ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|ARTICLES DIVERS

Informations générales
  • TD 8.292
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  • IMPRESSIONS DE VOYAGE
    AUX ETATS-UNIS D'AMERIQUE (1)
  • Le Pèlerin, N. S., III, n° 118, 5 avril 1879, p. 220-221.
  • TD 8, 1. P. 292; CO 230.
Informations détaillées
  • 1 ACTION SOCIALE
    1 AMERICAINS
    1 APOSTOLAT DE LA VERITE
    1 APOSTOLAT DES RELIGIEUX
    1 AVARICE
    1 COMMERCE
    1 CONVERSIONS
    1 CORRUPTION
    1 ESCLAVAGE
    1 ESPAGNOLS
    1 GUERRE
    1 HOMME CREE A L'IMAGE DE DIEU
    1 INDIENS D'AMERIQUE
    1 MENSONGE
    1 MISSIONNAIRES
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 RESTAURATION DES MOEURS CHRETIENNES
    1 SALUT DES AMES
    1 SPECULATIONS FINANCIERES
    1 VENGEANCE
    1 VERTUS DE L'APOTRE
    2 ADAM
    2 BERENGIER, THEOPHILE
    2 CHARLES BORROMEE, SAINT
    2 DESMET, PIERRE
    2 GRANT, ULYSSE
    2 LAVERRIERE, CHANOINE
    2 TURIBE-ALPHONSE, SAINT
    3 AFRIQUE
    3 AMERIQUE
    3 BRESIL
    3 CAP COD
    3 CHILI
    3 EUROPE
    3 LIMA
    3 MASSACHUSSETTS
    3 MEXIQUE
    3 MILAN
    3 PEROU
    3 SOLESMES
  • 5 avril 1879.
  • Paris
La lettre

Puisque je me suis permis de prendre à partie MM. de la Réforme et que je suis en Amérique, je vais poursuivre mon étude par un parallèle entre les procédés protestants et les procédés catholiques envers les sauvages indiens.

Lors du premier débarquement des puritains au cap Cod, il était bien entendu que leur mission principale était la conversion des habitants du pays. Je cherche les résultats de ces beaux projets. Hélas! je ne trouve rien ou presque rien. Le commerce des fourrures finit par l’emporter beaucoup sur la propagande religieuse. Puis il faut bien connaître que la vie d’apôtre parmi ces populations avait peu d’attrait. Quand les Européens se présentèrent pour la première fois sur les côtes du Massachusestts, ils furent accueillis avec cordialité; les indigènes leur vinrent en aide avec empressement. Mais quand à l’hospitalité on se fut hâté de répondre par des actes de mauvaise foi, la colère et la vengeance s’allumèrent dans le coeur de ces peuples; toutes les fois qu’ils le purent, ils se montrèrent cruels, et les pasteurs de la Réforme, qui n’ont jamais montré un grand zèle pour courir après la brebie égarée lorsqu’il y avait péril pour eux, préférèrent rester au milieu de leur troupeau de colons. Le commerce prospéra, les colonies avancèrent sur le sol américain, mais on renonce bien vite à la conversion des naturels du pays. Les premiers essais avaient été trop décourageants; on finissait par établir que l’Indien était un être placé entre l’homme et la brute, incapable de civilisation, et au lieu de chercher à en faire des chrétiens, on s’occupa bien plus d’en faire des esclaves.

Les missionnaires catholiques procédèrent tout autrement. Tous les hommes, disaient-ils, ont Adam pour père, ils ont tous été créés à l’image de Dieu, ils ont tous une âme, et cette âme est faite pour le ciel en Amérique comme en Europe. Formons-les pour le ciel, Dieu sait ce qu’il fait quand il permet des situations morales si différentes. Pourvu que nous ayons affaire à des êtres capables de possèder Dieu dans l’éternité, nous n’avons qu’à les instruire, à les baptiser; la grâce fera le reste.

Il faut bien dire que plus d’un Espagnol au Mexique, au Pérou, au Chili, au Brésil, ne raisonnait pas mieux que les protestants; la soif de l’or les emportait, ils faisaient périr les souverains des pays découverts par eux, ils réduisaient en esclavage des populations entières, ils dépeuplaient autant qu’ils le pouvaient pour s’emparer des terres, et quand leurs bras ne suffisaient pas aux travaux des champs et des mines, ils commandaient qu’on leur achetât en Afrique des cargaisons de nègres.

Alors apparurent ces grands religieux dont les rudes labeurs n’avaient pas d’autre but que de relever les Indiens, de les rendre capables de la vie sociale et chrétienne. Je dis les religieux surtout, car si vous lisez la belle vie de S. Turibe(1) qui fut à Lima ce que S. Charles fut à Milan, vous verrez ce qu’il lui fallut de combats de toute espèce pour repousser les empiétements des vice-rois, la vénalité des magistrats, la faiblesse des inspecteurs ecclésiastiques, le relâchement du clergé, l’ignorance des Espagnols, l’oppression des Indiens, se peut à peine comprendre. Le culte public était réduit, l’instruction abandonnée. Comment pouvaient enseigner des gens qui ne savaient que faire des spéculations de négoce? Sous l’action de l’homme de Dieu exercée durant un quart de siècle, les abus civils furent retranchés, les prêtres instruits, les Espagnols moralisés; les Indiens rappelés de leurs forêts et de leurs cavernes purent s’établir en villages, l’instruction religieuse les releva et en fit des hommes, quand le baptême en eut fait des chrétiens. S. Turibe, après avoir appris lui-même leur langue, fit tous ses efforts pour leur faire enseigner l’espagnol, la communauté de langue forma des rapprochements précieux, et ce ne fut pas la faute du grand archevêque si les deux races ne se fondirent pas en une seule.

Ce qu’avec des ressources exceptionnelles et sa sainteté surtout le primat de l’Amérique espagnole put accomplir, de vaillants missionnaires l’accomplirent aussi d’un bout du nouveau monde à l’autre et l’accomplissent encore tous les jours; lisez les Missions Catholiques publiées par M. l’abbé Laverrière: impossible de ne pas reconnaître chez tous les ouvriers de la véritable Eglise ce respect profond des âmes, à qui le baptême peut imprimer le cachet divin, comme il l’imprime sur l’âme des Européens les plus civilisés. Depuis deux siècles surtout quel tableau merveilleux n’offrent pas tous les travaux des missionnaires venus du vieux monde! Quelle ardente poursuite des sauvages à travers leurs forêts et leur montagnes! quelle charité si souvent rebutés et jamais découragée! Les Indiens ne se conservent et ne se multiplient que là où les missionnaires les ont décidés à quitter leur vie nomade, à défricher quelques champs, vivre de la vie de famille et bâtir leurs cabanes autour d’une église. Mais cela a eu lieu et la civilisation chrétienne se serait développée chez eux si des spéculations commerciales, le désir de voler leurs terres, la vente de l’eau-de-vie, ne les repoussaient pas dans leur état primitif; l’immoralité européenne ou Yankee est cause pour eux d’un accroissement de dégradation.

Les gouvernants des Etats-Unis le savent bien, s’il s’agit d’envoyer un émissaire à ces peuplades exaspérées par les injustices dont on les accable, choisissent-ils un ministre protestant, quoique protestants eux-mêmes? A Dieu ne plaise. Ils prient une robe noire, un missionnaire catholique, de pénétrer chez eux. C’est ce qu’ils firent naguère, quand il s’est agi de renouveler un traité de paix avec la grande tribu des Sioux. Ils invitèrent le vieux père de Smit, quoique épuisé par l’âge, à leur servir d’ambassadeur; la négociation eut un plein succès. Et pourtant, lorsque le président Grand voulut détruire ces mêmes Indiens, il expulsa les missionnaires catholiques, c’était le meilleur moyen de rendre ces infortunés à la vie de la brute et de pouvoir les exterminer comme les fauves. Je crois bien que Grant députa vers eux quelque ministre protestant, mais il connaissait la stérilité de sa parole et le peu de valeur du prédicant pour empêcher l’extermination de la race rouge.

Je conclus: partout où les protestants dominent, les Indiens peu à peu disparaissent; partout où les missionnaires catholiques pénètrent, les Indiens en devenant chrétiens deviennent aussi capables de civilisation; qu’on n’arguë pas de quelques faits exceptionnels, la loi générale s’appuye sur des exemples chaque jour plus nombreux. Peut-être chercherai-je une autre fois à donner quelques preuves de ce que j’avance, à moins que je ne sois arrêté par l’embarras du choix des traits si multipliés que renferment les annales de nos missions.

Notes et post-scriptum
1. Suite aux Lettres d'un pèlerin (voir les précédents numéros).