ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|ARTICLES DIVERS

Informations générales
  • TD 8.317
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  • IMPRESSIONS DE VOYAGE
  • Le Pèlerin, N. S., III, n° 122, 3 mai 1879, p. 284.
  • TD 8, P. 317.
Informations détaillées
  • 1 ALLEMANDS
    1 AMERICAINS
    1 AVARICE
    1 BATEAU
    1 CHEMIN DE FER
    1 CONCUPISCENCE DE LA CHAIR
    1 CORRUPTION
    1 EGLISE ET ETAT
    1 EXTENSION DU REGNE DE JESUS-CHRIST
    1 FRANC-MACONNERIE
    1 FRANCAIS
    1 GUERRE
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 SALUT DES AMES
    1 SPECULATIONS FINANCIERES
    1 TRIOMPHE DE L'EGLISE
    2 GRANT, ULYSSE
    2 MAISTRE, JOSEPH DE
    2 PHILIPPE, FSC
    3 AMERIQUE DU NORD
    3 AUSTRALIE
    3 CHINE
    3 ETATS-UNIS
    3 GENEVE
    3 ISTHME DE PANAMA
    3 MASSACHUSSETTS
    3 MISSISSIPI
    3 NEW-YORK, ETAT
    3 NOUVELLE-ORLEANS, LA
    3 RHODE-ISLAND
    3 SAINT-LOUIS, MISSOURI
    3 VIRGINIE
  • 3 mai 1879.
  • Paris
La lettre

Je dis adieu aux Etats-Unis, assez désenchanté par tout ce que j’y ai vu et qui contraste un peu trop avec ce que l’on m’en avait dit. Il est bien vrai que les anciens Etats puritains, le Massachusetts, Rhode Island, New York, voient tous les jours s’accroître le nombre des catholiques; mais que d’infidèles s’y propagent! Le culte de l’or a tout envahi dans certaines régions. Pour s’enrichir, tous les sacrifices sont aisés, sacrifices de l’honnêteté, de la probité, de la moralité, de la famille, de l’honneur. Tout y passe. Le frère Philippe, l’ancien général des Frères de la doctrine chrétienne, me disait un jour avec sa franchise un peu brutale: « A Genève les protestants n’ont pas d’enfants, il faut qu’ils s’en procurent chez les catholiques. » Réduisons l’exagération du paradoxe; il reste encore beaucoup de vrai. On a bien moins à réduire chez les Yankees. Plusieurs auteurs fort peu catholiques sont d’avis que, du train dont vont et la stérilité des vieux colons et l’invasion des pays teutoniques, bientôt les Etats-Unis seront allemands. Ah! si les Français, moins séduits par les charmes de la prospérité républicaine, allaient se grouper en masse dans quelques-uns des pays défrichés par les Français d’autrefois, à Saint-Louis de Missouri par exemple, quel magnifique avenir n’auraient-ils pas à l’horizon! Mais non, nous sommes un peuple anémique, nous n’avons plus de sang, excepté peut-être le sang impur dont certains veulent encore abreuver nos sillons.

Cependant il est très vrai que la prophétie de M. de Maistre se réalisera tôt ou tard. Une scission semble fatale, le far-west commence à réclamer ses droits; laissez percer l’isthme de Panama, et les transports par chemins de fer seront bien inutiles, on communiquera sans peine avec le vieux monde européen comme on communique déjà avec la Chine et l’Australie. La scission me semble inévitable, et si pendant la lutte que les Etats vainqueurs dans la dernière guerre livreront aux Etats de l’Ouest, la Virginie, la Nouvelle-Orléans, recommencent leur sécession, je ne vois guère ce qui pourrait les empêcher de s’affranchir enfin une bonne fois.

Il m’est évident que trois républiques au moins, au lieu d’une seule, se préparent aux Etats-Unis: les Etats de l’Est et les Etats de l’Ouest se choqueront sur les rives du Mississippi; les Etats du Sud en profiteront pour devenir libres à leur tour. Après tout, l’Amérique septentrionale est assez grande pour fournir la place à trois républiques. Je serais curieux de savoir comment elles s’arrangeront pour vivre en paix; mais quand elles s’entre-dévoreraient!

Le plus grand mouvement peut-être viendrait de la dislocation de l’Eglise catholique dans ces contrées; mais cette dislocation aurait son avantage: celui de forcer les Etats à compter avec l’Eglise; la véritable Eglise, qui forme de toutes les agglomérations religieuses la plus nombreuse sans conteste. Les diocèses se multiplient, des communautés religieuses vont placer leurs nids nombreux partout où une utilité spirituelle les réclame, les prêtres croissent en nombre, les séminaires se fondent, des écoles, des pensionnats de filles, des collèges de garçons, des universités même se bâtissent, des hôpitaux s’élèvent, la sève catholique circule partout, la science religieuse se répand. L’infidélité fait aussi, elle, des progrès; le délirium tremens de la franc-maçonnerie ne convulsionne pas seulement nos ministres. Là-bas, il a ses sujets; le général Grand en fut aux derniers jours de sa présidence. On dit bien que son successeur a trompé l’espoir de bien des prétrophobes en ne se laissant pas prendre du même mal. En attendant, si le règne de J.-C. s’étend à travers les forêts et les savanes, le tout puissant dollar a bien aussi ses adorateurs; c’est toujours la guerre contre Dieu et Mammon, et Mammon est bien puissant par là-bas.

Je pars, le coeur attristé. L’état présent ne peut durer bien longtemps. Bien des villes s’agrandiront, bien des chemins de fer seront construits, bien des spéculations pourront créer des fortunes scandaleuses; mais le luxe et la luxure, ces deux grand malhonnêtes ennemis de la croix, préparent des catastrophes dont la prévoyante Eglise du Christ ne saurait trop s’écarter, si elle veut recommencer à donner la vie à ce peuple, quand le malheur lui aura persuadé que tout ne git pas dans les écus et les jouissances que les écus procurent.

Notes et post-scriptum