ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES

Informations générales
  • TD 8.124
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  • HUITIEME DIMANCHE APRES LA PENTECOTE
  • Le Pèlerin, N. S., III, n° 134, 26 juillet 1879, p. 474-475.
  • TD 8, P. 124.
Informations détaillées
  • 1 AUMONE
    1 BETISE
    1 CHATIMENT
    1 CORRUPTION
    1 DIEU LE FILS
    1 DIVIN MAITRE
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 FRAUDES
    1 JUIFS
    1 MAUVAIS CHRETIENS
    1 MECHANTS
    1 NOTRE-SEIGNEUR
    1 PRUDENCE
    1 SPECULATIONS FINANCIERES
    1 VERBE INCARNE
    2 BOURDALOUE, LOUIS
    2 JEROME, SAINT
    2 LOUIS XIV
  • 26 juillet 1879.
  • Paris
La lettre

La parabole de l’économe infidèle, et son renvoi par son maître qui découvre la fraude, sa manière de voler encore pour s’assurer des amis, les éloges que le maître donne à ses vols nouveaux prouvent que du moins à l’époque de Jésus- Christ les Juifs étaient de fameux voleurs, et que depuis, si le vol a passé de Juifs à d’autres dans le maniement des affaires, il ne faut pas trop s’en étonner, le châtiment menaçait le peuple de Dieu sur le point d’être rejeté, et malgré leurs habiletés, les nations voleuses finissent par être traitées selon leur improbité. Chacun est puni par oû il a péché, et ce n’est pas aux individus seulement que cette sentence s’applique.

Quand l’Evangile déclare que le maître loua cet économe d’iniquité, villicum iniquitatis, il faut bien admettre q’il admire plus son habileté et sa ruse qu’il ne loua l’acte en lui-même, puisque le résultat était une perte nouvelle pour lui. Ce maître dut dire: « ah! un honnête homme n’eut pas eu cette idée; et voilà pourquoi les honnêtes gens s’y prennent en général si mal pour réussir, et il faut convenir que les fils de ce siècle sont bien plus habiles que les enfants de lumière.

La conclusion ne semble-t-elle pas qu’il vaut mieux appartenir au siècle qu’à la lumière? Evidemment quand il s’agit de voler; mais comme, quoi qu’on en dise, le vol n’est pas précisément la morale de l’Evangile, encore que certains orateurs eussent trouvé dans ces paroles de quoi faire pendre notre divin Maître, il faut chercher un autre sens à la parabole de l’économe fripon.

D’abord son maître le mit à la porte, et c’est bien tant pis pour lui, car, malgré son habileté, le voilà bien embarrassé: fodere non valeo, je ne puis travailler la terre, mendicare erubesco, je rougis de mendier; je sais ce que je ferai, je volerai encore mon maître, et le voilà qui change les créances qu’il a encore entre les mains. Oui, mais combien de temps ce trafic durera-t-il? Premier désagrément que cette question. Et puis si les débiteurs profitent seuls de la remise qui leur est faite et envoient promener celui qui la leur fait avec le bien d’autrui? Second désagrément. Il y en aurait bien d’autres, comme la découverte de sa fraude et les conséquences de cette fraude, si le maître n’était pas un bonhomme qui semble dire: « Va te faire pendre ailleurs, car les voleurs finissent toujours par être pendus dans le temps ou rôtis dans l’éternité; ni l’une ni l’autre de ces destinées ne me semble bien souriante.

Pourquoi le divin Maître constate-t-il avec une certaine satisfaction, (ce semble), que les fils de ce siècle sont plus habiles que les enfants de lumière?

Ah! c’est qu’à franchement parler les honnêtes gens ont souvent bien peu d’esprit! Ils ne savent pas s’y prendre, ils se laissent battre par les coquins, voler, duper à plaisir, et cela est impatientant, et quand on voit un honnête homme faire des maladresses et en être victime, on est tenté de dire, tant pis pour lui!

Le fils de Dieu semble en cette circonstance dire aux enfants de lumière: « Au nom de votre vertu, ne soyez donc pas si bêtes, et sans faire des friponneries comme cet économe voleur, sachez donc vous tenir sur vos gardes ». On ne me persuadera pas que Notre-Seigneur, qui comme Dieu est lumière éternelle, lumen aeternum, et comme homme a un esprit presque infini, n’ait pas voulu donner une leçon à ses fils béats de la lumière, qui, sous prétexte qu’ils sont honnêtes, laissent couler l’eau et les révolutions sans s’en préoccuper d’une autre façon qu’en poussant des soupirs à faire tourner des moulins à vents.

Et en attendant les voleurs vont leur train, les économes grands et petits mettent l’argent du prochain dans leurs poches, et les honnêtes gens se contentent de soupirer, et si on les pille, ils l’ont bien voulu. Et tandis que le maître volé ne peut s’empêcher de trouver son économe voleur un homme habile, il se moque de la vertu des honnêtes imbéciles. Voilà ce qui me semble ressortir très clairement de cette parabole.

Il y a une autre conclusion terrible. Vous avez de l’argent; d’où vient-il? Ne l’avez-vous pas volé dans des spéculations verreuses? et si vous l’avez par héritage, n’avez-vous pas eu parmi vos ancêtres quelque voleur? Bourdaloue ne craignait pas de citer à la cour de Louis XIV ce proverbe pris dans les oeuvres de saint Jérôme: omnis dives aut iniquus aut iniqui haeres, tout riche est un voleur ou l’héritier d’un voleur. Cela devait être vrai avec les fils des proconsuls romains, cela l’est-il moins avec les agiotages modernes? Où trouver les créanciers? Donc faites l’aumône, facite vobis amicos de mammona iniquitatis, et tandis que le public dira que vos largesses sont de magnifiques actes de charité, songez dans votre conscience que ce sont peut-être seulement de rigoureuses restitutions.

Notes et post-scriptum