ARTICLES|ARTICLES DU PELERIN|ARTICLES DIVERS

Informations générales
  • TD 8.329
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  • LE CANADA
    III
  • Le Pèlerin, N. S., III, n° 125, 24 mai 1879, p. 330.
  • TD 8, 3. P. 329.
Informations détaillées
  • 1 ANGLAIS
    1 AUDACE
    1 AVARICE
    1 BONTE
    1 CANADIENS
    1 CHATIMENT
    1 CHRETIEN
    1 CONVERSIONS
    1 CORRUPTION
    1 ENNEMIS DE L'EGLISE
    1 EVECHES
    1 FOI
    1 FONCTIONNAIRES
    1 FRANCAIS
    1 GRANDEUR MORALE
    1 GUERRE
    1 HOLLANDAIS
    1 HONNETETE
    1 RUSE
    1 SAUVAGES
    1 UNIVERSITES CATHOLIQUES
    1 VERTUS DE L'APOTRE
    2 ABERCROMLY, GENERAL
    2 BOUGAINVILLE, LOUIS-ANTOINE DE
    2 FRANKLIN, BENJAMIN
    2 FRONTENAC, LOUIS DE
    2 HERVILLE, CHEVALIER D'
    2 JUMONVILLE
    2 LAVAL, FRANCOIS DE
    2 LEVIS BOURLAMAQUE, CHEVALIER
    2 LOUIS XV
    2 MONTCALM, LOUIS DE
    2 PHIBS, AMIRAL
    2 PIE IX
    2 PITT, WILLIAM
    2 POMPADOUR, MADAME DE
    2 RAZUMOVSKI
    2 VOLTAIRE
    2 WASHINGTON, GEORGE
    3 AMERIQUE DU NORD
    3 ANGLETERRE
    3 CANADA
    3 CARILLON, FORT
    3 ETATS-UNIS
    3 FRANCE
    3 NECESSITE, FORT
    3 ONTARIO, CAP
    3 QUEBEC
    3 TERRE-NEUVE
    3 VERSAILLES
  • 24 mai 1879.
  • Paris
La lettre

Il faut finir. Les gouverneurs n’étaient pas sans capacité, mais l’esprit religieux n’était plus le même. Le comte de Frontenac, homme de valeur, ne pouvait sentir ni les Jésuites, ni l’évêque Mgr de Laval; il les dénonçait à Versailles avec toute la virulence possible comme faisant le commerce. Hélas! et lui ou ses amis, que faisaient-ils? Il est sûr que Mgr de Laval, avec une intelligence moins élevée qu’on eût pu désirer à certains moments, resplendissait des plus belles vertus épiscopales: n’est-ce pas bien souvent ce qui aide à fonder les oeuvres difficiles et à laisser ces longues traces de vénération que le Canada conserve avec amour pour son premier évêque?

Les Anglais avaient chassé les Hollandais de ce qui fut plus tard le Nord des Etats-Unis; ils voulaient chasser les Français du Canada. Voltaire ne comprenait pas qu’on allât se battre au delà de l’océan pour quelques arpents de glace. Et quand Voltaire ne comprenait pas, comment voulez-vous que la France, que la cour de Louis XV, qui Mme de Ponpadour comprissent?

Les Anglais comprenaient eux, et, pour relever leur marine de ses échos successifs, Pitt jura la conquête du Canada. Certes, sans la plus ignoble improbité d’un intendant qui faisait payer trois fois au trésor les vivres qu’il n’avait pas fournis au soldat, mais qui en revanche ne donnait pas un sou aux troupes, pour faire mieux danser à Québec, la France eût encore pu tenir bon avec des hommes comme Bougainville, le chevalier Levis Bourlamaque et autres commandés par Montcalm.

On avait vu ce que pouvait M. de Frontenac quand l’amiral Phibs vint le sommer de rendre Québec, on avait admiré la témérité du chevalier d’Herville détruisant presque tous les forts anglais de Terre-Neuve avec 125 hommes, leur en tuant 200 hommes et leur faisant 700 prisonniers; mais il fallait le nerf de la guerre, et l’intendant, de connivence avec les agents subalternes, le mettait dans leur poches et surtout dans les siennes.

D’autre part les colonies anglaises, de concert avec la mère patrie, faisaient des coups comme on se les permet, quand on veut une guerre à outrance. Georges Washington, le futur fondateur de la République américaine, surprenait un détachement français dans un guet-apens et en tuait le chef Jumonville. Les Français prenaient leur revanche sans user de représailles, à l’attaque du fort de la Nécessité occupé par les Anglo-Américains; Franklin dans son voyage en Angleterre poussait le ministère à l’invasion du Canada.

Les Anglais avaient bâti un fort pour dominer le cap Ontario et intercepter le commerce français; le fort fut pris par un de ces coups hardis que le génie seul peut frapper; pour se venger le général Abercromly vient assiéger Montcalm au fort de Carillon construit en troncs d’arbres. Le fort n’a pour se défendre que 2,800 soldats de France et 450 Canadiens; avec cela Montcalm met en déroute l’armée anglaise forte de 20,000 hommes, lui en tuant 5,000, mais sans les munitions prises dans le camp ennemi le vainqueur serait mort de faim et n’aurait plus eu un coup de canon et de fusil à tirer; mais M. l’intendant était assez riche pour perdre au jeu sans trop s’en apercevoir la ronde somme de 200,000 francs. L’intendant n’était pas seul coupable, le gouverneur était jaloux. Aux prises avec un concussionnaire et un supérieur qui contrariait tous ses plans, Montcalm demandait avec instance son rappel.

Par un suprême effort de l’Angleterre, Québec assiégé par les Anglais, trop mal protégé grâce à la jalousie du gouverneur et aux vols de l’intendant, est surpris la nui. Les deux généraux périrent dans la lutte, mais Québec resta aux Anglais. Le Canada était perdu.

Après la victoire de Carillon, Montcalm, qui lisait, tout en fumant le calumet des sauvages, les classiques dont il était épris, fit planter une croix avec cette inscription de sa main:

Quid dux? Quid miles? Quid strata ingentia ligna?

En signum! en victor! Deus hic, Deus ipse triumphat.

Ces deux vers peignent Montcalm tout entier.

Parlerons-nous de son affection pour les sauvages qui la lui rendaient bien? de sa tendresse pour sa famille, de ses nombreux enfants dont un mourait sans qu’il pût savoir lequel? Montcalm a laissé une trace impérissable, sinon en France, du moins au Canada; son caractère semble s’être gravé dans l’âme des colons; et c’est le plus bel éloge qu’on puisse faire d’eux.

Le Canada ne nous appartient plus. Pour la mère patrie c’est une humiliation et un providentiel châtiment. Pour la colonie elle-même, c’est peut-être un bien, les moeurs y sont restées pures, les idées saines, la foi intacte. Les familles n’y sont pas atteintes de l’énervante stérilité française. Les colons français du Canada fondent des établissements nouveaux et jusqu’à présent leur probité leur attire une confiance mérité. Quand Pie IX a demandé des soldats, les Canadiens sont accourus en nombre. La protestante Angleterre leur a accordé une université catholique pleine de prospérité. Les évêchés s’y multiplient, preuve que les fidèles y abondent, la sévérité du climat les rend propres à de durs travaux matériels, et favorise la culture de l’intelligence. Si jamais, comme on l’a prétendu, les Etats-Unis s’annexent le Canada, on sera peut-être surpris de la puissance de sève catholique qui en rejaillira sur ces peuples nouveaux, riches des trésors de la terre, mais trop pauvres encore de science, de charité et de sacrifice.

Que Dieu conserve le Canada pour une régénération tous les jours plus nécessaire dans l’Amérique du Nord!

Notes et post-scriptum