ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES

Informations générales
  • TD 8.155
  • ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|PRONES
  • VINGT ET UNIEME DIMANCHE APRES LA PENTECOTE
  • Le Pèlerin, N. S., III, n° 147, 25 octobre 1879, p. 683.
  • TD 8, P. 155.
Informations détaillées
  • 1 CONCUPISCENCE DES YEUX
    1 DEPASSEMENT DE SOI
    1 DIEU LE PERE
    1 ENSEIGNEMENT DE JESUS-CHRIST
    1 FRAUDES
    1 GOUVERNEMENT
    1 HAINE
    1 IMITATION DE DIEU
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 MISERICORDE DE DIEU
    1 PARDON
    1 PRUDENCE
    1 RESPONSABILITE
    1 SOUVERAINETE DIVINE
  • 25 octobre 1879.
  • Paris
La lettre

Un roi voulut régler ses comptes avec ses serviteurs et fit bien. Une des grandes causes du mal universel vient peut-être de ce que les puissants veulent bien des jouissances au pouvoir, mais n’en veulent pas subir les fatigues et les embarras. Il en résulte une suite de désordres qu’ils étaient tenus d’éviter, et qui se multiplient, parce qu’on ne les surveille pas et qu’on ne les réprime pas à temps. En effet, ce roi de la parabole, en réglant ses comptes, découvre qui lui devait dix mille talents, trois cents mille francs environ. Un serviteur qui a pris à son maître trois cents mille francs, sans que celui-ci s’en soit aperçu, c’est bien de la hardiesse chez l’un et bien de la négligence chez l’autre. Il n’y a qu’un maître qui puisse légitimement laisser accumuler les dettes contractées envers lui, c’est Dieu, parce qu’il sait toujours le moyen de les faire acquitter. Pourtant, maître, roi, ministre, propriétaire, il y a faute grave à ne pas tenir les subordonnés sur le qui-vive. Enfin, le serviteur devait dix mille talents, et, comme de raison, il n’avait pas de quoi payer. Eh! dit le roi, qu’on vende sa femme et ses enfants, nous en tireront quelque chose. C’était dur pour le débiteur. Aussi, se jeta-t-il aux genoux de son maître, lui disant avec supplication: « Usez de patience envers moi et je vous rendrai tout ». A la place du maître j’eusse fait ce calcul: « Ou il me rendra, preuve qu’il m’a volé et qu’il a de l’argent caché, ou il ne me rendra pas, parce qu’il en est incapable; pourquoi attendre? » Mais ce maître était bon, et puis qu’est-ce que la vente d’une femme et de quelques enfants comparée à dix mille talents? enfin il se laisse toucher, et pour ne pas faire les choses à demi, remet la dette. Le serviteur ravi se relève, se sauve dans la rue, et à peine y a-t-il fait quelques pas qu’il trouve un de ses camarades de service qui lui devait cent deniers, soixante francs environ. Il lui saute au cou jusqu’à l’étouffer, criant: « Rends-moi ce que tu dois ». Celui-ci se jette à ses pieds: « Aie patience, lui dit-il, je te rendrai tout ». L’autre ne veut pas et le met en prison jusqu’à ce que tout fût payé. Mais il y avait d’autres serviteurs témoins de la cruauté du camarade si bien traité par leur maître. Ils en furent outrés et racontèrent tout à leur seigneur. Celui-ci rappelle le brutal et lui dit; « Mauvais serviteur, comment! je t’ai remis toute ta dette, parce que tu m’en as conjuré, et tu sais si elle était considérable! ne devait-tu pas avoir compassion de ton camarade, comme j’ai eu pitié de toi? » Et, dans sa colère, il rétracte son acte de générosité et livre ce méchant serviteur aux bourreaux jusqu’à ce qu’il eût tout rendu.

Et Notre-Seigneur ajoute; « Et ainsi vous traitera mon Père céleste, si vous ne rendez pas chacun à votre frère du fond de votre coeur ».

Cette remise universelle a besoin d’être expliquée. Un chrétien quelconque m’a joué un vilain tour, je lui pardonne; mais je sais qu’il veut recommencer, je me tiens sur mes gardes et je le surveille en l’éloignant de moi le plus possible. Ceci n’est pas de la brutalité, c’est de la simple prudence. Je ne m’expose pas à être trompé une seconde fois, mais quoi de plus sage? Il est probable que le roi n’eût pas fait mettre en prison le mauvais serviteur, parce qu’il aurait refusé de prêter encore de l’argent à celui qui lui devait cent deniers, surtout si l’emprunt eût été fait dans le but de ne pas plus rendre que la première fois. A la vérité, au lieu de faire un prêt, on peut vouloir faire une aumône; mais la question est changée. Egalement quelqu’un a mal agi envers moi; pour prouver que je lui pardonne, je lui procure une position où, l’individu étant donné, il fera à d’autre les mêmes sottises qu’à moi; je suis coupable envers ceux à qui ma faiblesse envoie un fripon, un esprit faux, un exploiteur pour leur faire tort.

Cela dit, je répète les paroles de Notre-Seigneur: Notre Père céleste nous traitera comme le roi de la parabole, si nous conservons du venin, de la rancune, de la vengeance au fond de nos coeurs pour nos frères, si surtout nous la manifestons par nos actes.

Entrons donc dans les sentiments miséricordieux et pleins de compassion pour nos frères coupables envers nous. S’ils sont sincères et s’ils veulent se réconcilier franchement, pardonnons tout sans arrière pensée; s’ils sont faux, remettons-leur encore ce qu’ils doivent, mais en nous tenant sur nos gardes. Dieu veut que nous soyons comme lui, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants. Ah! que de malheurs on éviterait si, forts de cette commisération bienveillante au-dessus de nos intérêts, nous cherchions les intérêts de Dieu et si nous nous appliquions à mériter qu’il nous remît l’immensité de nos dettes envers lui!

Notes et post-scriptum