ARTICLES

Informations générales
  • TD 9.58
  • ARTICLES
  • MYSTIQUE DIVINE, PAR M. RIBET, PRETRE DE SAINT-SULPICE.
  • La Croix, I, avril 1880, p. 67-68.
  • TD 9, P. 58.
Informations détaillées
  • 1 ASCESE
    1 JANSENISME
    1 JUSTICE DE DIEU
    1 MYSTIQUE
    1 NATURALISME
    1 ORDRE SURNATUREL
    1 PIETE
    1 REVOLUTION ADVERSAIRE
    1 SAINTS
    1 SCOLASTIQUE
    1 THEOLOGIE
    1 THEOLOGIE DE SAINT THOMAS D'AQUIN
    1 THOMAS D'AQUIN
    1 VIE DE PRIERE
    2 GREGOIRE I LE GRAND, SAINT
    2 LEON XIII
    2 RIBET, JEROME
  • avril 1880.
  • Paris
La lettre

La piété est utile à tout, dit l’Apôtre, à une condition, c’est qu’elle sera éclairée. La piété sentimentale devient terne et produit peu. Elle berce l’imagination dans le rêve et se perd dans les nuages. La piété raide comme un janséniste dessèche et meurt comme le grain de froment jeté dans les pierres. La piété du commun est bien nulle, et en combien d’endroits le sel de la terre ne s’est-il pas affadi! Je voudrais faire un livre sur la piété antidote de la révolution. La révolution, en dehors de ses formes politiques et dans son vrai fond, c’est le monde antinaturel, c’est le règne du diable et je crois savoir trop pertinemment ce que je dis en affirmant cette proposition. La vraie piété, c’est dans le monde surnaturel, ce qu’il y a de plus pur, de plus délicat, de plus divin, et dès lors de plus puissant et de plus efficace. Mais que d’erreurs, que d’illusions, que de dangers à redouter dans ces régions supérieures, et quel besoin des guides, armés de la piété sans doute, mais aussi et encore plus de la science des saints. Il est très difficile de nier qu’à de très rares exceptions près, le temps présent n’a fourni que très peu de ces sortes de guides. Pourtant un effort semble tenté depuis quelque temps, et pour qui observe attentivement, on peut prévoir qu’à moins que Dieu n’ait résolu la perte de la vieille Europe, des saints nous seront encore donnés, et les saints sont souvent à leur insu les vrais maîtres de la piété parfaite.

Parmi les signes d’un avenir meilleur, on peut sans crainte indiquer le livre de M. Ribet. Plus nous aurons d’âmes pieuses conduites avec science et prudence dans les voies des communications plus intimes avec Dieu, plus nous aurons de protecteurs que le monde ne connaît pas. Le savant directeur de Saint-Sulpice nous ramène à un enseignement trop oublié, et pose des principes d’autant plus solides qu’ils ne sont pas siens, mais de l’ensemble des docteurs les plus autorisés, sur l’autorité des quels il s’appuie constamment.

L’affirmation du surnaturel resplendit à toutes les pages, et il fallait bien qu’il en fut ainsi. La mystique divine est le sommet de la théologie ascétique, elle explore les régions où les secours ordinaires de la grâce sont insuffisants, où Dieu agit selon qu’il lui plait sur des âmes privilégiées qu’il inonde de ses faveurs, sans que toutefois ces faveurs soient le signe infaillible d’une sainteté plus haute. Que d’esprits sages selon le monde, pour ne pas s’exposer à errer, sourient en entendant prononcer le seul nom de mystique. Pourtant l’enseignement de l’Eglise est là. Presque à chaque canonisation des serviteurs de Dieu il est nécessaire de soulever ces problèmes. Pour si indifférent qu’on y soit, il faut bien dire si l’on croit ou l’on ne croit pas aux saints et aux voies parcourues par eux pour arriver à la sainteté; il faut bien décider s’ils ont été victimes d’une illusion diabolique ou seulement de leur imagination. Mais le nombre des serviteurs de Dieu favorisés extraordinairement et pourtant inconnus est plus considérable qu’on ne pense. Ils fuient le bruit et se cachent au monde; ils n’en ont pas moins besoin d’être soutenus par un sage directeur, et la mystique divine sera d’un grand secours aux confesseurs moins expérimentés et qui pourtant comprennent le besoin de traiter avec respect les âmes placées sous leur conduite.

L’auteur affirme énergiquement le surnaturel, et nous l’en félicitons; mais quand il faut venir aux applications, il procède avec une prudence parfaite: les maîtres de la science sont-ils unanimes, il ne craint pas d’affirmer hardiment; sont-ils partagés, il expose avec scrupule les diverses opinions et laisse souvent le lecteur juger celle qui semble la plus probable; s’il avance son jugement, c’est avec modestie et avec de si plausibles raisons qu’on est tout simplement porté à être de son avis, tant il s’applique à être impersonnel et éloigné de tout parti-pris.

Rien de plus clair que ses expositions; non pas qu’elles soient accessibles sans efforts aux esprits que des études antérieures n’ont pas préparés à de pareils problèmes, mais pour qui a quelque connaissance de la matière, tout se déroule avec un enchaînement merveilleux. Dirai-je ici mon étonnement? Le tracé du plan m’avait au premier coup semblé obscur, mais à mesure que je lisais et que j’étais sous le charme, j’étais surpris de la limpidité que la méthode didactique de l’auteur apportait à chaque point de vue nouveau.

La première partie pose certains principes généraux. La seconde aborde plus particulièrement les faits, mais les deux volumes parus en promettent d’autres, et nous en félicitons les lecteurs sérieux. C’est dans cette seconde partie que se remarque le choix intelligent des faits racontés comme confirmation des règles antérieures. L’auteur ne donne certes pas tout comme article de foi. Il faut bien pourtant traiter avec respect les faits canonisés par l’autorité pontificale, il en est d’autres qu’on ne peut appuyer que sur des témoignages humains; mais qu’est la science si l’on excepte les faits sur lesquels elle s’appuie?

Je me permettrai une réserve. On sent quelquefois une grande sévérité de jugement contre ce qu’on est convenu d’appeler les systèmes scolastiques. Evidemment l’auteur avait écrit avant la publication de l’encyclique Aeterni Patris. Il ignorait avec quel soin Léon XIII a exigé qu’à Rome les professeurs de philosophie s’en tinssent à saint Thomas et aux docteurs de la même école; que de saints religieux soumis à la direction suprême sont rentrés dans le silence! Il faut les admirer dans leur soumission, mais il faut reconnaître que des loisirs leur ont été faits ou d’autres emplois leur ont été donnés, parce qu’ils n’étaient pas assez scolastiques.

Cette réserve faite, nous exprimerons à l’auteur un humble désir: celui que son livre, trop volumineux peut-être pour les aspirants au sacerdoce, soit résumé dans un Compendium qui serait mis entre les mains des élèves de théologie de la dernière année. Peut-être tous ne seraient-ils pas appelés à de semblables études, mais les plus pieux et les plus intelligents y trouveraient grand profit, pour eux d’abord, et puis pour les âmes d’élite dont la direction leur serait confiée. Si saint Grégoire le Grand a pu dire que la chute définitive de l’empire était retardée par les prières des vierges romaines, et elles n’étaient que trois mille, ne pourrait-on pas espérer que les vierges innombrables qui couvrent notre sol, si elles étaient excitées avec une plus grande expérience à la perfection, détourneraient la colère d’en haut et suspendraient entre les mains de bourreaux souvent inconscients le glaive de la justice éternelle et divine.

E. d'A.
Notes et post-scriptum