ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|ARTICLES DIVERS

Informations générales
  • TD 8.286
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  • LETTRES D'UN PELERIN
  • Le Pèlerin illustré,, N. S., III, n° 117, 29 mars 1879, p. 197-199.
  • TD 8, P. 286.
Informations détaillées
  • 1 ANARCHISTES
    1 ANGLICANISME
    1 ANIMAUX
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 AVARICE
    1 DECADENCE
    1 ECRITURE SAINTE
    1 EDIFICE DU CULTE
    1 ESCLAVAGE
    1 ESPAGNOLS
    1 INDIENS D'AMERIQUE
    1 INDIFFERENCE
    1 INTOLERANCE
    1 LIBERTE DE CONSCIENCE
    1 LITURGIE
    1 LOI ANCIENNE
    1 MARTYRS
    1 MENSONGE
    1 PERSECUTIONS
    1 POLEMIQUE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 TOLERANCE
    2 BALTIMORE, LORD
    2 CARLIER, AUGUSTE
    2 COTTON
    2 JACQUES I STUART
    2 JANNET, CLAUDIO
    2 LABOULAYE, EDOUARD-RENE DE
    2 MOISE
    2 QUIMY, JOSIAH
    2 ROGER, WILLIAM
    2 TOCQUEVILLE, ALEXIS DE
    3 AMERIQUE DU NORD
    3 ANDOVER, ETATS-UNIS
    3 ANGLETERRE
    3 CONSTANTINOPLE
    3 ETATS-UNIS
    3 MARYLAND
    3 NOUVELLE-ANGLETERRE
    3 RHODE-ISLAND
    3 VIRGINIE
  • 29 mars 1879.
  • Paris
La lettre

Voici, sous forme de lettres sérieuses, la continuation des récits intitulés: « Impressions de voyage, le Pèlerin et un curieux. »

Notre correspondant, dans un voyage rapide, déroule devant nous des points de vue qui ont échappé à bien des touristes.

ETATS-UNIS.

Espérer trouver des saints canonisés dans la partie de l’Amérique du Nord occupée par les Etats-Unis, serait chose bien vaine. Il y en a plusieurs raisons: d’abord ces bons protestants épiscopaux, puritains, anabaptistes, quakers, méthodistes, etc. etc., se persécutaient entre eux de la façon la plus féroce; comment n’eussent-ils pas persécuté les catholiques! Si vous vous fiez au roman de M. de Toqueville sur les Etats-Unis, ou aux leçons plus que romanesques de M. Laboulaye au Collège de France sur la tolérance américaine, vous passerez avec la facilité la plus merveilleuse à côté de l’exactitude; mais si vous prenez les deux excellents volumes de M. Carlier sur la fondation des Etats-Unis, si vous ajoutez le livre plus récent et non moins remarquable de M. Claudio(1), qui eux ne procèdent que textes protestants en main, vous serez peut-être surpris des contre-vérités, je dis des contre-vérités, que ces deux amants de la liberté Yankee ont accumulées sur la tolérance américaine. L’excommunication, le fouet, le canon, le fer rouge, la mort, tous les moyens étaient bons chez ces farouches sectaires; ils les employaient les uns contre les autres. Partis d’Angleterre sans connaissance des lois civiles, ils eurent recours aux lois de Moïse; l’Ancien Testament était leur code, comme si l’Evangile n’était pas venu en adoucir les rigueurs. Les épiscopaux en Virginie, les puritains dans la Nouvelle-Angleterre, se haïssaient, se proscrivaient, s’expulsaient à outrance. Représentez-vous ces troupeaux de chiens qui, à Constantinople, font la police des rues et se partagent les quartiers de la ville. Si un de ces pauvres quadrupèdes franchit les limites qu’il se sont tacitement fixées entre eux, aussitôt il est étranglé, sinon dévoré. Les puritains refusaient le baptême aux quakers; ailleurs il fallait deux baptêmes; malgré le besoin de colons, si les nouveaux arrivés avaient la moindre nuance d’opposition aux dogmes du ministre dominant, ils n’avaient rien de mieux à faire que d’aller planter leur tante ailleurs.

Puis, irrités ainsi les uns contre les autres, ils n’avaient qu’un seul moyen d’union dans la haine, la haine des catholiques. Si un malheureux fils de l’Eglise Romaine se présentait chez eux, aussitôt l’expulsion était décrétée, ou bien l’apostasie exigée. En Virginie tout prêtre catholique devait repartir en moins de cinq jours; dans la Nouvelle-Angleterre aussitôt reconnu il était condamné à la prison perpétuelle, et s’il sévadait et qu’on le reprit, mis à mort. Evidemment il y a eu des martyrs, mais l’Eglise, que je sache du moins, ne les a pas encore mis sur les autels.

Dans les premiers temps la Nouvelle-Angleterre a été un parc théocratique; le vrai souverain était le ministre, quelquefois ces messieurs se disputaient bien entre eux, le battu devait fuir, il s’en consolait en fondant un état nouveau. Ainsi le ministre Cotton avait chassé de Massachusetts le ministre William Roger; Roger fonda Rhode Island, où il rebaptisa tout à son aise, tandis que Cotton s’en consolait en légiférant, le Pentateuque en main. On n’était admis comme citoyen qu’après avoir été reçu comme paroissien. La paroisse, puis la commune, tel était l’ordre.

Maintenant voulez-vous vous faire une idée du respect dont le ministre était entouré? M. Claudio Janet donne la peinture d’une matinée de dimanche à Andover; il l’emprunte au président Josiah Quimy, un des protestants les plus remarquables qui aient foulé le sol américain.

« Tout l’espace devant le meeting-house; (le temple) était rempli par une multitude respectueuse attendant avec déférence. Au moment du service, le pasteur sortait de sa demeure avec sa Bible et son sermon manuscrit sous le bras, avec sa femme s’appuyant sur son bras d’un côté, et flanqué de l’autre par son nègre, comme sa femme l’était par son esclave noire. Les petits nègres étaient distribuée selon leur sexe à côté de chacun le leurs parents. Puis suivaient les autres membres de la famille, d’après leur âge et leur rang, faisant souvent avec les visiteurs de la famille quelque chose comme une formidable procession. Aussitôt qu’elle apparaissait, toute la congrégation, comme si elle était mue par un seul esprit, commençait à se diriger vers la porte du temple, et avant que la procession l’atteignit, tous étaient à leur place. Dès que le pasteur était entré, la congrégation entière se levait et restait debout jusqu’à ce qu’il fût dans sa chaire et que sa famille fût assise. A la fin du service la congrégation restait encore debout, jusqu’à ce qu’il eût quitté le temple avec sa famille. La même chose se produisait avant et après midi ».

Toutefois les choses n’allèrent pas longtemps ainsi; ces hommes si égalitaires firent détester leur aristocratie, dont ils avaient voulu retenir le monopole; puis la variation, les contradictions, les controverses intestines se manifestant du haut des chaires, les anathèmes réciproques tombant comme une pluie de haine et de fanatisme, les masses qui écoutaient demandaient où était la vérité, la foi fut ébranlée dans ces natures à qui l’enthousiasme réclamait la certitude dans la croyance, le doute arriva vite, puis l’indifférence, puis l’incrédulité.

En Virginie les choses allèrent plus lentement, peut-être à cause du système épiscopal qui se rapprochait davantage de la hiérarchie romaine. Mais la Virginie avait, elle aussi, son chancre, l’esclavage des noirs. La chaleur du climat réclamait les nègres pour certains travaux dont les blancs étaient, paraît-il, incapables sous le soleil des tropiques;. on en fit venir et l’on s’y accoutuma si bien que des ministres, s’appuyant eux aussi sur la loi mosaïque, ne craignirent pas de prêcher que repousser les esclaves et procurer leur affranchissement était un crime digne de mort, et que le plus court était de pendre ces perturbateurs de la colonie virginienne. Il faut avoir lu les textes pour y croire; je les ai lus.

Entre le sud et le nord des colonies anglaises, les catholiques voulurent avoir leur place; Jacques Ier la leur donna. Un des ministres de ce roi, qui pour passer du protestantisme à la vraie foi avait renoncé à servir son souverain dans ses conseils, sir Calvart, plus tard lord Baltimore, obtint une concession pour fonder une colonie en Amérique. Il l’appela Maryland, la terre de Marie. Catholique lui-même, il la peupla d’abord de catholiques, mais à la différence des protestants qui exerçaient les uns envers les autres, envers les catholiques surtout, la plus rigoureuse inquisition, lord Baltimore laissa à chacun la liberté de conscience. Le résultat fut qu’au bout de peu de temps les puritains envahirent la colonie, s’y trouvèrent en majorité, supprimèrent le culte catholique, ne permirent aux prêtres que de dire la messe dans l’intérieur des familles, et forcèrent le quatrième descendant du fondateur, à apostasier.

Quand MM. de Toqueville et Laboulaye affirment que la liberté de conscience fut apportée en Amérique par les protestants, ils disent une énorme contre-vérité, dont les Américans eux- mêmes se moquent les premiers. La tolérance religieuse ne vint que beaucoup plus tard; la preuve, dit un auteur protestant, c’est que le mot n’existait pas, parce que l’idée manquait. L’idée fut pour la première fois implantée par un catholique. Eut-il tort? eut-il raison? Pour lui le résultat fut l’avortement de son plan de propagande catholique, les protestants une fois maîtres de la colonie n’ayant rien eu de plus pressé que de supprimer toute tolérance.

Il faut lire les détails dans le livre de M. Carlier, qui, n’écrivant que textes en mains, réfute invinciblement les deux auteurs à l’autorité desquels on s’en est beaucoup trop rapporté.

Grâces à Dieu, la vérité a enfin ses vengeurs; je ne puis ici entrer dans les détails, mais qu’on lise, après M. Carlier, M. Claudio Janet, l’un pour l’époque de la fondation, l’autre pour l’histoire récente de ces mêmes états: on verra d’abord qu’ils ont planté dans la persécution, et ont, pour la Nouvelle-Angleterre du moins, fini dans l’incrédulité, l’improbité et la stérilité des familles.

Je ne parlerai pas aujourd’hui de procédés de ces grands évangélisateurs envers les sauvages. Ils étaient partis, disaient-ils, dans le but de convertir les Indiens: ils en firent des esclaves. Jésus-Christ disait que la vérité délivre, on ne le vit guère dans les tribus où les puritains, les méthodistes et les épiscopaux plantèrent leurs tentes. Les Espagnols, il est vrai, n’agirent pas mieux, mais tandis que les ministres protestants acceptaient ces idées de servitude, les prêtres catholiques se signalaient par les plus énergiques protestations, et surtout par leur zèle à pénétrer même chez les Indiens, subir leurs usages, afin de leur prêcher la vérité et les convertir.

Toutefois il faut reconnaître que, même avec leur intolérance, les colons américains firent preuve d’une rare énergie; on sent chez eux le sang de la race anglo-saxonne, avec son indomptable persévérance. Ils dévièrent dans leur croyance, ils ne dévièrent pas dans la poursuite de leur double but, l’acquisition des biens terrestres et la fondation de la démocratie. Le nouveau moral baissa chez eux, mais la richesse acquit d’étonnantes proportions, et ils se préparèrent à montrer chez eux les plus grand radicaux du monde, en attendant qu’ils en devinssent les victimes.

Notes et post-scriptum
1. Les *Etats-Unis d'Amérique*, par Claudio Janet. 2 volumes. 8 fr. Chez Plon, rue Garancière, Paris.