ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|ARTICLES DIVERS

Informations générales
  • TD 8.320
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  • LE CANADA
  • Le Pèlerin, N. S., III, n° 123, 10 mai 1879, p. 300-302.
  • TD 8, P. 320.
Informations détaillées
  • 1 AGRICULTURE
    1 ANGLAIS
    1 AVARICE
    1 COMMERCE
    1 CORRUPTION
    1 EPREUVES
    1 HONNETETE
    1 INDIENS D'AMERIQUE
    1 INSTRUCTION RELIGIEUSE
    1 MISSIONNAIRES
    1 OEUVRES DE FORMATION
    1 PERSECUTIONS
    1 PROTESTANTISME ADVERSAIRE
    1 SAUVAGES
    1 TRAHISON
    1 ZELE APOSTOLIQUE
    2 AIGUILLON, DUCHESSE D'
    2 CHAMPLAIN, SAMUEL
    2 HENRI IV, ROI
    2 LA DAUVERRIERE, JEROME ROYER DE
    2 LOUIS XIII
    2 MARGUERITE BOURGEOYS, SAINTE
    2 MARIE DE L'INCARNATION GUYART, BIENHEUREUSE
    2 OLIER, JEAN-JACQUES
    2 QUEYLUS, GABRIEL DE
    2 RENTY DE
    2 RICHELIEU, ARMAND-JEAN DE
    3 CANADA
    3 ETATS-UNIS
    3 FLECHE, LA
    3 FRANCE
    3 MONTREAL
    3 QUEBEC
    3 SAINT-LAURENT, FLEUVE
    3 VILLE-MARIE
  • 10 mai 1879.
  • Paris
La lettre

Je franchis le Saint-Laurent, non sans quelque tristesse. Je quitte les anciennes colonies anglaises affranchies pour entrer dans une colonie anglaise arrachée à la France, comme vengeance de ce que nous avions aidé les Etats-Unis à conquérir leur liberté. Et pourtant le Canada reste toujours plus français qu’anglais. Nous y avions envoyé des saints: la mère Marie de l’Incarnation, fondatrice des Ursulines à Québec; la mère Marguerite Bourgeois fondatrice de la congrégation de Notre-Dame à Ville-Marie, dans l’Ile de Montréal, les religieux, les missionnaires et même plusieurs simples fidèles torturés, mis à mort en haine de la foi par les sauvages, les Iroquois surtout. Ce sont là de vrais titres de noblesse pour une chrétienté naissante. Le Canada avait commencé ses premiers travaux avec une grande bonne volonté sans résultat. On y chercha d’abord des fourrures dont ce pays abonde. Quelques bons chrétiens se mêlerent à des trafiquants horriblement intéressés. Champlain, homme de grande foi, se signala par son zèle pour la propagande religieuse, mais commit la faute d’irriter contre les établissements français les nations iroquoises.

Henri IV fit mieux; ce type libéral du catholique voulut planter la religion catholique et en confia le soin à des protestants, oui des huguenots. On peut juger comme les choses allèrent, c’est-à-dire qu’elles n’allèrent pas du tout. On s’amusait à faire battre ensemble un prêtre et un ministre dit réformé, et comme il leur arriva de mourir le même jour, les protestants trouvèrent ingénieux de les enterrer dans la même fosse. Les officiers du roi, presque tous protestants, baptisaient à force et de force les sauvages sans les instruire. Quand plus tard les Récollets et les Jésuites arrivèrent dans le pays, ils trouvèrent que ces braves gens, chrétiens sans s’en douter, ne savaient même pas faire le signe de la croix! Comment voulez-vous qu’on tolérât des religieux arrivés tout exprès pour irriter le zèle des protestants, à faire des catholiques et faire fortune avec des fourrures de castor?

En France on se battait pour le monopole des peaux de bêtes et quand les vainqueurs l’avaient obtenu, ils partaient pour le nouveau monde, et le grand obstacle à la conversion des sauvages était l’immoralité profonde des agents commerciaux. Plus d’un, trouvant leur vie commode malgré sa rudesse, mais à cause de sa bestialité, s’établissait chez eux pour vivre comme eux.

Un fait d’expérience est que le sauvage peut être civilisé si on le rend sédentaire; il a un foyer, une église, une école, un travail régulier; ce n’était pas l’affaire des chercheurs de pelleterie, il leur fallait des coureurs nomades pour trouver les animaux utiles à leur exploitation. Les Récollets envoyés d’abord voulurent faire une école de jeunes sauvages; il les auraient formés au défrichement des terres, car point de défrichement, point de colonie: un intérêt étroit et commercial s’y opposa, la foi est une bonne chose, la civilisation aussi; mais les fourrures avant tout; pour défricher il faut abattre des arbres! sans arbres pas de chasses, sans chasses pas de bêtes. Les protestants, je le répète, tenaient surtout à la peau des bêtes. Pour mieux arriver à leur but, ils fournissaient aux sauvages des armes à feu et de la poudre, à l’aide de quoi on pouvait tuer les bêtes, mais aussi les Français. Que quelques vice-rois, même catholiques, aient trempé dans ce trafic antinational, hélas! je ne saurais le nier; mais pendant longtemps les vrais fils de l’Eglise, Champlain en tête, Champlain le fondateur de Québec, tinrent une conduite tout opposée.

L’agriculture fut protégée par lui; on avait appelé les Récollets, ceux-ci appelèrent les Jésuites. Enfin en 1627 on prit le parti de n’envoyer que des catholiques; un grand germe de division était supprimé, les choses n’en allèrent pas plus mal.

Tout à coup Québec est attaqué par les Anglais, jaloux de l’avenir que la France s’ouvrait dans cette région lointaine; la trahison d’un protestant français les en rendit maîtres. Mais la mauvaise foi des agresseurs était si évidente, que Louis XIII se fit bientôt rendre cette place importante par sa position (1629).

Avec les armes à feu, les trafiquants de pelleterie vendaient, avec de gros bénéfices, des liqueurs fortes aux sauvages. Ceux-ci s’enivraient avec fureur, devenaient un peu plus brutes, se livraient avec frénésie à leurs passions, et se rendaient incapables d’êtres évangélisés. Champlain, que ses affaires avaient ramené en France, de retour au Canada, arrêta cet infâme commerce, et l’on put faire quelque bien à ces pauvres déshérités.

Ce fut un grand bonheur que la duchesse d’Aiguillon, la nièce du ministre tout puissant Richelieu, prit l’oeuvre du Canada à coeur. Elle contribua à envoyer des gouverneurs intègres, elle favorisa le départ des Jésuites, fit parvenir une somme considérable aux Récollets, aida la mère Marie de l’Incarnation à fonder des écoles pour les jeunes filles hurones et algonquines, à bâtir un hôpital surtout pour les sauvages. L’épidémie, l’incendie, la famine n’épargnaient pas ces oeuvres naissantes; on ne se laissait pas rebuter, et, après avoir beaucoup souffert, on poursuivait sa route avec lenteur, mais avec assez de succès pour encourager l’espérance.

Louis XIII ne crut pas pouvoir mieux témoigner son intérêt pour les sauvages qu’en leur envoyant de beaux habits. Qui fut attrapé? ce furent nos algonquins et nos hurons tout empétrés dans un pareil accoutrement. Que firent-ils pour ne pas avoir l’air de dédaigner les dons du roi, et en même temps n’en être pas trop souvent gênés? ils décidèrent de ne les mettre par honneur que dans les processions solennelles.

Ce n’est pas que la compagnie commerciale fit beaucoup pour le culture extérieur, bien au contraire; mais on avait, pour ces circonstances, les habits, vestes et culottes envoyés par le roi; n’était-ce pas assez?

Au milieu de ces destinées diverses de la colonie, deux hommes semblent avoir été suscités de Dieu pour lui donner, au moins dans l’Ile de Montréal, un cachet fortement chrétien et français, que ni les guerres, ni les séductions commerciales, ni les spoliations anglaises, n’ont pu lui faire perdre. Je veux parler de M. de la Dauversière, pieux laïque de la Flèche, et de M. Olier, le fondateur de Saint-Sulpice. D’autres vaillants catholiques, comme M. de Renty, se joignirent à eux, et par leurs largesses soutinrent les colons. D’autres plus vaillants encore partirent avec les fils de M. Olier, et, sous la conduite de l’abbé de Queylus, bâtirent Ville-Marie, appelée plus tard Montréal. La mère Marguerite Bourgeois, que l’Eglise vient de déclarer vénérable, se joignit à eux. Les recrues catholiques se succédèrent; la compagnie des pelleteries fut supprimée, le Canada entrait dans une vie nouvelle.

Notes et post-scriptum