ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES

Informations générales
  • TD 8.54
  • ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES
  • QUATRIEME DIMANCHE DE CAREME
  • Le Pèlerin, N. S., II, n° 65, 30 mars 1878, p. 209-210.
  • TD 8, P. 54
Informations détaillées
  • 1 ACTE DE CREATION
    1 AUGUSTIN
    1 AUMONE
    1 BETISE
    1 CHATIMENT DU PECHE
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 FOI
    1 HERESIE
    1 HUMILITE
    1 IMITATION DE JESUS CHRIST
    1 JESUS-CHRIST NOURRITURE DES AMES
    1 JUIFS
    1 MIRACLES DE JESUS-CHRIST
    1 MISERICORDE
    1 OUBLI DE SOI
    1 PROVIDENCE
    1 PUISSANCE DE DIEU
    1 RATIONALISME
    1 SAGESSE DE DIEU
    1 SAUVEUR
    1 SOUVERAINETE DIVINE
    2 JEAN, SAINT
    2 SENEQUE LE PHILOSOPHE
    3 INDE
  • 30 mars 1878.
  • Paris
La lettre

Le miracle de la multiplication des pains est admirable. Sans doute quelque chose l’est plus encore, dit saint Augustin, c’est le gouvernement de l’univers. Et pourtant personne ne l’admire. L’admiration ici vient, non du prodige, mais de sa rareté. Qui donc nourrit le monde entier? Celui qui avec quelques grains fait pousser d’innombrables moissons. C’est le même acte. Chaque année il donne les moissons: une fois il nourrit cinq mille hommes avec cinq pains. C’est toujours le même pouvoir entre les mains de Jésus-Christ. Ces pains étaient des semences, non pas confiées à la terre, mais multipliées par le créateur de la terre. Or ceci était présenté aux sens pour fournir à l’âme le moyen de s’élever; les yeux étaient frappés pour donner à l’intelligence sujet à réflexion, afin que nous puissions admirer le Dieu invisible dans ses oeuvres visibles.

Cette traduction libre de saint Augustin nous donne la clef du grand enseignement qui résulte de tous les miracles. Ils nous élèvent vers Dieu, vers son pouvoir, vers sa providence, vers son droit de tout gouverner, de tout conduire à bonne fin, selon les plans insondables de sa sagesse. Qu’est-ce que cinq pains multipliés? C’est un miracle, figure d’un autre bien plus grand, d’un autre bien plus connu. Qu’est-ce que cette multiplication? C’est la continuation affaiblie de ce que Dieu fait sans cesse à travers le monde, quand il fait éclore les fleurs et mûrir les fruits; c’est la multiplication du genre humain, c’est la preuve que toute nourriture lui appartient et que le genre humain si tous les jours on ne multipliait ses aliments.

Et pourtant il y a dans le miracle des cinq pains nourrissant cinq mille personnes un fait supérieur. Pour Dieu le miracle n’est pas plus grand que de faire germer le blé en abondance d’un grain jeté en terre; mais le prodige est que celui qui a donné à la nature des lois exécutées de saison en saison, intervertit leur ordre quand il lui plaît, nourrit à sa façon, comme, quand il lui plaît, il commande aux nuées de refuser leurs pluies habituelles: la terre se déssèche, les épis ne poussent plus, l’herbe se flétrit, les animaux ne donnent plus leur chair, le sol ne donne plus ses produits, et la famine, étendant ses ravages, emporte comme aujourd’hui aux Indes les populations sous le coup des souffrances, des épidémies qui en résultent et des atrocités qui se commettent. Ces derniers châtiments sont tout simples pour les uns, miraculeux pour les autres; mais certains hommes aiment mieux nier la possibilité de la multiplication des grains que d’accepter les miracles. Pour le chrétien, il y a d’abord l’ordre admirable de la nature établi par Dieu et conservé par lui; puis l’intervention providentielle de la toute-puissance, qui multiplie les bienfaits ou les fléaux, sans qu’on puisse dire qu’ils sortent de l’ordre normal; enfin, les faits exceptionnels devant lesquels il n’y a qu’à s’incliner en adorant, ou à blasphémer comme les impies. Pour nous, croyons que celui qui a donné des lois peut y apporter des exceptions et faire des miracles.

Mais ici le miracle est une figure et une prophétie , une figure de la multiplication du corps de Jésus-Christ sous la forme eucharistique. Il y a multiplication dans la distribution d’un corps qui reste toujours dans son unité.

A sumente non concisus

Non confractus, non divisus,

Integer accipitur:

Sumit unus, sumunt mille(1).

Les pains multipliés, un pour mille, ne sont qu’une figure de cette merveilleuse unité du corps divin, qui peut être reçu au même moment par tous les hommes, sur tous les points de la terre; c’est aussi une prophétie de ce que Jésus-Christ veut faire, prophétie en action et que le Sauveur commente lui-même au chapitre VIe de saint Jean.

Il convenait qu’une si grande merveille fut annoncée sous toutes les formes. Les Juifs grossiers devaient ne rien comprendre, et les hérétiques raffinés devaient y trouver des objections sans fin. Et cependant, partant du fait des pains multipliés et de la miséricorde qu’il voulait faire aux hommes, Jésus-Christ ne craint pas de dire: « Si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». Quoi de plus clair que ces paroles? Pourtant on ne veut pas les comprendre, parce que la foi y est nécessaire. Pour nous, nous avons cru, et nos credidimus.

Ajoutons que ce que Jésus-Christ fait dans l’institution de l’Eucharistie et qu’il perpétue dans ce sacrement à travers les siècles, il nous demande de l’accomplir, quoique d’une manière imparfaite, dans la suite des siècles. « Je me suis donné, nous dit-il, donnez-vous à votre tour ». Voilà la perfection. Donnez ce que vous pouvez, voilà la loi générale. Et de même que Jésus-Christ se donne en nourriture,nous devons rompre le pain aux indigents, merveilleux écoulement de la bonté divine. Sénèque ne craint pas de dire que la miséricorde est un vice. Jésus-Christ, miséricordieux par essence, prêche à tous la miséricorde. Beati misericordes« , miséricorde sous toutes les formes. Mais la plus grande de toutes est celle où le Dieu miséricordieux et plein de miséricorde donne du pain à ses serviteurs, ;misericors et miserator Dominus escam dedit;. Et le psalmiste fait observer que tel est le mémorial de toutes les merveilles divines, memoriam fecit mirabilium suorum*.

Croyons à la Providence toute puissante, croyons aux miracles, autres manifestations du pouvoir divin; croyons à l’amour de Dieu pour les hommes dans le miracle eucharistique. Imitons ce miracle a tant qu’il nous est permis, en nous donnant, et si les forces nous font défaut pour un tel sacrifice, donnons ce que nous avons à nos frères qui n’ont rien.

Notes et post-scriptum
1. "Celui qui le recoit ne le diminue, ni ne le brise, ni ne le divise; il est reçu toujours tout entier, qu'un seul ou que mille le reçoivent".