de vaines spéculations, des orgies, où la matière se repaît de corruption et finit par s’y enfoncer; et pour cela on s’exposera à la résurrection d’une chair de damné à la vie éternelle, pour être toujours plongé dans l’éternel supplice? O folie! encore une fois.

Je veux me préparer à la résurrection, à la vie éternelle, à la glorification de ma chair, aux enivrements de la volupté en Dieu, et pour cela je veux me séparer, le premier, de ce qui infailliblement se séparera de moi; je veux renoncer à tout ce qui passe, ne vivre que de ce qui est immuable. Malheur, malheur à moi, si, au réveil, j’entendais le terrible: « Alles maudits »! O Jésus, que votre bouche, qui s’est si souvent ouverte pour me bénir, me fasse entendre ces mots: « Viens, le béni de mon Père », et je serai avec vous vainqueur de la mort, dans ma chair ressuscitée, éternellement heureux de votre vie.

La mort du libre penseur et du croyant. On a fait souvent dans la chaire le tableau de la mort du juste et de la mort du pécheur; je voudrais qu’un orateur chrétien me fit le portrait du libre penseur et celui du chrétien croyant, tous deux à leur lit de mort.

Le libre penseur, gràce aux élucubrations de la science dite moderne, s’est cru toute sa vie un tube digestif; mais le tube avait de l’ambition. Quelle ambition peut avoir un tube? Cela ne se comprend pas bien. Mais enfin on dit que cela est ainsi. Bref, il était ambitieux, et, tout tube qu’il était, il voulait parvenir. A quoi? Au pouvoir. Ah! ce qu’un tube peut exercer d’autorité, cela ne se comprend guère. Enfin, le moment arrive où le tube, ne pouvant durer toujours, va être brisé, rompu, cassé. O tube, que va-t-il te rester? Tu as voulu le pouvoir. D’abord, l’as-tu obtenu? Si tu l’as pu saisir, qu’en as-tu fait et que t’en restera- t-il, quand tu ne digéreras plus? Tu l’as eu le pouvoir, pauvre tube, et maintenant il t’échappe. Que vas-tu devenir? Je sais ta réponse: tu vas subir des combinaisons nouvelles, et peut-être, comme tu avais digéré, on te digérera, et ton avenir se passera dans une succession d’opérations digérantes et digérées. Oh! tube; ah!, et tu te dis un homme!

Mais toi qui as couru, à travers tes digestions, comme vers le bonheur suprême, du côté du pouvoir, tu croyais donc que le pouvoir est quelque chose. Et alors serais-tu soumis à un pouvoir? Et si ce pouvoir avait donné des lois, et si ce pouvoir était le principe de tes opérations plus ou moins digestives, si à ces opérations il avait ajouté une certaine science, et puis la conscience; si, quoique tu en aies, cette conscience était en toi; si elle avait été en toi cousue à autre chose qu’à une combinaison des atomes; mon pauvre tube, si tu avais le malheur, étant avec la science moderne, d’avoir une conscience trop ancienne greffée sur une âme immortelle! ah! cher tube, au moment de disparaître de la terre des vivants, tu serais exposé à passer un bien vilain quart d’heure. Dans l’intérêt que je te porte, je t’engage à y réfléchir et à raisonner ainsi: « J’aime le pouvoir. Le pouvoir est quelque chose d’abstrait, quelque chose d’immatériel. Donc il y a des choses immatérielles; donc moi qui aime quelque chose d’immatériel, je pourrais bien n’être pas purement matière. Et au dessus du pouvoir que toute ma vie j’ai rêvé, il y a un pouvoir immatériel plus fort que celui auquel je puis prétendre, supposé que ce pouvoir soit agencé dans une intelligence immatérielle, au moment où mon corps se réduira en poudre, ce qu’il y aurait d’immatériel pour moi peut subir des ennuis assez considérables de la part d’un pouvoir supérieur. Cela vaut bien la peine d’y songer ».

Disons de même du libre penseur voluptueux, voleur, chicaneur, tripoteur, du libre penseur savant ou qui se croit tel et qui croit que la pensée est dans le cerveau le produit de combinaisons phosphériques.

Dans ces chances je ne vois que le libre penseur parfaitement bête qui ait celle d’être excusé. Mais les libres penseurs veulent tous être des gens d’esprit. C’est ce qui m’attriste pour eux, ce fait, comme le leur disait saint Paul il y a dix-huit cents ans, « qu’ils sont inexcusables ». En face de l’éternité, la seule excuse du libre penseur, s’il s’est trompé, c’est d’avoir été un parfait imbécile. Je m’en doutais, mais ce n’est pas flatteur.

Somme toute, il y a une immense envie pour les libres-penseurs qu’à la mort tout meure, parce que, si tout ne meurt pas, il y a un jugement et après le jugement l’enfer, et quand on a été blasphémateur, jureur, voleur, menteur, impudique, hypocrite, l’enfer semble ouvrir ses portes plutôt que le ciel. Et ce n’est pas agréable à penser. Voilà le fin mot.

Après cela, parler de la mort au chrétien fidèle est un peu peine perdue. Il croit, il espère, il est confiant dans la miséricorde infinie; sur la terre « sa conversation était déjà dans le ciel »; il compte bien qu’elle se continuera avec Dieu, les anges et les saints au-delà du tombeau. La mort a pour lui ses erreurs, mais il sait à qui il s’est confié. Il a espéré en Dieu, et il ne sera pas confondu dans l’éternité qui s’ouvre pour lui.

Notes et post-scriptum