ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|ARTICLES DIVERS

Informations générales
  • TD 8.257
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  • IMPRESSIONS DE VOYAGE
    RECITS TRES AUTHENTIQUES
    LE PELERIN ET UN CURIEUX
  • Le Pèlerin, N. S., III, n° 112, 22 février 1879, p. 116.
  • TD 8, P. 257-260.
Informations détaillées
  • 1 DEFAUTS
    1 FRANCAIS
    1 MALADIES MENTALES
    1 TRISTESSE
    2 JACQUES, SAINT
    3 COMPOSTELLE
  • 22 février 1879.
  • Paris
La lettre

Petit Pèlerin, tu as l’air triste.

-Il y a de quoi.

-Que t’est-il donc arrivé?

-Je cours du matin au soir, d’un pèlerinage à l’autre, et en traversant les pays à pied, à cheval, en voiture, en wagon, en bateau à vapeur, je ne vois que sujets de découragement.

-Petit Pèlerin, tu as mal dormi cette nuit.

-Voyez-vous, comme si je n’étais pas prêt à voyager de nuit et de jour! Non, non, ma tristesse est grande, et toi qui m’ouvre des yeux grands comme des portes cochères, tu ouvrirais encore la bouche comme trente-six gueules de four, si je te disais tout mon chagrin. Mais tiens, tu m’agaces. A force de braver le chaud et le froid, je suis devenu nerveux, et, quand je ne suis pas en colère contre les gens, j’ai envie de me moquer d’eux. Ah! que le monde ferait rire, s’il ne faisait pas tant pleurer!

-Sur quelle herbe as-tu donc marché pour être si désagréable pour le quart d’heure?

-Monsieur, je n’ai marché sur aucune herbe, mais j’arrive d’un pèlerinage et je suffoque.

-De fatigue?

-Non, d’indignation.

-Contre qui?

-Contre tout le monde. Ah! il faut qu’une fois je décharge ma bile; voilà dix ans que je cherche le sens commun, impossible de le trouver.

-Tu l’as peut-être dans ta gourde.

-Tout ce que j’en ai aperçu pourrait y tenir, et la gourde ne serait pas pleine.

-Peut-être avais-tu besoin d’en avaler un peu pour ta part.

-J’aime peu les observations de ce genre et je te dirai comme une vieille dame de quatre-vingts ans de sa vieille fille qui avait passé la cinquantaine: On voit bien que tu n’as été ni père ni mère. Faquin, tu ne me respectes pas.

-Tout doux, tout doux! un Pèlerin doit être charitable, comme disent les gens qui le sont le moins et qui prêchent sans cesse la charité aux autres. Va, je ne veux pas te faire de peine. Allons, petit Pèlerin, sois moins sombre, chasse les nuages de ton front dénudé. Quand on est bien fatigué, on est excusable de prendre un peu les gens et les choses de travers. Veux-tu te rasséréner? J’irai te chercher une bouteille de vin vieux et, en te rafraîchissant le gosier, tu me raconteras le sujet de tes larmes.

-Tu me touches, mais que veux-tu que je te dise?

Tout ce que tu as vu.

-Oh! mais ce sera long.

-Bon, tu es fatigué, veux-tu te reposer ici quelques temps?

-Curieux, va. Aussi bien je puis accepter, puisqu’il ne me reste plus qu’à aller visiter le tombeau récemment découvert de S. Jacques de Campostelle; après quoi j’aurai fait cinq fois le tour du monde, je n’aurai plus qu’à le recommencer une sixième.

-Convenu; mais à une condition, car moi aussi je veux faire des miennes, c’est que tu ne te fâcheras plus.

-Tout au contraire, je te dirai même que raconter mes pérégrinations me chasse les humeurs noires; ainsi tu as pris le bon moyen de dissiper les nuages.

-Ah! cher Pèlerin, mais tu deviens aimable!

-Comme si je ne l’étais pas toujours!

-C’est possible, mais tout le monde ne pense pas comme toi.

-Tant pis! c’est que tout le monde ne pense pas bien.

-On te trouve léger, futile, plaisant à tort et à travers, riant de tout, sceptique, superstitieux, enfoncé dans l’école des miracles. Que sais-je encore!

-Voyez-vous! comme si la sagesse avait pris pour trône la caboche de tous les Français! Mon ami, si tu ne le sais pas, apprends que le plus fou des peuples c’est le peuple français, et c’est un grand bonheur pour lui, car s’il n’était pas le plus fou, il serait le plus coupable. Vois un peu comme tout a son bon côté, même la folie.

-Enfin, quand commenceras-tu tes histoires? Il m’en tarde.

-Ah! mais je suis fatigué; ce sera pour demain, mes yeux se ferment, je ne fais que bâiller; bonne nuit! où me fais-tu coucher?

-Bon, moi qui comptais m’amuser un moment avec tes aventures! me voilà bien avancé, et que ferai-je de ma soirée?

-Tout ce qu’il te plaira; tu m’as promis un lit, tiens ta parole.

-Les pèlerins! c’est terrible, Ils vous jouent des tours de toute espèce; ah! ne me parlez pas des pèlerins.

-Tu dis?

-Je dis que j’ai bien envie de t’entendre et que le temps me durera jusqu’à demain.

-Tant pis pour toi; il ne fallait pas m’offrir un lit. Et puis, j’aime à tenir certains curieux le bec dans l’eau.

Notes et post-scriptum