ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|ARTICLES DIVERS

Informations générales
  • TD 8.247
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  • VOCATIONS
  • Le Pèlerin, N. S., II, n° 89, 14 septembre 1878, p. 598-599.
  • TD 8, P. 247.
Informations détaillées
  • 1 ALUMNATS
    1 ETUDES ECCLESIASTIQUES
    1 HOMME DE PRIERE
    1 HUMILITE
    1 JUGEMENT DERNIER
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 NOTRE-DAME DES VOCATIONS
    1 OEUVRES DES VOCATIONS
    1 PAUVRETE
    1 PLAN DE DIEU
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 PROVIDENCE
    1 TERREUR
    1 VERTU DE PAUVRETE
    2 CHRYSOSTOME DE BARJAC, CAPUCIN
    2 FRANCOIS D'ASSISE, SAINT
    2 TESTE, JEAN-BAPTISTE
    3 CEVENNES
    3 CHAMBON, GARD
    3 JERUSALEM, JARDIN DES OLIVIERS
    3 JERUSALEM, VALLEE DE JOSAPHAT
  • 14 septembre 1878.
  • Paris
La lettre

Le cercueil d’un ancien capucin a été, au commencement de ce siècle le berceau de quarante prêtres, desquels on répétait avec joie chez leur évêque, qu’ils étaient le sel du diocèse. Ecoutez comment cela est arrivé.

On voyait encore il y a quelques ans sur les pentes méridionales des Cévennes, au petit hameau de Chambon composé en partie de catholiques et en partie de protestants, un pauvre vieillard estropié, appuyant sa marche boiteuse sur un bâton.

On l’appelait le Père Chrysostome, tous le respectaient. Racontons son histoire.

Le père Chrysostome était le seul reste vivant d’un couvent de Capucins détruit par le bourreau en 1793. A travers la bagarre, le fils de S. François n’avait sauvé que sa vie, et l’inséparable soeur de sa vie, la pauvreté. Quant il était venu au Chambon, il semblait que ces deux soeurs étroitement unies, la vie et la pauvreté du père Chrysostome, désormais à l’abri de la méchanceté des hommes, devaient s’éteindre.

Mais 1830 avait surexcité les esprits, et les souvenirs monastiques conservés par la vie pauvre de ce prêtre parurent insupportables à ceux qui en entendaient faire l’éloge.

On vit donc à cette époque une bande armée, assez semblable à celle qui monta aux Oliviers, escalader les sentiers abruptes qui conduisaient au hameau, ou suivre le cours du ruisseau, seule route offerte alors aux cavaliers. Ils allaient à la conquête du pauvre capucin.

C’étaient des protestants furieux; leur chef était un nommé Teste, qui se préparait par ces brigandages à siéger bientôt au ministère de la justice comme garde des sceaux, mais que la justice de Dieu atteignit en ce haut poste et qui tomba de là au bagne, parce qu’il volait(1).

La bande Teste brisa la porte de l’église, et les habitants ont conservé jusqu’en ces derniers temps, avec une pieuse indignation, cette porte de l’église brisée par les sicaires qui cherchaient le prêtre.

Le père Chrysostome voyant que la mort allait entrer de force dans l’Eglise, se réfugia dans la chaire. Le jeune Teste l’y trouva et, saisissant le vieillard, le jeta en bas sur le pavé.

Il avait la jambe cassée, le corps moulu; on ne l’acheva point, on le porta au milieu d’atroces souffrances à une prison, espérant, comme on le proclamait, que la guillotine à laquelle il avait échappé en 1793 donnerait au peuple assemblé le spectacle de sa mort.

La révolution n’ayant pas eu, au grand étonnement, la même marche en 1830 qu’en 1793, le Père échappa une nouvelle fois à la guillotine; on le guérit à la longue et voila pourquoi nous l’avons présenté estropié et boiteux au milieu de son petit troupeau de Chambon.

Tel fut l’instrument, usé pour le monde, que Dieu réservait à son oeuvre, après l’avoir aiguisé par deux fois aux angoisses du martyre et l’avoir trempé aux alternatives de la persécution et du pardon.

Le père Chrysostome, qui avait vu tuer tant de prêtres et étouffer un si grand nombre de vocations, pensa que, puisqu’il continuait à vivre, ce qu’il avait de mieux à faire, c’était d’user ses forces à repeupler le sanctuaire.

Il ne compta point avec ses cheveux blancs et ses infirmités; il ne jugea pas non plus utile de quitter le théâtre si restreint de ce hameau retiré où la Providence l’avait placé; on l’aimait, c’était assez pour fonder.

Afin de commencer, il meubla une étroite cellule, et ce fut original.

Le futur supérieur de l’alumnat (nous baptisons la maison de ce nom, parce que le P. Chrysostome négligea de lui en donner un autre, et que celui-là lui aurait plu certainement), le futur supérieur ne prétendait recevoir que des externes, et lui seul devait coucher dans l’établissement. Il fabrica donc un cercueil et un banc auprès.

Sur le cercueil il étendit des planches, et ce fut la table, table pleine de méditations autour de laquelle six petits étudiants, manquant de papier et de livres, venaient recevoir des leçons vraiment apostoliques.

Bien entendu, l’école était gratuite.

Rudes travailleurs à l’exemple du maître, ces enfants se fatiguaient tant que le soleil prêtait ses rayons, et à l’heure du repos ils regagnaient les chaumières pauvres où la charité des pauvres leur assurait, pour l’amour de Dieu, une très-frugale mais très-cordiale hospitalité.

Les élèves retirés, le père Chrysostome retirait les planches et il avait un lit dans son cercueil.

A l’heure des revenants, sans effrayer personne et soutenu par les anges, il sortait de sa bière pour prier. C’était un vieil usage de son couvent.

Puis il se replongeait dans le cercueil avec une grande paix, en attendant l’heure de dire la messe et de recommencer la classe.

Cependant, alors qu’un grand nombre de prêtres, qui fussent demeurés les pâtres de la montagne, étaient devenus les pasteurs des peuples, disaient la messe et faisaient la joie du diocèse, le père Chrysostome cessa de dire la sienne, et le cercueil sur lequel ils avaient appris cessa de servir de table. Le père Chrysostome y dormait, un matin, il avait cessé de se réveiller. La vie du Capucin avait dit adieu à sa vieille soeur la pauvreté, et lorsqu’on eut cloué la table sur le cercueil, tout ce qui avait appartenu au P. Chrysostome avait disparu.

Au cimetière, cette porte triomphale du ciel, on n’éleva point de monument de pierre pour graver les palmes du martyre ou les roses de la charité; un tel monument eût été si peu conforme aux usages du père Chrysostome que nul n’y songea peut-être, et l’humilité du maître a si bien veillé sur le tombeau de l’humble, que nul ne peut aujourd’hui en retrouver la place au cimetière du hameau de Chambon.

Que ce tombeau orné de quarante couronnes sacerdotales sera donc beau au jugement de Josaphat!

Notes et post-scriptum
1. On l'a amnistié en 1848.